| -----Se pencher 
        sur la personnalité d'Augustin, c'est se pencher sur un puits sans 
        fond. Chaque fois qu'on croit l'avoir saisie, on s'aperçoit qu'elle 
        nous a échappée, tant il est vrai que les génies 
        transcendent le commun de l'humanité. Augustin est l'un de ces 
        génies, l'un des plus grands parmi les plus grands, ce qui ne l'empêche 
        pas d'être en même temps l'un des plus humbles parmi les plus 
        humbles.-----Son cas défie toutes les analyses 
        psychologiques. Comment ce jeune homme, intelligent certes, mais aussi 
        jouisseur effréné, a-t-il pu devenir un saint et le docteur 
        le plus éminent de l'Eglise ?... Quand passe la grâce, l'homme 
        n'a plus qu'à se taire... Celui qui avait rendu à la vie 
        terrestre la fille de Jaïre, le fils de la veuve de Naïm, le 
        frère de Marthe et Marie, celui-là seul pouvait sortir une 
        âme d'élite de la mort du péché et l'amener 
        à la sainteté.
 NÉ DANS L'ANCIENNE 
        SOUK-AHRAS -----Augustin, nous 
        le savons, est né en 354 dans l'antique Thagaste, au coeur de cette 
        Afrique du Nord dont les turbulences donnaient tant de fil à retordre 
        à l'administration romaine. Numide par la naissance, il le deviendra 
        encore davantage parle caractère et par le coeur. Contrairement 
        à certaines personnes qui, obligées de s'expatrier, se croient 
        également obligées de perdre leur accent d'origine et d'adopter 
        celui du pays d'accueil. Augustin reste fidèle à l'accent 
        de son terroir. Bien que parlant couramment un latin châtié, 
        il n'a jamais rien fait pour modeler sa prononciation sur celle des Romains 
        ou des Milanais. De lui, ceux qui le côtoyaient disaient que sa 
        langue était rude. Rude, c'est-à-dire qu'elle avait gardé 
        de l'Afrique l'aspiration de la lettre h et la gutturalisation de la lettre 
        k. Sur les rives européennes de la Méditerranée où 
        le climat plus tempéré adoucit le langage, Augustin ne cède 
        pas à la tentation de renier ses origines. L'homme n'est vraiment 
        lui-même que dans la fidélité à ses racines.-----Adolescent, il a cru un temps à 
        une philosophie existentialiste qui le poussait à jouir de tous 
        les plaisirs qu'offre le monde, surtout les plaisirs de la chair. Mais 
        ces plaisirs lui laissent un arrière-goût d'amertume. Tout 
        en s'y jetant à corps perdu, il sent leur artifice. Alors, il cherche 
        ailleurs la vérité, et il espère la trouver dans 
        le manichéisme.
 -----Cette philosophie, qui se voulait religieuse, 
        divisait le monde en deux principes perpétuellement en lutte : 
        le principe du bien et celui du mal. Pendant neuf ans, Augustin sera son 
        disciple d'autant plus ardent que les manichéens affirmaient ne 
        rien imposer et tout démontrer. Ils se moquaient violemment de 
        certaines coutumes païennes que les chrétiens d'Afrique n'avaient 
        pas éliminées et que les esprits naïfs croyaient inhérentes 
        au christianisme, comme les offrandes aux morts que la pieuse Monique 
        faisait régulièrement.
 -----Tant qu'Augustin sera convaincu que 
        les manichéens détiennent la vérité, il leur 
        sera fidèle. Mais, au fur et à mesure que tombent ses illusions, 
        il découvre qu'en fait de vérité, les manichéens 
        ne racontent que des légendes sans fondement. S'il ne rompt pas 
        immédiatement avec eux, c'est par amitié pour certains responsables 
        de la secte. -----Lors d'une confrontation 
        avec l'évêque Faustus, un des plus importants chefs du manichéisme, 
        Augustin acquiert la certitude de la fausseté absolue de cette 
        doctrine et il la rejette catégoriquement.
 Ce sont les sermons d'Ambroise, évêque de Milan, qui l'amèneront 
        progressivement à la vérité. Alors, il rejettera 
        également les philosophes et s'inscrira comme catéchumène. 
        Les larmes et les prières de Monique trouvent enfin leur aboutissement.
 -----Devenu chrétien, Augustin comprendra 
        immédiatement que celui qui a rencontré Dieu sur son chemin 
        ne peut plus vivre dans la médiocrité. Une seule voie s'offre 
        à lui : celle qui conduit aux sommets. Augustin l'emprunte, son 
        ascension est fulgurante. Moine d'abord, puis prêtre, enfin évêque, 
        il s'éblouit de la miséricorde divine. Ayant bénéficié 
        comme Marie-Madeleine d'un amour infini, il devient le chantre de cet 
        amour. Les pages d'Augustin sur la miséricorde de Dieu sont parmi 
        les plus profondes et les plus boulversantes jaillies d'un cerveau humain.
 
 LES DANGERS ARRIVENT -----Mais voici 
        qu'un terrible danger menace le christianisme africain. Le schisme donatiste, 
        d'abord circonscrit à quelques puritains, s'est allié aux 
        circoncellions, ces miséreux qui vivent de vols et de pillages. 
        La révolte revêt un triple caractère social, politique, 
        religieux. Toute la civilisation romaine en Afrique se trouve menacée. 
        Augustin reproche aux donatistes d'être en contradiction avec l'Evangile.-----Croire que 
        notre Eglise ne doit se composer que de purs, leur dit-il, est une erreur. 
        Nous sommes tous pêcheurs et avons tous besoin de la miséricorde 
        de Dieu. Ce n'est pas pour les justes que le Christ est mort, mais pour 
        les pécheurs. Il les affronte en des débats publics 
        parfois houleux. Débats inutiles, affrontements stériles, 
        car devant lui se dresse l'infranchissable barrière de l'orgueil. 
        Et qui dit orgueil dit mensonge.Ayant épuisé toutes les 
        tentatives de réconciliation, Augustin se résout, le coeur 
        serré, à faire appel au pouvoir impérial. L'armée 
        romaine intervient brutalement et ramène de gré ou de force 
        les égarés à la raison. Avec quelle tendresse Augustin 
        accueille dans l'Eglise les ennemis de la veille !
 -----Il intervient auprès des autres 
        évêques de l'Afrique du Nord pour que partout les donatistes 
        soient réintégrés avec la même tendresse.
 -----Son Eglise d'Hippone, qui avait terriblement 
        souffert du schisme, Augustin la guide avec la sûreté d'un 
        pilote éprouvé. Ses écrits, ses sermons, ses interventions 
        dépassent le cadre local. Il n'est déjà plus seulement 
        l'évêque d'Hippone, mais aussi et surtout le docteur de l'Eglise 
        universelle, celui qui montre la route au peuple de Dieu. Tout en restant 
        passionnément attaché à son pays et à son 
        peuple, il a conscience de sa responsabilité à l'échelon 
        mondial. Magnifique exemple de mariage réussi entre régionalisme 
        et universalisme ! Désormais, Augustin ne travaillera plus pour 
        ses seuls fidèles, mais pour ceux de l'Eglise entière.
 -----Mais Augustin vieillit. Dieu lui réserve 
        une dernière épreuve, de toutes la plus douloureuse : l'invasion 
        vandale qui détruit en Afrique et l'Eglise et la civilisation. 
        Aucune discussion n'est possible avec ces barbares qui ne savent que piller, 
        violer, incendier. Dans Hippone assiégée, l'évêque 
        soutient la résistance. La puissance romaine n'existant plus, Augustin 
        sait que la partie est perdue, qu'un monde s'écroule. Affaibli, 
        malade, il ne quitte plus sa chambre aux murs de laquelle il a fait afficher 
        les sept psaumes de la pénitence. c'est le 28 août 430 qu'il 
        s'envole vers l'éternelle patrie. Dieu lui aura fait une faveur 
        insigne : celle de ne pas assister à la chute de sa ville bien-aimée.
 -----Si Augustin fut un apôtre de la 
        vérité, le sommes-nous dans un monde tout entier plongé 
        dans les ténèbres du mensonge ? Ne baissons-nous pas les 
        bras, convaincus de notre impuissance ? Rien qu'en ce qui concerne l'histoire 
        algérienne de la France, le mensonge est odieux. On devrait nous 
        entendre, nous qui avons vécu cette histoire, qui l'avons écrite 
        avec nos larmes, notre sueur, notre sang, oui, on devrait nous entendre 
        crier qu'elle n'est faite que de gloire et d'honneur, que la France, loin 
        de rougir de son passé colonial, a tout lieu d'en tirer une légitime 
        fierté ! Ne sommes-nous pas les chiens muets de la société 
        ?
 -----Augustin, notre compatriote, notre frère, 
        notre maître à penser, réveillez nos énergies 
        et ramenez un jour sur les rives africaines de la Méditerranée 
        la croix que les ennemis de Dieu en ont arrachée !
 Abbé N. 
        Poupeney
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