| Notre ami André Lebert nous a fait 
        parvenir cet article écrit par un administrateur des Services Civils, 
        Pierre Chalumeau, quelques années avant l'indépendance de 
        l'Algérie.
 Les premiers forages artésiens dans le 
        Souf
 Pierre Chalumeau
 
        
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              Le Souf |  Métropolitain résidant en Algérie 
        depuis vingt ans, conquis par ce pays et tous ses habitants, je suis de 
        ceux qui avaient fondé de grands espoirs sur le brassage 1939-1945, 
        où des milliers de métropolitains ont défilé 
        ici et des centaines de milliers d'Algériens ont découvert 
        la France. L'incompréhension de la France n'a jamais paru aussi 
        totale. D'ailleurs, le peuple " le plus intelligent du monde 
        " n'a que faire des réalités et des faits concrets 
        ! Et pourtant... Je précise que je tiens de première main 
        les faits que je rapporte dans l'exposé qui suit, ayant été 
        chef de l'annexe du Souf.
 On appelle " Souf " l'archipel de palmeraies qui s'étend 
        dans un rayon de 25 kilomètres autour de sa capitale : El-Oued. 
        Celle-ci est située dans le Grand Erg Oriental, à 200 kilomètres 
        au sud-est de Biskra.
 
 Les 450000 ( Pas un seul de ces palmiers 
        n'appartient à un Européen. L'unique palmeraie, d'ailleurs 
        magnifique, créée par un Européen, a été 
        cédée par celui-ci à des autochtones avant son départ 
        définitif pour la métropole.) palmiers dattiers 
        de cet ensemble assurent la vie de 65000 sédentaires et de la majorité 
        des 45000 nomades qui gravitent autour.
 
 Dix pour cent de ces palmiers donnent la datte muscade, la seule connue 
        en Europe, et qui est l'unique monnaie d'échange du pays pour se 
        procurer les produits manufacturés. Le reste donne des dattes fort 
        différentes, très sucrées, molles et de longue conservation, 
        qui sont vraiment le " pain " du Souf.
 
 En partie consommées sur place, elles sont, pour le reste, transportées 
        par caravanes et échangées contre des céréales 
        dans les Nementcha et les Monts Aurès.
 
 Les Français sont arrivés dans le pays en 1854. Ils furent 
        d'ailleurs fort bien reçus (on dit que c'est parce qu'ils venaient 
        de mettre à la raison Touggourt, l'ennemi héréditaire).
 
 Il n'y avait jamais eu, dans le Souf, un seul coup de fusil tiré 
        contre eux jusqu'aux événements actuels ( Ce 
        texte a été écrit pendant la guerre d'Algérie.). 
        Et la bonne entente régnait malgré la très grave 
        gêne économique qui avait résulté, pour le 
        pays, de la suppression de la traite des Noirs, qui donnait lieu jadis 
        à un trafic intense entre Ghadamès et EI-Oued ( Quelques 
        esclaves noirs, en provenance de Ghadamès, furent introduits, clandestinement, 
        dans le Souf, jusqu'au début du xxe siècle.). 
        Depuis cette installation, si le nombre des palmiers a doublé, 
        la population a quadruplé; c'est, là comme ailleurs, tout 
        le drame de l'Algérie. Or, la phoeniciculture dans le Souf est 
        très particulière. On la dit même unique au monde. 
        Les palmiers n'y sont pas irrigués. Plantés aux points les 
        plus creux des massifs dunaires les plus bas, partout où l'eau 
        affleure, ils puisent à leur gré (et c'est ce qui expliquerait 
        l'excellence de leurs fruits) dans une nappe phréatique assez douce 
        et assez généralisée.
 
 Le seul travail assujettissant des cultivateurs locaux est la défense 
        de leurs plantations contre l'enlisement par le sable éolien. Des 
        haies de palmes arrêtent le plus gros de ces sédiments. Au 
        fur et à mesure qu'elles sont ennoyées, on en superpose 
        d'autres. Le talus périphérique s'élève d'année 
        en année, si bien que le pays, dans ses parties les plus caractéristiques, 
        se présente comme une juxtaposition de cratères énormes 
        de 10 à 20 mètres de creux, de 50 à 200 mètres 
        de diamètre. Au fond de chacun d'eux s'épanouit un bouquet 
        de quelques dizaines ou centaines de palmiers.
 
 Malheureusement, depuis quelques décades, cette nappe phréatique, 
        qui est la vie même du pays, est en baisse; les recherches entreprises 
        scientifiquement n'ont pas encore expliqué clairement pourquoi, 
        à part deux points qui semblent acquis:
 
 - Il y a indéniablement surplantation provoquée par la poussée 
        démographique. Il serait vain d'envisager, même à 
        récolte égale, une réduction autoritaire de la densité 
        des palmiers dans une contrée où le sens de la propriété 
        est particulièrement exacerbé.
 
 - Il y a colmatage du sol par accumulation des éléments 
        que les racines refusent d'absorber (gypse par exemple).
 
 Ces deux facteurs agissent dans le même sens en empêchant 
        l'eau de se renouveler au rythme de son absorption. Quoiqu'il en soit, 
        les palmeraies dépérissent et l'on n'en pourrait créer 
        de nouvelles, désormais, sans avoir à remuer des montagnes 
        de sable en des travaux titanesques. En effet, tout ce qui était 
        d'exploitation facile, ou même simplement rentable, a été 
        complanté depuis longtemps.
 
 Dès que la baisse d'eau atteint un mètre, la fructification 
        ne se fait plus ou se fait mal, la maladie est plus fré-. quente. 
        Quand cette baisse dépasse un mètre, alors, c'est la vie 
        même du palmier qui est en jeu. On voit donc combien la question 
        est grave pour des arbres qui peuvent vivre 150 et même 200 ans, 
        et ne rapportent vraiment des bénéfices appréciables 
        que s'ils vivent longtemps.
 
 L'idée vient, tout naturellement, de pratiquer le pompage au moteur. 
        Des tentatives ont été faites, elles se sont révélées 
        dangereuses. La nature du sol impose au renouvellement de l'eau une vitesse 
        maximum (d'ailleurs très faible) et la baisse du plan d'eau prend 
        alors des proportions catastrophiques que rien ne vient plus limiter.
 
 Que faire ?
 
 L'idéal aurait été de trouver de l'eau artésienne. 
        Des recherches dans ce sens étaient réclamées à 
        cor et à cri depuis des années par les chefs d'annexe responsables. 
        Mais en matière de recherches et de travaux d'hydraulique, vu l'importance 
        de la demande, priorité était accordée depuis longtemps:
 --------- soit aux régions en péril de mort immédiate 
        comme celle de l'Oued Rhir que la France a trouvée moribonde, qu'elle 
        a littéralement ressuscitée, puis fabuleusement enrichie 
        par des forages légendaires (M'Raïer est le plus connu);
 --------- soit aux régions par trop misérables et par trop 
        dépourvues, tel le M'Zab (un récent forage vient de faire 
        jaillir, à Zelfana, une " mer " d'eau douce).
 
 Par contraste, le Souf paraissait en bonne santé, plutôt 
        riche et pouvant attendre. Quatre petits forages de recherches avaient 
        bien été poussés jusqu'à 100 et 150 mètres, 
        mais les résultats en étaient nuls ou très décourageants.
 
 Les services compétents avaient donc décidé d'attendre, 
        avant d'entreprendre dans le Souf quelque chose d'important, le résultat 
        de leurs recherches méthodiques entreprises depuis longtemps, selon 
        un plan aussi parfait de conception que majestueux de rythme. Relisant 
        tous les rapports de ses devanciers sur cette question si préoccupante, 
        l'administrateur des Services civils, chef de l'annexe d'El-Oued, constatait, 
        en 1951, combien ils étaient sérieux, objectifs, documentés, 
        irréfutables, angoissants. Et pourtant, aucun n'avait jamais réussi 
        à émouvoir les hautes sphères.
 
 " Il faudrait, monologuait-il, pour attirer l'attention 
        sur le dépérissement des palmeraies du Souf, trouver quelque 
        chose de nouveau, qui frappe, qui parle non plus au cerveau, puisque c'est 
        en vain, mais à l'imagination..., mais au coeur! C'est par l'oeil 
        qu'on atteint le coeur... Parler à l'oeil ?... Images..., dessins..., 
        photos... Eurêka!
 
 Rassemblant ses souvenirs, ce chef d'annexe exhuma des archives farcies 
        de scorpions, les cartes au 1/10 000e des oasis du Souf (datant de 1911), 
        puis les photos, saupoudrées de sable, de la " couverture 
        aérienne " effectuée, en 1949, sous les auspices du 
        service de l'Hydraulique. La juxtaposition était parlante, convaincante. 
        Elle montrait le dépérissement des vieilles palmeraies par 
        le centre et leur renouvellement par les marges en " tache de pelade 
        ". La luxuriance des plantations nouvelles masquant le déficit 
        des anciennes, l'ensemble paraissait en équilibre et aurait pu 
        le rester longtemps si les mises en culture avaient pu gagner indéfiniment. 
        Mais, partout, dès maintenant, on vient buter sur les hauts massifs 
        dunaires où l'exploitation n'est plus rentable. Ce superbe rapport 
        partit, une nouvelle fois, demandant des recherches de l'eau artésienne 
        dans le Souf. Il aurait sans doute eu le même sort que ses prédécesseurs 
        s'il ne s'était terminé par une série de couples 
        " photo carte " qui firent sursauter M. Lebureau; sans prendre 
        même le temps de retirer ses manches de lustrine, M. Lebureau fit 
        le tour de ses collègues, le rapport à la main. Son bon 
        coeur enfin remué, il se fit l'avocat passionné du Souf, 
        employa spontanément le mot " sauvetage ", et 
        le service de l'Hydraulique se trouva mis en demeure de " faire quelque 
        chose sans délai pour ce malheureux pays ". Avec le dévouement 
        bougon qui le caractérise, ce service décida alors d'effectuer 
        un forage de prospection, jusqu'à 400 mètres de profondeur, 
        à Sif-El-Menadi (choisi pour diverses raisons techniques), à 
        90 kilomètres d'El-Oued, sur la route de Biskra, dans les limites 
        naturelles du Souf.
 
 Les destins s'apprêtaient.
 
 Parvenu à 400 mètres de profondeur sans avoir trouvé 
        une goutte d'eau, parmi la succession la plus désespérante 
        de marnes, de sables secs, de gypse et d'argiles, le chef d'équipe 
        marqua un temps d'arrêt, hésita, faillit donner l'ordre de 
        départ; puis, se ravisant et " pendant qu'il y était 
        ", décida de mettre également en place, avant de partir, 
        les 50 mètres de tuyaux qui lui restaient encore en réserve... 
        Et à la fin de l'été 1953, de - 435 mètres, 
        l'eau jaillit avec violence, relativement douce, parfaitement exploitable 
        et paraissant fort abondante. Le Souf est sauvé. Il lui suffira 
        de glisser partiellement vers le nord, car la nappe découverte 
        ne serait pas utilisable dans le Souf traditionnel (4Un 
        forage artésien vient de faire jaillir l'eau à El-Oued même 
        (mars 1956), mais le jaillissement et le débit sont extrêmement 
        faibles et sans intérêt pratique.).
 
 Au printemps de 1954, 1300 palmiers destinés à être 
        conduits en culture irriguée (les premiers qu'on ait jamais vus 
        sur les 80000 kilomètres carrés de l'Annexe d'El-Oued) ont 
        été plantés à titre expérimental au 
        forage de Sif-El-Menadi par l'Administration. Il lui a d'ailleurs fallu 
        recruter et payer des spécialistes de l'Oued Rhir pour initier 
        les habitants du Souf à la culture irriguée du dattier, 
        culture dont ils ignorent tout. Un verger expérimental y a également 
        été créé avec succès, dit-on. Chose 
        curieuse, n'étant pas littéralement pris à la gorge 
        par la faim, les habitants sédentaires du Souf n'ont manifesté 
        jusqu'à présent qu'un intérêt poli à 
        cette réalisation. Les nomades désireux de se sédentariser 
        paraissent plus intéressés. Ce seront sans doute eux les 
        bénéficiaires.
 
 Un forage beaucoup plus important dans la même nappe et destiné 
        à l'irrigation d'une palmeraie, à créer, de 20 000 
        dattiers (qui permettrait le recasement de 400 familles sahariennes) a 
        été mené à bien au BordjEl-Hamraïa, à 
        20 kilomètres du précédent, au cours de l'été 
        1955. Ce forage débite sept mètres cubes à la minute, 
        volume plus que suffisant pour les projets envisagés.
 
 La mise en place des 20000 arbres devait commencer au cours de l'hiver 
        1955-1956. Mais en raison des événements et de l'insécurité 
        particulière de cette région, il n'a pas été 
        possible de recruter des travailleurs, et rien n'a encore pu être 
        utilisé de ce véritable pactole.
 
 Il est vraisemblable que rien de créateur ne sera possible avant 
        la pacification complète. Quand ?... Par ailleurs, le programme 
        de recherches méthodiques de l'Hydraulique a obtenu de son côté 
        un résultat très intéressant à Hazoua, à 
        proximité de la frontière tunisienne, où il a permis 
        la mise au jour d'une autre nappe d'eau très douce. Là aussi, 
        l'exploitation prévue en faveur de l'élevage a été 
        stoppée net par les événements actuels pour une durée 
        indéterminée. On ne saurait mieux faire, pour conclure, 
        que d'évoquer la vieille légende (5) rencontrée un 
        peu partout
 par les Français à leur arrivée dans le Nord-Sahara 
        et plus précisément dans l'Oued Rhir et l'Oued Souf.
 
 Autrefois, disait cette légende (Citée 
        par le capitaine interprète Féraud dans Le Sahara de Constantine. 
        Jourdan Éditions, Alger, 1887.), le pays était 
        peuplé de Chrétiens. Il était riche et prospère, 
        et des fleuves coulaient sous le soleil ". " Vaincus par les 
        Musulmans (XIe siècle), les Chrétiens s'enfuirent non sans 
        avoir, au préalable, grâce à leur habituelle et redoutable 
        magie, enfoui les fleuves dans le sol ". " Et l'eau ne recommencera 
        à couler en surface que lorsque les Chrétiens reviendront 
        ".
 
 Cet apologue mérite d'être médité dans chacune 
        de ses propositions. Sous son aspect oriental, sachons en discerner l'affabulation 
        et l'étonnante perspicacité. Et prenons acte de cette ample 
        (et autorisée) justification de notre présence et de notre 
        oeuvre.
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