| Les Barricades d'Alger 24-31 janvier 1960
 "On a triché avec l'honneur" 
        Pierre Lagaillarde* Le 1er février 1960, alors que les 
        "insurgés " quittaient le périmètre des 
        Facultés d'Alger où pendant une semaine ils avaient tenu 
        tête au gouvernement du général De Gaulle et montaient 
        dans les camions du 1" REP pour rejoindre Zéralda, paraît 
        dans "France Soir" un éditorial de Pierre Lazareff qui 
        provoque quelque sensation : "Si l'on approuve que le pardon soit 
        accordé aux hommes abusés qui rejoindront "l'ordre 
        national", écrit-il, on ne comprendrait pas que les coupables 
        qui se voulaient usurpateurs Ortiz, Lagaillarde et leurs lieutenants immédiats 
        échappent au juste châtiment de leurs fautes... On connaît 
        aujourd'hui le sombre complot dans lequel ils ont tenté d'entraîner 
        des patriotes sincères, complot dont on découvre les ramifications 
        jusque dans la métropole et qui était destiné à 
        changer le régime par la force".Pendant une semaine, avec un acharnement et une progression dans l'odieux 
        qui révèle une minutieuse et machiavélique préparation, 
        la presse française va "enrichir" cette interprétation 
        de la révolte du peuple d'Alger en la pimentant de toutes les épices 
        dont l'opinion est friande depuis la fin de la guerre 1939-1945...
 La presse française
 Ainsi, le 2 février, René Andrieu dans l'Humanité 
        souligne que si l'on ne veut pas que le "complot" connaisse 
        de nouveaux rebondissements, "il faut vider l'abcès".
 Le lendemain, Georges Oudart, dans le Journal du Parlement, précise 
        à propos des affidés du prétendu complot : "Leur 
        anti-gaullisme des jours de Vichy, mélangé d'anticommunisme 
        hitlérien, les rendent capables de se porter aux pires excès 
        pour se venger de s'être si dramatiquement trompés, il y 
        a vingt ans ".
 Le jeudi 4, on peut lire dans France Nouvelle sous la plume de Louis Aragon 
        : " je dis que tout le monde sait, et savait, que le nommé 
        Ortiz était le chef de ces contre-terroristes dont l'action a tendu 
        à déshonorer la France à la face des Nations. Je 
        dis que l'insurrection d'Ortiz et consorts est avant tout l'insurrection 
        du bourreau ".
 Cette campagne de dénonciations calomnieuses, reprise par la presse 
        de province, ne manque pas de porter ses fruits. Ainsi le 10 février, 
        dans l'Humanité, Alain Guérin dresse un premier bilan de 
        la répression du "complot" qui s'établit à 
        78 perquisitions à Paris, à 24 mandats d'amener et à 
        18 inculpations, et il ajoute que 200 ultras et nervis sont en fuite. 
        Le même jour Libération précise que les "Barricades 
        d'Alger " ont été que le fruit d'un complot fasciste 
        permanent dont les chefs sont Tixier-Vignancour, le docteur Martin, Georges 
        Sauge, Yves Gignac, Pierre Sidos et le docteur Lefèvre, un rassemblement 
        d'anciens cagoulards et d'anciens miliciens, tous professionnels de l'anticommunisme 
        ".
 Et publiquement, devant le Garde des Sceaux, Edmond Michelet, venu l'installer 
        comme nouveau procureur général d'Alger, Robert Schmelck, 
        au cours de la cérémonie déclare " L'émeute 
        a été préparée de longue date, savamment provoquée, 
        délibérément entretenue ".
 Déclaration qui provoque les sourires des quelques membres qui 
        ont accepté d'assister à cette curieuse " intronisation", 
        tant elle paraît ridicule, même avec la caution du ministre 
        de la Justice, un des plus proches du général-président... 
        Mais le comble du ridicule revient à l'ineffable François 
        Mauriac qui, dans son carnet de l'Express du 4 février, livre ses 
        états d'âme : " Chrétien, je me suis senti quant 
        à moi confirmé dans ma certitude Charles De Gaulle n'est 
        pas l'homme du destin, il est l'homme de la Grâce ! "
 Ainsi soit-il.
 Il n'y a pas eu de complot
 Des sinistres procureurs de Moscou aux grandes voix chrétiennes, 
        la cause est entendue, l'Histoire est écrite... Eh bien, non!
 " Il n'y a pas eu de complot du 24 janvier 1960 ", comme l'ont 
        très justement écrit Serge et Merry Bromberger dans "Barricades 
        et Colonels ", et pourtant ce sont des spécialistes. N'en 
        avaient-ils pas trouvé treize (complots) le 13 mai 1958... Un peu 
        moins justement, ils poursuivent "Il y en avait eu un à l'automne. 
        Il s'en montait un pour le printemps (Ce qui est une toute autre histoire 
        !) Mais ce jour-là, il n'y en avait pas... Et c'était, dans 
        un sens, beaucoup plus sérieux... Ce qui s'est passé à 
        Alger, le 24janvier, c'est un coup de flamme. Dans une chaudière 
        portée au rouge, un seau d'eau n'apaise pas la fournaise. Il déchaîne 
        l'explosion, un crachement de feu...".
 "S'il y a complot, qu'on le prouve " s'exclame Georges Bidault 
        dans "Carrefour" du 17 février, et il rappelle à 
        l'intention des amateurs de romans " S'il y a des complots, s'il 
        y a des preuves, des textes, des témoignages, qu'on en fasse état 
        et qu'on dévoile, mais autrement que sous la forme d'une vague 
        rhétorique, les coupables et leurs crimes...".
 Or, plus de trente ans après les événements, nous 
        attendons toujours les preuves, les textes, les témoignages, et 
        pour cause.
 En revanche il apparaît avec évidence que s'il n'y a pas 
        eu de complot, il y a bien eu une conspiration. Celle fomentée 
        par le pouvoir, pour l'intention, et par des éléments à 
        son service, pour la réalisation, en vue d'utiliser et d'exploiter 
        la révolte du peuple algérois et de ses amis pour porter 
        un nouveau coup - car depuis le 1e juin 1958, la conspiration du pouvoir 
        est permanente - un mauvais coup à la France, un coup que le pouvoir 
        aurait voulu décisif.
 Déjà, le 8 février, le diable laisse percer l'oreille. 
        Lors de la visite à Alger des ministres, Chatenet, Messmer et Michelet, 
        les hauts fonctionnaires du Gouvernement Général avaient 
        connaissance de ce que les trois ministres n'avaient pas caché 
        au Délégué général, Paul Delouvrier, 
        et au commandant en chef, le général Maurice Challe, que 
        " l'épuration " justifiée par l'insurrection du 
        24janvier était pour le chef de l'Etat une occasion quasi inespérée 
        de " casser politiquement " les partisans irréductibles 
        de l'intégration. C'est Michelet, particulièrement, le ministre 
        de la Justice, qui leur a révélé les "ficelles 
        politiques" de l'épuration avec le cynisme et... l'imprudence 
        dont il était coutumier.
 En réalité ce sont tous les artisans de la radieuse victoire 
        de la France, le 13 mai 1958, qui devaient être non seulement écartés 
        de notre province d'Algérie mais sanctionnés, bâillonnés 
        et privés de tous moyens qui pourraient gêner le pouvoir 
        dans sa criminelle volonté d'abandon. Il ne faut quand même 
        pas oublier et ne cesser de le remettre en mémoire aux Français 
        qu'il s'agit bien d'un acte criminel commis par le chef de l'Etat qui 
        est à l'origine de la révolte du 24janvier 1960. Ainsi, 
        le 12 février, alors que le Conseil des ministres vient de décider 
        la dissolution des Unités territoriales et surtout celle du 5è 
        bureau de l'armée, ce qui équivalait à priver celle-ci 
        de son arme la plus efficace dans la guerre révolutionnaire qui 
        lui est imposée en Afrique Française du Nord, un petit événement 
        passé inaperçu alors qu'il est essentiel pour la compréhension 
        de l'histoire.
 Les insurgés d'Alger, véritables défenseurs de la 
        République
 Le juge d'instruction Monzein convoque en son cabinet Georges Calzant, 
        directeur de l'Hebdomadaire "Aspects de la France" et l'inculpe 
        d'offenses au chef de l'Etat pour avoir publié sous sa signature 
        au lendemain de la diffusion du discours présidentiel du 16 septembre 
        1959 un article intitulé " EN HAUTE COUR, M. DE GAULLE ! " 
        Le nouvel inculpé déclarera d'ailleurs au magistrat qu'il 
        n'a rien à retrancher à son propos car le Président 
        de la République aurait dû être effectivement déféré 
        à la Haute-Cour, pour avoir, dans son discours du 16 septembre 
        " proposé la sécession à un groupe de départements 
        français ".
 Ainsi, les véritables défenseurs de la République 
        " en danger " - et de sa Constitution - ne sont pas les grévistes 
        qui défilent le 1" février dans les rues de Paris, 
        avec la bénédiction du gouvernement, mais bien les insurgés 
        d'Alger. Les fauteurs de guerre civile ne sont pas derrière les 
        barricades mais bien à l' Elysée et à Matignon. Pour 
        ne pas avoir été fidèles aux institutions de la République 
        et avoir accepté le viol de leur Constitution, les Français 
        ont été condamnés à devenir les habitants 
        d'un pays de seconde zone et à subir, encore aujourd'hui, les conséquences 
        des crimes auxquels ils se sont associés plus ou moins consciemment.
 Il apparaît clairement que le temps est venu de le dire.
 Pour de Gaulle " l'intégration ", depuis que le mot avait 
        été prononcé, n'a jamais été qu'une 
        "sottise" qui n' arrêterait pas la guerre en Algérie 
        et qui n'apporterait que des complications au pays.
 La fraternisation du 13 mai 1958, n'avait en rien changé son opinion.
 De GauIIe, résolu à brader l'Algérie
 Son caractère, sa conception de la "raison d'Etat", le 
        rendaient tout à fait imperméable aux choses du cur. 
        Toutefois, il n'est pas sûr qu'il ait eu, dès son retour 
        au pouvoir, une idée très précise sur l'avenir de 
        l'Algérie. Ses seules certitudes se résumaient en deux points 
        : l'Algérie était une construction factice de la France, 
        et l'Algérie, y compris ses populations, ne valait rien. La seule 
        et la meilleure des solutions était donc de s'en débarrasser 
        au plus tôt. Comment ? Peu importe... l'événement 
        favorable viendra, la lassitude de l'opinion publique en métropole, 
        les manuvres de Washington et de Moscou qui rêvent de l'héritage, 
        l'aideront...
 Aussi pendant seize mois, il laisse les choses se décanter et surtout 
        son pouvoir s'affermir suffisamment. Certes il utilise ce délai 
        pour se débarrasser de tout ce qui pourrait entraver sa volonté 
        et particulièrement de tous ceux qui ont été les 
        artisans du 13 mai 1958 et qui par la même occasion l'ont remis 
        au pouvoir... Ils seront les premières victimes de la conspiration, 
        puisqu'il s'agit bien de menées secrètes contre l'Etat et 
        contre des tiers... La première victime a été le 
        général Salan auquel il a enlevé son proconsulat 
        d'Alger par un subterfuge qui, pour le moins, manque d'élégance. 
        Peu à peu il a écarté tous les chefs militaires qui 
        avaient appuyé le sursaut de la population. Seul le général 
        Massu est resté en place, c'est l'ultime garantie auprès 
        de la population. A vrai dire pendant cette période, sa présence 
        bénéfique auprès des Français d'Algériea 
        été plus favorable à De Gaulle qu'inquiétante.
 Le 16 septembre 1959, en proclamant l'autodétermination, dix-huit 
        mois après son retour au pouvoir, De Gaulle a mis fin à 
        l'équivoque sur laquelle s'est instaurée la Vè République 
        et, du même coup, à l'immense espoir qu'avait fait naître 
        le "miracle" du 13 mai pour notre province algérienne 
        mais aussi pour toute la France. Alger entre en ébullition. Tous 
        les regards se tournent une fois de plus vers l'armée, vers Massu 
        et le leader civil qui passe pour avoir reçu de lui des assurances, 
        Jo Ortiz, le président du Front National Français. Des bruits 
        de soulèvement recommencent à courir, le nom du général 
        André Zeller y est associé, il est chef d'état-major 
        de l'armée de terre. Le 15 octobre, le général Zeller 
        est mis à la retraite. Dans les jours qui suivent, De Gaulle donne 
        l'ordre au général Challe de faire cesser la campagne officielle 
        de l'armée pour l'intégration. Onze compagnie de CRS sont 
        amenées en renfort de Paris à Alger. Le 10 novembre, dans 
        une conférence de presse, le chef de l'Etat confirme avec insistance 
        " droit à l'autodétermination".,.
 Encouragé par toutes ces décisions, le FLN qui a vu ses 
        forces bousculées, disloquées, quasiment anéanties 
        par les grandes opérations du général Challe, pour 
        "casser" le moral des Français et en même temps 
        "torpiller" le cessez-le-feu, reprend l'action terroriste et 
        les attentats personnalisés. En décembre, en trente jours, 
        vingt deux assassinats sont commis aux portes d'Alger. Comme aux plus 
        mauvais jours de 1956, la population menace de faire sa propre justice. 
        Tout le travail de pacification des curs réalisé depuis 
        trois ans est systématiquement détruit. Par petites touches 
        sont recréées les conditions d'une situation irréversible.
 Au début du mois de janvier, Antoine Pinay, le ministre des Finances, 
        l'homme qui donne confiance aux Français, pour avoir osé 
        évoquer les problèmes de Défense devant le Général-Président, 
        est brutalement limogé. A Georges Bidault qui souhaite effectuer 
        une tournée de conférence sur l'amitié franco-musulmane, 
        il est interdit, sans explication, de se rendre en Algérie... jusqu'au 
        2 février, curieuse précision qui révèle plus 
        d'une méticuleuse préparation que d'une simple coïncidence 
        vraiment très "prophétique". Enfin une conférence 
        qui réunira tous les grands responsables civils et militaires d'Algérie 
        est annoncée pour le 22 janvier à Paris.
 L'émotion est à son comble à Alger où on s'attend 
        au pire...
 (à suivre)Yves Gignac
 ED. LaTable Ronde,Janvier 1961.
 
 Les Barricades d'Alger-(suite 
          2)24-31 janvier 1960
 C'est dans cette situation explosive qu'éclate 
        la bombe Massu !On ne saura sans doute jamais avec certitude qui en a été 
        " l'artisan ". Les historiens du siècle prochain pourront 
        cependant toujours recourir - avec précaution - au vieil axiome 
        " is fecit cui prodest "... Qui a jeté dans les bras 
        de Massu le journaliste allemand Hans Ulrich Kempski, ancien officier 
        parachutiste de l'armée d'Italie, envoyé du quotidien 'Suddeutshce 
        Zeitung", vivement recommandé auprès du Quai d'Orsay 
        ?... Qui a fait affecter, quelques jours plus tôt, comme officier 
        des services de presse du commandement en chef, cet officier qui par ailleurs 
        jouit de toute la confiance du ministre des Armées et qui sera 
        chargé de contrôler les déclarations du général 
        ?... Qui...
 Et le général Massu a parlé avec la franchise du 
        vieux soldat, il a parlé avec son cur, avec ses convictions 
        : on ne doit pas quitter l'Algérie et moi j'ai la confiance de 
        la population...
 Le 19 janvier quand l'interview est publiée, une courte dépêche 
        parait dans les journaux :"La 6è Flotte américaine 
        a reçu l'ordre de se rassembler à Barcelone, elle offrira 
        son aide à De Gaulle pour bloquer l'éventuel débarquement 
        de l'armée d'Algérie en métropole "
 L'interview de Massu a paru si énorme qu'on n'y a pas cru à 
        Paris. Le général Challe alerté par Matignon fait 
        publier un démenti.
 - Massu est tombé dans un piège tendu par les ultras, dit-on 
        à l'Elysée.
 - Massu est tombé dans un piège tendu par l'Elysée, 
        expliquent les activistes.
 La certitude du complot
 Quant à Massu, il a lui-même la certitude d'avoir été 
        victime d'un complot : " L'entourage du chef de l'État ou 
        du Premier Ministre a cherché le moyen de l'écarter d'Alger 
        en me mettant dans mon tort. "
 l.'interview de Kemp ski a été machinée. Convoqué 
        par son ministre, quand il débarque à Paris. il dira simplement 
        aux journalistes : " j'ai été pigeonné ! " 
        Mais il n'est pas autrement ému, persuadé qu'il reviendra 
        car il est le seul a pouvoir empêcher l'insurrection d'éclater. 
        Et personne ne peut vouloir qu'elle éclate et que le sang coule.
 Challe en est tellement convaincu qu'il réunit ses adjoints pour 
        appliquer le plan " Balancelle" qui prévoit de ramener 
        à Alger la 10e division parachutiste. l'ancienne division de Massu. 
        Avec elle c'est le maintien de l'ordre en souplesse. Certes il peut y 
        avoir un danger : la trop grande intimité de paras avec la Ville 
        Blanche qui peut entraîner une " fraternisation "... Mais 
        c'est un moindre danger. Sinon c'est la manière forte. Arrestation 
        immédiate des chefs activistes, renvoi en métropole des 
        quelques vingt généraux et colonels qui soutiennent l'agitation, 
        rappel à Alger des unités " sûres ". Cest 
        l'épreuve de force, avec toutes ses conséquences et le sang 
        peut couler...
 À Paris, le 20 janvier, le ministre Guillaumat dira à Massu 
        : " Je vous ai défendu au maximum. Je voulais vous garder 
        à Alger. Et je vous dis brutalement pourquoi je ne pense pas qu'on 
        ait tiré de vous tout ce qu'on pouvait en tirer (à savoir 
        pour amener les Français d'Algérie à composition...) 
        "
 Massu tombe de haut. On lui fait rédiger un communique, une sorte 
        de démenti qu'il assortit de conditions tant bien que mal.
 La conférence prévue pour le 22 se réunit. Il y a 
        vingt-trois participants. Massu attend devant la porte. Quelques minutes 
        avant l'ouverture, le Ministre Guillaumat vient lui lire une lettre de 
        De Gaulle Massu n'assistera pas à la conférence, il ne rentrera 
        pas à Alger.
 De Gaulle a été intraitable : Massu restera à Paris!
 En Algérie, c'est la colère. On se tourne vers le général 
        Faure qui assure l'intérim du commandement du corps d'armée 
        d'Alger. On le sait favorable à l'Algérie française. 
        Il se trouve en Kabylie. Prévenu de la décision qui a été 
        prise d'organiser le dimanche 24 janvier une grande manifestation à 
        Alger dont tout le monde espère qu'elle sera un nouveau 13 mai, 
        le général promet son concours et se met en route. Avant 
        de partir, il envoie un message à ses amis de Paris pour les informer 
        du mouvement fixé au dimanche. Par suite d'une erreur d'interprétation, 
        à l'arrivée le message est compris comme une annulation 
        de toute manifestation... Le général Faure ne recevant pas 
        la réponse de l'accord de Paris, rebrousse chemin...
 On connaît la suite.
 Colére du peuple
 Le 24janvier 1960. sur le Plateau des Glières, devant le Monument 
        aux Morts, à 18h30, on décompte six morts, vingt-six blessés, 
        dont deux graves, du côté des Algérois, quatorze morts, 
        cent vingt-trois blessés du côté des forces de l'ordre... 
        Depuis le retour du général Salan à Paris, j'étais 
        "interdit" en Algérie et, par les bons soins de Maurice 
        Papon, le préfet de Police, " doté " d'une surveillance 
        quasi permanente de deux inspecteurs de la 2è section des Renseignements 
        généraux. Une voiture de police stationnait en permanence 
        sous les fenêtres de l'hôtel des Invalides où siège 
        le gouvernement militaire de Paris qu'occupait le général 
        Salan. Le maréchal Alphonse Juin qui a ses bureaux au rez-de-chaussée, 
        bénéficiait de la même attention... Une situation 
        bien incommode pour monter un complot, s'il en avait été 
        question...
 Le jeudi 21, je reçois un appel téléphonique de mon 
        ami Robert Martel qui désire connaître l'état d'esprit 
        qui règne à Paris. Il éprouve la même impression 
        que nous. Les initiatives de De Gaulle se succédent et se multiplient 
        à une telle cadence qu'elles prennent l'allure de véritables 
        provocations. Aussi Martel nous informe qu'il se refuse à participer 
        à tout projet de manifestation, ce qui lui vaut de nombreuses critiques 
        à Alger. Je fais part de sa position à quelques amis qui 
        m'appellent de province et qui partagent nos inquiétudes.
 Le dimanche 24, je fête mon quarantième anniversaire... Dans 
        l'après-midi je me rends aux Invalides pour prendre des nouvelles 
        de Madame Salan dont l'état de santé s'est terriblement 
        aggravé depuis quelques jours. Le général est très 
        inquiet car le médecin-colonel Soulage qui la soigne, lui laisse 
        peu d'espoir... Avec le capitaine Crittin, l'aide de camp, et le Docteur 
        nous suivons le général dans son bureau où il allume 
        son poste radio qui donne un reportage en direct d'Alger. Presque aussitôt, 
        dominant la voix du reporter, des coups de feu puis quelques rafales... 
        Le général a blêmi, il se lève et d'une voix 
        blanche, comme parlant à lui-même : " C'est épouvantable, 
        ils ont fait couler le sang entre Français... C'est terrible. J'avais 
        toujours évité cela. Comment a-t-on pu en arriver à 
        ce drame... Si on voulait empêcher la manifestation, il ne fallait 
        pas s'y prendre ainsi... Ce n'est pas possible, c'est à croire 
        qu'on a voulu l'affrontement.. ".
 Il paraît atterré, puis peu à peu se ressaisit
 " Il faut que je dise au général De Gaulle ce que je 
        pense. Il faut qu'il prenne ses responsabilités dans cette affaire...Je 
        vais lui écrire ".
 Une conversation s'engage, le général retient quelques idées 
        que Crittin met sur le papier. La lettre sera rédigée le 
        lendemain, puis montrée au général Jouhaud qui propose 
        de la signer conjointement, et au maréchal Juin qui se contente 
        de l'approuver mais dit au général Salan : " Je vous 
        comprends trop bien, mais je connais De Gaulle, il va être furieux 
        et va vous foutre à la porte La lettre sera portée à 
        l'Elysée le mardi 26 par le colonel Juille. Le lendemain, le général 
        est convoqué par le ministre des Armées, Pierre Guillaumat, 
        puis par le Premier Ministre Michel Debré, qu'il trouve complètement 
        désemparé. Tous deux lui disent que le Président 
        de la République ne changera rien à ses projets et que sa 
        mise à la retraite a été évoquée. Le 
        ministre des PT.T. Cornut-Gentille fait prévenir le général 
        que ses communications téléphoniques sont écoutées 
        et enregistrées...
 La surveillance dont il est l'objet semble se resserrer. Aussi lorsque 
        je viens lui rendre compte de la réunion du comité de la 
        Fondation Maréchal de Lattre où je le représente, 
        et qui s'est tenue la veille, il me conseille vivement de prendre le large 
        et de disparaître de la circulation jusqu'à ce que le calme 
        soit revenu.
 Réactions policièresJe pars donc pour Bordeaux le mercredi afin de rencontrer mon vieux camarade 
        Jean Maury qui assume les fonctions de premier vice-président de 
        l'A.C.U.F. C'est pendant un séjour à Bordeaux que j'apprends 
        les perquisitions qui ont été effectuées jeudi au 
        siège de l'association et chez plusieurs de nos responsables à 
        travers toute la France. Néanmoins, je rentre chez moi, à 
        La Courneuve, le samedi soir, pour y apprendre par ma femme que mon domicile 
        n'a pas échappé aux perquisitions mais que les policiers 
        n'ayant rien trouvé à saisir sont repartis sans donner d'autres 
        indications.
 Le dimanche matin à 8 heures, nouvelle descente de police et nouvelle 
        perquisition tout aussi infructueuse que la première, mais les 
        inspecteurs me demandent de les accompagner pour signer le procès-verbal... 
        Je suis alors conduit dans les locaux de la 1è brigade territoriale, 
        rue du faubourg-Saint-Honoré, où, à ma grande surprise, 
        je trouve le général Touzet du Vigier, président 
        du Comité Inter-Fédéral des Amicales Régimentaires, 
        le général d'armée aérienne Lionel Chassin, 
        le contrôleur de l'armée Bourdoncle de Saint-Salvy, que je 
        connais bien, les deux derniers étant membres du comité 
        directeur de l'A.C.U.F. Il y a la également un ancien préfet 
        M. Valère Peretti della Rocca qui nous explique qu'il a été 
        arrêté car il était en relations avec Philippe de 
        Massey et que celui-ci serait en fuite à la suite de la découverte 
        à son domicile de documents compromettants"... Ce qui nous 
        est confirmé un peu plus tard à l'arrivée d'une jeune 
        fille, Nicole Dion, qui était la secrétaire de Philippe 
        de Massey. Je me souviens alors qu'avant mon départ pour Bordeaux, 
        ma propre secrétaire m'avait fait part d'une demande de rendez-vous 
        du délégué régional de notre association pour 
        le Nord, Philippe de Massey, que je n'avais pu rencontrer en raison de 
        mon départ précipité.
 Le général du Vigier nous raconte alors que les policiers 
        ont saisi à son domicile son vieux revolver d'ordonnance oublié 
        depuis sa mise à la retraite, quinze ans avant, dans un fond de 
        tiroir où il aurait été bien incapable de le retrouver 
        ... Nous passâmes ainsi la journée du dimanche dans une ambiance 
        de vieux collégiens, à la conscience parfaitement tranquille. 
        Le lundi nous fûmes interrogés les uns après les autres 
        avec beaucoup de ménagements sur nos activités durant la 
        semaine écoulée. Et le mardi matin, après l'expiration 
        des délais de "garde à vue" nos "hôtes" 
        nous mirent gentiment à la porte non sans nous avoir offert le 
        café matinal. Seule, Nicole Dion était retenue pour supplément 
        d'enquête...
 Je rentrai chez moi et repris mes activités à l'association. 
        Par la presse j'apprenais alors les motifs des poursuites engagées 
        contre de Massey. Il était accusé d'avoir préparé 
        une 'action" dans la région du Nord en vue d'appuyer en métropole 
        l'insurrection d'Alger... Je n'en fus nullement étonné car 
        il s'agissait d'une activité "permanente" de tous les 
        groupements nationaux favorables à "l'Algérie Française"... 
        Ce qui était un peu plus inquiétant c'est que les révélations 
        de la presse parlaient d'une action "armée". Connaissant 
        bien d'une part les affabulations en usage dans ce domaine, du style "Le 
        général en retraite cachait chez lui des armes de guerre 
        , et d'autre part, les possibilités en la matière des divers 
        mouvements nationaux en France, je n'y attachai pas d'importance. Je regrettais 
        cependant d'avoir manqué le rendez-vous demandé par de Massey, 
        quoique connaissant sa disponibilité et son sens politique, je 
        ne m'inquiétais pas outre mesure.
 J'avais le tort aussi de considérer que la fin des 'barricades" 
        marquait la fin de cette affaire.
 En effet, le dimanche 7 février, à la levée du jour, 
        nouvelle invasion policière de mon domicile, perquisition dans 
        les règles... Comme je manifestais mon étonnement devant 
        un acharnement aussi ridicule, l'inspecteur Martinez qui semblait diriger 
        l'opération me répondit qu'il s'agissait d'un autre service 
        de police que les précédents déjà intervenus, 
        A l'issue de cette nouvelle perquisition aussi infructueuse que les deux 
        autres, je suis invité à accompagner ces "messieurs" 
        pour signer le procès-verbal. Ce ne sera pas long m'est-il affirmé. 
        Cette fois, je suis conduit à la direction de la Police judiciaire, 
        rue des Saussaies, dans l'immeuble jouxtant celui du ministère 
        de l'Intérieur. Les bureaux sont pratiquement vides. Le responsable 
        qui doit contresigner le P.V. n'est pas arrivé. Je l'attendrai 
        toute la journée. Enfin , dans la soirée je suis pris en 
        charge par deux inspecteurs, MM Delarue et Pouzolles qui me préviennent 
        que je dois rester à leur disposition car il est nécessaire 
        qu'ils s'entretiennent avec moi et qu'il est trop tard. Le lendemain ils 
        reviennent accompagnés d'un troisième personnage, l'inspecteur 
        Riffet qui m'amène au service anthropométrique. Nous y restons 
        un assez long moment car mon identification pose quelques problèmes... 
        Dont "la solution" me permet d'entrevoir les arcanes de ce service.
 (à suivre)Yves Gignac
 
 Les Barricades d'Alger-3-24-31 janvier 1960
 A notre retour au bureau, c'est l'inspecteur Delarue qui me prend à 
        son tour en charge. La journée va se passer en conversations plus 
        qu'en interrogatoires. On parle beaucoup des " évènements 
        " du 13 mai 1958, du rôle que j'y ai joué, des relations 
        que j'avais eues avec ceux qui en avaient été les artisans 
        les généraux Salan, Massu, Chassin, Cherdère, Miquel, 
        Descours, le docteur Martin, Robert Martel, Pierre Lagaillarde, Pierre 
        Joly, Alexandre Sanguinetti, Léon Delbecque, Jacques Soustelle, 
        Roger Frey, Claude Dumont, J.B. Biaggi, le colonel Thomazo, Ortiz... C'est 
        l'inspecteur Delarue qui parle le plus souvent, je me contente d'opiner 
        ou de prendre un air dubitatif. Pour renforcer le climat de confiance 
        qu'il veut visiblement créer entre nous, mon "geôlier' 
        m'invite à déjeuner avec lui à la brasserie qui se 
        trouve en face, rue des Saussaies et qui est le rendez-vous de tous les 
        "en-bourgeois" de la Maison. Je tiens à payer mon écot.., 
        et Delarue, en mon honneur, offre une bouteille de Bordeaux.
 Puis la " conversation " reprend. Curieusement, la plupart des 
        noms qui reviennent sont ceux cités dans un ouvrage qui vient de 
        sortir en librairie "Secrets d'État', de Jean-Raymond Tournoux', 
        dont les "bonnes pages" ont paru au cours de 1959 dans un grand 
        quotidien du soir. Je garde pour moi cette impression. Je connais l'auteur 
        qui était venu me demander mon témoignage pour rédiger 
        son livre. À partir de quelques faits exacts il a bâti une 
        passionnante épopée romanesque qui sera l'origine de toutes 
        les légendes sur les journées de mai 58, " les treize 
        complots ", " l'organisation O ", " la nouvelle Cagoule 
        "... Jean-Raymond Tournoux, journaliste peu connu à l'époque, 
        ne m'avait pas caché -sans doute pour me mettre en confiance -qu' 
        il avait entrepris la rédaction de cet ouvrage avec les " 
        encouragements " du cabinet de Michel Debré, sinon du Premier 
        Ministre lui-même.
 En fin de journée, je suis informé que ma garde à 
        vue est prolongée de vingt-quatre heures. Le lendemain, changement 
        de décor et d'ambiance. Delarue m'a entraîné dans 
        une pièce vide et isolé parmi d'autres où des travaux 
        de réaménagement sont en cours.
 L'attitude de Delarue change brusquement, bien qu'il prétende toujours 
        me parler " en ami ".
 " Voilà, me dit-il, je joue cartes sur table. Nous sommes 
        en possession, à travers tous les documents saisis depuis quinze 
        jours et des témoignages, des preuves qui vous font apparaître 
        comme l'élément essentiel sinon le chef du complot ourdi 
        en métropole, en liaison avec Alger, dans le but de renverser le 
        régime et sans doute d'attenter à la vie même du chef 
        de l'État.. Ça va vous valoir une inculpation qui se soldera 
        par une condamnation de détention à perpétuité. 
        J'ai beaucoup d'estime pour vous car vous êtes un patriote sincère, 
        courageux et désintéressé. Je suis convaincu que 
        vous n'avez agi que sous les ordres des véritables patrons de l'affaire, 
        je vous en cite deux Salan et Chassin, il y en a d'autres, sans aucun 
        doute, vous les connaissez. Ils ont abusé de votre bonne foi. Ces 
        gens-là sont à l'abri derrière leurs fonctions et 
        leurs titres, comme toujours dans ce cas, ils vont vous laisser tomber. 
        C'est vous, les " petits ", comme votre copain de Massey, mais 
        lui a senti le vent venu; il a foutu le camp, c'est vous qui allez payer 
        les pots cassés. Pensez à votre femme, à vos enfants. 
        Dites-moi la vérité. Pour votre bien, je vous en supplie, 
        n'ayez pas de scrupules, ils n'en ont pas à votre égard, 
        nous sommes seuls tous les deux... Tenez, pour limiter vos scrupules, 
        limitons-nous à Salan... Il a suffisamment mauvaise réputation, 
        même dans l'armée, et puis... tout le monde sait qu'il est 
        votre " patron ", que vous êtes " son homme ", 
        son " fidèle "... Je vous en prie, tant qu'il est encore 
        temps, libérez votre conscience'
 Le puzzle se met en place
 J'ai résumé, le tête-à-tête dura toute 
        la journée sans interruption. Au fur et à mesure, se révélaient 
        pour moi tous les fils de la conjuration, celle du Pouvoir. Bien décidé 
        à poursuivre sa criminelle politique, De Gaulle devait abattre 
        Salan, l'homme qui l'avait remis au pouvoir et le seul qui, à ce 
        titre, pouvait lui demander des comptes. En même temps, je ne pouvais 
        qu'apprécier les "qualités" de mon interlocuteur, 
        un bien pitoyable personnage, tantôt séducteur, tantôt 
        menaçant, mais un remarquable " confesseur " promis à 
        un bel avenir dans sa spécialité. Je ne pouvais penser alors 
        que ces "qualités" le conduiraient à devenir un 
        des "historiens officiels " de la Résistance, parmi les 
        plus écoutés...
 À la nuit tombante nous redescendîmes auprès des autres 
        inspecteurs et Delarue fut contraint d'avouer à son chef l'insuccès 
        de la mission dont il avait été chargé. Ce qui provoqua 
        un éclat de colère du dit chef, colère accrue par 
        le sourire de satisfaction que je ne pus m'empêcher d'afficher :" 
        La plaisanterie a assez duré, puisque vous n'avez rien pu en tirer 
        qu'on le foute au trou ! "
 La prison
 Pour la seconde fois de ma vie, je connus les délices d'une nuit 
        à "la Souricière" du "Dépôt". 
        Et le lendemain, 11février, dûment inculpé d'atteinte 
        à la sûreté intérieure de l'État, je 
        fus incarcéré au Quartier des condamnés à 
        mort (la haute-surveillance à l'époque) au rez-de-chaussée 
        de la 2e division de la Santé (cellule 28).
 Séjournait déjà dans ces lieux mon ami Pierre Lagaillarde 
        depuis qu'il avait été ramené d'Alger. Nos deux cellules 
        étaient séparées par celle où un jeune criminel, 
        dit "M'sieur Bill", attendait son exécution qui eut lieu 
        quelques mois plus tard. En face de nos trois cellules, sur l'autre travée, 
        trois fellaghas condamnés à mort pour attentats criminels, 
        attendaient dans les chaînes, le juste châtiment de leurs 
        forfaits.
 Quelques jours plus tard, lorsque sera levée la période 
        du " secret", nous rejoindrons le 6e division, la Division politique, 
        où nous retrouverons Biaggi, Khaoua, tou s deux députés, 
        et Demarquet. Khaoua sera rapidement libéré et remplacé 
        par Alain de Sérigny.
 Le 24 février commençait l'instruction de mon dossier. Elle 
        fut confiée, par chance, au doyen des juges d'instruction, M. Robert 
        Magnin, magistrat d'une très grande expérience et d'une 
        honnêteté parfaite. Au cours des vingt-cinq auditions qui 
        nous mettront face à face, se créa entre nous une estime 
        réciproque assez exceptionnelle. M. Magnin ne négligea aucune 
        démarche pour la manifestation de la vérité :commissions 
        rogatoires à travers toute la France et même à l'étranger, 
        multiples auditions approfondies, transports de justice, convocations 
        de témoins, confrontations...
 Me furent ainsi enfin révélés au cours de cette longue 
        procédure les motifs de mon inculpation
 - D'abord, mes relations avec Philippe de Massey, délégué 
        régional de l'ACUF pour le Nord de la France, qui avait réalisé 
        dans sa région un remarquable travail d'information et de "mobilisation" 
        des éléments opposés à l'abandon de l'Algérie, 
        qui devait d'ailleurs se concrétiser par une manifestation de solidarité 
        de 30 000 agriculteurs le jeudi 11 février à Amiens.
 - Ensuite, une série de réunions au cours desquelles j'avais 
        exposé les raisons morales matérielles aussi impératives 
        les unes que les autres du maintien de la souveraineté française 
        en Algérie et particulièrement l'une d'entre elles donnée 
        en présence de personnalités locales en novembre 1959 à 
        Douai où les termes employés auraient été 
        réputés " incendiaires" par les renseignements 
        généraux...
 - Enfin, un certain Henri Poncelet, se présentant comme un informateur 
        " infiltré " dans le "complot destiné à 
        renverser le régime", avait porté contre de Massey 
        et moi des accusations qui nous attribuaient les plus hautes responsabilités 
        dans cette machination criminelle.
 L'inanité des accusations portées contre de Massey et d'autres 
        responsables de l'ACUF fut rapidement établie pour ce qui a été 
        réalisé et qui se bornait aux limites d'une action civique 
        voire "politique" tout à fait légitime tant à 
        titre personnel qu'à celui d'une association.
 Pour ce qui est de mes "discours", après une exégèse 
        poussée, ils furent qualifiés "enflammés " 
        mais certainement pas " incendiaires " au sens "séditieux"...
 Restaient les accusations de Poncelet que je connaissais bien comme un 
        vieux " client" du service social de notre association et que 
        j'avais effectivement reçu à ce titre dans mon bureau de 
        I'ACUF, le 5 janvier 1960, alors que sortant de prison il venait demander 
        un secours pour pouvoir se rendre auprès de sa mère dans 
        les Ardennes. Pour mon malheur, depuis sa déposition à la 
        police le 2 février, Poncelet avait disparu"...
 Mais, le 7 août 1960, le quotidien " l'Humanité-Dimanche 
        " publiait sur une page et demie les révélations du 
        " témoin n°l de l'affaire du complot de janvier en métropole 
        ", Henri Poncelet... Un récit rocambolesque truffé 
        d'une quarantaine de noms désignant dans un amalgame assez bien 
        composé des personnalités politiques, des activistes, des 
        militaires et, bien entendu, des inculpés de l'affaire de janvier, 
        sans parler des passages de frontières, des liaisons avec Alger, 
        des dépôts d'armes à l'étranger, de la préparation 
        d'assassinats, etc.
 Je communiquai ce document au juge d'instruction et demandai à 
        être confronté à son auteur. M. Magnin fit diligence, 
        Poncelet fut retrouvé en quelques semaines... dans une prison de 
        province où il avait été incarcéré 
        une fois de plus pour grivèlerie...
 La confrontation
 La confrontation eut lieu le 24 octobre 1960. De façon éclatante, 
        elle révèle la machination montée dans les coulisses 
        du pouvoir pour écarter et réduire définitivement 
        au silence tous ceux qui à quelque niveau pouvaient s'opposer à 
        la politique algérienne du général De Gaulle. Il 
        n'est pas possible de donner ici le compte rendu complet de cette confrontation 
        mais nous en citerons trois courts extraits particulièrement significatifs.
 Déclaration du "témoin" Poncelet : "J'ai 
        rétracté déjà dans leur ensemble les déclarations 
        que j'ai faites dans les bureaux de "L'Humanité et qui ont 
        été reproduites dans leur partie essentielle dans le journal 
        l'Humanité-Dimanche' du 7 août 1960 " (Il lui aurait 
        été en effet difficile de maintenir l'ensemble de ces déclarations 
        qui avait servi de base à l'action policière et judiciaire 
        puisqu'il se trouvait en prison pendant la plus grande partie de la période 
        où il aurait exercé sa prétendue mission d'information 
        dans les milieux activistes de Paris et d'Alger.)
 Sur question, le témoin Poncelet (Entre le 5janvier 1960, date 
        de sa visite à Gignac, et le 2 février, date de sa première 
        déposition à la police). "Je n'ai eu de contact durant 
        cette période-là qu'avec le S.D.E.C.E. qui m'appointait. 
        Je n'ai rien à ajouter."
 Sur question, le témoin Poncelet : précise dans quelles 
        circonstances il a été amené à donner une 
        déposition à la police le 2 février 1960. Ce sont 
        les services du SDECE qui m'ont conseillé d'aller me présenter 
        spontanément (sic) à la police pour y témoigner. 
        C'est Mme Chalandon¹ qui, avec l'accord du général 
        Grossin2, m'a conseillé d'aller me présenter à la 
        police ; M. Frey3 était au courant. A la police j'ai été 
        reçu en premier lieu par M. Dehusses, chef de cabinet de M.Verdier(4). 
        Il fallut attendre trois ans pour connaître l'épilogue de 
        cette écurante histoire. L'affaire vint en effet le 1er octobre 
        1963 devant la Cour de sûreté de l'État. On entendit 
        des témoins. " Parmi eux, écrit le 3 octobre, Jean-Marc 
        Théolleyre, le chroniqueur judiciaire du Monde". était 
        M. Albin Chalandon, ancien secrétaire général de 
        l'UNR à qui un certain Poncelet était venu dire à 
        l'époque qu'un attentat se préparait contre lui. Toutefois 
        M. Chalandon n'ignore pas que le rôle de ce Poncelet, entendu souvent 
        au cours de l'instruction est loin d'être clair. Aussi bien ajouta-t-il 
        "Mon témoignage ne peut être que subjectif car cet intermédiaire 
        qui me prévenait n'était pas entièrement digne de 
        foi. Il y avait même chez lui l'intention de tirer quelque avantage 
        de sa démarche." Et le futur ministre se retira sur la pointe 
        des pieds... En attendant le prix de son "dévouement".
 Avec quinze autres inculpés, " attendu qu'il ne résulte 
        pas de l'information des charges suffisantes d'avoir commis le crime de 
        complot contre l'autorité de l'État ", je bénéficiai 
        d'un non lieu par ordonnance du 16 août 1963... et l'Algérie 
        était définitivement perdue !
 Quarante ans se sont écoulés, pour le jugement de l'Histoire, 
        il n'était pas inutile de rappeler ce dossier.
 Yves GignacPrésident de l'Association des Amis de Raoul Salan
 * 'SECRETS D'ÉTAT", par JR. Tournoux, Librairie PLON, janvier 
        1960.
 (1) La princesse Salomé Murat, épouse de M. Albin Chalandon, 
        proche du Premier Ministre Michel Debré, secrétaire général 
        de l'U.N.R. et futur ministre de la Justice... Auprès de qui le 
        témoin Poncelet aurait assuré à l'époque des 
        fonctions de "garde du corps" et chez qui il aurait logé 
        à Nice...
 (2) Général Grossin, à l'époque directeur 
        du Service Documentation Etudes et Contre-Espionnage (SDECE.).
 (3) Roger Frey. ministre de l'Information puis ministre de l'intérieur.
 (4) M. Verdier, directeur de la Police Judiciaire.
 
   
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