| -----Alors que, 
        depuis la loi Guizot, une École normale primaire fonctionnait, 
        en principe, dans chaque département de la Métropole, l'Algérie 
        n'avait encore, trente-cinq ans après l'arrivée des Français, 
        aucun établissement scolaire de ce genre. Le progrès de 
        l'instruction primaire dans les trois provinces nord-africaines, et le 
        désir de la voir répandue largement dans la population indigène, 
        amenèrent le Gouvernement Général à solliciter, 
        en 1865, la création de la première Ecole Normale d'Algérie.-----"A quelques 
        kilomètres d'Alger, sur un mamelon que couronnent les pittoresques 
        coteaux de Mustapha, et qui, d'autre part, domine la mer(')... Il est 
        au monde peu de sites aussi riants que celui de Mustapha-Supérieur, 
        composé exclusivement de villas élégantes jetées 
        au hasard et perdues dans de vastes jardins à végétation 
        luxuriante... "
 -----Fondée par décret impérial 
        en date du 4 mars 1865 et arrêté ministériel du 3 
        août de la même année, c'est là, dans ce "site 
        riant", aujourd'hui occupé par le Musée des Antiquités 
        et le Parc de Galland, que s'installa la première Ecole Normale 
        d'Instituteurs de l'Algérie. Elle utilisa d'abord une "vieille 
        maison mauresque", dite de Bellevue, à laquelle furent greffées 
        certaines constructions annexes appropriées à leur destination 
        spéciale.
 -----Le 16 décembre 1865, la Commission 
        de Surveillance(2) établissait un projet d'organisation du nouvel 
        Etablissement, lequel commençait à fonctionner, dès 
        le 16 janvier suivant, sous l'autorité de M. LEDUC, précédemment 
        directeur de l'Ecole Normale des Basses-Pyrénées.
 -----Le 8 septembre suivant, sous la présidence 
        de M. l'Inspecteur d'Académie VIGNALLY, la Commission se réunissait 
        pour entendre le rapport de fin d'année de M. LEDUC, Directeur-économe. 
        Après les considérations générales sur l'utilité, 
        pour la propagation de l'instruction publique en Algérie, de la 
        création d'une Ecole Normale, le Directeur indique dans quelles 
        conditions furent recrutés les premiers maîtres, puis les 
        premiers élèves.
 -----Voici les noms des élèves 
        de la promotion entrante: CASSAGNADE Jules d'Alger ; REICHERT François 
        de Boufarik ; BREIFFEITH Jean de Bouzaréa ; VILLENEUVE Marie de 
        Saint-Leu (Oran) ; POUCHON Henri de Cherchell (Alger) ; LOUVIER Edmond 
        d'Alger ; EYRAUD Alphonse de Kouba (Alger) ; OMAR ben AHMED de Bône 
        (Constantine) ; FATAH ben BRAHAM de Mustapha (Alger) ATTIA ben et BAÏOD 
        de Sou-Saâda (Alger).
 -----Seule, la première année 
        fut recrutée dans la colonie, après un concours auquel se 
        présentèrent trente-six candidats, dont quatorze européens 
        et vingt-deux indigènes. D'après l'arrêté du 
        3 août 1865, l'élément indigène devait, en 
        effet, figurer dans la proportion d'un élève musulman contre 
        deux européens, de sorte que sur trente élèves qui 
        forment le contingent total de l'Ecole, il aurait dû y avoir dix 
        indigènes. Une fois entrés, ces élèves devraient 
        d'ailleurs retenir tout spécialement l'attention du personnel administratif 
        de l'Ecole ; qu'on en juge par cet article 9 de l'arrêté 
        organique "...les élèves-maîtres 
        indigènes seront l'objet de soins particuliers, aussi bien sous 
        le rapport de la nourriture et des soins de propreté."
 -----Les deux promotions de seconde et de 
        troisième année ont été choisies dans les 
        "divisions correspondantes" des six départements du Midi, 
        pour "asseoir dès l'origine les traditions des Ecoles Normales 
        de France".
 -----Voici les noms de ces élèves 
        ; en 3è année, nous trouvons : MM. PROUZAT Pierre de l'Ecole 
        Normale de Poitiers ; BARTHELEMY Etienne de l'Ecole Normale du Puy ; FOUGEROUSSE 
        Jean de l'Ecole Normale de Clermont-Ferrand ; DORDOR François de-l'Ecole 
        Normale de Besançon ; BAQUÉ Julien de CEcole Normale de 
        Tarbes, HILAIRE Joseph de l'Ecole Normale de Gap ; PICARD Joseph de l'Ecole 
        Normale de Bourg ; GRANIER Auguste de l'Ecole Normale de Barcelonnette 
        ; BOUCAYS Antoine de l'Ecole Normale de Rodez ; DUBOURG Jean de l'Ecole 
        Normale de Bourg. En 2êm` année, ce sont MM. COTTE Michel 
        de l'Ecole Normale de Grenoble ; DEMONQUE Louis de l'Ecole Normale de 
        Poitiers ; GIRAUD Alfred de l'Ecole Normale du Puy ; MONNERAS Jean de 
        l'Ecole Normale de Tulle ; PLANÇON Clément de l'Ecole Normale 
        de Besançon ; PELISSIER Hyacinthe de l'Ecole Normale de Barcelonnette 
        ; DENJEAN Armand de l'Ecole Normale de Foix ; PAYAN Paul de l'Ecole Normale 
        de, Gap ; ESCURRE Jean de l'Ecole Normale de Tarbes ; PAGS Jean de l'Ecole 
        Normale de Rodez.
 -----Les trente élèves des 
        trois promotions étaient tous en uniforme : tunique "en drap 
        bleu foncé avec liserés bleuclair, palmes en soie blanche 
        aux collets de la tunique" cravate noire, "chachia" ou 
        casquette "forme des employés du Télégraphe, 
        en drap bleu foncé".
 Les études en 
        1866 -----D'après 
        l'article premier du règlement, l'enseignement comprenait obligatoirement 
        : l'instruction morale et religieuse, la pédagogie, l'écriture, 
        la lecture et la récitation, la langue française, l'arithmétique, 
        le calcul et le système métrique, des notions d'algèbre 
        et de géométrie, le dessin l'histoire, la géographie, 
        des notions élémentaires de "mécanique et d'industrie, 
        de physique, chimie, histoire naturelle', d'agriculture et horticulture, 
        "d'administration et d'état civil", le chant et l'orgue, 
        la gymnastique et l'hygiène. En outre, en 1876, le Ministre de 
        l'Instruction Publique autorise le Recteur d'Alger à faire donner 
        aux élèves-maîtres des "leçons 
        pratiques de télégraphie". Notons que dans 
        le programme de 1865 calqué sur celui des Ecoles Normales de France, 
        ne figurait pas l'enseignement de l'arabe. Il y fut cependant tout de 
        suite introduit et, dans son compte-rendu de 1868, le directeur insiste 
        sur la part faite à l'Ecole, dans cet enseignement, à la 
        conversation, et ajoute : "...il 
        serait à désirer que la connaissance de l'arabe comptât 
        pour une part plus importante dans les matières exigées 
        des instituteurs employés en Algérie en vue de l'application 
        qu'ils peuvent faire de cette connaissance tant au point de vue scolaire 
        qu'au point de vue politique". "Il faudrait, lit-on dans un 
        autre rapport directorial de 1869, apprendre l'idiome arabe à la 
        jeunesse européenne de nos écoles tout en enseignant le 
        français aux écoliers indigènes".  La journée d'un 
        élève-maître de Mustapha -----Une journée 
        trop bien remplie ! A quatre heures etdemie, été comme hiver, le réveil sonne ; sous la 
        surveillance du maître de service, M. MONTANET, M. BOUSQUET ou M. 
        SÉVIN, chaque élève fait sa toilette, puis son lit 
        ; à cinq heures moins dix, c'est la descente en étude, "en 
        silence et en ordre", puis, dans chaque étude, 
        celle des chrétiens et celle des musulmans, on récite la 
        prière. Après quoi, commence la préparation des classes 
        du matin qui se poursuit, "dans le silence 
        le plus rigoureux", jusqu'à sept heures et demie.
 -----Une heure 
        est prévue pour le petit déjeuner, les services "d'appropriation" 
        confiés aux élèves et la récréation. 
        A huit heures et demie, le réglementaire 
        sonne l'entrée en classe. Voici, attendant chaque promotion, les 
        professeurs, M. LEDUC en tête qui enseigne la pédagogie, 
        M. L'Abbé FABRE professeur de religion, ainsi que Sidi ABD-EL-KADER, 
        les deux "aumôniers" de l'Ecole, M. BRESNIER professeur 
        de langue arabe, M. SÉVIN professeur de français, d'histoire 
        et de géographie, M. MONTANÉ professeur de sciences et de 
        mathématiques, Si BEL HASSEN professeur d'écriture, M. ROY 
        maître de chant et d'orgue, M. BÉDOUR maître de gymnastique, 
        M. DARRU professeur d'agriculture.
 -----Les classes 
        du matin durent 4 heures sans interruptions autres que les changements 
        de cours, lesquels doivent se faire rapidement et en silence. A midi et 
        demie, la cloche annonce le dîner ; les élèves se 
        rendent au réfectoire en silence et sur 2 rangs. Le silence est 
        de rigueur pendant le repas(3) qui dure de "18 
        à 20 minutes". Le menu, fixé 
        par l'article 12, comporte réglementairement un potage gras ou 
        maigre, un plat de viande et légumes (bouilli, boeuf) ou de poisson 
        et du fromage ou des fruits (figues, oranges, dattes ou noix). 
        Après le repas, c'est la "récréation" 
        : "Les rires bruyants, les clameurs, les 
        chants de toute nature sont prohibés. Une certaine modération 
        doit toujours présider aux conversations et aux jeux divers auxquels 
        peuvent se livrer les élèves dans les récréations". 
        Du reste, au cours de cette heure qui précède la rentrée 
        des études et classes de l'après-midi (treize heures et 
        demie), les élèves peuvent être employés à 
        des travaux de jardinage ou à des exercices de chant d'ensemble.
 
 |  
     | -----Deux heures 
        sont maintenant utilisées pour la préparation des classes 
        de l'après-midi. De quinze heures et demie à dix-huit heures 
        et demie, ces classes vont se succéder avec des cours parfois très 
        ardus, comme les mathématiques, jusqu'au souper qui dure un quart 
        d'heure environ. Après le souper, récréation, et 
        comme à celle de midi, "on peut causer 
        et s'amuser avec modération et convenance". D'ailleurs, 
        "le plus généralement", 
        au lieu de récréation, les élèves sont employés 
        à des travaux d'horticulture ou à des exercices de chant 
        orphéonique".-----Une heure 
        seulement a séparé les classes de l'après-midi de 
        la reprise des études du soir qui vont durer de dix-neuf heures 
        trente à vingt et une heure trente ; sur deux rangs, en silence, 
        voici les élèves de nouveau dans leurs salles d'études 
        ; "tout le monde s'assied et se met au travail 
        avec calme. Point de mouvements inutiles, point de paroles ou de chuchotements 
        durant l'étude". Dix minutes avant la fin, "chacun 
        se dispose à la prière" durant laquelle 
        "les élèves-maîtres 
        doivent être constamment recueillis et se distinguer par une excellent 
        tenue".
 -----C'est 
        bien entendu, en ordre et en silence, que l'on gagne le dortoir ; on se 
        déshabille "avec décence et 
        sans bruit". Toutes précautions d'ordre hygiénique 
        ont été prises à la fin de l'étude pour que, 
        fenêtres et portes soigneusement closes, tout étant dans 
        l'ordre, les maîtres surveillants puissent à leur tour se 
        coucher.
 -----Alors, 
        plus impressionnant encore que tous ces petits silences réglementaires, 
        dont semble tissée la longue journée commencée à 
        l'heure où il ne fait pas encore jour, le Grand Silence va, sept 
        heures durant, régner dans le séminaire où se forment 
        les premiers maîtres d'école de l'Algérie ; seuls 
        le troubleront les aboiements des chacals, des chiens kabyles et le frisson 
        du vent dans les arbres du jardin de Mustapha
 ."...Sombres 
        dimanches..." -----L'article 17 
        dit que "aucun congé, aucune sortie 
        particulière ne pourront être accordés aux élèves 
        pendant la durée de leurs cours d'études, hors le cas de 
        circonstances exceptionnelles dont le Directeur est juge..." 
        En dehors des six semaines de vacances annuelles de septembre (jugées 
        d'ailleurs insuffisamment longues) - les "deux 
        mois d'août et de septembre en Algérie étaient de 
        fait, deux mois de trêve forcée dans les Etablissements d'instruction 
        publique en Algérie" - les élèves-maîtres 
        n'avaient donc "ni congé, ni sortie 
        pendant toute la durée de l'année scolaire". 
        Et, dans une séance du 6 novembre 1874, avec une bienveillance 
        que je crains fort voir plutôt appréciée par nos jeunes 
        comme une plaisanterie administrative d'un goût douteux, le Directeur 
        demandait à la Commission, "pour 
        dédommager un peu ses élèves de ces privations", 
        de consentir à leur faire servir, les jours de grande fête, 
        un repas "plus abondant et meilleur que celui des jours ordinaires". 
        A quoi la Commission acquiesça, autorisant le directeur-économe 
        à introduire cette amélioration au menu des grandes fêtes, 
        "pourvu que le crédit alloué 
        pour la nourriture ne soit pas dépassé".-----Nos normaliens 
        de 1866 restaient donc dix mois et demi à Mustapha. Et, d'un bout 
        à l'autre de l'année scolaire, les seules variantes à 
        la monotonie de l'emploi du temps intervenaient le jeudi et le dimanche. 
        L'après-midi de ces deux jours de la semaine, en effet, comporte 
        - quelle heureuse diversion ! - une "étude 
        libre" (treize heures trente à quinze heures trente) 
        durant laquelle les élèves peuvent être autorisés 
        à recevoir leurs familles au parloir ou à faire leur correspondance. 
        Puis, deux heures de jardinage chaque jeudi ou bien "une 
        promenade extérieure" suivie du souper et de l'étude.
 -----Le dimanche 
        matin, ils revêtent l'uniforme. "L'uniforme, 
        écrit le directeur, est pour les jeunes gens une garantit de dignité 
        et de bonne conduite ; il trahit ceux qui tenteraient de déshonorer 
        leur pavillon, et devient ainsi un puissant instrument de discipline".
 -----Accompagnés 
        de M. LEDUC et des maîtres-adjoints, les élèves endimanchés 
        vont, à neuf heures moins dix, entendre la Grand'Messe à 
        Mustapha-Supérieur. L'Office terminé, ils reviennent à 
        l'Ecole, quittent la tunique pour mettre la "chachia" 
        et la blouse de travail. Une courte récréation, puis à 
        dix heures trente, une "dictée générale 
        en texte suivi avec correction raisonnée" ; ensuite, 
        étude libre jusqu'au dîner que suivra une nouvelle étude 
        libre. En uniforme, on retourne à l'église pour les vêpres 
        ; "durant l'office comme pendant la messe, 
        attention, recueillement, excellent tenue". Vêpres 
        chantées, on revient à l'École chercher les indigènes, 
        puis on part pour la promenade. "Dans les 
        rues du village ou de la ville, les élèves se tiennent sur 
        deux rangs et en silence ; point.de chuchotements ou de rires bruyants, 
        une tenue grave et un maintien qui témoigne favorablement de la 
        bonne éducation que reçoivent les élèves de 
        PEcole Normale... Saluer les personnes respectables que l'on peut rencontrer..." 
        En dehors du village, il est permis de rompre les rangs, de converser 
        "deux par deux à volonté" 
        (cet à volonté est charmant !) Bien sûr, 
        il faudra éviter de converser bruyamment, de chanter, de s'écarter 
        du gros des élèves pour aller avec des personnes que l'on 
        ne connaît pas. Une fois rentrés, nos garçons quitteront 
        leur prestigieux uniforme, changeront de chaussures et de linge "dans 
        le cas d'une transpiration considérable"
 -----Souper-récréation, 
        puis étude libre quant au choix du travail, mais surveillée 
        par le maître de service. A vingt et une heures trente, "prière 
        et coucher" comme d'habitude. Ayant ainsi, comme dit Rabelais, 
        prié "Dieu le créateur, en 
        l'adorant et ratifiant leur foi envers lui", le corps 
        sans doute ragaillardi par cette promenade dominicale, l'âme pleine 
        de cantiques et de visions sacrées, l'esprit détendu - il 
        faut le croire, car ils ont dû savourer le repos du dimanche - et 
        prêts à reprendre la studieuse semaine, nos normaliens de 
        1866 "entrent dans leur repos" 
        en bénissant une fois encore le Seigneur qui sanctifiait les dimanches, 
        les sombres dimanches du clair Mustapha.
 -----Le. régime 
        des sorties libres individuelles ne fut institué que par le règlement 
        de 1884. A cette date, les élèves de troisième année 
        sortirent tous les dimanches ; ceux de seconde année, le 1er, le 
        2è et le 3è dimanche de chaque mois ; ceux de première, 
        deux fois par mois seulement.
 Madiana DELAYE (1) Rapport de la Commission de Surveillance 
        (8 septembre 1866) .(2) Cette commission chargée, comme dans toutes les Ecoles Normales 
        de France de l'époque, non seulement de la surveillance, mais encore 
        de l'administration de ces établissements, comprenait : MM. TELLIER, 
        secrétaire général de la Préfecture, LAIR, 
        inspecteur des lignes télégraphiques, en retraite, membre 
        du Conseil Général de la Province ; LANGLOIS, capitaine 
        d'artillerie, attaché au Bureau Politique ; HASSEN ben BRIMA TE, 
        directeur de la Médersa d'Alger, membre du Conseil Général, 
        et LEDUC, directeur de l'Ecole.
 (3) Ce n'est que dans le règlement intérieur de 1884 que 
        nous pouvons lire : "Article 25 : le silence n'est pas de rigueur 
        au réfectoire. Il convient que les élèves-maîtres 
        s'abstiennent d'élever la voix, de s'interpeller d'une table à 
        l'autre... "
 
 Sources: Extraits 
        du livre de M. Aimé DUPUY, Directeur des Ecoles Normales d'Alger-Bouzaréa, 
        Docteur de l'Université de Strasbourg, Lauréat de l'Académie 
        française Documents transmis par sa petite fille Sylvette DUPUYAdh. N° 1708
 Avec le concours de Mme Micheline TAILLEFER Adh. N° 1242
 note du GAMT : Nous remercions très vivement nos deux amies pour 
        l'envoi de leurs documents et leur aide.
 
 
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