M I L L Y : 
          " TANTE " 
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        Oui, MILLY, c'était aussi , personnalité 
          supérieure par excellence, Mlle Gineste, qui dirigeait le Pensionnat 
          avec maîtrise et brio, prénommée - ô merveille 
          - VICTORIA, (elle était arrivée dans sa famille après 
          quatre garçons), que Denise appelait avec respect, comme il se 
          doit : "TANTE", et que nous désignions entre nous par 
          son prénom, avec une pointe de malice, mais sans irrespect...et, 
          au contraire, un sentiment de crainte mêlé d'admiration... 
        
        Au moment de son décès, Bernadette 
          et moi l'évoquons en ces termes dans notre revue FEUX, nous adressant 
          aux Anciens et Amis de la St-DO :
        
          Mlle GINESTE a rejoint, le 6 mai dernier, la Maison du Père.
          Née le 25 août 1900, nous devions, avec un petit groupe 
          d'Anciennes, aller lui souhaiter son Centenaire. Ombre d'elle-même, 
          dans le silence et la foi, elle est partie un peu avant cet évènement 
          qu'elle attendait dans le détachement, avec, pourtant, une certaine 
          pointe d'humour...
        Originaire de Sainte-Affrique (Aveyron), arrivée 
          en Algérie pour raison de santé autour de 1920, elle est 
          hébergée chez un oncle, près du Jardin d'Essais, 
          le soleil devant guérir son mal... Diagnostic médical 
          pour une fois infaillible ! ...
        Par cet oncle, elle prend en 1928 des fonctions de Jardinière 
          en classe enfantine, au Pensionnat Milly, où Madame de Redon, 
          chargée des inscriptions, lui apprend à recevoir les parents, 
          et à gérer la maison. En 1933, avec Mlle Durand, elle 
          entre à l'Institut des Dominicaines, à Orléans, 
          suivie, en 1934, de Mlle Iñes Bonet, amie du Père Le Tilly. 
          Mlle Paucton arrivera dans la Communauté en 1946. Puis suivra, 
          peu après, Denis Gineste, sa nièce.
        En 1935, succédant aux demoiselles Bruno, Victoria 
          Gineste prend en mains la direction administrative de l'école. 
          Elle y consacrera toute sa vie, jusqu'au départ douloureux, en 
          1965. Puis, retraite à Nice, Villa Montchoisy, où sa nièce 
          Denise veille sur elle jusqu'à l'usure de ses forces, et, depuis 
          1994, chez les Petites Soeurs des Pauvres, jusqu'à la fin.
        
           
            | Physique sévère, longue et droite, 
                cheveux noirs tirés et relevés en chignon, teint 
                diaphane, voix voilée à la prononciation rocailleuse, 
                qu'elle n'élevait jamais, elle suscitait, chez toutes les 
                élèves, crainte et respect. Plus encore pour les 
                Internes, elle était auréolée de mystère. 
                Pilier de granit indéracinable, force morale sans fissure 
                ni compromis. Prodigieux chef d'orchestre, elle savait toujours 
                choisir avec justesse celles qui devaient la seconder. 
                 
                  |  | Le silence la précédait, l'accompagnait, 
                      fermait sa marche dans les couloirs et dans les classes. 
                      Nous nous taisions, soudain, sur son passage. Oh ! Ces cours 
                      de "Morale" où pas même les mouches 
                      n'osaient voler ! C'était, pour nous, la dignité 
                      incarnée... 
                     Elle ne manquait toutefois pas d'humour 
                      !Une année, une cage de canaris égayait la 
                      salle à manger du premier étage, réservée 
                      à ces Demoiselles. Mlle Bonet, (dite "Nénesse" 
                      pour les "initiées"), veillait assiduement 
                      sur la gente ailée, se désolant chaque jour 
                      de n'y voir point d'oeuf pondu... Jusqu'à un beau 
                      matin où, enfin, un oeuf superbe l'attendait délicatement 
                      dans le nid. Un oeuf énorme... mais... Oeuf de poule, 
                      déposé malicieusement par...
 oui, oui, oui, authentique, "TANTE", 
                      "Tante Victoria", (ou encore "Victoria" 
                      pour les mêmes "Initiées")... en 
                      personne ! 
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        Très certainement, derrière cet aspect 
          froid et revêche, dû à son origine paysanne et terrienne, 
          se cachaient un amour immense pour "ses" filles, et une bonté 
          profonde. Adolescentes écervelées, nous n'en avions pas 
          toujours conscience. Elle était plus proche des Internes que 
          des Externes, attentives à leur bien-être et leur bonheur 
          malgré l'éloignement des parents.
        Bernadette, interne de longue haleine, puisqu'elle ne 
          rentrait chez elle que trois fois dans l'année, et ce durant 
          de longues années, raconte :
        " Elle descendait à son petit bureau avec 
          un léger bruit de pas feutré et le cliquetis de son trousseau 
          de clés. La porte souvent ouverte, elle nous attendait, prête 
          à nous accueillir. Nous y recevions les appels téléphoniques 
          de nos parents, amis, ou "petits amis". Elle restait présente 
          confiante et discrète, ne faisant jamais de commentaires, et 
          avait un petit sourire de connivence, quand nous la quittions..." 
          "... Toujours prête, quand nous sortions, à nous faire 
          l'avance d'un petit pécule pour nos achats, toujours à 
          l'écoute de nos doléances... Elle acceptait le risque 
          de nous laisser sortir, chaperonnées par la douce et adorable 
          "Mlle Marie", lingère et soeur de Mlle Bonet, qui nous 
          accompagnait même à l' Opéra... Prête aussi 
          à défendre "les belles âmes" de ses filles, 
          lorsque le Père Lefèvre sentait ses garçons en 
          péril... Et, chaque soir, elle présidait nos repas..."
        Bien sûr, Milly et les Pères dominicains 
          ne faisaient qu'un. Union étroitement serrée, dans une 
          merveilleuse symbiose.Organisation des cérémonies religieuses, 
          recueillement des pèlerinages, communions et confirmations, messes 
          fréquentes, où nous allions nous ressourcer dans l'harmonie. 
          Rites sacrés où tout était joie pure et simple. 
          Reviennent, avec ces images enfouies au plus profond de nous-mêmes, 
          les senteurs d'encens, de bonne encaustique, perdues à jamais...
        Et qui oubliera l'effervescence et la turbulence des 
          Kermesses scoutes de la ST DO, si réussies, qui auraient fait 
          piètre figure sans le concours des élèves et de 
          leurs mamans si dévouées, sous la houlette de notre Frère 
          Pierre si émouvant dans sa simplicité...
          Pas de Milly sans les Dominicains, mais aussi pas de Dominicains à 
          part entière sans Milly...
        Dans cette bonté dont nous parlions plus haut, 
          Mlle Gineste a su, également, avec discrétion et compréhension, 
          accueillir certaines enfants de familles juives ou musulmanes, dont, 
          entre autres, la fille du Grand Muphti de Paris.
          Bonté et générosité : elle était 
          prête, aussi, à tout arrangement financier pour aider certaines 
          familles en difficultés...
        Au moment de la maladie de Mlle Durand, l'"Eminence 
          Grise" du Pensionnat, arrive alors Denise Gineste,sa nièce, 
          qui prend la Direction des Etudes dès 1948. Avec une compétence 
          très sûre et une maîtrise indiscutable, Denise assume 
          tout de suite sa lourde charge, et apporte jeunesse, joie et fantaisie 
          dans cette atmosphère plutôt sévère et "victorienne". 
          Elle n'avait que 26 ans.
        Et c'est en assumant à la perfection sa tâche 
          de gestionnaire, que "TANTE" va permettre à sa nièce 
          de se consacrer à nos études, bien sûr, mais aussi 
          à notre épanouissement, dans la Joie Dominicaine. Consciente 
          de la valeur de cette dernière, elle parlera souvent de sa chance 
          de l'avoir comme soutien. Duo d'une unité remarquable, qui durera 
          jusqu"en 1961, date à laquelle Denise doit partir à 
          Cannes, pour raisons de santé.
        Toutes deux, elles étaient fières de nos 
          réussites, de nos exploits, de notre bonheur.
          Elles nous aimaient. Nous étions devenues leur vie.
          Merci à toutes deux de nous avoir forgées pour la vie.
        MILLY... Deux syllabes de Lumière qui s'envolent 
          dans le ciel, telles des pétales de printemps.
          S'égrènent alors, nouvelles étoiles de la Fée 
          Clochette, des cascades de rires, de fou-rires, de chahuts innocents, 
          de jeux, de musique et de chants, de spectacles savamment préparés 
          et réussis.. (" L'Enéïde, ou "La Folle 
          de Chaillot", entre autres...)
          S'égrènent aussi les peines et les chagrins, compris et 
          consolés, où revenaient toujours réconfort et espoir...
        MILLY où, pour beaucoup d'entre nous, l'amitié 
          allait s'ancrer pour toute notre vie...
        
        Depuis six ans, Mlle Paucton, "la Chère 
          Ame" comme l'avait surnommée Denise, a veillé sur 
          "TANTE" avec un dévouement et une abnégation 
          admirables. C'est à elle que reviendra un jour l'honneur de fermer, 
          sur cette terre, la dernière page de MILLY. Que le Seigneur l'aide 
          et la protège dans cette nouvelle solitude, si difficile à 
          vivre. Qu'elle sache ici notre profond attachement, et toute notre affection.
        
          Bernadette Morin-Lahalle 
          et Geneviève Bortolotti-Troncy
        
          Octobre 2000
        
        
          Et c'est le 22 septembre 2010, à NICE. que Madeleine PAUCTON 
          est rappelée à Dieu.
        Elle était la dernière représentante 
          des "Demoiselles de MILLY" et avait consacré toute 
          sa vie, dans le sillage des Demoiselles GINESTE et BONET, aux élèves 
          du Pensionnat, Institutrice en classes primaires, elle avait assumé, 
          également auprès des Internes, un rôle de lingère 
          particulièrement dévouée et attentionnée.
          Et c'est avec beaucoup de tristesse et de nostalgie que nous voyons 
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