| -----La Passion de 
        ces deux saints, martyrisés à Lambèse, est un récit 
        authentique, d'une haute valeur historique, d'un témoin occulaire 
        qui n'a pas laissé son nom.
 -----Saint Augustin l'a recommandée 
        dans ses sermons.
 
 "Deux martyrs très illustres, lisons-nous dans les Actes, 
        nous ont confié le soin de faire connaître leur gloire ; 
        je veux parler de Marien, qui nous fut cher entre tous les frères, 
        et de Jacques, auquel, vous le savez, outre les engagements communs du 
        baptême et la profession d'un même culte, unissaient des liens 
        de famille. Sur le point de soutenir leur glorieux combat contre les cruelles 
        fureurs du siècle et les attaques des païens, ils m'ordonnèrent 
        de mettre par écrit le récit de cette lutte où ils 
        entraient sous la conduite de l'Esprit-Saint. Ce n'était pas assurément 
        pour faire célébrer par une vaine jactance au milieu du 
        monde la gloire de leur triomphe, mais bien pour laisser à la multitude 
        des fidèles, au peuple de Dieu, un exemple capable de les instruire 
        et de fortifier leur foi. Ce ne fut pas sans raison que leur affectueuse 
        confiance me choisit pour publier ces récits ; qui pourrait douter 
        en effet que j'ai connu et partagé le secret de leur vie ? Nous 
        vivions ensemble dans les liens d'une étroite union quand la persécution 
        nous surprit.
 -----Nous voyagions en Numidie, comme nous 
        l'avions fait ensemble bien des fois, et nous avions réuni les 
        gens de notre suite ; la route que
 nous suivions nous menait à remplir le ministère imposé 
        par la foi et la religion, tandis qu'elle conduisait au ciel nos compagnons. 
        Nous arrivâmes en un lieu appelé Muguas, près des 
        faubourgs de Cirta (Constantine), colonie romaine et ville importante 
        où l'aveugle fureur des païens et les ordres des officiers 
        militaires avaient déchaîné une cruelle persécution. 
        Nos bienheureux martyrs, Marien et Jacques, virent là un signe 
        certain de la miséricorde divine qui les menait au lieu et au moment 
        où la persécution battait son plein, et où, sous 
        la conduite du Christ, ils allaient cueillir leur couronne. En effet la 
        fureur aveugle et brutale du préfet faisait rechercher par ses 
        soldats les disciples bien-aimés du Christ, le diable lui inspirait 
        d'appesantir sa main sur ceux qui, depuis longtemps condamnés à 
        l'exil, avaient mérité sinon par l'effusion du sang, du 
        moins par le désir, la couronne du martyr.
 -----Les exemples et les instructions d'Agape 
        et Secondin, quand ils nous quittèrent, avaient disposé 
        Marien et Jacques à suivre la même voie, à marcher 
        sur leurs traces glorieuses. Deux jours à peine après leur 
        départ, la palme du martyre venait d'elle-même trouver nos 
        très chers Marien et Jacques. Une troupe armée était 
        accourue à la ville que nous habitions ; ces deux frères 
        furent arrachés à nos embrassements pour aller au martyre. 
        Quand ils furent interrogés, comme ils persévéraient 
        à confesser hautement le nom du Christ, on les conduisit en prison.
 -----Alors un soldat stationnaire, le bourreau 
        des hommes justes, les soumit à des tourments cruels et nombreux. 
        Il prit, pour venir en aide à sa cruauté, le centurion et 
        les magistrats de Cirta. Jacques qui avait toujours paru plus ferme dans 
        sa foi, parce qu'il avait déjà triomphé de la persécution 
        de Dèce, répétait avec fierté que non seulement, 
        il était chrétien, mais que de plus il était diacre. 
        Marien, de son côté, provoquait les supplices en confessant 
        qu'il était lecteur ; c'est qu'il l'était en effet. Marien 
        fut suspendu pour être déchiré, le supplice même 
        était vraiment son exaltation. On eut la cruauté de lui 
        attacher aux pieds des poids lourds ; ainsi tirée en sens contraire, 
        la charpente entière de son corps se disloquait, les nerfs étaient 
        brisés, les entrailles déchirées. Enfin, la fureur 
        des bourreaux fut vaincue et il fallut reconduire en prison Marien tout 
        joyeux de son triomphe ; avec Jacques et les autres frères, il 
        célébra par de ferventes prières la victoire du Seigneur.
 -----Après les tourments dont on avait 
        déchiré son corps Marien s'endormit d'un sommeil profond 
        et tranquille ; à son réveil, il nous raconta lui-même 
        ce que la divine bonté lui avait fait voir pour soutenir et encourager 
        ses espérances : "Mes frères, 
        dit-il, j'ai vu se dresser devant moi à une grande hauteur un tribunal 
        d'un éclat éblouissant ; là siégeait un personnage 
        faisant office de juge. Il dominait sur une estrade où l'on montait 
        par de nombreux degrés. En faisant approcher les confesseurs, un 
        à un par ordre, devant le juge qui les condamnait à être 
        décapités. Tout à coup, j'entendais une voix claire 
        et puissante qui cria :"Qu'on amène Marien !"Et aussitôt 
        je montai sur l'estrade. À ce moment, j'aperçus, à 
        la droite du juge, Cyprien que je n'avais pas encore vu ; il me tendit 
        la main, m'éleva jusque sur le plus haut degré de l'estrade 
        et me dit en souriant : "Viens t'asseoir avec moi !" Je m'assis 
        et l'interrogation des autres confesseurs continue. À la fin, le 
        juge se leva et nous le conduisîmes jusqu'à son prétoire. 
        Nous traversions d'agréables prairies ; de hauts cyprès 
        et des pins dont la tête s'élevait jusqu'au ciel étendaient 
        au loin leur ombrage ; on eût dit que la verdure des forêts 
        environnait ces lieux comme d'une immense couronne. Au milieu, les eaux 
        pures d'une source abondante remplissaient à plein bords un immense 
        bassin. Mais tout à coup, le juge disparut ; alors Cyprien prit 
        une coupe qui se trouvait au bord de la fontaine, il la remplit et but 
        ; quand il l'eut vidée, il la remplit de nouveau, me la présenta 
        et j'en bus moi-même avec bonheur. Je rendais grâces à 
        Dieu, quand le son de ma voix m'éveille."
 
 |  |  -----Ce récit 
        rappela à Jacques que Dieu avait daigné aussi lui montrer 
        la couronne qui lui était réservée. Quelques jours 
        auparavant, Marien, Jacques et moi-même avec eux, nous voyagions 
        ensemble sur le même char. Vers le milieu du jour, à un endroit 
        où la route était rocailleuse, Jacques était tombé 
        dans un profond sommeil ; nous l'appelâmes, et quand il fut éveillé, 
        il nous dit : "Mes frères, je viens d'éprouver une 
        grande émotion, mais c'est la joie qui transportait mon âme. 
        Vous aussi, réjouissez-vous avec moi. J'ai vu un jeune homme d'une 
        taille prodigieuse, il avait pour vêtement une robe d'une blancheur 
        si éclatante que les yeux ne pouvaient la considérer, ses 
        pieds ne touchaient pas la terre et son front se cachait dans les cieux. 
        Comme il passait rapidement devant nous, il nous jeta deux ceintures de 
        pourpre, une pour toi, Marien, et une pour moi. Et il me dit "Suivez-moi 
        promptement!" Dans un tel sommeil quelle force contre l'ennemi ! 
        Comment après cela décrire les transports de joie et les 
        sentiments généreux de nos martyrs qui, sur le point de souffrir pour Dieu, avaient eu 
        le bonheur d'entendre le Christ et de le voir s'offrir à leurs 
        regards ? Par une grâce spéciale et toute nouvelle ce Dieu 
        avait choisi, pour se montrer à son martyr, un temps où 
        d'ordinaire il ne se révèle pas à ses saints. Au 
        reste, les deux frères ne furent pas les seuls à jouir de 
        cette faveur. (Suivent des détails concernant la vision d'Emilien 
        puis le martyre d'Agape, Secondin, Tertulla, Antonio).Agape apparut à 
        Jacques dans sa prison durant son sommeil. Sur le point de recevoir le 
        coup de la mort, pendant qu'on attendait l'arrivée du bourreau, 
        on entendit Jacques qui disait : "Que je suis heureux ! Je vais rejoindre 
        Agape, je vais m'asseoir avec lui et tous les autres martyrs au banquet 
        céleste. Cette nuit même, je l'ai vu notre bienheureux Agape 
        ; au milieu de tous ceux qui avaient été enfermés 
        avec nous dans la prison de Cirta, il paraissait le plus heureux ; un 
        joyeux et solennel banquet les réunissait. Marien et moi, emportés 
        par l'esprit de dilection et de charité, nous y courions comme 
        à des agapes, lorsque tout à coup vint à notre rencontre 
        un jeune enfant, que je reconnus pour un des deux frères jumeaux, 
        qui trois jours auparavant avaient souffert avec leur mère... "Où 
        courez-vous ? nous dit-il ; soyez dans l'allégresse, demain vous 
        souperez avec nous." Cependant, le jour avait succédé 
        à la nuit dans laquelle cette vision avait eu lieu, la sentence 
        du préfet allait servir à l'accomplissement des promesses 
        de Dieu. Ce fut une condamnation, mais elle affranchit des tribulations 
        du siècle Marien et Jacques avec les autres clercs, pour les rendre 
        participants de la gloire dans la société des patriarches. 
        On les conduisit au lieu du triomphe : c'était une vallée 
        profonde, traversée par un fleuve dont les rivages s'élevaient 
        doucement comme pour former les degrés d'un amphithéâtre. 
        Le sang des martyrs coulait jusqu'au lit du fleuve. le bourreau avait 
        disposé avec art ses victimes sur de longues files ; ses coups 
        sacrilèges semblaient courir d'une tête à l'autre, 
        emportés par une aveugle fureur. Suivant la coutume avant de frapper 
        les victimes on leur banda les yeux, mais les ténèbres ne 
        purent obscurcir leurs âmes. Marien, déjà rempli de 
        l'esprit de prophétie, annonçait avec assurance que le jour 
        était proche où le sang des justes serait vengé ; 
        ce qui était un puissant aiguillon pour fortifier le courage des 
        frères.
 -----Quand le sacrifice fut achevé, 
        la mère de Marien, transportée d'une joie digne de la mère 
        des Macchabées, et assurée du sort de son fils, se félicite 
        de son bonheur et s'applaudit elle-même d'avoir donné le 
        jour à un tel fils. Ineffable est vraiment la miséricorde 
        de Dieu Tout Puissant et de Son Christ envers ceux qui ont mis leur confiance 
        en Son nom. Qui pourrait mesurer la grandeur de ses bienfaits ? Sa paternel 
        miséricorde opère sans cesse et répand sur nous les 
        dons que la foi nous montre comme le prix du sang de notre Dieu.A lui 
        soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles.Ainsi 
        soit-il".
 Abbé Vincent 
        Serralda (+)
 
 PIEDS-NOIRS D'HIER ET D'AUJOURD'HUI- N° 109 FÉVRIER 
        2000
 
 
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