| L'histoire et le drame 
        du peuple pieds-noirs par l'un de ses illustres représentants. 
        Un texte daté du 20 mars 1962, lendemain des accords d'Evian... 
        un second au lendemain de l'indépendance... -----Après le refoulement des Arabes d'Espagne 
        en Afrique du Nord, celle-ci était retombée en friche et 
        devenue un campement dans les ruines, où l'on eût recherché 
        en vain un foyer rayonnant de culture ou une pensée politique inspirée 
        d'un principe d'ordre et d'unité.
 -----C'est pourquoi l'Europe aux prises avec 
        ses difficultés, et restée sans doute sur la mauvaise impression 
        laissée par l'expédition malheureuse de Charles Quint au 
        XVIe siècle, se garda d'intervenir, notamment en Algérie, 
        en dehors de quelques coups de canon tirés sur les ports barbaresques 
        à titre de semonce ou de représailles.
 -----Jusqu'au jour où l'Europe allait 
        prendre conscience du dangereux anachronisme que constituait, à 
        si courte portée et à l'occident du vieux monde, la présence 
        d'un société barbare, livrée au désordre et 
        répartie sur des territoires qui n'étaient plus, à 
        la vérité, que des expressions géographiques vides 
        de tout sens national..
 ------Les Français, s'en étant 
        avisés les premiers, n'hésitèrent pas, en 1830, à 
        faire les frais d'une expédition sur Alger. Il avait suffi d'un 
        coup d'éventail administré par le Dey d'Alger à notre 
        consul pour décider le roi Charles X à saisir cette occasion 
        de se redonner du panache en lançant sur Alger tout un corps expéditionnaire.
 ------Son successeur, le ro Louis Philippe, 
        eut l'heureuse idée de s'attacher à la conquête de 
        la Restauration et même de l'élargir et la développer, 
        dans le juste sentiment qu'il y avait en Afrique une noble mission civilisatrice 
        que la France se devait de remplir.
 -----Ce ne fut pourtant qu'après bien 
        des hésitations et des vicissitudes, dont on retrouve trace dans 
        les débats du Parlement de la Monarchie de Juillet, que le parti 
        fut pris de demeurer à Alger. Bugeaud, comme gouverneur général, 
        à son deuxième séjour, fut l'homme de la pacification 
        algérienne, dont il précisa les méthodes administratives 
        et militaires : bureaux arabes, colonnes mobiles, colonisation militaire. 
        Sous son proconsulat, l'Algérie utile s'inscrivit dans ses frontières 
        naturelles entre celle du Maroc à l'ouest et celle de la Tunisie 
        à l'est. I1 ne restait plus qu'à achever la pacification 
        de la grande Kabylie du Djurjura qui, toujours, s'était montrée 
        hostile à toute pénétration, y compris celle d'Abdel?Kader 
        dont l'appel, au temps où il se prétendait le champion d'une 
        politique nationale et islamique, n'avait trouvé aucun écho. 
        Ce tut le maréchal Randon qui, en 1854, la soumit. Il restait aussi 
        à pénétrer dans l'Atlas saharien et au-delà, 
        cc qui fut réalisé bien après.
 -----Mais 
        alors, de quoi sont faits les Pieds-Noirs et d'où leur vient ce 
        nom ? On raconte qu'il désignait aux autochtones les soldats 
        français qui débarquaient avec des brodequins noirs assujettis 
        par des guêtres. Ils constituent le peuplement de souche française 
        ou prétendu tel, qui s'est peu à peu développé 
        en Algérie et qui est arrivé à atteindre un million 
        d'habitants.
 -----J'en suis, de ce peuplement, et par 
        toutes mes fibres. II n'est pas formé que de profiteurs, puisqu'il 
        est avéré que la moyenne de son revenu est intérieur 
        de 20 % à celui des métropolitains. Au surplus, sept sur 
        huit de ces Français d'Algérie ne sont pas des hommes vivant 
        sur la terre, mais des commerçants, des industriels, des techniciens, 
        des cadres, des ouvriers, des agents de l'État, ou qui exercent 
        des professions libérales.
 ------Ils proviennent d'un peu partout et 
        se sont déposés par couches successives en Algérie, 
        au cours de plus d'un siècle d'histoire. On y retrouve la descendance 
        des militaires de la première heure qui, ayant mis de côté 
        le harnois, se fixèrent à la terre, une terre souvent ingrate 
        et insalubre, celle des déportés politiques en 1848 et des 
        Alsaciens-Lorrains ayant fui, en 1871, la domination allemande, mêlée 
        à l'apport continu d'une immigration surtout méditerranéenne, 
        comprenant en plus des Français un fort lot d'Espagnols, d'Italiens 
        et quelques Maltais vites assimilés.
 ------La proportion d'Espagnols est naturellement 
        plus forte dans l'Oranie, où ils sont d'excellents cultivateurs, 
        en provenance pour la plupart de Murcie, de Valence, d'Alicante. A Alger, 
        les Baléares sont nombreux. Ce sont leurs maraîchers hors 
        de pair qui ont peuplé tout le Sahel. Les Italiens abondent dans 
        le Constantinois et principalement sur la côte, où ils sont 
        pêcheurs. Ils sont également ouvriers agricoles à 
        l'intérieur.
 ------Tels 
        sont les «PiedsNoirs »: un étrange amalgame de races, 
        d'un sang bouillonnant. De leur origine, ils ont souvenance qu'en 
        des temps troublés, et plus ou moins lointains, leurs ascendants 
        ont dû, poussés par la nécessité, abandonner 
        leur patrie pour se fixer en Algérie, sur des terres souvent inhospitalières 
        et hostiles. C'est pourquoi soucieux de se rapprocher les uns des autres 
        pour travailler en commun et se mieux entraider, ils font montre d'un 
        instinct tribal, tout comme les Algériens parmi lesquels ils se 
        sont implantés.
 ------Ils parlent d'abondance, sachant utiliser 
        tous les moyens d'expression et idiomes entendus autour d'eux. Pouvant 
        même à la rigueur ne parler que par gestes, uniquement avec 
        leurs mains. Ils ont le goût du forum et de l'émeute, prêts 
        à invoquer à tout propos le salut public, résolus 
        à se faire tuer sur des barricades ou sur n'importe quel champ 
        de bataille. pour telles causes qui leur paraissent justes. Ils en ont 
        toujours fait la preuve aux côtés de leurs frères 
        musulmans. C'est ainsi qu'ils n'arrivent pas à se faire à 
        l'idée d'être chassés, en même temps que leurs 
        morts, de cette terre sur laquelle ils travaillent depuis plusieurs générations.
 ------Le drame a commencé pour eux 
        quand ils eurent constaté l'indifférence totale des Français 
        de la métropole à leur égard et se virent traîner 
        successivement, par l'homme qu'ils avaient poussé
 au pouvoir le 13 mai, de la formule de l'intégration à base 
        de fraternisation qu'ils préconisaient à celle de l'autodétermination, 
        pour finir par la prédétermination et la reconnaissance 
        d'une République algérienne jouissant de droits souverains.
 ------D'où leur révolte, par 
        des moyens de violence qui prêtent à discussion et les peuvent 
        conduire à des mesures désespérées, voire 
        suicidiaires. L'Armée, hier encore seul garante de l'ordre, est 
        aujourd'hui profondément désunie. et désarmée 
        moralement par de coupables moyens.
 ------Qui donc arbitrera les confrontations 
        sanglantes que l'on voit poindre avec terreur à l'horizon, en l'absence 
        de toute autorité et même de toute administration ? Il n'y 
        a que les fous pour vouloir régler les affaires d'Algérie 
        par la violence ou par des accords négociés dont on voudrait 
        être assuré qu'ils ne sont pas des chiffons de papier.
 ------On ne bâtit rien, sur ces vieilles 
        terres, si l'on n'écarte les malédictions et si le terrain 
        n'a pas été ensemencé de confiance et d'amour.
 Alphonse Juin o 20 mars 1962    -
 -Né 
        à Bône en 1888, en Algérie, c'est au Maroc, à 
        l'état-major de Lyautey, qu'Alphonse Juin commença sa carrière. 
        Fait prisonnier à Lille, le 30 mai 1940, à la tête 
        de la 15e division motorisée, libéré l'année 
        suivante, le maréchal Pétain le nomma commandant en chef 
        des forces françaises en Afrique du Nord. Chef du corps expéditionnaire 
        français en Italie, il mena l'offensive victorieuse de Garigliano. 
        Rappelé au Maroc en 1947, comme résident général, 
        élevé à la dignité de maréchal en 1952, 
        il apporta ensuite son appui moral aux partisans de l'Algérie française 
        et fut mis à la retraite par De Gaulle. II décédera 
        à Paris en 1967. Membre de l'Académie Française, 
        il sera le dernier Maréchal de France. 
        
        
       ------Trois 
        mois. après, l'Indépendance est proclamée. Le Maréchal 
        Juin déclare alors«...Que les Français en grande majorité aient, par 
        référendum, confirmé, approuvé l'abandon de 
        l'Algérie, ce morceau de la France, trahie et livrée à 
        l'ennemi. qu'ils aient été ainsi complices du pillage. de 
        la ruine et du massacre des Français d'Algérie, de leurs 
        familles. de nos frères musulmans, de nos anciens soldats qui avaient 
        une confiance totale en nous et ont été torturés, 
        égorgés, dans des conditions abominables, sans que rien 
        n'ait été fait pour les protéger : cela je ne le 
        pardonnerai jamais à mes compatriotes : la France est en état 
        de péché mortel. Elle connaîtra un jour le châtiment."
 Maréchal Juin o Le 2 juillet 1962 ------5 ans plus tard, il décèdera 
        de chagrin, d'avoir vu mourir la France sur sa terre natale.
 Le dernier texte du Maréchal Juin avait paru dans le n°1 d'Avril 
        1962 de Spectacle du Monde . Qu'il soit remercié ici.
 La Rédaction de Pieds-noirs d'hier et d'aujourd'hui ( avril 1993 
        )
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