| ETYMOLOGIE ET SIGNIFICATIONDE QUELQUES TOPONYMES DE L'EST ALGÉRIEN
 
        " Jugurtha s'applique 
          à différer de lui-même jusqu'à la plus complète 
          contradiction. Nul, plus que lui, n'est habile à revêtir 
          la livrée d'autrui : moeurs, langages, croyances, il les adopte 
          tour à tour, il s'y plaît, il y respire à l'aise... 
          "Jean Amrouche - L'éternel Jugurtha
 
 Les savants français de l'Afrique du Nord se sont toujours intéressés 
          à cette étude des noms de lieux qu'est la toponymie à 
          cause de l'utile contribution qu'elle apporte à l'histoire, à 
          la linguistique. La plupart des géographes, historiens, archéologues, 
          linguistes ont souvent porté un regard curieux et lucide sur 
          les noms des lieux dont ils avaient à s'occuper à l'occasion 
          de leurs travaux.
 
 En se référant à leurs études, on peut sans 
          doute avancer que les toponymes de l'Est Algérien comme ceux, 
          d'ailleurs, du reste du pays, se présentent aux recherches par 
          couches successives : libyco-berbère, punique, grecque, latine, 
          arabe, espagnole, française, correspondant d'une manière 
          générale aux différentes dominations politiques 
          qui se sont exercées sur la contrée. Par suite, il convient 
          d'étudier séparément chaque catégorie linguistique 
          de toponymes en recherchant de quelle façon et sous quelle influence 
          culturelle, ethnique, politique, religieuse ceux-ci ont pris naissance 
          et se sont fixés. Cependant, la tâche n'est pas aisée 
          car cette identification linguistique toponymique s'exerce sur une matière 
          riche, complexe ayant subi de nombreuses altérations au cours 
          du temps.
 
 Les formations libyco-berbères :
 
 Ce qu'il paraît normal d'examiner en tout premier lieu, ce sont 
          les rapports qui se sont établis entre la langue berbère 
          et la nomenclature toponymique de l'Est Algérien.
 
 Les grandes tribus autochtones de l'Antiquité comme celles du 
          moyen-âge utilisaient des dialectes berbères analogues 
          à ceux que parlent encore de nos jours quelques unes d'entre 
          elles. Ces dialectes régionaux constituent la langue berbère 
          qui, concurrencée et grignotée par l'arabe, n'est guère 
          plus parlée que par 7 ou 8 millions d'Algériens. La Kabylie 
          et les Aurès représentent les deux plus importants îlots 
          de résistance.
 
 Les toponymes d'origine berbère forment des séries étymologiques 
          c'est-à-dire qu'on retrouve la même racine sous des vocalisations 
          différentes. Ces séries se sont constituées à 
          partir d'une idée mère contenue dans la racine sur l'identification 
          de laquelle repose, en dernière analyse l'explication toponymique
 
 Des termes relatifs au règne minéral et au relief ont 
          laissé des traces dans la nomenclature nord-africaine. Ainsi, 
          " tekkat " qui a le sens de " roche à 
          pic un peu surplombant " a donné naissance à 
          " Takkouch ", nom berbère d'Herbillon.
 
 Le terme Berbère " sûf " ou " asuf 
          " ou encore " asif " signifie " cours 
          d'eau, rivière, fleuve " et par extension de sens " 
          vallée " ou " thalweg ". Il constitue, 
          souvent, un vestige linguistique cristallisé dans la nomenclature 
          sous une forme latinisée ou, le plus souvent, arabisée. 
          " Subus ", nom antique de " la Seybouse 
          " est peut-être la transcription latine de " sûf 
          " ou d'un vocable qui en découle.
 
 Un certain nombre de noms de lieux relève de désignations 
          ethniques. La dispersion des grandes tribus berbères du moyen-âge 
          consécutive à l'invasion arabe eut pour conséquence 
          de répandre les noms de ces tribus ou de leurs fractions dans 
          de nombreux endroits où elles ont séjourné. C'est 
          ainsi que le toponyme " Oued-Zénati " viendrait de 
          la tribu des " Sanhadja " sédentaires et nomades appelés 
          aussi " Zénèta " et que celui de " Khenchela 
          " d'une autre tribu appelée " Beni-Felkai ".
 
 De nombreux toponymes seraient issus de noms de couleurs berbères. 
          C'est ainsi que " ahras " qui, en langue berbère, signifie 
          " gris alouette " rend compte du nom " Souk-Ahras ". 
          De même " esedif qui, en langue touareg, signifie " 
          nègre ", " animal de couleur noire " se retrouve 
          dans le dialecte " chaouia " des Aurès sous la forme 
          de " asett'af ". Certains linguistes sont d'avis à 
          rattacher à ces deux substantifs le toponyme de " Sétif 
          " (nom antique " Sitifis ").
 
 Les formations phéniciennes :
 
 Les Phéniciens de Tir et de Sidon fréquentèrent 
          dès la seconde moitié du He millénaire avant JC 
          les côtes de l'Afrique et y établirent des stations et 
          des comptoirs. Ces établissements subsistent encore en quelques 
          endroits avec leurs noms primitifs plus ou moins altérés. 
          Parmi ces villes, maritimes pour la plupart, Carthage fut une cité-état 
          dont le rayonnement politique et culturel fut considérable en 
          Méditerranée. La langue punique, ainsi appelée 
          pour la distinguer du Phénicien de Tyr et de Sidon, est un élément 
          de cette civilisation et fut longtemps parlée dans les territoires 
          soumis politiquement à Carthage ou ayant subi son attraction 
          culturelle. On a peu d'informations sur la langue punique. On sait seulement 
          que c'était à l'origine le phénicien d'Orient, 
          proche parent de l'hébreu, auquel les Carthaginois avaient fait 
          subir des modifications vocaliques. Les linguistes ont déchiffré 
          le phénicien à l'aide de l'hébreu ; c'est donc 
          en partant de cette langue sémitique que fut faite l'analyse 
          des noms de lieux africains présumés d'origine punique. 
          Ces derniers ont souvent été recouverts par des formations 
          arabes à peu près identiques, de nombreux termes toponymiques 
          étant communs aux deux langues (Exemple : le terme arabe bir 
          et le terme hébreu beer signifient tous deux " puits "). 
          On ne peut avoir la certitude sur l'origine punique ou phénicienne 
          d'un nom de lieu africain que s'il est attesté avant l'arrivée 
          des Arabes dans les textes littéraires, par les documents épigraphiques.
 
 Trois villes africaines portaient le nom d'Hippou toutes trois dans 
          la zone d'influence de Carthage. Ce sont : Hippou Akra (actuelle Ras 
          Bergaoued - Lybie), Hippou Akra (actuelle Bizerte - Tunisie) et Hippou 
          Akra (actuelle Annaba, à l'époque romaine Hippo Regius 
          et à l'époque française Bône- Algérie).
 
 Hippou est très probablement un mot phénicien que les 
          Grecs ont traduit akra " cap ou promontoire " en grec, ce 
          qui est d'ailleurs conforme à la topographie des lieux : Hippou 
          de Tripolitaine est un cap, Bizerte est située près du 
          Cap Blanc et Bône près du Cap de Garde. Le nom de Bône 
          vient de l'Italien Bona contraction du latin Hippone représentant 
          Hippo à l'ablatif. Ce nom n'a rien de commun avec le nom arabe 
          Annâba (" les jujubiers cultivés ") Le jujubier 
          est un arbuste qui était cultivé dans la plaine de Bône 
          et dont le nom a été donné par les Arabes à 
          la ville.
 
 Les formations arabes :
 
 Dans l'Est Algérien, comme dans le reste de l'Algérie, 
          les noms de lieux d'origine arabe sont très nombreux et paraissent, 
          dans certains cas, avoir recouvert les apports linguistiques successifs 
          qui précédèrent la conquête arabe. Certains 
          toponymes arabes ne sont d'ailleurs que la simple traduction d'un primitif 
          berbère.
 
 Les aspects naturels, la vie agricole et pastorale, les relations économiques 
          ainsi que les faits religieux sont à l'origine de la plupart 
          des formations arabes. Parmi les vocables concernant le relief, le nom 
          générique de la montagne jbel ou djebel vient en premier 
          lieu pour désigner à peu près toutes les manifestations 
          d'une élévation de terrain. Djebel est toujours suivi 
          d'un déterminatif qui est le plus souvent un substantif : Djebel 
          Ouenza, Djebel Onk...
 
 Le vocable djebel a quelques synonymes un peu plus précis qui 
          sont fréquemment employés. Kef (rocher) a aussi le sens 
          de pic, piton rocheux : le Kouif signifie le petit rocher.
 
 Par pénurie de vocabulaire et peut-être par une tendance 
          naturelle à l'anthropomorphisme, la montagne a été 
          assimilée au corps humain : l'on y distingue la " tête 
          ", le " cou ", l'" épaule ", le " 
          bras ", le " dos ", vocables qui sont devenus par métaphore 
          des termes géographiques très répandus. Ras (tête) 
          sert à désigner un pic, un sommet, une cime. Il a aussi 
          le sens de " cap " et de " promontoire ". Ras et 
          Hamra (le pic rouge) est le nom arabe du Cap de Garde.
 
 Anq ou Onq (cou) est un col de montagne. On relève le Djebel 
          Onk (le col de la montagne).
 
 Une plaine fertile se nomme bat'en (ventre). Ce terme s'applique à 
          un flanc de montagne, à une dépression herbeuse. Nous 
          le retrouvons dans Batna.
 
 L'extrémité d'une plaine, d'un champ, d'une terre quelconque 
          se nomme t'erf et ce terme est aussi assez fréquent dans la nomenclature 
          soit seul soit suivi d'un déterminatif. On relève dans 
          l'est algérien le Tarf (le bout, l'extrémité).
 
 Les vocables concernant l'eau sont beaucoup plus répandus que 
          ceux concernant le relief. Cela se comprend dans un pays sec où 
          le moindre point d'eau représente une valeur vitale.
 
 L'un des termes les plus répandus est aïn qui signifie source. 
          Il est toujours suivi d'un déterminatif qui confère à 
          la source sa personnalité. : Aïn-Beïda (la source blanche), 
          Aïn - Seynour (" la source des platanes ou du platane "), 
          Aïn Mokra serait la transcription française de l'arabe Aïn 
          oum errkha (" la source mère du bien-être ").
 
 Le terme Bir désigne un puits, un trou profond creusé 
          dans le sol et contenant de l'eau pérenne. Ce mot en composition 
          avec
 d'autres a formé de nombreux toponymes.
 Dans l'Est algérien, nous trouvons Bir-el-Ater où le terme 
        d'origine arabe Bir est couplé avec un d'origine berbère 
        ater qui signifie " descendre " (descendre de cheval). Ce 
        lieu proche de la frontière algéro-tunisienne a toujours 
        été pour les nomades un point de halte, de bivouac. La présence 
        de l'eau lui confère une importance certaine pour y établir 
        une résidence temporaire.
 
 L'appellatif oued désigne un cours d'eau : Oued-el-Aneb (l'oued 
        des jujubiers), Oued-Bou-Namoussa (l'oued des moustiques). Oued-Zénati 
        est un toponyme où nous retrouvons l'association d'un mot arabe 
        oued et d'un terme d'origine berbère Zénati. Ce dernier 
        est un terme nominal qui désigne une tribu berbère les Sanhadja 
        appelés aussi Zenata (Zenètes).
 
 Les termes concernant les eaux minérales chaudes dérivent 
        du thème h'ami (chaud). Une source thermale s'appelle h'amma ; 
        si elle est pourvue d'un établissement de bains, elle prend le 
        nom de h'ammam. Ces termes ont fourni d'assez nombreux toponymes. Dans 
        l'est algérien, nous trouvons Hammam-es-Sekhoutine qui signifie 
        " le bain des maudits ".
 
 Parmi les noms empruntés à la vie paysanne ou pastorale, 
        retenons le mot Souk qui est à l'origine de nombreux toponymes. 
        Le souk (marché, foire) tient une grande place dans la préoccupation 
        des paysans et des pasteurs soit qu'ils s'y ravitaillent, soit qu'ils 
        viennent y vendre leurs produits, aussi ce vocable a-t-il formé 
        un grand nombre de noms de lieux. Citons : Souk-el-Arba (le marché 
        du mercredi), Souk-Ahras.
 
 Les ruines romaines sont désignées par le terme Kherba ou 
        Kheribat et encore Khirb. C'est ce dernier terme qui, probablement, a 
        formé le Kroubs lieu fertile contenant de nombreuses ruines romaines.
 
 
 Les formations françaises.
 
 La colonisation au fur et à mesure qu'elle était rendue 
        possible par l'extension de la conquête militaire et la pacification, 
        marquait d'une empreinte française la toponymie algérienne. 
        Les centres et villages créés par l'administration reçurent 
        des noms français usurpant parfois de vieux noms libyco-berbères.
 
 Ainsi, dans l'Est algérien, les noms de lieux promus figurent en 
        grand nombre, ceux des militaires qui participèrent aux opérations 
        de la conquête de l'Algérie : Bugeaud, Blandan, Duvivier, 
        Monck d'Uzer (Duzerville), Herbillon, Morris, Randon, Yusuf. Quelques 
        noms de Saints chrétiens sont également évoqués 
        : Saint Charles, Saint Joseph.
 
 Enfin de nombreux noms de lieux s'inspirent des aspects particuliers des 
        sites qu'ils désignent : Chapeau de Gendarme, Clairfontaine, Col-des-Oliviers, 
        Col-des-Chacals, les Lauriers-Rose Antérieurement à la conquête 
        de l'Algérie, en 1370, des Français tentent de s'installer 
        dans les parages de Tabarca puis en 1524 des marchands marseillais fondent 
        le Bastion de France entre le Cap Rosa et le Cap Roux. Les patrons corailleurs 
        qui fréquentaient la côte algérienne faisaient radouber 
        leurs bateaux à Marsa-el-Khéra, " le port aux breloques 
        (de corail) " qui prit alors le nom de La Calle.
 
 Il faut noter, pour conclure, que les formations françaises, à 
        quelques exceptions près, n'ont pas chassé les appellations 
        anciennes et existantes et correspondent à des nécessités 
        toponymiques : en général, le nom français a surgi 
        là où il n'y avait rien auparavant.
 Claude Barnier Bibliographie" Essai sur les noms de lieux d'Algérie et de Tunisie " 
        A. Pellegrin
 " Algérie antique " Collectif - Conseil Général 
        des Bouches du Rhône
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