| L'Opéra municipal 
        d'Alger de 1830 à 1939par Fernand ARNAUDIÈS
 AUSSI invraisemblable que cela puisse paraître, 
        la création d'un théâtre subventionné en Alger 
        remonte aux tout premiers mois qui suivirent la reddition de la ville, 
        survenue le 5 juillet 1830.
 L'idée en revient au général comte Clauzel, soucieux 
        du moral de ses hommes et fort bien renseigné sur la précarité 
        des distractions que pouvait offrir la cité inquiète et 
        hostile.
 
 Après d'assez laborieuses recherches, le choix d'un local se porta 
        sur une salle relativement vaste, sise rue des Consuls.
 
 PLUS tard, pour des raisons de commodité, le théâtre 
        fut transféré rue de l'Etat Major, où se trouvait 
        son entrée principale tout près du groupe de beaux palais 
        arabes comme ceux où sont actuellement installés la Bibliothèque 
        nationale et le général commandant la division d'Alger. 
        Une seconde entrée avait été ménagée 
        par précaution, rue du Soudan.
 
 La salle était coquette. Les journalistes lui donnaient volontiers 
        le joli nom de " Bonbonnière ", évocateur d'intimité 
        charmante et de confort.Nous pouvons dire que le succès de ce théâtre 
        où fréquenta la plus haute société de la colonie, 
        dépassa largement tous les espoirs. Le nombre des spectateurs grandissait 
        sans cesse. Faute de place, on se trouvait bien souvent dans l'obligation 
        de fermer les guichets, alors qu'une foule encore considérable 
        stationnait sur les trottoirs étroits.
 
 Toutefois, les années passèrent et ce n'est que vers 1850 
        qu'il fut décidé d'agrandir la salle. M. Robinot-Bertrand, 
        chargé de mener les travaux à bonne fin, sut, à cette 
        occasion, tirer le meilleur parti du vieil immeuble.
 
 Bien que remanié et assez considérablement agrandi, le théâtre 
        de la rue de l'Etat-Major devenait par trop insuffisant.
 
 Les citoyens responsables se trouvaient entièrement d'accord sur 
        la nécessité urgente de construire enfin un édifice 
        convenable, digne de la ville.
 
 L'entrepreneur Sarlin avait soumis au conseil municipal, le projet de 
        deux architectes : MM. Frédéric Chasseriau, ancien architecte 
        des bâtiments civils, et Ponsard. M. Sarlin se chargeait de la construction.
 
 C'est ainsi que sur l'emplacement du théâtre actuel, les 
        travaux commencés au mois de mai 1850, se poursuivirent jusqu'au 
        29 septembre 1853, jour de l'inauguration, qui eut lieu en présence 
        du maréchal Randon, du préfet Latour-Mezeray et du maire 
        M. Guiroye. Au programme figurait une revue : " Alger en 1830 et 
        en 1853" de M. Descous, qui avait confié la partie musicale 
        au baron Bron, chef du cabinet du préfet. On dut refuser du monde.
 
 Le 10 mai 1865, l'Empereur Napoléon assiste, à l'Opéra, 
        à une représentation de " Rigoletto " donnée 
        par une compagnie italienne.
 
 En 1873, la salle était devenue trop petite. On décida de 
        l'agrandir. MM. Dumay et Bullot se chargèrent de ce travail.
 
 Malheureusement, un incendie ravagea l'Opéra le 19 mars 1882. Les 
        archives, la bibliothèque, le magasin des costumes et des accessoires 
        furent détruits. Le foyer, heureusement, ne subit aucun dommage.
 
 L'architecte Oudot obtint de reconstruire le bâtiment, qui ouvrit 
        ses portes le ter décembre 1883. La salle hispano-mauresque aménagée 
        dans l'arrière-scène, date de cette époque.
 
 En 1887 le théâtre " Impérial " à 
        l'origine, devint municipal, et du même coup, perdit la subvention 
        de trente mille francs qui, jusqu'alors, lui était allouée.
 
 L'Opéra ne connut plus, dès lors, de transformation importante.
 
 Les travaux de rénovation
 
 Malgré ses qualités réelles, malgré certains 
        côtés agréables, quoique désuets, de ses multiples 
        aspects, l'Opéra de Chasseriau, parfaitement conçu à 
        l'origine, ne répondait plus aux nécessités actuelles. 
        Il devenait urgent d'en corriger les imperfections.
 
 La recherche du confort ne posait pas, seule, les données du problème, 
        il y avait aussi la recherche d'une sécurité indispensable, 
        rendue précaire par la vétusté de différentes 
        installations.
 
 Il fallait remanier la vieille maison.
 
 Ce fut l'oeuvre de la municipalité Rozis.
 
 La conception de M. Rozis, dominée par le souci de concilier les 
        commodités modernes avec les hautes traditions de l'art français, 
        devait retenir l'attention. Elle était de celles qui s'imposent 
        par leur nature, par leur portée. Aussi fut-elle accueillie par 
        la grande majorité du conseil municipal.
 
 La salle et ses dépendances
 
 Je dirai tout de suite, puisque, aussi bien, on passa très vite 
        de l'élaboration à la mise en oeuvre, que l'on eut l'excellente 
        idée de confier les travaux, après concours, aux architectes 
        algérois Raymond Taphoureau et Emmanuel Guermonprez.
 
 L'exécution fut entreprise et poursuivie sous la haute direction 
        et le contrôle de M. le colonel Richier, premier adjoint, de la 
        Commission des grands travaux, de M. Molbert, ingénieur en chef, 
        de M. Regeste, architecte inspecteur, et de leurs collaborateurs.
 
 Par un discret hommage rendu à l'oeuvre, d'ailleurs remarquable, 
        de Frédéric Chasseriau, l'aspect du théâtre 
        primitif a été, autant que possible, très ingénieusement 
        conservé. Ce qui nous amène à dire que les éléments 
        nouveaux de l'architecture s'y conjuguent parfois, très agréablement 
        et sans heurt, avec les nostalgiques évocations du siècle 
        dernier.
 
 Nous le constatons enfin et surtout lorsque, partant du Grand Foyer pour 
        gagner la salle, nous passons, par transitions savantes et méditées, 
        par recoupements habiles, d'une époque à une autre, d'une 
        image à une autre.
 
 Avec ses larges et hautes fenêtres cintrées, avec ses tentures 
        rouges et ses fauteuils de style, avec ses magnifiques lustres de Venise 
        aux transparences joliment irisées, le Grand Foyer garde encore 
        l'expression raffinée, de ce luxe intime qui fleurit sous le Second 
        Empire.Auguste Harzic, jeune artiste de talent, ancien pensionnaire de 
        la Casa Vélasquez, a été chargé de la décoration 
        murale. Il s'est acquitté de sa tâche avec beaucoup de goût 
        et d'intelligente compréhension. Les éléments dont 
        il s'est servi sont d'une agréable originalité et d'unè 
        gracieuse fantaisie.
 
 Dans la grande galerie d'accès, où aboutissent les deux 
        escaliers aux rampes de métal, façonnées par le maître 
        ferronnier Raymond Subes, l'ornemènt est plus simple. Il accueille 
        moins les réminiscences. Il s'allège. Une seule concession 
        au vieux style : les appliques en verre de Venise.
 
 Point de lustres, mais un éclairage indirect, dissimulé 
        dans un plafonnement à caissons.
 
 Même tons, mêmes rideaux pourpres, même symphonie.
 
 Mais c'est là, dans cette galerie qui deviendra célèbre, 
        que se trouve, face au Grand Foyer, le panneau d'Emile Aubry.
 
 M. Rozis a eu le grand mérite de confier à l'auteur des 
        "Temps héroïques", de la " Naissance de Vénus", 
        du "Jugement de Pâris ", de la " Voix de Pan ", 
        du "Jardin des Hespérides", du " Calvaire", 
        au peintre inoubliable de l'" Hommage aux morts de la guerre ", 
        la décoration principale de l'Opéra.
 
 Il est heureux, en effet, qu'un homme de goût ait tenu ainsi à 
        attacher le nom d'un grand artiste algérien, à une réalisation 
        algérienne de premier plan.
 
 Devant cette immense guirlande, qui fait penser à quelque saisissant 
        bas-relief coloré, on s'abandonne au plaisir délicieux de 
        sentir le beau et la vie dans toute leur splendeur.
 
 Je ne m'étends pas davantage sur cette oeuvre qui est reproduite 
        ici même et commentée spécialement par un de mes confrères.
 
 Ce qui, tout d'abord, frappe le spectateur quand il pénètre 
        dans la salle, c'est, sans contredit, le sentiment d'un confort absolu. 
        Il se rend compte, très vite car l'ensemble se livre du premier 
        coup d'oeil, de l'immense effort soutenu par les architectes, pour atteindre 
        à ce but essentiel.
 
 La visibilité défectueuse dans l'ancien théâtre 
        a été le grand souci des architectes. Aussi est-elle actuellement 
        parfaite. Tous les points d'appui gênants ont été 
        supprimés. Le ciment armé permet de ces hardiesses.
 
 Chacune des places de ce parterre ou de ces trois balcons en hémicycle, 
        offre au spectateur un plaisir de plus, infiniment appréciable 
        : celui d'être à l'aise.
 
 L'éclairage, cet autre grand souci, est diffus, discret et commode. 
        Il recrée une atmosphère de recueillement indispensable.
 
 Le problème de l'isolation phonique et de l'acoustique est particulièrement 
        complexe et difficile. Du moins, je l'ai souvent entendu dire, et je le 
        crois volontiers.
 
 Il n'a pas été négligé. Car il est essentiel.
 
 Aussi bien, MM. Taphoureau et Guermonprez se sont-ils préoccupés, 
        avant tout, dès la première heure, des données nouvelles 
        que ce problème allait imposer.
 
 C'est ainsi que M. Brillouin, l'éminent spécialiste parisien, 
        le technicien remarquable du Palais de Chaillot (ancien Trocadéro), 
        a été chargé des expériences avant et après 
        les transformations.
 
 Ces expériences comparatives, ont permis d'atteindre pleinement 
        le but fixé.
 
 J'ai toujours eu beaucoup d'estime pour le jeune sculpteur algérien 
        André Greck, Grand Prix de Rome, pensionnaire actuel de la Villa 
        Médicis. J'ai toujours apprécié chez cet élève 
        de Jean Bouchet, une rare souplesse de talent, une simplicité rigoureuse, 
        l'art enfin, d'une interprétation directe et forte de la vie.
 
 Il était juste que les architectes songeassent à lui, quand 
        ils eurent l'idée de couronner le cadre de scène par un 
        motif allégorique.
 
 M. Greck s'est inspiré de la mythologie. Son "Triomphe d'Apollon 
        " est traité dans un esprit architectural parfaitement adapté.
 
 L'oeuvre est solide, franche, bien sentie. L'ensemble, d'une belle densité, 
        d'une belle plénitude. Il est caractérisé en outre, 
        par la simplicité et la concision des volumes, par la vérité 
        de l'expression et la richesse du sentiment.
 
 Charles Brouty a peint le rideau de fer. Lyres, tambourins, masques et 
        étoiles d'or, encadrés d'un ruban. Une grande simplicité. 
        Une trouvaille pour tout dire.
 
 Bien entendu, on ne saurait juger Brouty sur ce morceau d'originalité 
        et de fantaisie, dont l'exécution présentait toutefois, 
        on voudra bien le retenir, de sérieux écueils.
 
 Les aménagements de la scène
 
 Au-delà du rideau, au-delà de ses longs plis droits et majestueux, 
        commence - beaucoup ne le soupçonnent qu'à demi - tout un 
        monde curieux, gigantesque, grouillant et compliqué ; un mélange 
        de vie intense et d'activité étourdissante, de pittoresque 
        et de couleur.
 
 Je rencontrai, un soir, entre deux montants, au moment où il descendait 
        d'une échelle de fer, l'un des techniciens du plateau.
 
 Je lui posai diverses questions assez maladroites, suffisamment maladroites, 
        pour que cet homme de l'art me parut surpris. Et je devinai à cette 
        surprise qu'il ne cherchait pas le moins du monde à dissimuler, 
        que l'objet de notre conversation était beaucoup plus sérieux, 
        beaucoup plus compliqué, beaucoup moins accessible au commun des 
        mortels que je ne paraissais le soupçonner.
 
 La scène, objet d'un soin incomparable, a été dotée 
        des toutes dernières innovations techniques. On n'a rien négligé 
        pour qu'elle soit ce qu'elle est aujourd'hui : l'une des mieux équipées, 
        des mieux organisées, des mieux dotées de matériel 
        et d'installations modernes.
 
 La lumière y joue un rôle de premier plan.
 
 Elle a, dans ce domaine extraordinaire, des attributions multiples, prodigieuses. 
        Elle doit y créer l'illusion, elle doit donner au spectateur, par 
        l'intermédiaire de simples foyers lumineux, une représentation 
        de la nature aussi fidèle que possible.
 
 Des herses, munies de tous les perfectionnements, permettent de projeter, 
        sur une toile de fond semi-elliptique de dix- sept mètres de hauteur, 
        à laquelle on a donné le nom assez barbare mais expressif 
        de cyclorama, un faisceau de rayons blancs ou colorés qui, utilement 
        combinés, créeront les ciels sereins ou chargés de 
        menaces.
 
 Le cyclorama, fixé verticalement au grand cintre, se déplace 
        avec la plus grande facilité sur un chemin de fer. On le roule, 
        on le déroule au gré des besoins. Sa place habituelle, quand 
        il ne sert pas, est dans un coin, côté cour ou, perpendiculairement 
        à la scène, il occupe aussi peu d'espace que possible. Son 
        emploi a rendu inutile le lot encombrant des frises et des châssis.
 
 La manoeuvre de tout cet appareil est extrêmement simple. D'une 
        simplicité qui déroute.
 
 Un imposant jeu d'orgue le commande. De nombreux boutons disposés 
        sur un clavier permettent, chacun, la gradation nécessaire des 
        feux.
 
 Ainsi que nous avons pu le noter, rien n'a été négligé 
        pour le confort de la salle, pour l'équipement de la scène, 
        pour l'appareillage électrique.
 On comprendra mieux dès lors que les architectes n'aient point 
        manqué d'accroître les conditions de sécurité.
 
 Leur premier soin a été de supprimer, partout où 
        cela a été possible, les installations en bois ; et d'immuniser 
        celles qui, pour une raison majeure, ont dû être conservées.
 
 D'une manière générale, le bois a cédé 
        la place au béton armé et à l'acier.
 
 Tous les travaux, même les plus délicats, qui furent conçus 
        par des maisons françaises, ont été exécutés 
        par des firmes algériennes.
 
 Dans la partie haute du cadre de scène, au-dessus du grill, des 
        experts ont installé un minutieux appareil d'extinction dont je 
        tiens à mettre en évidence les caractéristiques essentielles.
 
 Cet appareil de grand secours - je me sers de l'appellation exacte - vise, 
        avant tout, à une inondation méthodique et rapide de la 
        scène, des décors, des accessoires. Le soin de cette opération 
        serait confié, le cas échéant, à douze pompes 
        déversoirs et à deux écrans d'eau, dont le rôle 
        principal consisterait à refroidir les rideaux de fer isolant le 
        plateau de la salle et de l'arrière-scène.
 
 Ai-je besoin d'ajouter que les canalisations et les réservoirs 
        sont, constamment, tenus en état d'alimenter le système 
        de déversion ?
 
 Deux vannes de manoeuvre, l'une côté cour, l'autre côté 
        jardin, commandent ce dispositif d'une conception vraiment rassurante, 
        qui se complète d'un matériel accessoire bien adapté 
        et bien distribué.
 
 Des détecteurs placés dans les locaux d'arrière-scène 
        (magasin aux çostumes, ateliers, bibliothèque, archives, 
        réserves, etc...), peuvent signaler au moyen d'une sonnerie toute 
        élévation anormale de température, cependant qu'un 
        voyant lumineux alerte, en même temps, le concierge dans sa loge.
 
 Les détecteurs se trouvant disposés en huit groupes distincts 
        et chaque groupe correspondant à un voyant spécial, il est 
        aisé, lorsque la sonnerie retentit, de déterminer l'endroit 
        précis où il convient d'intervenir.
 
 Enfin, à toute heure de jour et de nuit, une équipe de surveillants 
        effectue dans le bâtiment des rondes attentives, dûment contrôlées.
 Je dirai ici un mot des circulations dont l'importance, on ne l'ignore 
        pas, est primordiale. Non pas seulement pour la seule commodité 
        du public - ce qui, déjà, serait appréciable et bien 
        fait pour nous satisfaire - mais encore pour le rôle très 
        improbable, je le reconnais, qu'elles seraient appelées à 
        jouer pour une évacuation rapide.
 
 Donc, les circulations verticales ont été considérablement 
        modifiées. Les grands escaliers qui desservent les étages 
        ont bénéficié d'un développement non moins 
        considérable. Ils sont, de plus, doublés de deux escaliers 
        de secours, fort justement compris.
 
 Les circulations horizontales sont beaucoup plus larges, plus accueillantes 
        aussi.
 
 L'éclairage y est distribué par des appareils diffuseurs 
        apparents, placés en appliques.
 
 Cet éclairage normal est complété par un éclairage 
        de sécurité, indépendant du secteur public. Des ampoules 
        à lumière bleue, balisent, en quelque sorte, les directions 
        de sortie.
 
 Et je n'aurai rien dit, faute de place, ni de la ventilation, ni du chauffage. 
        Ai-je vraiment besoin d'assurer qu'ils ne laissent eux non plus rien à 
        désirer?
 
 Le rôle des architectes est terminé. Celui du directeur commence.
 
 M. Carne est investi de fonctions difficiles. La responsabilité 
        qu'il assume est grande. Mais les références qu'il présente 
        sont nombreuses.
 
 Rappelons seulement qu'il a présidé aux destinées 
        du Capitole de Toulouse pendant onze ans, de l'Opéra de Lyon pendant 
        six ans, et qu'il dirige aujourd'hui, conjointement avec notre scène, 
        les opéras de Marseille et de Nice.
 
 Nous reconnaissons en lui non seulement un artiste des plus distingués, 
        un baryton célèbre que nous avons applaudi naguère 
        sur notre scène, mais encore un homme d'action, un administrateur 
        distingué qui allie aux plus sûres qualités de tact, 
        de méthode et de goût, de séduisantes qualités 
        d'esprit.
 Fernand ARNAUDIÈS.
 |