| ---------Avant 
        la conquête, on ne connut guère d'autre théâtre 
        en Alger, que celui de " Kara-Kouche ", rudimentaire et primitif, 
        en honneur surtout durant le mois de Ramadan.---------" 
        Kara-Kouche " est un héros de légendes alertes, impudiques, 
        un héros monstrueux, dont les folles aventures, naïvement 
        silhouettées et projetées en ombres chinoises, déchaînent 
        les bravos et les rires, parmi un auditoire où se mêlent 
        vieillards et enfants.
 ---------" 
        Kara-Kouche ", dans son costume turc, un turban énorme sur 
        la tête, se livre à toutes sortes d'excentricités. 
        Il est dans un harem, dans un marché d'esclaves, dans un café, 
        et partout, en toutes circonstances, il abuse de sa force et de son prestige.
 ---------" 
        Kara-Kouche " dont on a fait parfois «Garagousse", tient 
        une grande place dans les conversations ; on se plaîtà évoquer 
        ses exploits ; il a sa légende.
 ---------" 
        Kara-Kouche ", l'Oiseau noir, fut gouverneur du Caire
 sous le règne de Saleh-ed-Din ; désireux d'augmenter la 
        puissance défensive de la ville sur laquelle il veillait, ce gouverneur, 
        prudent avant tout, donna l'ordre de raser tombeaux et mosquées 
        et d'édifier une citadelle à leur place. Ce sacrilège 
        lui valut, non seulement la réprobation des habitants qui lui donnèrent 
        le surnom " d'Oiseau noir ", mais encore la réprobation 
        divine. " KaraKouche ", voué depuis lors aux missions 
        ridicules, devint un amuseur de badauds.
 ---------Longtemps 
        après la reddition d'Alger, les représentations de ces farces 
        optiques eurent lieu surtout dans les cafés maures.
 ---------Dans 
        l'une des scènes, les plus goûtées et les plus applaudies 
        " Kara-Kouche " combat, seul, contre un groupe de soldats français 
        : ceux de Sidi-Ferruch. Chacun imagine la facilité avec laquelle 
        il leur tient tête, en arrive à bout, et les soumet à 
        sa loi. Tout aussi aisément comprendra-t-on qu'un ordre du Comte 
        Guyot, directeur de l'intérieur vint, en 1843, mettre fin aux prouesses 
        de " l'Oiseau noir ".
 ***** ---------Après 
        la conquête, à côté du théâtre 
        officiel ou subventionné qui, seul, nous intéresse ici, 
        Alger vit fleurir d'assez nombreuses boîtes à musique ou 
        à comédie qui dispensaient, à bon compte, des spectacles 
        sans prétention. Le " Théâtre 
        Mayeux ", du nom de son propriétaire, situé 
        aux abords de la place du Gouvernement fut, dans la catégorie, 
        le plus en vogue.---------Son 
        inconfort, sa vétusté, trouvaient dans la modicité 
        du prix des places, une compensation suffisante. L'entrée coûtait 
        dix sous et donnait droit en outre à une consommation...
 ---------Le 
        théâtre Mayeux où l'on jouait « les fureurs 
        de l'amour " bien " La foire de Saint-Laurent» eut une 
        fin tragique.
 ---------En 
        1845 l'incendie de la Djenina le réduisit en cendres.
 ---------Je 
        passe sur les cafés-concerts, mais il faut accorder cependant un 
        souvenir au " Café de la Perle 
        " installé au premier étage de la galerie 
        Duchassaing, à l'angle de la rue Bab-el-Oued et de la place 
        du Gouvernement.
 ---------Ce 
        café, très bien fréquenté d'ailleurs, était 
        dirigé par un sieur Emmanuel Mickreditz, 
        homme des mieux avisés et de commerce agréable, qui sut 
        mériter toutes les sympathies.
 ---------Le 
        chansonnier Bordas y chanta et les violonistes 
        Sulot et Maurin dirigèrent son brillant 
        orchestre.
 ---------Transporté 
        sur le boulevard de la République, à l'emplacement du Crédit 
        Foncier actuel, ce café chantant se donna des airs de théâtre 
        et y réussit parfois. Il eut le même sort que le " Mayeux 
        ": il brûla et Emmanuel Mickreditz n'eut pas le courage de 
        le reconstruire. De 1837 à 1865 " La Perle ", plus tard 
        installé rue des Trois Couleurs, connut 
        une gloire dont les échos passèrent au delà de la 
        Méditerranée.
 ***** ---------La création 
        d'un théâtre subventionné à Alger remonte aux 
        tout premiers mois qui suivirent la reddition de la ville, survenue le 
        5 Juillet 1830.---------L'idée 
        en revient au Général Gouverneur Comte Clauzel, soucieux 
        de soutenir le moral de ses hommes et fort bien renseigné, autant 
        sur les tendances que sur la précarité des distractions 
        que pouvait offrir une cité inquiète et hostile.
 ---------Dès 
        le 12 Novembre 1830 le Général promulgua un arrêté 
        en trois articles, dont voici le texte intégral
 ---------Art. 
        1er. - Il sera construit une salle de spectacles dans la ville d'Alger.
 ---------Art.2.- Le choix de l'emplacement, 
        le devis estimatif et les travaux qu'exigera cette construction seront 
        soumis à l'approbation du Général en Chef.
 ---------Art. 3. - L'Intendant est chargé 
        de l'exécution du présent arrêté.
 ---------Le 
        Gouvernement, souscrivant à l'idée du Général 
        Clauzel, accorda une subvention de trois mille francs, à l'effet 
        de monter sans délai un théâtre provisoire, en attendant 
        la réalisation, qui devait singulièrement tarder, du projet 
        définitif.
 ---------Restait 
        cependant à trouver un local convenable et propice. Après 
        d'assez laborieuses recherches le choix se porta tout simplement sur le 
        Palais des Deys, la Djénina ! Le recrutement de la troupe donna 
        bien quelque souci à l'organisateur, André Guillaume, auteur 
        dramatique, mais l'Armée et l'Administration lui fournirent bientôt 
        tous les éléments d'action indispensables.
 ---------Ainsi 
        fut monté à peu de frais le " Théâtre 
        d'amateurs d'Alger ", en faveur duquel André Guillaume 
        publia un prospectus fort édifiant, que je transcris ici, mot pour 
        mot:
 ---------« 
        L'occupation d'Alger étant pour ainsi dire à jamais assurée, 
        un théâtre devenait indispensable dans une ville aussi peu 
        attrayante, où rien ne saurait fixer les yeux ou reposer l'esprit. 
        Au vrai, Alger n'offre à l'européen qu'un amas de maisons 
        dont la construction bizarre et uniforme est totalement étrangère 
        à ses goûts. D'un côté, le manque de promenades 
        et de points de réunion, la fréquentation habituelle des 
        rues étroites, sombres et tortueuses, forcent la bonne société 
        qui s'augmente chaque jour, à se créer chez elle des amusements 
        et des distractions qu'elle chercherait en vain ailleurs.
 ---------La nécessité d'établir 
        une fusion dans le beau monde était vivement désirée 
        ; elle ne pouvait s'opérer que par le théâtre, on 
        va l'élever, mais par qui sera-t-il desservi ? On avait d'abord 
        pensé à faire venir de Paris des comédiens soldés, 
        quand les dépenses énormes qu'entraînerait le personnel 
        du plus mince spectacle, ont fait abandonner ce projet, aussitôt 
        avorté que conçu.
 - ---------Dans cette occurrence une réunion 
        d'officiers de l'armée et des diverses administrations qui la composent, 
        ont bien voulu se dévouer pour la cause commune, ils vont jouer 
        la comédie
 ---------Souscripteurs eux-mêmes, comme 
        les personnes qui jouiront de leurs entrées, ces artistes de bonne 
        volonté s'imposeront, de plus, la tâche d'apprendre des rôles 
        et celle bien plus pénible encore de jouer devant une assemblée 
        choisie et nombreuse. Aussi les spectateurs ne devront attacher aux représentations 
        aucune espèce de censure publique qui serait de nature à 
        froisser l'amour propre des acteurs et à troubler le spectacle.
 ---------S'il en était autrement, 
        la scène changerait de face et le théâtre de tranquilles 
        amateurs se transformerait en un forum tumultueux.
 ---------Ceci une fois compris, on sentira 
        que ceux qui se sacrifient à l'amusement de tous ont droit, en 
        revanche, à des égards qu'on ne saurait leur refuser d'ailleurs 
        sans blesser toutes les convenances, et jeter parmi eux un découragement 
        qui amènerait infailliblement la rupture de la société. 
        "
 
 ---------Disons ici que le projet de création 
        d'un théâtre à Alger souleva d'assez vives controverses.
 ---------Le 
        Député Desjobert, entre autres, prétendait dans une 
        lettre assez irréfléchie, que le théâtre " 
        révélerait aux indigènes l'odieuse nudité 
        des Robert Macaire ". La presse, par contre, mena le bon 
        combat, insistant sur " l'utilité 
        du théâtre, comme moyen de propagande civilisatrice ".
 ---------André 
        Guillaume fut dès l'abord très embarrassé; car il 
        ne réussit pas à trouver à Alger des dames pouvant 
        s'associer à uvre des amateurs. Il fut donc obligé 
        de s'assurer le concours de trois artistes parisiennes
 ---------1 
        ° Jeune première amoureuse, premier rôle et grande coquette 
        ;
 ---------2° 
        Soubrette de drames, comédies, vaudevilles et opéras-comiques 
        ;
 ---------3° 
        Duègne, premiers rôles marqués et caricatures.
 ---------Mais 
        il fallait rémunérer ces trois artistes, il fallait faire 
        tous les frais de leur long voyage... De là un embarras financier 
        primordial, une de ces difficultés que le destin semble avoir réservé 
        aux théâtres de tous les temps.
 
 ---------On songea donc à former une 
        société avec des souscripteurs-fondateurs, des souscripteurs 
        ordinaires et des abonnés.
  ---------Le 
        baron Berthezène, général en chef, donna à 
        André Guillaume l'autorisation de constituer un conseil d'administration. 
        Ce conseil se composa de MM. Péron, régisseur; Grosrichard, 
        caissier; Rolland de Bussy, secrétaire ; Lambert, chef d'orchestre.---------M. 
        de Guiroye, intendant militaire, futur maire d'Alger, en accepta la présidence.
 ---------L'orchestre 
        comptait vingt-cinq musiciens, que M. Lambert choisit et prépara 
        parfaitement à leur rôle.
 ---------Quant 
        à la salle, on l'installa du mieux possible. Les matériaux 
        ne manquaient pas, les bras non plus.
 ---------On 
        ménagea un rang de premières loges, quatre de ces loges 
        étant réservées au baron Berthezène, général 
        en chef ; à M. l'Intendant en chef ; à M. de Guiroye, président 
        du conseil d'administration et à M. André Guillaume, directeur-administrateur.
 ---------Le 
        constructeur créa en outre trois foyers : un pour les artistes, 
        un pour les figurants, un pour les musiciens. La cour mauresque de la 
        Djénina, limitée par de belles colonnes de marbre, fut mise 
        à la disposition des spectateurs durant les entractes.
 ***** ---------La 
        salle de la Djénina fut assez tôt abandonnée. On réinstalla 
        le théâtre, d'abord dans une impasse de la rue de la Marine 
        puis, en 1832, dans une salle relativement vaste, sise rue des Consuls.
 ---------La 
        direction de cette salle fut confiée à un sieur Guillet, 
        " de l'Académie Royale de musique ", protégé 
        de Mme la duchesse de Rovigo ; puis à M. Mirecourt et, à 
        partir du 1 e' Septembre 1833, à Mme Dacosta dont l'activité, 
        le grand désir de s'acquitter au mieux d'une tâche difficile, 
        furent, semble-t-il, vivement appréciés.
 ---------Je 
        livre en passant, à la méditation des amateurs, le prix 
        des places de ce théâtre : parterre, un franc ; parquet, 
        deux francs cinquante ; loge de quatre places, quinze francs pour une 
        soirée et mille francs pour la saison.
 
 ---------Plus 
        tard, pour des raisons de commodité, le Théâtre d'Alger, 
        choeur chantant d'histrions en voyage, fut transféré rue 
        de l'Etat-Major, où s'ouvrait son entrée principale, tout 
        près du groupe de beaux palais arabes qui abritent actuellement 
        la Bibliothèque Nationale et les services de la Division d'Alger 
        : une seconde entrée avait été prévue, par 
        précaution, rue du Soudan.
 ---------La 
        salle était coquette. Les journalistes lui donnaient volontiers 
        le joli nom de " Bonbonnière 
        ", évocateur d'intimité charmante et de confort. Elle 
        ne contenait guère que six à sept cents places. On y jouait 
        l'opéra-comique, le drame, le vaudeville. En été, 
        d'excellentes troupes italiennes, qu'on avait la bonne fortune d'engager, 
        donnaient de très honnêtes représentations d'opéra.
 ---------Il 
        convient de préciser d'ailleurs, qu'à la suite de démarches 
        pressantes, la subvention de trois mille francs allouée à 
        l'origine, fut portée par le Gouvernement à huit mille francs 
        : ainsi les organisateurs eurent les moyens d'acquérir des concours 
        plus précieux et d'éviter enfin la collaboration de maints 
        jeunes premiers, dont de fâcheux débuts n'avaient sans doute 
        pu trouver grâce sur les plateaux de la Métropole.
 ---------C'est 
        ainsi que, parmi d'autres recrues de premier ordre, le ténor Berton 
        et sa jeune et séduisante femme, souvent sa partenaire, connurent, 
        rue de l'état-major, une carrière particulièrement 
        heureuse. La direction du théâtre avait été 
        confiée, dès le début, à M. Honoré 
        Curet qui mourut peu après l'ouverture. Sa veuve, femme de grand 
        mérite, intelligente et active, reçut mission de lui succéder. 
        Elle était la sueur du compositeur et chansonnier algérien 
        Lucien Desormes. Les noms de MM. Mantégazza et Bozio se retrouvent 
        aussi dans les archives directoriales.
 ---------Le 
        prix des places n'avait guère varié. On payait quatre francs 
        pour les loges et les stalles ; trois francs pour les balcons ; deux francs 
        pour les galeries ; un franc pour les parterres. L'abonnement pour douze 
        représentations revenait à vingt-deux francs.
 ---------En 
        1842, le tableau de la troupe - il n'est pas inutile de le rapporter - 
        était le suivant:
 
 
 Administration 
       ---------MM. 
        Honoré Curet, directeur privilégiéThurbet, premier régisseur chargé de la mise en scène.
 Mise en scène  ---------MM. Hyppolyte, 
        deuxième régisseur-inspecteur ---------Leuliette, chef d'orchestre
 ---------Francelle, répétiteur
 ---------Cabassous, souffleur
 ---------Bocca, machiniste.
 Acteurs (vaudeville-comédie-drame 
        de genre)  ---------MM. Armand Biré, 
        premiers rôles marqués, les Ferville, Saint-Aubin, etc... 
        ---------Mirecourt, jeunes premiers rôles
 ---------Sandré, premiers amoureux 
        en tous genres
 ---------Alliès, deuxième et 
        troisième amoureux
 ---------Dessonville, premiers comiques en 
        tous genres. Les Arnal, Odry, Vernet, etc...
 ---------Thurbet, les financiers et troisièmes 
        rôles
 ---------Vermez, deuxièmes comiques
 ---------Givot, grimes et caricatures
 ---------Adolphe, utilités.
 ---------Mmes Sandré, les grandes 
        coquettes, premiers rôles ---------Richetti, 
        premiers rôles
 ---------Mauroy, les jeunes premières 
        en tous genres, ingénuités, travestis
 ---------Caroline, soubrettes en tous genres
 ---------Grainer, deuxième et troisième 
        amoureux
 ---------Louise, deuxième et troisième 
        amoureux
 ---------Gardem, les duègnes et les 
        mères nobles.
 
 ---------Nous pouvons dire que le succès 
        de ce théâtre fréquenté par la plus haute société 
        de la Colonie, dépassa largement tous les espoirs. Le nombre des 
        spectateurs grandissait sans cesse. Faute de place, on se trouvait bien 
        souvent dans l'obligation de fermer les guichets, alors qu'une foule encore 
        considérable stationnait sur la chaussée étroite.
 |  | 
 ---------Toutefois, ce n'est que vers 1850 
        qu'il fut décidé d'agrandir la salle. M. Robinot-Bertrand, 
        chargé de mener les travaux à bonne fin, sut, à cette 
        occasion, tirer le meilleur parti du vieil immeuble.
 ---------Les travaux, auxquels contribuèrent 
        les condamnés du colonel Marengo, furent achevés le 15 Septembre 
        1851 et, sans tarder, l'on ouvrit les portes.
 ---------Cependant, bien que remanié 
        et assez considérablement agrandi, le théâtre de la 
        rue de l'état-major devenait par trop insuffisant. Les citoyens 
        responsables se trouvaient entièrement d'accord sur la nécessité 
        urgente de construire enfin un édifice digne de la ville. Or, une 
        question les divisait et les divisa longtemps. Sur quel emplacement devait 
        être construit cet édifice ? A vrai dire, le choix était 
        plutôt limité, et il aurait pu limiter la discussion. Il 
        n'en fut rien. Au contraire. On discuta à perte de souffle : l'humour 
        et, reconnaissons-le, le ridicule, se partageaient ces palabres.
 ---------M. Poirel Ingénieur des Ponts 
        et Chaussées qui, conscient de l'avenir d'Alger, tenait en réserve 
        le plan d'une salle de deux mille places, avait amorcé en 1837, 
        une première discussion sérieuse. Elle n'aboutit à 
        rien. En 1846, M. le conseiller Ballyet, rapporteur, reprit l'affaire 
        en conseil d'administration : il proposait de construire le théâtre 
        sur la face ouest de la place du Gouvernement qu'il considérait 
        comme étant le seul dégagement à retenir. Mais l'opposition 
        s'insurgeait. Invoquant la présence de la Cathédrale et 
        de l'Archevêché aux alentours de la place, elle objectait 
        que le voisinage d'un Opéra n'y serait guère souhaitable 
        et proposait le choix d'un terrain aux abords du square Bab-Azoun.
 ---------Ce à quoi M. le Conseiller 
        Rolland de Bussy répondait, qu'en se décidant pour le square 
        de la porte Bab-Azoun, refuge des automédons et des chariots de 
        transport, on choisissait un coin " peu fréquenté 
        " - ce sont ses propres paroles - voué aux travaux de voirie, 
        encombré, où les spectateurs " 
        redouteraient de se rendre, par le plus léger mauvais temps " 
        !
 ---------Et la discussion continuait.
 ---------Enfin, en 1849, une note ministérielle 
        enjoignit au Conseil Municipal de trancher l'affaire et d'en décider 
        une fois pour toutes.
 ---------Ce fut le signal du rassemblement 
        et l'effet produit fut immédiat : des palabres le Conseil Municipal 
        passa à l'action et ainsi fut choisi l'emplacement actuel.
 
 ---------L'entrepreneur Sarlin avait soumis au Conseil Municipal 
        le projet de deux architectes : MM. Frédéric 
        Chassériau, ancien architecte des bâtiments civils 
        et Ponsart, architecte de Toulon.
 M. Sarlin se chargeait de la construction 
        dans des conditions exceptionnelles, puisqu'elles rendaient quittes de 
        toute dépense et le Gouvernement et la ville, lesquels cédaient 
        en compensation sept mille mètres carrés de terrain dans 
        la Djénina.
 En tous cas, le plan Chassériau-Ponsart fut agréé, 
        sans doute après de nouvelles joutes oratoires, de nouvelles réticences 
        et de nouveaux enthousiasmes.
 
 ---------Frédéric Chassériau, 
        principal artisan de uvre, né le 29 Janvier 1802 à 
        Port-au-Prince, fils d'un général d'Empire, se destina, 
        tout d'abord, à la carrière militaire. Reçu à 
        l'École spéciale de Saint-Cyr en 1819, il démissionna 
        peu après l'ouverture des cours, n'ayant pu obtenir une bourse 
        d'études. Il se fit alors inscrire à l'École des 
        Beaux-arts de Paris, où il fut élève de Mesnager. 
        II obtint en 1824 son diplôme d'architecte.
 Frédéric Chassériau eut une carrière des plus 
        actives, au cours de laquelle il occupa de nombreux postes de premier 
        plan. C'était un homme d'une belle intelligence, d'un grand savoir, 
        d'une sûreté de vue peu commune.
 ---------Nous le trouvons, successivement, 
        Inspecteur de la grande voirie de la ville de Paris ; chargé d'importants 
        travaux à Alexandrie d'Égypte ; Directeur des Travaux publics 
        à Marseille (1833-1839).
 ---------Puis, en 1849, architecte 
        en chef de la ville d'Alger, poste qu'il occupa par deux fois encore, 
        en 1859 et 1874.
 ---------Son oeuvre algéroise est 
        importante. Il est l'auteur, notamment, d'un projet de ville moderne " 
        Alger-Mustapha " (1858), d'un projet de Musée et du plan 
        des voûtes et façades monumentales du boulevard de l'Impératrice, 
        aujourd'hui boulevard Maréchal Pétain.
 ---------Frédéric Chassériau 
        était l'oncle de Théodore Chassériau, peintre orientaliste, 
        né à Saint-Domingue le 20 Septembre 1819, mort à 
        Paris le 8 octobre 1856.
 ---------Théodore Chassériau 
        est représenté au Musée National des Beaux-Arts d'Alger 
        par de nombreuses toiles ou dessins, donnés, la plupart, par le 
        Baron Arthur Chassériau, que beaucoup d'Algérois ont connu 
        et tenu en haute estime.
 Arthur Chassériau naquit à Alger, au numéro 15 de 
        la rue de Tanger, où Frédéric Chassériau avait 
        installé son bureau d'archifecte.
 
 ---------Une légende ridicule a longtemps couru sous le 
        manteau : le suicide de Frédéric Chassériau, inconsolable 
        d'avoir " commis quelques erreurs " dans l'élaboration 
        de ses plans de l'Opéra d'Alger.
 ---------L'Opéra a été 
        achevé en 1853 ; Chassériau est mort quarante-trois ans 
        après, en 1896. Le rapprochement de ces dates suffit à détruire 
        la légende.
 ---------Mais ne disait-on point, entre gens 
        bien renseignés, que Marochetti, l'auteur 
        de la statue équestre du Duc d'Orléans inaugurée 
        à Alger le 25 Octobre 1845 s'était, lui aussi, envoyé 
        du plomb dans la tête parce qu'il avait omis de placer une gourmette 
        au mors de bride de son cheval ?
 ******* ---------Qu'était au juste, cette 
        Djénina, objet de la transaction ? Djénina - petit jardin 
        - désignait alors plus exactement - nul ne sait pourquoi - un groupe 
        de maisons de style mauresque qui s'étendait, vraisemblablement, 
        de l'actuelle Place du Gouvernement au Square Bab-Azoun et servait, avant 
        la conquête, de résidence au Gouvernement turc. Pour cette 
        raison, les indigènes la tenaient en grande vénération.
 ---------La Djénina, " Dar et 
        Sultan et Khédima " - la vieille maison du Sultan - fut morcelée 
        au gré des ans et de la fantaisie des Pouvoirs publics. Peu à 
        peu, cours voûtées (l'une d'entre elles servit de cadre à 
        la fin tragique de Martin de Vargas, le défenseur 
        du Pénon), colonnades, fontaines aux faïences multicolores, 
        dômes ajourés, disparurent.
 ---------Au moment de la construction de 
        l'Opéra, la Djénina dévastée par un incendie 
        en 1845, avait à peu près complètement disparu et 
        il n'en restait qu'un vaste terrain.
 *****  ---------Un décret 
        du 10 Août 1850 signé de Louis-Napoléon Bonaparte, 
        Président de la République, contresigné du Ministre 
        de la Guerre d'Hautpoul et du Conseiller civil rapporteur Louis Majorel, 
        pour le Gouverneur Général de l'Algérie, autorise 
        la concession gratuite à la Commune d'Alger, du terrain nécessaire 
        à la construction du théâtre et à la transaction 
        dont nous venons de parler.---------Le texte de ce décret, assez 
        long, est pour notre historique d'une importance qui n'échappera 
        pas au lecteur
 
 ---------Au nom du Peuple Français,
 ---------Le Président de la République,
 ---------Sur le rapport du Ministre de la 
        Guerre, le Conseil de Gouvernement de l'Algérie préalablement 
        entendu ;
 ---------Vu les ordonnances des 28 Septembre 
        1847 et 31 Janvier 1848, relatives à l'organisation des municipalités 
        en Algérie et à l'érection de la ville d'Alger en 
        commune ;
 ---------Vu l'arrêté du Président 
        du conseil, chargé du Pouvoir exécutif, en date du 16 Août 
        suivant, concernant l'établissement des dites municipalités 
        ; Vu les art. 4-7 et 8 de l'arrêté du Chef du Pouvoir exécutif 
        du 4 Novembre 1848,
 sur la constitution de la propriété et de la dotation immobilière 
        des communes de l'Algérie ;
 ---------Vu les délibérations 
        du Conseil municipal de la ville d'Alger, en date des 7 Août 1849 
        et 14 Février 1850 relatives au projet de construction d'un théâtre 
        communal sur le terrain domanial, sis à Alger, à l'ouest 
        de la place Bresson moyennant un prix fixé à forfait avec 
        les soumissionnaires à 820.000 Fr., payable en terrains communaux 
        ;
 ---------Vu la décision du 23 Juillet 
        1850, par laquelle le Ministre de la guerre, sur la proposition du Préfet 
        du département d'Alger et l'avis du Gouverneur Général, 
        a approuvé les délibérations et le projet dont il 
        s'agit, ensemble l'arrêté ministériel dudit jour, 
        23 Juillet, qui fixe les alignements des terrains destinés soit 
        à recevoir cet édifice, soit à être livrés 
        par la commune pour l'acquit des charges de l'entreprise ;
 ---------Vu les plans et pièces à 
        l'appui ;
 ---------Considérant que les recettes 
        ordinaires et extraordinaires de la ville d'Alger sont entièrement 
        absorbées par ses dépenses et qu'il y a lieu, conformément 
        à l'arrêté susvisé du 4 novembre 1848, de venir 
        à son aide par subvention, en lui concédant des terrains 
        et bâtiments domaniaux disponibles, à la charge de les affecter, 
        partie à l'emplacement du théâtre et des rues projetées, 
        partie au paiement du prix stipulé pour la construction de cet 
        édifice,
 
 ---------DÉCRÈTE
 ---------Art. 1er - 
        Il est fait concession gratuite à la commune d'Alger d'un terrain 
        domanial d'une superficie d'environ 2.562 mètres carrés, 
        situé à l'ouest de la place Bresson, à Alger, ledit 
        terrain comprenant : 1 ° au centre, une parcelle d'une contenance 
        de 1.500 mètres, et qui devra être affectée à 
        la construction même du théâtre projeté ; 20 
        au sud, une parcelle d'une contenance d'environ 255 mètres, déduction 
        faite d'une parcelle appartenant à un tiers ; 3° au nord, une 
        parcelle d'une contenance d'environ 575 mètres ; 4° et à 
        l'ouest, une parcelle d'une contenance d'environ 232 mètres ; ces 
        trois dernières parcelles à attribuer en totalité 
        à l'ouverture des trois rues destinées à desservir 
        le théâtre.
 ---------Art. 2. - 
        Il est également fait concession gratuite à la commune d'Alger 
        des terrains domaniaux, bâtis ou non bâtis, d'une superficie 
        totale d'environ 7.000 mètres 85 centimètres carrés, 
        situés à l'ouest de la place du Gouvernement, entre les 
        rues Porte-Neuve et de Chartres, la place de la Cathédrale, et 
        les rues Bruce, Jénina et Bab-el-Oued, lesdits terrains se composant 
        des parcelles suivantes, savoir :
 ---------1° îlot d'une contenance 
        d'environ 998 mètres, déduction faite d'une propriété 
        particulière d'une superficie d'environ 52 mètres ;
 ---------2° îlot d'une contenance 
        d'environ 1.120 mètres ; lesdits îlots actuellement disponibles 
        ;
 ---------3° îlot d'une contenance 
        d'environ 220 mètres, mais comprenant une partie du palais épiscopal, 
        qu'il n'y aura lieu de livrer à la commune qu'à l'époque 
        indéterminée et facultative où l'État jugera 
        convenable d'attribuer une autre résidence à l'Évêque 
        d'Alger ;
 ---------4° îlot d'une contenance 
        d'environ 625 mètres comprenant partie du bâtiment de la 
        Djenina, ainsi que diverses boutiques bordant le passage du Divan, et 
        réserves faites des droits des tiers qui paraissent élever 
        des prétentions de propriété ;
 ---------5° îlot d'une contenance 
        d'environ 525 mètres, déduction faite d'une maison particulière 
        d'une superficie d'environ 75 mètres et comprenant partie du bâtiment 
        de la Djenina, de la Manutention et de l'Évêché, pour 
        lesquels la réserve exprimée au N° 3 ci-dessus est également 
        faite ;
 ---------6° îlot d'une contenance 
        d'environ 1.074 mètres 85 centimètres, comprenant la partie 
        des bâtiments de la Djenina et de la Manutention militaire ;
 ---------7° îlot d'une contenance 
        d'environ 302 mètres et comprenant partie des bâtiments de 
        la Manutention ;
 8° îlot d'une contenance d'environ 2.136 mètres, et comprenant 
        le surplus des bâtiments de la Manutention.
 Lesdits îlots non disponibles immédiatement.
 ---------Art. 3. - 
        Sous les réserves relatives à l'Évêchéet 
        aux propriétés privées, le département de 
        la guerre fera remise à la commune d'Alger des immeubles domaniaux 
        bâtis ou non bâtis et susmentionnés aux époques 
        ci-après déterminées, à savoir
 Les terrains disponibles, désignés à l'art. 107 ci-dessus, 
        seront immédiatement livrés à la commune ;
 ---------Les terrains et bâtiments 
        également disponibles et composant les îlots de l'art. 2, 
        seront remis dans le délai d'un mois.
 ---------Art. 4. - 
        La commune d'Alger devra attribuer les terrains compris à l'article 
        107 du présent décret à l'emplacement du théâtre 
        dont la construction a été autorisée, ainsi qu'à 
        l'ouverture des rues qui doivent le desservir,
 ---------Elle sera tenue d'employer successivement 
        le surplus des immeubles présentement concédés à 
        l'acquit des charges de cette entreprise et à l'ouverture des rues 
        projetées sur les terrains de concession à l'ouest de la 
        place du Gouvernement ; le tout conformément au traité passé 
        entre elle et les soumissionnaires de l'entreprise du théâtre, 
        et suivant le tracé des alignements arrêtés pour ces 
        parties de la ville d'Alger.
 ---------Art. 
        5. - Il est expressément fait abandon à la commune 
        des matériaux de démolition des bâtiments présentement 
        concédés. Toutefois, lors de la démolition, elle 
        devra faire remise à l'administration départementale des 
        colonnettes et embrasures de portes en marbre qui pourraient exister dans 
        lesdits bâtiments, comme aussi des objets d'art ou d'antiquité 
        qui seraient trouvés sous le sol.
 ---------Art. 
        6. - Le Ministre de la Guerre est chargé de l'exécution 
        du présent décret qui sera inséré au " 
        Bulletin Officiel des Actes du Gouvernement " et publié au 
        " Moniteur Algérien ".
 ---------Fait à Paris, le 10 Août 
        1850.
 ---------Signé : L.-N. BONAPARTE.
 Le Ministre de la Guerre,Signé : D'HAUTPOUL.
 Vu pour être promulgué en AlgérieAlger, le 9 Septembre 185o,
 LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL,
 Pour le Gouverneur Général 
        et par son ordreLe Secrétaire Général du Gouvernement, Pour le Secrétaire 
        Général du Gouvernement en congé
 Le Conseiller civil, rapporteur,
 L. MAJOREL.
 
  
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