| ---------Malgré 
        ses qualités réelles, malgré certains agréments 
        de ses multiples aspects, malgré tout le plaisir que nous avions, 
        les uns et les autres, à retrouver, au début de chaque saison, 
        cette même ambiance familière, l'Opéra de Chassériau-Oudot, 
        parfaitement conçu à l'origine, ne répondait plus 
        aux nécessités actuelles.---------Il 
        devenait urgent d'en corriger les imperfections. La recherche du confort 
        ne posait pas, seule, les données du problème ; il y avait 
        aussi la recherche d'une sécurité indispensable, rendue 
        précaire par la vétusté des diverses installations.
 ---------Il 
        fallait remanier la vieille maison. Il fallait lui donner un visage nouveau, 
        l'adapter aux exigences du moment.
 ---------Ce 
        fut l'oeuvre de la Municipalité Rozis.
 La conception de M. Rozis, Maire d'Alger, devait retenir l'attention et 
        s'imposer par son originalité, sa possibilité de réalisation.
 ---------Aussi, 
        la grande majorité du Conseil Municipal l'accueillit-elle avec 
        une compréhension qui l'honore.
 ---------Mais 
        il faut bien le dire, au cours de l'exécution des travaux -- qui 
        durèrent plus de deux ans - des difficultés inouïes 
        surgirent, engendrées par certains changements intervenus au sein 
        de l'Assemblée.
 ---------Cependant, 
        M. Rozis triompha. Il triompha, parce qu'il a une haute conception du 
        rôle que doit jouer la grande cité africaine, dans la diffusion 
        de cette pensée française dont le " Théâtre 
        " demeure une magnifique expression. Il triompha, parce qu'il est 
        terriblement tenace et que rien ne l'arrête quand il a la conviction 
        de travailler pour le bien de tous.
 ---------Il 
        suffirait au curieux de compulser les délibérations de 1938 
        - 1939 du Conseil Municipal, pour se rendre vraiment compte de l'énergie, 
        de l'esprit de suite, qu'il fallut au premier magistrat de notre ville 
        pour imposer son idée.
 ---------Des 
        oppositions de toute sorte se firent jour sur cette question. Elles se 
        manifestèrent parfois avec une rare violence ; mais elles ne furent 
        en somme qu'un obstacle passager.
 *********
       ---------Le projet 
        fut mis au concours entre tous les architectes français : pour 
        cette joute de grand style les concurrents furent nombreux, mais la palme 
        revint à deux architectes algérois, MM. Raymond Taphoureau 
        et Emmanuel Guermonprez.---------Je 
        n'ai certes pas l'intention de m'attarder ici sur les multiples études 
        exigées par l'élaboration du projet définitif conçu 
        dans un remarquable esprit de logique, de simplicité et de rigoureuse 
        méthode.
 ---------L'exécution 
        des travaux fut entreprise le 3 Avril 1937 et poursuivie sous la haute 
        direction et le contrôle de M. le Colonel Richier, premier adjoint, 
        Président de la Commission des Grands Travaux ; de M. Molbert, 
        Ingénieur en chef ; de M. Regeste, architecte-inspecteur et de 
        leurs collaborateurs.
 Elle fut terminée le 17 Décembre 1939.
 * **
       ---------Par un 
        discret hommage rendu à l'oeuvre d'ailleurs remarquable de Chassériau, 
        l'aspect du théâtre primitif a été, autant 
        que possible, très ingénieusement conservé : c'est 
        -à- dire que les éléments nouveaux de l'architecture 
        s'y conjuguent agréablement avec les nostalgiques évocations 
        du siècle dernier.---------Nous 
        le constatons dès l'entrée, dans ce hall esthétique, 
        d'une sobriété voulue, où l'ébénisterie 
        de bois précieux aux lignes châtiées tranche, sans 
        affecter l'oeil, avec le jeu splendide des cinq lustres de verre vénitien.
 ---------Nous 
        le constatons encore en embrassant d'un regard, à droite et à 
        gauche du péristyle, l'éloignement souple des circulations 
        et la naissance des grands escaliers de marbre blanc.
 ---------Nous 
        le constatons enfin et surtout lorsque, partant du grand foyer pour gagner 
        la salle, nous passons, par transitions savantes et méditées, 
        par recoupements habiles, d'une époque à une autre, d'une 
        image à une autre.
 ---------Avec 
        ses larges et hautes fenêtres cintrées, ses tentures rouges 
        et ses fauteuils de style, avec ses magnifiques lustres aux transparences 
        joliment irisées, ce grand Foyer garde encore l'expression raffinée 
        du luxe intime, qui fleurit sous le second Empire.
 ---------La 
        couleur des enduits est douce, harmonieuse. Aussi bien, retrouverons-nous, 
        partout, cette harmonie de tons aux dominantes subtiles d'or et de noir, 
        d'ocre et de rouge.
 
 ---------Auguste 
        Harzic, ancien pensionnaire de la Casa Vélasquez, a été 
        chargé de la décoration murale du Foyer. Il s'est acquitté 
        de sa tâche avec beaucoup de goût. Les éléments 
        dont il s'est servi sont d'une agréable originalité et d'une 
        gracieuse fantaisie.
 ---------Tirés, 
        semble-t-il, des fameuses singeries louisquinziennes, mêlant le 
        charme vénitien au charme persan, ces éléments s'inscrivent 
        sur le fond clair du revêtement, en motifs floraux ou animaliers, 
        en volutes et en rubans. C'est une floraison colorée aux tons majeurs 
        : brun, bleu et vert, que strient des rehauts d'or. La licorne et l'oiseau, 
        le violon et la mandoline, la corne d'abondance et la lyre, concourent 
        ici à une composition très sûre et charmante, d'une 
        inspiration curieuse.
 ***
       ---------Dans la 
        grande galerie d'accès, où aboutissent les deux escaliers 
        aux rampes de métal façonnées par le maître 
        ferronnier Raymond Sube, l'ornement est plus simple. Il accueille moins 
        les réminiscences. Il s'allège. Une seule concession au 
        vieux style : les appliques en verre de Venise.Point de lustres ; mais un éclairage indirect, dissimulé 
        dans un plafonnement à caissons.
 ---------Mêmes 
        tons. Mêmes rideaux pourpres. Même symphonie.
 ---------Mais 
        c'est là, dans cette galerie qui deviendra célèbre, 
        que se trouve, face au grand Foyer, le panneau d'Emile Aubry, Membre de 
        l'Institut.
 ---------M. 
        Rozis eut le grand mérite de confier à l'auteur des " 
        Temps Héroïques ", à l'auteur de la " Naissance 
        de Vénus ", du " Jugement de Paris ", de la " 
        Voix de Pan ", du " Jardin des Hespérides ", du 
        " Calvaire ", au peintre inoubliable de " l'Hommage aux 
        morts de la guerre ", la décoration principale de l'Opéra.
 ---------Il 
        est heureux en effet, qu'un homme de goût ait tenu ainsi à 
        attacher le nom d'un grand artiste algérien, à une réalisation 
        algérienne de premier plan.
 
 ---------J'ai suivi pas à pas pourrais-je 
        dire, les différentes étapes de ce beau travail. Je sais 
        donc la qualité de l'effort soutenu ; la nature des recherches 
        effectuées, la valeur de la documentation réunie. Je sais 
        avec quelle conscience, quel désir de perfection le maître 
        a composé le thème de son ouvrage, cette inoubliable représentation 
        du monde prestigieux de l'Opéra. Je sais encore avec quel amour 
        il en a poursuivi l'exécution et réalisé le merveilleux 
        ensemble.
 ---------Aussi 
        bien, ce fut pour moi un plaisir sans précédent, que de 
        pouvoir en toute liberté, admirer les croquis, les études 
        qui constituent par leur diversité, par l'agrément de leurs 
        suggestions pittoresques et inattendues, un travail préparatoire 
        considérable. Le croquis, parfois relevé d'une touche discrète 
        de gouache, le croquis multiple, preste, enlevé, décisif, 
        caractérise, soulignons-le en passant, la méthode de travail 
        d'Emile Aubry.
 ---------Quatre-vingts 
        personnages ont été étudiés, je puis dire, 
        sur le vif. Les modèles qui, durant des jours, se sont succédé 
        dans l'atelier parisien d'Emile Aubry, portaient les plus beaux costumes 
        du vestiaire de notre Académie nationale.
 ---------Ne 
        croyez pas, surtout, que je sois disposé à décrire 
        chacun de ces personnages ou chacun de ces groupes. J'ai décidé 
        de tourner la difficulté. Il faut assurément une plume plus 
        experte, pour dire avec le mot juste, ce que nous devons à l'anatomiste, 
        attentif au mouvement, à la souplesse des formes, des muscles et 
        des lignes ; ce que nous devons au styliste épris d'élégance 
        et de beauté.
 
 ---------Toutefois, 
        je tiens à revenir sur le thème choisi par Emile Aubry, 
        thème préalablement soumis à M. Rozis et à 
        son Conseil Municipal, qui donnèrent tout de suite leur agrément.
 ---------C'est 
        en raccourci, l'histoire de l'Opéra, contée dans un triptyque.
 ---------Entre 
        l'opéra italien, sous l'égide d'Apollon - personnifiant 
        le génie latin - et l'opéra allemand, dominé par 
        l'énorme figure de Votan, entre les personnages nés de la 
        divine fantaisie d'un Rossini, d'un Verdi et ceux forgés par la 
        légende nordique ou la Tétralogie, entre ces deux pôles, 
        se place l'opéra français.
 ---------Il 
        est plus humain cet opéra français, plus humain et plus 
        sensible. Il porte en lui, dans sa matière, dans son expression 
        même, cette mesure, cet enthousiasme raisonné, cet ordre 
        qui sont le propre de notre race.
 ---------L'amour 
        et la mort, au pied de l'orgue, se penchent sur les personnages des chansons 
        de geste, sur ceux des féeries costumées du Grand Siècle, 
        sur ceux de Glück, dans l'une des scènes les plus tendres 
        d'Orphée ; sur bien d'autres personnages encore...
 ---------Emile 
        Aubry a su, avec tact, communiquer à la foule populaire de ses 
        héros, de ses ballerines et de ses muses, le tressaillement d'un 
        frisson nouveau qui les place au delà des contingences ordinaires.
 ---------C'est, 
        à mon avis, à travers cette particularité qu'il faut 
        les voir et les comprendre.
 
 ---------Devant 
        cette immense guirlande, qui fait penser à quelque saisissant bas-relief 
        coloré, on s'abandonne au plaisir délicieux de sentir le 
        beau et la vie dans toute leur splendeur.
 ---------Ici, 
        rien n'est secondaire, ni indifférent. Aucune lassitude. Tout se 
        tient, tout est judicieusement calculé. L'accent est original, 
        neuf. Le dessin solide, impeccable. L'expression concise. L'unité 
        complète.
 ---------Cette 
        fresque, dont je voudrais avoir loisir de parler davantage, accuse parfaitement 
        la transition sur laquelle j'insistais au début de ces lignes : 
        ce passage du grand foyer dans la salle d'opéra, ce passage subtilement 
        indiqué d'une époque à une autre. Elle accuse parfaitement 
        cette transition, par le lien intime qui l'attache, d'une part, aux conceptions 
        les plus solides de l'art classique ; d'autre part, à l'ordonnance, 
        au choix limité des tons, à l'interprétation volontairement 
        simplifiée des formes. Et cette constatation nous conduit à 
        dire qu'Emile Aubry a situé son oeuvre au point où la tradition 
        fortement maintenue, rejoint les inspirations les plus modernes de notre 
        temps.
 ***********
       ---------Un agréable 
        sentiment de confort frappe le spectateur, quand il pénètre 
        dans la salle. Ce spectateur se rend compte, très vite, car l'ensemble 
        se livre au premier coup d'oeil, de l'immense effort soutenu par les architectes, 
        MM. Taphoureau et Guermonprez, pour atteindre ce but essentiel. Il remarque 
        ensuite, bien d'autres détails qui, tous, ont leur importance et 
        leur histoire. Il réfléchit, il se souvient de ce que fut 
        " l'ancienne " salle et, appelant le passé, il fait d'inévitables 
        comparaisons...---------Ainsi, 
        au cceur de l'immense vaisseau rajeuni, dans une chaude ambiance de faste 
        sobre, s'établit le contact émouvant avec les ressouvenances 
        sentimentales...
 ---------La 
        difficulté était grande pour les architectes. Les obstacles 
        énormes.
 ---------Tout 
        d'abord, l'obligation de modifier les structures existantes, sans nuire 
        à la stabilité des masses à conserver absolument 
        ; ensuite, la nécessité de se conformer au parti général 
        de l'architecture qui exigeait en particulier
 ---------a) 
        de ne pas déplacer le niveau des planchers des foyers, galeries 
        ou dégagements (maintien des baies des anciennes façades) 
        ;
 ---------b) 
        de ne pas avoir d'appui dans la salle ;
 ---------c) 
        de réduire en nombre et changer de plan les points d'appui des 
        planchers du Foyer ;
 ---------d) 
        d'agrandir les baies de passage entre les sorties de la salle et les dégagements 
        latéraux ;
 ---------e) 
        de modifier les emplacements et dispositions des escaliers. Or, ces obstacles 
        ont été surmontés.
 ---------Plus 
        d'ornements superflus. Les stucs qui alourdissaient les corniches ont 
        disparu.
 ---------La 
        visibilité, ce grand souci, est bonne. Tous les points d'appui 
        gênants ont été supprimés : le ciment armé 
        permet de ces hardiesses...
 ---------Chacune 
        des places de ce parterre ou de ces trois balcons en hémicycle, 
        offre au spectateur un plaisir de plus, infiniment appréciable 
        : celui d'être à l'aise. Les loges officielles, avec leur 
        éclairage particulier, sont disposées de face, au premier 
        balcon. Elles sont tendues de soieries.
 ---------L'éclairage, 
        cet autre grand souci, est diffus, discret et commode. Il recrée 
        une atmosphère de recueillement indispensable. Il n'a pas uniquement 
        pour mission de faire valoir les toilettes et les bijoux, il laisse surtout 
        ce soin aux lustres du Grand Foyer, mais il fait chanter la pourpre du 
        rideau de scène, la pourpre des fauteuils et des tapis, l'or des 
        revêtements.
 ---------Le 
        jeu des nuances est puissant. Le jeu des formes, classique. L'un et l'autre 
        ont leur agrément.
 
 ---------J'ai 
        toujours eu beaucoup d'estime pour le jeune sculpteur algérien 
        André Greck, grand prix de Rome, pensionnaire de la Villa Médicis. 
        J'ai toujours apprécié chez cet élève de Jean 
        Bouchet, une rare souplesse de talent, une simplicité rigoureuse, 
        l'art enfin, d'une interprétation directe et forte de la vie.
 ---------Il 
        était juste que les architectes songeassent à lui, quand 
        ils eurent l'idée de couronner le cadre de scène par un 
        motif allégorique.
 ---------M. 
        Greck s'est inspiré de la mythologie. Son " Triomphe d'ApolIon 
        " est traité dans un sentiment très personnel et dans 
        un esprit architectural bien adapté.
 
 ---------Charles 
        Brouty a peint le rideau de fer. Lyres, tambourins, 
        masques et étoiles d'or, encadrés d'un ruban. Une grande 
        simplicité.
 ---------Bien 
        entendu, on ne saurait juger Brouty sur ce morceau d'originalité 
        et de fantaisie, dont l'exécution présentait, on voudra 
        bien le retenir, de sérieuses difficultés.
 ---------Ce 
        récent lauréat du Grand Prix artistique de l'Algérie, 
        qui fut pensionnaire de la Casa Vélasquez, se donne la satisfaction 
        assez rare de peindre selon ses propres goûts. Son art est spontané, 
        son métier subtil. Chez lui, le sujet ne laisse aucune place à 
        la littérature.
 ---------Ses 
        dessins, ses croquis pris sur le vif d'un crayon amusé, libre, 
        fougueux, sont d'une verve, d'un brio étourdissants.
 ********** ---------Le problème 
        de l'isolation phonique et de l'acoustique est particulièrement 
        complexe et difficile. Du moins, je l'ai souvent entendu dire ; et je 
        le crois volontiers.---------Il 
        n'a pas été négligé, car il est essentiel.
 ---------Aussi 
        bien, MM. Taphoureau et Guermonprez, se sont-ils préoccupés, 
        avant tout, des données nouvelles que ce problème allait 
        imposer.
 ---------C'est 
        ainsi que M. Brillouin, l'éminent spécialiste parisien, 
        le technicien remarquable du Palais de Chaillot, fut appelé en 
        conseil pour la conception acoustique de la nouvelle salle, et fit les 
        essais avant et après les transformations.
 ---------Ces 
        expériences comparatives, ont permis d'atteindre pleinement le 
        but fixé.
 ---------J'eus 
        l'occasion de me trouver dans la salle, tandis que des mains inconnues 
        faisaient vibrer la grande voix des orgues. Je n'oublierai jamais cette 
        minute intense, dispensatrice de sensations rares, qui devait renseigner 
        éloquemment les acousticiens sur la qualité heureuse de 
        leur plan.
 ---------Au 
        delà du rideau, au delà de ses longs plis droits et majestueux, 
        commence - beaucoup ne le soupçonnent qu'à demi - tout un 
        monde curieux, gigantesque, grouillant et compliqué ; un mélange 
        de vie intense et d'activité étourdissante, de pittoresque 
        et de couleur.
 ---------Je 
        rencontrai, un soir, entre deux montants, au moment où il descendait 
        d'une échelle de fer, l'un des techniciens du plateau. Je lui posai 
        diverses questions assez maladroites, suffisamment maladroites, pour que 
        cet homme de l'art me parut surpris. Et je devinai à cette surprise, 
        qu'il ne cherchait pas le moins du monde à dissimuler, que l'objet 
        de notre conversation était beaucoup plus sérieux, beaucoup 
        plus compliqué, beaucoup moins accessible au commun des mortels.
 ---------Ce 
        technicien m'en donna la preuve aussitôt, et je compris alors combien 
        il avait raison et combien j'étais ignare.
 ---------J'appris 
        comment on monte un décor, comment on le démonte, comment 
        on le choisit entre cent et sans la moindre hésitation. J'appris, 
        si peu il est vrai, à me reconnaître dans ce fouillis inextricable 
        et méthodique de cordages, poulies, poutres, barres, fils, échelles 
        et passerelles.
 
 ---------La 
        scène a fait l'objet d'un soin incomparable. Elle a été 
        dotée des toutes dernières innovations techniques. On n'a 
        rien négligé pour qu'elle soit ce qu'elle est aujourd'hui 
        : l'une des mieux équipées, des mieux organisées, 
        des mieux dotées de matériel et d'installations modernes.
 ---------La 
        lumière y joue un rôle de premier plan.
 ---------Elle 
        a, dans ce domaine extraordinaire, des attributions multiples, prodigieuses. 
        Elle doit y créer l'illusion, elle doit donner au spectateur, par 
        l'intermédiaire de simples foyers lumineux (lanternes à 
        écrans multicolores ; rampes ; projecteurs, disposés sur 
        les côtés du plateau, dans les cintres et dans le cadre de 
        scène), une représentation de la nature aussi fidèle 
        que possible.
 ---------Des 
        herses, munies de tous les perfectionnements, permettent de projeter, 
        sur une toile de fond semi-elliptique de dix-sept mètres de hauteur 
        et vingt-sept mètres de développement, à laquelle 
        on a donné le nom assez barbare, mais expressif de cyclorama, un 
        faisceau de rayons blancs ou colorés qui, utilement combinés, 
        créeront les ciels sereins ou chargés de menaces. De plus, 
        les images, la pluie, la neige, seront restituées par le truchement 
        rénové des lanternes magiques.
 ---------L'impression 
        de profondeur et de vérité ainsi obtenue, vraiment étonnante, 
        complète singulièrement l'action scénique.
 ---------Le 
        cyclorama fixé verticalement au grand cintre, se déplace 
        avec beaucoup de facilité, sur un chemin de fer. On le roule, on 
        le déroule, au gré des besoins. Sa place habituelle, quand 
        il ne sert pas, est dans un coin, côté cour où, perpendiculairement 
        à la scène, il tient aussi peu d'espace que possible. Son 
        emploi a rendu inutile le lot encombrant des frises et des châssis.
 ---------La 
        manoeuvre de l'équipement électrique (salle et scène) 
        est extrêmement simple.
 ---------Un 
        imposant jeu d'orgue la commande. De nombreuses manettes et volants permettent, 
        chacun, la gradation nécessaire des feux. A cet effet, l'ingénieur 
        luminariste, dont il ne faut pas mésestimer le rôle, est 
        en communication constante avec le metteur en scène, le régisseur, 
        les machinistes, les chefs de figuration.
 ---------Là 
        encore, le synchronisme est parfait.
 ---------Ainsi 
        que nous avons pu le noter, rien n'a été négligé 
        pour le confort de la salle, pour l'équipement de la scène, 
        pour l'appareillage électrique.
 ---------On 
        comprendra mieux dès lors, que les architectes n'aient point manqué 
        d'accroître les conditions de sécurité.
 Leur premier soin a été de supprimer les installations en 
        bois et d'immuniser celles qui, pour une raison majeure ont dû être 
        conservées.
 ---------D'une 
        manière générale, le bois a cédé la 
        place au béton armé.
 ---------M. 
        Blanchard, Ingénieur des Arts et Métiers, technicien d'une 
        sûre compétence, avait pour tâche l'étude approfondie 
        des divers éléments de ce matériau.
 ---------J'ai 
        tenu à ce que l'on n'ignorât point la contribution, certainement 
        très importante, de cet ingénieur.
 ****** ---------Dans la 
        partie haute du cadre de scène, au-dessus du grill, des experts 
        ont installé un minutieux appareil d'extinction.---------Cet 
        appareil de grand secours - je me sers de l'appellation exacte - vise, 
        avant tout, à une inondation méthodique et rapide de la 
        scène, des décors, des accessoires. Le soin de cette opération 
        serait confié, le cas échéant, à douze pommes 
        déversoirs et à deux écrans d'eau, dont le rôle 
        principal consisterait à refroidir les rideaux de fer isolant le 
        plateau de la salle et de l'arrière-scène.
 ---------Ai-je 
        besoin d'ajouter que les canalisations et les réservoirs sont constamment 
        tenus en état d'alimenter le système de déversion 
        ?
 ---------Deux 
        vannes de manceuvre, l'une côté cour, l'autre côté 
        jardin, commandent ce dispositif d'une conception vraiment rassurante, 
        complété d'un matériel accessoire bien adapté 
        et distribué.
 ---------Des 
        détecteurs placés dans les locaux d'arrière-scène 
        (magasin aux costumes, ateliers, bibliothèque, archives, réserves, 
        etc...) peuvent signaler au moyen d'une sonnerie, toute élévation 
        anormale de température, tandis qu'un voyant lumineux alerte, en 
        même temps, le concierge dans sa loge.
 ---------Les 
        détecteurs se trouvant disposés en huit groupes distincts 
        et chaque groupe correspondant à un voyant spécial, il est 
        aisé, lorsque la sonnerie retentit, de déterminer l'endroit 
        précis où il convient d'intervenir.
 ---------Enfin, 
        à toute heure de jour et de nuit, une équipe de surveillants 
        effectue dans le bâtiment des rondes attentives, dûment contrôlées.
 ******* |  | ----------Je dirai 
        ici un mot des circulations dont l'importance, on ne l'ignore pas, est 
        primordiale. Non pas seulement pour la seule commodité du public, 
        ce qui, déjà, serait appréciable, mais encore pour 
        le rôle très improbable, je le reconnais, qu'elles seraient 
        appelées à jouer en cas d'évacuation rapide.---------Les 
        circulations verticales ont été considérablement 
        modifiées, les grands escaliers desservant les étages ont 
        bénéficié d'un large développement. Ils sont, 
        de plus, doublés de deux escaliers de secours, fort justement compris.
 ---------Les 
        circulations horizontales également remaniées, sont beaucoup 
        plus accueillantes.
 ---------L'éclairage 
        y est distribué par des appareils diffuseurs apparents, placés 
        en appliques.
 ---------Cet 
        éclairage normal est complété par un éclairage 
        de sécurité, indépendant du secteur public. Des ampoules 
        à lumière bleue, balisent, en quelque sorte, les directions 
        de sortie.
 ---------Une 
        installation de chauffage central existait dans le théâtre 
        de 1936. Seules pourtant, les dépendances étaient chauffées 
        à l'exclusion de la salle.
 ---------Aujourd'hui 
        il n'en est pas de même ; et l'on a adopté un mode de diffusion 
        de chaleur absolument parfait.
 ---------Les 
        radiateurs à eau chaude existant ont été conservés 
        et desservent les parties arrière du bâtiment, appelées 
        à être constamment occupées : loges d'artistes et 
        toilette, bureaux, salle de répétition de danse, arrière-scène, 
        salle des décors, etc...
 --------Pour 
        le hall d'entrée, les couloirs de circulation, le grand foyer et 
        les promenades, on fait usage de radiateurs électriques directs, 
        permettant une mise en régime instantanée pendant les représentations, 
        et l'arrêt immédiat, après le début du spectacle.
 ---------La 
        salle proprement dite a été dotée d'un système 
        combiné de ventilation et de chauffage.
 ---------Ce 
        dispositif, qui assure le renouvellement constant et le réchauffage 
        de l'air par batteries électriques sera, ultérieurement, 
        complété par un appareil de réfrigération.
 ---------Réalisations 
        importantes, qui ne manqueront certes pas d'être appréciées.
 ---------Les services administratifs, le bureau 
        du Directeur, les loges d'artistes ont fait l'objet des mêmes soins 
        ; le même souci de confort, d'utilité pratique, de sobre 
        élégance a présidé à leur aménagement. 
        Les murs sont peints de couleurs claires, gaies ; l'ameublement est commode, 
        spécialement adapté, d'un entretien facile.
 ---------Des 
        salles de bains-douches, réparties par groupes de loges, procurent 
        aux artistes cet indispensable bien-être, trop longtemps et trop 
        inconsidérément négligé.
 ---------Les 
        ouvertures étaient étroites, insuffisantes. Ces ouvertures 
        ont été modifiées et agrandies. L'affaiblissement 
        consécutif des trumeaux, a été compensé par 
        l'adjonction de cadres en béton armé.
 ---------La 
        partie postérieure du théâtre était précédemment 
        aménagée en terrasse. La robustesse des murs de cet ouvrage 
        a permis l'établissement d'un édifice en surélévation, 
        où est installé l'atelier des décors.
 ---------Cet 
        atelier est vaste et bien conçu. Il répond parfaitement 
        à sa destination. Au centre, un grand lanterneau à ouvertures 
        verticales distribue la lumière et assure la ventilation.
 ---------Le 
        plancher a été exécuté en béton armé, 
        avec panneaux de dalles de verre.
 ---------M. 
        Numa, spécialiste parisien, décorateur de grand renom et 
        artiste distingué, est venu mettre au point la très importante 
        question des décors.
 ---------J'ai 
        pu voir M. Numa. C'est un homme charmant, d'une grande simplicité 
        et d'une grande modestie. Il aime son métier, qu'il sert avec goût, 
        avec intelligence, avec passion pourrai-je dire. J'ai pu, également 
        voir son ceuvre, ses croquis, ses dessins, ses plans, ses maquettes, ses 
        gouaches, qui sont ravissants et pleins des plus sûres et des plus 
        belles qualités.
 ---------Emile 
        Aubry lui-même, a rendu hommage à cet artiste ; il s'est 
        plu à faire l'éloge de ses étonnants panoramas de 
        villes, de ses extraordinaires paysages montagneux, de ses beaux jardins, 
        brossés avec art et surtout, avec une science surprenante du relief 
        et de la perspective.
 ---------M. 
        Thobie, chef décorateur de l'Opéra d'Alger, sera le conservateur, 
        si je puis dire, du département de l'illusion.
 Charge difficile, qu'il ne faut pas méconnaître, et qui exige 
        de celui dont elle dépend, une attention constante, une sûreté 
        de vue peu commune et un solide talent.
 ---------M. 
        Thobie est à sa place. Nous en sommes convaincus.
 ---------Et 
        je ne terminerai pas ce chapitre, sans accorder au regretté Quignon, 
        qui fut, durant de très longues années, chef décorateur 
        de la vieille maison, une pensée émue.
 ---------Quignon 
        a laissé le souvenir aimable d'un bon camarade et d'un bel artiste. 
        Il bravait les difficultés avec vaillance et bonne humeur. Son 
        activité était débordante et ses initiatives heureuses.
 ---------Tous 
        ceux qui eurent l'occasion de l'approcher, éprouvèrent pour 
        lui une sympathie profonde.
 ************** ---------Les 
        grands travaux dont nous venons de parler longuement, s'achevèrent 
        dans la période angoissante et douloureuse des premiers jours de 
        guerre.---------Une 
        question se posa alors
 ---------" 
        Le Théâtre rénové, devait-il recommencer à 
        vivre ? "
 ---------Il 
        le devait. Pour les mêmes raisons impérieuses qui lui firent 
        un devoir de vivre en 1870 et en 1914.
 ---------Par 
        délibération du 27 Octobre 1939, 
        le Conseil Municipal, sous l'impulsion énergique de M. Rozis, Maire, 
        en décidait ainsi.
 
  
       ---------La soirée 
        d'inauguration fut, plus exactement, un hommage de sympathie et d'admiration 
        rendu à tous ceux qui avaient pu, malgré les écueils, 
        mener à bonne fin leur tâche difficile.---------Soirée 
        digne. A aucun moment elle ne perdit son caractère de gravité 
        et d'exception.
 ---------Au 
        premier entr'acte, MM. Rozis et Carrié, Directeur, suivis de nombreuses 
        personnalités, accompagnèrent M. Grégoire, Secrétaire 
        général du Gouvernement, représentant M. le Gouverneur 
        Général, au Grand Foyer. Là, eut lieu la présentation 
        des architectes, MM. Taphoureau et Guermonprez ; de MM. Harzic et Brouty, 
        artistes peintres et de M. Greck, sculpteur, auteurs des travaux de décoration.
 ---------M. 
        Rozis présenta également l'ceuvre admirable de M. Emile 
        Aubry, dont la présence ne fut pas l'un des moindres attraits de 
        cette cérémonie, suivie, dans l'éblouissement des 
        lumières, par une foule énorme, élégante, 
        où dominaient les uniformes militaires.
 ---------On 
        joua " Carmen ", dans les décors nouveaux de Numa. 
        Les interprètes, qu'une solide réputation précédait, 
        se donnèrent tout entiers à leur rôle. Je citerai 
        le quatuor meneur du jeu Mme Germaine Pape, Carmen pleine de mordant et 
        de charme ; M. Verdière, Don José chaleureux, ardent et 
        superbe ; M. Nougaro, Escamillo d'un relief surprenant ; Mme Denat, Micaëla 
        tout simplement exquise.
 ---------M. 
        Georges Lauweryns conduisit l'ouvrage avec une rare autorité.
 ---------Les 
        choeurs furent d'une qualité certainement inconnue jusque là. 
        J'en dirai tout autant des décors et notamment de ceux du 3e acte. 
        La scène des contrebandiers, sur les hauteurs de la Sierra, avec 
        ses effets de lumières, avec l'impressionnante illusion d'infini 
        que donnait le cyclorama, restera vraiment parmi les plus suggestives. 
        Et je n'aurai garde d'oublier les autres tableaux. Ils se présentèrent 
        comme autant d'estampes animées et du meilleur goût.
 
 ---------Au cours 
        des toutes dernières années notre Théâtre connut, 
        il faut bien l'admettre, une certaine défaveur. La faute certes, 
        n'en fut point aux Directeurs qui, successivement, veillèrent sur 
        ses destinées. lis firent chacun l'impossible pour attirer, intéresser 
        et retenir le public. Or, le public boudait.---------Aussi 
        bien, était-ce une gageure, que de vouloir " faire salle comble 
        ".
 ---------Mais 
        pourquoi le public boudait-il ?
 ---------Certainement 
        il avait ses raisons.
 ---------Je 
        les ignore. Prix des places ? Faiblesse de l'interprétation ? Obstination 
        à jouer des pièces vieillottes, souvent mauvaises ? Influence 
        du Cinéma devenu parlant 2 Peut-être.
 ---------Certains 
        experts en la matière penchent pour la brièveté du 
        spectacle qu'ils signalent comme un écueil sérieux.
 ---------A 
        bien y réfléchir, on accorde quelque créance à 
        l'existence de cet écueil.
 ---------Il 
        est difficile de " tenir " un public pendant trois heures d'horloge 
        pour entendre trois actes qui, somme toute, ne durent guère plus 
        d'une soixantaine de minutes et ne présentent souvent qu'un intérêt 
        tout relatif.
 ---------Le 
        cinéma, le music-hall, le cirque, que je ne prétends pas 
        comparer au théâtre, donnent cependant un spectacle plus 
        nourri, plus substantiel, si j'ose dire.
 ---------Autrefois, 
        le lever du rideau était annoncé pour sept heures. Souvent, 
        pour six heures un quart. Les pièces comptaient couramment cinq 
        ou six actes, et elles étaient précédées ou 
        suivies d'une comédie, d'un vaudeville, d'un divertissement...
 ---------Et 
        même au début du XIXe siècle, il était courant 
        de ne point couper le spectacle par des entr'actes. Les changements de 
        décors, assez laborieux, se faisaient à vue. Le spectateur 
        y trouvait un prétexte de plus à se divertir.
 ---------Mais 
        n'est-ce point là une tout autre histoire a laquelle je ne saurais 
        m'attarder ?
 ---------D'autant, 
        que je n'ai point encore parlé des archives de l'Opéra et 
        de la bibliothèque.
 ---------Après 
        avoir parlé de ces archives et de cette bibliothèque, aurai-je 
        enfin tout dit ?
 ---------Non 
        ! Loin de là !
 ---------Tant 
        il est vrai qu'une telle incursion à travers les fastes et les 
        pauvretés de la vie théâtrale algéroise, ne 
        va pas sans lacunes un fait important a pu m'échapper ; un détail 
        peut faire défaut qui, cependant, aurait eu son prix...
 
 ---------Les 
        archives de l'Opéra, je l'avoue, sont à peu près 
        inexistantes. Les pièces comptables, les dossiers de gestion ont, 
        au gré des événements et des circonstances, été 
        dirigés sur les services annexes de la Municipalité ou bien, 
        ont disparu fort à propos.
 ---------Nous 
        avons déjà parlé de liquidations désastreuses, 
        d'exploitations difficiles, de directions malheureuses. Aussi l'on comprendra 
        que la dispersion et la disparition de certains documents ait été, 
        souvent, jugée prudente...
 ---------La 
        correspondance, les contrats d'engagement, qui eûssent pu présenter 
        un certain intérêt, n'ont pas été conservés 
        : au cours des années, la plupart des archivistes se sont peu souciés 
        de leur classement. D'ailleurs il est fort probable que, très rarement, 
        on ait jugé bon de confier le métier délicat et difficile 
        d'archiviste à un homme de l'art.
 ---------J'ai 
        retrouvé, tout à fait par hasard, une feuille datée 
        du 17 Décembre 1890, portant autorisation de vendre à un 
        certain Samuel Benfredj, 2, rue du Divan, à Alger, un lot de " 
        vieux papiers " provenant des " caves " de l'Opéra.
 ---------J'imagine 
        ce qu'étaient ces " vieux papiers " et l'état 
        dans lequel ils devaient se trouver après un séjour de plusieurs 
        années dans les " caves " de l'Opéra...
 ---------II 
        y avait certainement là tout ce que l'incendie de 1882 avait épargné, 
        c'est-à-dire, le véritable noyau des archives officielles.
 ---------L'incendie 
        il est vrai, a, dans la question, une grande part de responsabilité. 
        Il a détruit non seulement la majeure partie des " vieux papiers 
        ", mais encore et surtout la bibliothèque musicale et dramatique 
        évaluée, dit-on, à trois cent mille francs.
 ---------Cette 
        bibliothèque, d'après le peu que nous en savons, était 
        assez richement dotée. Des acquisitions, des dons nombreux l'avaient, 
        en quelques trente ans, pourvue d'one collection considérable, 
        sinon complète, des principaux opéras et ballets. Elle contenait 
        en outre des partitions autographes, des manuscrits, dont la possession 
        constituerait aujourd'hui la meilleure source pour une étude du 
        théâtre algérien.
 ---------Je 
        passe sur le plaisir que nous aurions éprouvé à compulser 
        encore les partitions gravées, les rôles, les parties de 
        choeurs ou d'orchestre, truffés d'additions et de notes, de remarques 
        et de mots.
 ---------Je 
        passe sur la documentation inestimable que nous aurait fourni en outre, 
        un recueil méthodique des ordonnances, décisions, délibérations, 
        ordres d'achat, soumissions...
 ---------Et 
        les affiches donc ?
 Je sais, pour en avoir vu de rares reproductions, qu'il en fut de savoureuses 
        : petits chefs-d'oeuvre de naïveté et d'innocente prétention, 
        étonnantes par le texte et par l'image.
 ---------Et 
        les programmes ?
 ---------A 
        eux seuls ils eûssent constitué la plus vivante et la plus 
        fidèle histoire de l'Opéra. Leur intérêt iconographique 
        n'eut pas été moindre car, presque tous, du moins depuis 
        le début du XXe siècle, étaient illustrés 
        de portraits d'artistes, voire de directeurs, de chefs d'orchestre et 
        de metteurs en scène.
 ---------Or, 
        je l'ai déjà dit, les archives de l'Opéra n'existent 
        pas. Tout au plus, un effort louable est-il tenté depuis une dizaine 
        d'années pour réunir et mettre en ordre les pièces 
        dignes d'être épargnées.
 ---------La 
        bibliothèque musicale est relativement mieux partagée. Cela, 
        grâce au zèle vigilant et à la compétence du 
        bibliothécaire, M. Achille Riva, qui occupe ce poste depuis 1906.
 ---------M. 
        Riva, musicien soliste de talent, est une vieille et sympathique figure 
        algéroise, très connue dans le monde du théâtre.
 ---------Le 
        dépôt dont il a la conservation offre, malgré la vétusté 
        de certains numéros, d'excellentes ressources à l'étude. 
        De rares partitions remontent à l'origine de l'Opéra. Elles 
        sont d'ailleurs presque illisibles, couvertes de signes, de marques, de 
        traits au crayon et à la plume ou, ce qui est plus fréquent, 
        de larges taches de rouille.
 ---------Malgré 
        tout, on les regarde avec émotion. J'en ai vu qui portent encore, 
        nettement, la trace des coups de baguettes du chef d'orchestre et même, 
        dans les marges, des croquis hâtifs : silhouettes, profils, attitudes, 
        bien caractéristiques de l'époque où une main habile 
        les a saisis.
 ---------Outre 
        les partitions de chant et de danse, la bibliothèque possède 
        des morceaux de musique religieuse, de chant espagnol, italien et arabe.
 ---------Mais 
        rien dans tout cela ne présente une valeur documentaire sérieuse.
 ---------J'ajoute 
        que la plupart des oeuvres figurant au catalogue proviennent du fonds 
        de l'Opéra de Metz, acquis en 1886 par la Ville d'Alger.
 -
 --------Les magasins aux costumes et accessoires, 
        bien que n'ayant pas été touchés par les transformations 
        récentes, réclament quelques mots.
 ---------À 
        vrai dire, ils n'offrent pas un spectacle inédit. Ils ressemblent, 
        travée par travée, case par case, armoire par armoire, à 
        tous les magasins de tous les théâtres, Ils ont leur atmosphère 
        lourde et indéfinissable, leur faux air de musée régional, 
        et leur pittoresque indescriptible.
 ---------Il 
        y a là, aussi bien conservés que possible, les innombrables 
        costumes de tous les pays et de toutes les époques ; les uniformes 
        de toutes les armes et de tous les temps.
 ---------Il 
        y a là, les couvre-chefs les plus invraisemblables : turbans, boisseaux 
        de velours, tricornes et girondins, hauts de forme, casquettes, bombes, 
        shakos, bonnets à poil, montéras, casques grénelés, 
        casques coniques, casques cloutés, casques morions...
 ---------Il 
        y a là des armures de fer blanc fidèlement reproduites et 
        des armes sans nombre : arbalètes, épées, haches, 
        pistolets, fusils à pierre et à aiguille, arquebuses, poignards 
        enrichis de cabochons multicolores, qui brillent dans l'ombre... Et tant 
        d'autres glaives ou hallebardes d'acier ou de carton...
 ---------Que 
        dirai-je du magasin aux accessoires ? L'étalage extraordinaire 
        de notre curieuse Place de Chartres, peut en donner une idée. Mille 
        objets les plus disparates, meubles et ustensiles, encombrent les travées, 
        du parquet au plafond. Le lecteur connaît la plupart des objets 
        qui ont figuré dans les différents ouvrages du répertoire 
        et qu'on étiquette aussitôt en les découvrant : le 
        rouet de Marguerite ; la déesse, de Lakmé ; le clavecin, 
        de Werther ; le char d'Hérodiade ; les canons de Saint Ange, de 
        la Tosca ; les cornues, les grimoires, la coupe et le fauteuil du Docteur 
        Faust ; les dés et le cornet de Robert le Diable ; l'épée 
        truquée de Fernand, dans la Favorite ; le miroir de Thaïs 
        ; les enseignes d'Aïda et de l'Africaine...
 ******** ---------L'Opéra 
        se trouve placé au point le plus vivant de la ville. Un bouquet 
        de strélitzia géants et de palmes le sépare du square 
        Bresson---------Le 
        boulevard Maréchal Pétain, les rues de Constantine, Dumont 
        d'Urville, Bab-Azoun, 
         
         de la Liberté, 
        de Chartres, 
        du Hamma, Littré, les escaliers de la Lyre, le desservent 
        en quelque sorte.
 
 ---------Il 
        a donné lui-même naissance à deux passages : à 
        gauche, la rue Cadet-de-Vaux. A droite, la rue Corneille.
 L'une et l'autre de ces courtes rues mènent aux escaliers du marché 
        de la Lyre.
 ---------Je 
        ne dirai rien de Corneille.
 ---------Cadet 
        de Vaux, est certes moins connu.
 ---------Il 
        fut le second Maire d'Alger (9 Septembre 1830), après le Sous-intendant 
        Brugnière: M. Cottin lui succéda en 1832.
 ---------Sur 
        la façade, de part et d'autre des grands escaliers, figurent deux 
        plaques de marbre. Celle placée à gauche est due à 
        l'initiative du Comité du Vieil Alger, qui la fit apposer en 1912. 
        Elle porte l'inscription suivante
 
         
          | Comité du Vieil AlgerA la mémoire
 du poète REGNARD
 qui fut esclave à Alger
 de 1678 à 1681
 |  ---------J'ai dit, 
        plus avant, qui était le poète Régnard, né 
        le 8 Février 1655, " fils d'honorable 
        marchand de saline et d'une roturière ". Son aventure 
        aux pays barbaresques est suffisamment connue pour que je n'y insiste 
        point.---------Le 
        Comité du Vieil Alger avait eu, depuis longtemps, l'idée 
        d'ériger un buste du poète au Foyer de l'Opéra ; 
        mais cette idée ne put, je ne sais pourquoi, avoir de suite.
 ---------La 
        plaque de droite a été placée en 1939, après 
        l'achèvement des travaux. Due à l'initiative toute personnelle 
        du Commandant Max Perron, elle est ainsi libellée
 
        
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               A la mémoirede Michel CERVANTES SAAVEDRA
 Captif à Alger
 de 1575 à 1580
 |  ---------Miguel 
        Cervantès, auteur du célèbre roman de Chevalerie 
        " Don Quichotte de la Manche ", fut, tout comme Régnard, 
        prisonnier des Corsaires. Il devint, en 1575, l'esclave d'un rénégat 
        grec, Dali Mami. On sait, par ailleurs, son aventure en Alger : l'attente 
        déçue dans la grotte du Caïd Hassan ; la délation 
        du rénégat Espagnol ; les essais infructueux de nouvelles 
        évasions et enfin la libération, négociée 
        pour 500 écus d'or, par les Pères Rédempteurs. ********** ---------Par jeu, 
        délassement, tout au moins par goût du documentaire, les 
        peintres ont parfois reproduit sur la toile, ou sur le papier, le monument 
        de Chassériau.---------Il 
        me paraît utile de noter ce détail. Et même j'aurais 
        aimé connaître et consigner dans ces pages le nom de tous 
        ceux, grands artistes ou amateurs, qui se sont ainsi arrêtés 
        devant l'Opéra, crayon ou pinceau en main.
 ---------J'en 
        connais peu.
 ---------Albert 
        Lebourg, mort à Rouen le 7 Janvier 1928, nous a laissé un 
        croquis daté de 1875. René Hanin, né à Alger 
        le 25 Février 1875, a brossé une excellente esquisse.
 ---------Je 
        citerai également les oeuvres de Joseph Sintès (1880), mort 
        à Alger le 24 Mars 1913 ; Albert Besnard (1893) ; Marius Reynaud 
        (1907), mort à Alger le 11 Décembre 1935 ; Paul Nicolaï 
        (1904) ; Paul-Elie Dubois, ancien pensionnaire de la Villa Abdel-Tif (1921) 
        ; Louis-Michel Bernard (1924) ; Jean-Désiré Bascoulés 
        (Abd-el-Tif, 1925) ; André Hambourg (Abd-el-Tif, 1933) ; de Bernadotte 
        (1938) ; Leroy (Abd-el-Tif, 1938). Enfin, Armand Assus (Prix de Rome) 
        dont la toile " l'Opéra vu de ma terrasse " fut acquise 
        en 1939, par la Municipalité d'Alger.
 
   
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