| ---------Lorsque 
      j'étais enfant, j'apportais un soin tout particulier à l'organisation 
      de mes loisirs. Le jeudi, j'allais au cinéma où, grâce 
      à la généreuse complicité d'une marque de chocolat, 
      je pouvais m'offrir à très bon compte un spectacle dont les 
      facéties de Max Linder et les premiers films de cow-boys constituaient 
      le principal programme. Mais le dimanche, je n'aurais pour rien au monde 
      renoncé à ma promenade habituelle, qui empruntait d'abord 
      les quais du port d'Alger, pour se terminer, le plus souvent, au musée 
      municipal des Beaux-arts. ---------J'aimais 
      la mer, les bateaux. J'aurais bien volontiers passé et le jour et 
      la nuit à déambuler dans l'enchevêtrement des amarres, 
      à respirer l'odeur du goudron et des huiles lourdes, à rêver 
      aussi d'évasion et d'aventures devant ces noms obsédants Bilbao, 
      Gênes, Yokohama... Mais si j'acceptais d'écourter mes joies 
      personnelles et de consacrer la fin de mon après-midi à la 
      visite du " musée ", c'est que mon père éprouvait 
      une visible satisfaction à parcourir ses galeries et que je m'en 
      serais voulu de le priver de ce plaisir raffiné.http://alger-roi.fr 
      par B.Venis. Je dois avouer, d'ailleurs, que mes sentiments n'étaient 
      pas tout à fait désintéressés. Il y avait, en 
      effet, au " musée " deux mystérieuses momies égyptiennes 
      qui suggéraient à ma jeune imagination des idées assez 
      étranges mais aimablement romanesques. Ce sont elles qui me firent 
      adopter de bonne heure Théophile Gautier. Et c'est à elles 
      sans doute que je dois de pouvoir évoquer aujourd'hui, sans
 trop de défaillance, les aspects essentiels de ce bon vieux musée 
      algérois qu'on avait essayé de rendre coquet malgré 
      l'austérité du bâtiment militaire qui lui servait d'abri. 
      Je revois parfaitement, en effet, ses murs gris, son rez-de-chaussée 
      et le plancher poussiéreux de ses deux étages où, la 
      nuit venue, des rats de taille fort respectable se donnaient, paraît-il, 
      de joyeux rendez-vous. Et lorsque je pense que, pendant vingt ans, des chefs-d'uvre 
      authentiques et toujours plus nombreux ont séjourné dans ce 
      local de fortune sans subir le moindre dégât, je ne puis m'empêcher 
      de rendre un discret hommage d'admiration à ceux qui ont permis la 
      réalisation de ce véritable miracle.
 
 ---------Car 
      il est évident que, sans l'inlassable dévouement de ses premiers 
      conservateurs, (MM. J.-B. Brunot, Charles 
      de Galland et Fritz Muller) le Musée d'Alger n'aurait jamais 
      pu se développer ni remplir, avec autant d'éclat, la noble 
      mission qui lui fut confiée de 1908 à 1928.
 COMMENT EST NÉ LE MUSÉE NATIONAL 
        BEAUX-ARTS D'ALGER
  ---------Ainsi 
        donc le résultat de cette première tentative décentralisation 
        artistique justifiait pleinement les suggestions que la " Société 
        des Artistes algériens et orientalistes " avait émises 
        dès le début du siècle, en même temps qu'il 
        ouvrait la voie à des conceptions plus hardies mais, aussi, plus 
        rationnelles.---------En 1906 
        déjà, dans un rapport adressé au Gouverneur
 général et publié par le journal " Akhbar ", 
        mr. Arsène Alexandre avait proposé de construire un musée 
        de peinture et de sculpture dans une partie des jardins qui dépendaient 
        du Palais d'Été.
 ---------Mais 
        ce projet, jugé trop audacieux à l'époque, 
        n'eut aucune suite, et ce n'est qu'en 1927 que, grâce à une 
        heureuse intervention de M. le professeur Jean Alazard, l'idée 
        de transformer le musée d'Alger fut enfin retenue.
 ---------Dès 
        cet instant, les choses allèrent assez vite puisque trois ans plus 
        tard, le 5 mai 1930 très exactement le nouveau Musée - qui, 
        de municipal, devenait national - était officiellement inauguré 
        par le Président de la République, M. Gaston Doumergue.
 ---------Ses 
        plans, comme le choix de son emplacement, furent l'objet d'une étude 
        minutieuse où le grand talent de M. Paul Guion trouva l'occasion 
        de s'exprimer de la façon la plus brillante. .http://alger-roi.fr 
        par B.Venis.Adossé au fond de verdure du bois des Arcades et terminant 
        avec élégance le jardin à la française du 
        Hamma, le Musée National des Beaux-arts d'Alger se distingue, en 
        effet, par la parfaite harmonie de ses lignes et l'imposante noblesse 
        qui se dégage de son ensemble architectural. Mais ce monument, 
        si séduisant d'aspect, offre encore ceci de particulier qu'il a 
        été conçu dans un style dont le principe repose sur 
        les plus récentes données de la technique muséographique. 
        C'est ainsi, par exemple, que les galeries d'exposition bénéficient 
        d'un très bel éclairage et que les plafonds, à la 
        fois imperméables et incombustibles, sont inclinés pour 
        permettre une meilleure diffusion de la lumière et faciliter l'aération 
        naturelle des salles.
 ---------Ce 
        qui frappe, enfin, le visiteur, c'est la parfaite unité de décor 
        qui règne dans ce musée modèle auquel le peintre 
        Louis Fernez a su imprimer un cachet à la fois discret mais plein 
        de charme.
 UNE MAGNIFIQUE RÉALISATION, ---------Un tel 
        cadre ne pouvait que mettre davantage en valeur les collections rassemblées 
        par M. le professeur Alazard, dont le nom restera étroitement attaché 
        à l'histoire du Musée national des Beaux-Arts d'Alger qu'il 
        dirige depuis sa création, toute la foi d'un apôtre et la 
        précieuse compétence maître éclairé. 
         
          |  Galerie 
              d'exposition des bronzes |  ---------Sans 
        doute, les toiles de l'ancien musée municipal ont-elles d'abord 
        constitué l'essentiel de ces collections. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.Mais 
        de nouvelles acquisitions permirent bientôt au conservateur de réaliser, 
        dans une très large mesure, le programme qu'il s'était tracé, 
        programme dont il nous a lui-même résumé les grandes 
        lignes dans l'un de ses ouvrages : " À 
        un pays jeune, il fallait un art jeune. Il était impossible de 
        chercher à constituer une collection oeuvres du XVIè, du 
        XVIIè et du XVIIIè siècles. Tout au plus pouvait-on 
        donner, par quelques exemples bien choisis, l'idée de ce que fut 
        l'art français avant le XIXè siècle ; mais c'était, 
        bien évidemment, au XIXè et au XXè qu'il fallait 
        se consacrer tout particulièrement ".
 ---------Et 
        c'est probablement grâce à ces conceptions que l'on peut 
        étudier au Musée d'Alger, mieux qu'ailleurs, ces trois chapitres 
        de l'histoire de l'art : l'évolution de l'orientalisme, la peinture 
        impressionniste et post-impressionniste et la sculpture française 
        depuis Rodin. On y trouve, en effet, quelques toiles comptant parmi les 
        plus caractéristiques de Delacroix, Decamps, Fromentin, Dehodencq, 
        Chataud et Guillaumet, ainsi que des uvres d'Albert Lebourg et des 
        esquisses de Renoir qui rappellent, par leur vivacité et la chaleur 
        de leurs tons, les meilleures études de Delacroix. Je n'ai certes 
        pas l'intention d'énumérer ici tous les tableaux de valeur 
        que recèle le Musée du Hamma. Il me paraît utile, 
        cependant, de préciser que la plupart des orientalistes connus 
        y figurent en bonne place, qu'il s'agisse d'Étienne Dinet, de Besnard, 
        d'Edouard Herzig, de P. E. Dubois ou des anciens élèves 
        de la villa Abd-elTif, et qu'à côté des uvres 
        maîtresses de l'école française du XIXe siècle 
        - " Le Vieux-Port ", de Courbet, " Les Rochers de Belle-Isle 
        ", de Claude Monet, " Les Meules ", de Guillaumin, etc... 
        - figurent sur la cimaise des toiles de Puvis de Chavannes, Fantin-Latour, 
        Pissaro, Vlaminck, Marquet, Utrillo et Henri Matisse.
 
         
          |  Une 
              des galeries d'exposition des peintures |  ---------Mais, 
        bien que les salles de peinture du Musée, d'Alger soient d'un intérêt 
        incontestable, c'est encore sa galerie de sculptures qui en constitue 
        la grande attraction : " On trouverait difficilement 
        en France, a écrit Paul Fierens à son sujet, 
        l'équivalent de cette collection où les bronzes les plus 
        vigoureux, les plus souples, les figures les plus hardies, les bustes 
        les plus expressifs de Rodin, Bourdelle, Maillol, Despiau, Drivier, Jeanne 
        Poupelet, Joseph Bernard, Pommier, Poisson, Wlérick, Niclause-Gimond, 
        André Greck, ou Belmondo sont présentés dans l'ordre 
        le plus impressionnant et dans la lumière la plus flatteuse ".
 
 --------Cette 
        appréciation ne fait que traduire avec exactitude l'impression 
        qu'on ressent d'instinct dès qu'on pénètre dans la 
        galerie de sculpture du Musée et, un peu plus tard, dans la non 
        moins admirable galerie des moulages dont les pièces principales 
        proviennent de l'ancien Trocadéro, du Louvre et même de certains 
        musées étrangers, tel, entre autres, ce " Torse 
        de paysan flamand " que les spécialistes considèrent 
        généralement comme l' oeuvre capitale de George Minne.-
 ---------Des dessins de sculpteurs, des gravures 
        modernes allant de Toulouse-Lautrec à Picasso, des céramiques 
        de
 Lenoble et de Decur, des médailles et de nombreux documents 
        de caractère historique complètent cet ensemble dont la 
        rapide description que je viens d'en faire suffit, sans doute, à 
        souligner l'incomparable valeur.
 ---------Je 
        voudrais vous parler également de la bibliothèque. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.Mais 
        cette étonnante réalisation, où le génie de 
        l'architecte et le goût délicat du décorateur ont 
        su si bien s'associer, mériterait à elle seule une étude 
        détaillée qui dépasserait largement le cadre de cet 
        article. Elle ne fait, en tout cas, qu'augmenter encore l' attrait d'un 
        établissement que sa conception technique et le prix exceptionnel 
        de ses magnifiques collections ont déjà classé parmi 
        les plus beaux musées de France.
 
         
          |  Une 
              partie de la bibliothèque du musée |  NAISSANCE ET AVENIR 
        DE " L'ÉCOLE D'ALGER " ---------Il était 
        logique, d'ailleurs, que ce véritable sanctuaire de l'art français 
        fût construit à Alger. Et M. le professeur Alazard (Doyen 
        de la Faculté des Lettres d'Alger où il enseigne, depuis 
        de nombreuses années, l'histoire de l'art.) se chargera 
        de justifier cette opinion lorsqu'il me dira, au cours de l'entretien 
        qu'il me fera l'honneur de m'accorder: ---------- 
        C'est d'Alger qu'est parti cet élan d'enthousiasme qui devait directement 
        conduire à la création d'une école dont personne, 
        aujourd'hui, ne saurait contester l'autorité : " l'école 
        algérienne " ou, mieux encore, " l'école d'Alger 
        ". La naissance de ce mouvement remonte à 1832, époque 
        à laquelle Delacroix entreprit son fameux voyage en Algérie 
        et au Maroc. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.Certes, 
        Delacroix ne passa que trois jours à Alger, mais trois jours qui 
        furent capitaux puisqu'il en est sorti d'incomparables chefs - oeuvre. 
        Après Delacroix, ce fut Chasseriau, et puis Renoir et, enfin, toute 
        une pléiade de peintres dont le talent s'est affermi au contact 
        des possibilités nouvelles que leur offrait le pays. Le premier, 
        le Gouverneur général Jonnart comprit qu'il était 
        indispensable et urgent de rendre plus effective cette participation de 
        l'Algérie à la peinture française et il créa, 
        en 1908, la villa Abd-el-Tif. Cette institution a joué un grand 
        rôle-dans l'évolution de l'art en Algérie, puisque 
        plusieurs pensionnaires s'y sont fixés, et que même ceux 
        qui sont retournés dans la Métropole ont
 
         
          |  Une 
              des galeries d'exposition des sculptures |  continué à peindre des thèmes 
        " orientalistes ". Mais si l'Algérie possédait 
        des musées archéologiques, par contre elle ne disposait 
        encore d'aucun musée des Beaux-Arts, en dehors du modeste musée 
        municipal d'Alger. C'est le Centenaire qui a permis d'inaugurer la politique 
        des musées des Beaux-Arts à laquelle, dans la suite, le 
        Gouvernement général a porté toute son attention. 
        C'est, en effet, en 1930 qu'on a construit le Musée national des 
        Beaux Arts d'Alger auquel sont venus bientôt s'ajouter les musées 
        municipaux d'Oran et de Constantine. Puis, sur les fonds du Centenaire 
        et grâce à la bienveillante compréhension des différentes 
        Assemblées algériennes, on a commencé à faire 
        quelques achats importants qui ont permis d'organiser à Alger un 
        musée d'art français comportant notamment une galerie de 
        sculpture et une collection de peintures allant du XVè siècle 
        à l'époque contemporaine. Les musées d'Oran et de 
        Constantine n'ont pas été oubliés. On y a constitué 
        une première collection oeuvres d'art surtout contemporaines mais, 
        depuis lors, ces collections ont augmenté en importance. C'est 
        ainsi que, cette année même, il a été possible 
        de mettre en dépôt, tant à Oran qu'à Constantine, 
        une quinzaine de toiles de valeur.---------" 
        Ces musées, surtout celui d'Alger, sont de véritables centres 
        de culture et ils contribuent efficacement à développer 
        le goût dans ce pays. À Oran, par exemple, il s'est constitué 
        des collections particulières vraiment intéressantes, tandis 
        qu'à Alger, on peut voir aujourd'hui des amateurs pleins de dynamisme 
        suivre l'exemple de M. Meley, ce mécène de la première 
        heure. Je pense ici à Mme et M. Frédéric Lung dont 
        la remarquable collection compte sans doute parmi les plus belles qui 
        soient en France.
 ---------" 
        Le goût se développe aussi dans le public fréquente 
        nos musées. Les étudiants y viennent de plus en plus volontiers, 
        et il faut souhaiter qu'ils soient, les uns et les autres, d'excellents 
        laboratoires pour les élèves des Beaux-Arts désireux 
        de se parfaire dans leur technique.
 ---------" 
        Ce qu'il est utile d'encourager également, ce sont toutes ces expositions 
        officielles qui s'organisent un peu partout en Algérie et dont 
        la mission ne doit échapper à personne. En 1949, par exemple, 
        les expositions consacrées à Marquet et à La Patellière, 
        dans le cadre du musée d'Alger, ont eu d'heureux résultats 
        tandis que " l'exposition artistique de l'Afrique française 
        ", qui s'est tenue à Oran, n'a pas manqué de susciter 
        dans cette ville un très vif mouvement d'intérêt. 
        .http://alger-roi.fr par B.Venis.De 
        son côté, Constantine a mis sur pied des expositions d'un 
        bon enseignement et il serait utile que cette politique des musées 
        des Beaux-Arts, à laquelle s'attache le Gouvernement général 
        et, plus spécialement, la Direction de l'Intérieur et des 
        Beaux-Arts, porte tous ses fruits et que d'autres villes algériennes 
        - en particulier Bône, Tlemcen, Bougie et Philippeville - suivent 
        au plus tôt l'exemple d'Oran et de Constantine en créant, 
        à leur tour, des musées municipaux. Bougie serait prête 
        à montrer l'exemple. Quant à Philippeville, il y aurait 
        peu à faire. Cette coquette cité se trouve avoir, en effet, 
        dans les locaux de la mairie, un certain nombre de toiles intéressantes 
        qui devraient lui permettre de constituer très rapidement un charmant 
        musée d'art contemporain ".
 ---------Et 
        M. le professeur Alazard a conclu
 ---------" 
        Car tout ce qui est fait pour la culture artistique est fait pour la culture 
        en général, et le développement des musées 
        doit aller de pair avec celui des établissements d'enseignement 
        ".
 Michel LUZY. 
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