 --
--
          
          
          
        Le Musée Franchet d'Espérey 
          
        Alger possède depuis 
          quelque temps un remarquable musée historique et militaire qui 
          évoque d'une façon saisissante la merveilleuse odyssée 
          de 1830. Installé dans la célèbre Kasba du dey 
          Hussein, le Musée Franchet d'Espérey ne tardera pas à 
          acquérir, dans le monde touristique, une réputation pour 
          le moins égale à celle du Musée de l'Armée. 
          
          
          L'intéressante relation et les documents photographiques que 
          nous publions aujourd'hui donneront à nos lecteurs une première 
          idée de ce que peut être cette exposition unique, due aux 
          efforts inlassables et patients du colonel François, du commandant 
          Cotinaud et de leurs principaux collaborateurs, auxquels nous sommes 
          heureux d'adresser nos plus vifs compliments. 
          
          Au-dessus de la ville moderne et tumultueuse, la vieille Kasba d'Alger 
          dresse fièrement, dans le ciel bleu de juillet, l'imposante silhouette 
          de ses grands murs gris. 
          
          C'est là que le Musée Franchet d'Espérey vient 
          d'être installé. 
          
          Le bon " tramway jaune ", criard et capricieux, vous y conduira 
          assez rapidement et dans des conditions de confort relativement acceptables. 
          Nous vous conseillerons cependant d'effectuer le trajet à pied, 
          en empruntant les petites rues étroites, tortueuses, sombres, 
          mais si pittoresques de l'ancienne cité des corsaires. Vous remonterez 
          ainsi jusqu'à sa source ce véritable torrent de maisonnettes 
          qui chevauchent les unes sur les autres et s'entassent et s'écrasent, 
          à l'ombre desquelles vit, s'agite, bouillonne tout un peuple 
          exotique de marchands,d'artisans, de femmes à l'il profond, 
          de gosses crasseux, de jongleurs et de poètes insouciants. Les 
          piments rouges qui sèchent aux terrasses, l'odeur du café 
          grillé et de l'huile chaude, le parfum capiteux des basilics 
          et des jasmins, à peine altéré par l'émanation 
          nauséabonde des eaux croupies ; les appels, les chants, le bruit 
          des pilons et des semelles de bois, et aussi ce rêveur qui fume 
          son narghileh en somnolant, le voilà bien l'Alger barbaresque, 
          celui d'Aroudj et de Khéreddine. Et le malencontreux bec de gaz 
          qui vient, de temps à autre, au coin d'une impasse, vous offrir 
          le lamentable spectacle de sa carcasse branlante et de ses vitres brisées, 
          est impuissant à détruire votre illusion d'avoir été 
          subitement transporté, sous l'effet de quelque pouvoir méphistophélique, 
          à l'époque lointaine des frères Barberousse. 
          
          On nous avait parlé du Musée Franchet d'Espérey 
          en des termes tellement élogieux que nous n'avons pu résister 
          à l'ardent désir de le visiter : ce fut, sous la conduite 
          du capitaine Sauzet - dont nous ne saurions trop souligner l'aimable 
          bienveillance - une promenade merveilleuse parmi les souvenirs les plus 
          précieux et les plus émouvants de l'Histoire de l'Algérie. 
          
          
          Le musée est divisé en deux salles. La première, 
          qui est aménagée dans la mosquée du Dey, est destinée 
          exclusivement aux souvenirs militaires. Et dans ce sanctuaire où 
          Hussein aimait à venir se recueillir aux heures sombres de 1830, 
          sous le dôme blanc dont les petites fenêtres à verres 
          de couleurs ne laissent filtrer qu'une lumière très douce, 
          les objets exposés prennent une signification d'autant plus noble 
          et solennelle. 
          
          Il faudrait plusieurs jours pour admirer comme il convient tout ce que 
          l'on propose à notre regard étonné. Voici un drapeau 
          pris à Laghouat le 4 décembre 1852 et un peu plus loin 
          la selle du général Laperrine, pièce remarquable 
          faite de cuir marocain, de fils dorés et de peau de guépard. 
          Les costumes militaires de 1830 à nos jours sont reproduits en 
          une série d'aquarelles vraisemblablement récentes et dont 
          nous regrettons de ne pas connaître l'auteur. Et voici un tronçon 
          de canon pris aux Kabyles à Bordj-Ménaïel, datant 
          de 1635. Des parchemins multiples, un Coran qui remonte aux temps médiévaux, 
          l'épée du général Galliffet, des autographes 
          du général Margueritte, du maréchal de Mac Mahon 
          et des notes et croquis de Duveyrier. Heureuse idée que celle 
          d'avoir aligné les projectiles de 1827 à 1914. Il y a 
          là une rétrospective de l'obus fort intéressante. 
          Les dessins de l'époque représentant les différentes 
          phases du maniement d'un canon ne sont, du reste, pas moins curieux. 
          
          
          Les drapeaux garnissent tout un coin de la salle. Quelques-uns se réduisent 
          à une hampe surmontée d'un soupçon d'étamine 
          noire et déchiquetée. Beaucoup sont encore bien conservés. 
          L'étendard vert sombre du 1er Tirailleurs indigènes voisine 
          avec celui du 2ème Zouaves et, dans une vitrine, l'Aigle impériale 
          du 1er Zouaves déploie, superbe, ses ailes éclatantes 
          fraîchement redorées. Tout près, la hampe du pavillon 
          d'Abd-el-Kader, d'une valeur inestimable, si l'on veut bien songer qu'elle 
          est toute en argent. 
          
          Le Maréchal Bugeaud occupe une place importante dans cette grandiose 
          évocation du passé. Ce qui frappe tout de suite l'attention 
          du visiteur, c'est la fameuse casquette, celle-là même 
          qui inspira aux soldats du Maréchal, et dans les circonstances 
          que l'on sait, le populaire refrain si souventes fois fredonné 
          : 
          As-tu vu la casquette, la casquette, 
          As-tu vu la casquette du Père Bugeaud ! 
          
          Puissent les mites avoir pitié de la casquette du Père 
          Bugeaud et ne pas poursuivre plus avant l'attaque systématique 
          et rationnelle de son beau drap rouge ! Elles éviteront ainsi 
          les douloureuses représailles de l'insecticide et gagneront notre 
          éternelle reconnaissance... 
          
          Le képi de parade, l'humble cantine et la tunique du grand soldat 
          seront très certainement très remarqués. Sous verre, 
          on pourra voir également des armes arabes ayant appartenu à 
          Bugeaud, des carnets de notes, divers autographes et un manuscrit qu'il 
          découvrit pendant sa campagne d'Afrique. Ce manuscrit est ainsi 
          libellé : 
          
          " Le temps se comporte onze fois sur douze pendant la durée 
          de la lune, comme il s'est comporté le cinquième jour 
          de la lune, si le sixième jour est resté le même 
          que le cinquième. Et neuf fois sur douze comme le quatrième 
          jour, si le sixième jour ressemble au quatrième jour. 
          " 
          Il est à remarquer que le Maréchal observa rigoureusement 
          cette loi. Par exemple, il n'ordonnait à ses troupes d'entrer 
          en campagne qu'après le sixième jour de la lune. D'autre 
          part, il faisait tenir compte des indications de la lune pour l'exécution 
          des fenaisons et des vendanges. 
          
          Boutin a fourni au musée un choix copieux de plans, de lettres, 
          de cartes et surtout un papyrus égyptien absolument intact dont 
          la prochaine traduction ne manquera pas de faire d'importantes révélations. 
          
          
          Des cotes de mailles remontant aux premiers temps de l'Islam, le sabre 
          de Rabah pris sur lui le 22 avril 1900 par le commandant Lamy et quantité 
          d'armes, de graphiques, de décorations, de mannequins revêtus 
          des anciens équipements complètent les collections. Nous 
          allions omettre de signaler la dernière lettre écrite 
          par le Général Laperrine, le 3 février 1920 (la 
          veille de son départ pour la reconnaissance où il trouva 
          la mort), et qui constitue, à n'en pas douter, un des documents 
          les plus pathétiques de la salle de la Mosquée. 
          
          La seconde salle emprunte le local de l'ancienne poudrière. Cette 
          salle, où figure le buste du parrain du musée, se compose 
          de trois enceintes. 
          Dans la première sont exposés les souvenirs appartenant 
          à la Légion étrangère et aux différents 
          corps de troupe ; des caricatures représentant les chefs de l'époque 
          ; des relevés d'itinéraires, des cartes en relief, des 
          dioramas, des photos prises par les services aéronautiques de 
          l'armée et une magnifique pendule, présent de l'Empereur 
          Napoléon III au 1er Etrangers. 
          
          Les deuxième et troisième enceintes sont plus spécialement 
          réservées aux souvenirs des grandes familles indigènes 
          : sabres splendides, incrustés d'or et d'argent; médailles, 
          bijoux, offerts par Napoléon III, Léopold, Louis-Philippe, 
          Randon, le duc d'Aumnle et le maréchal Bugeaud. Certaines panoplies, 
          comme celle de la famille Mahieddine, sont de purs chefs-d'uvre, 
          dignes de figurer dans un trésor royal. 
          
          Mais il serait trop long d'énumérer ici toutes les curiosités 
          et toutes les beautés que renferme le Musée Franchet d'Espérey 
          : nous préférons conseiller à nos lecteurs d'aller 
          s'y recueillir une heure ou deux. 
          
          Ils ne perdront pas leur temps.