| -----Qu'est- 
        il devenu, ce 26 mars 1962, trente ans plus tard ? Une simple 
        date historique pour certains, un souvenir toujours aussi douloureux pour 
        d'autres ; l'oubli pour la plupart, tant les massacres collectifs sont 
        devenus une méthode de gouvernement dans bien des parties du monde. 
        Qui se souci encore de la valeur d'une vie humaine ? Alors, cette horrible 
        fusillade qui ensanglante note province algérienne en ce 26 mars 
        1962, qui coûta la vie à près de cent personnes et 
        en blessa plus de 200 peut -e lle avoir été délibérément 
        organisée par le pouvoir en place à l'époque, comme 
        l'ont été tant d'autres massacres depuis lors, sous toutes 
        les latitudes'!-----Une action si monstrueuse a - t - elle 
        pu être préparée et exécutée en fonction 
        d'un plan prémédité ? Telle est l'effrayante question 
        que je me pose depuis trente ans, depuis ce jour funeste où, allongé 
        sur le bitume de la rue d'Isly, j'ai assisté au massacre, impuissant 
        et la rage au cur.
 -----Aujourd'hui, trop d'éléments 
        concordent pour avoir encore le moindre doute : oui, cet assassinat aveugle 
        a bien été voulu, préparé et mis en place 
        délibérément par le pouvoir de l'époque.
 -----La rue d'Isly était un piège. 
        Le 26 mars 1962, toutes les rues menant du Plateau des Glières 
        à Bab - el -Oued, vers où il était prévu que 
        le cortège se dirige, étaient interdites, soit par des troupes 
        formant barrage, soit par des barbelés. Seule la rue d'Isly était 
        libre d'accès, et c'était tout naturellement par là 
        qu'allaient passer tous les manifestants. La rue d'Isly était plutôt 
        étroite, mais droite sur une bonne longueur ; c'était un 
        lieu idéal pour avoir une foule importante, concentrée, 
        sans protection. Si vraiment on avait voulu empêcher le cortège 
        (dont on ne dira jamais trop à quel point il était grave 
        et inquiet, nullement menaçant, bien au contraire) d'aller ver 
        Bab - el -Oued, quartier assiégé et mis à sac auquel 
        nous allions simplement dire notre sympathie, on aurait empêché 
        l' accès à cette rue avec la même fermeté qu'aux 
        autres.
 ------Lorsque mon père que j'accompagnais 
        et moi, nous nous sommes engagés dans la rue d'Isly, après 
        des milliers d'autres personnes, il y avait bien quelques militaires qui 
        étaient déployés en travers de la rue, mais ils n'étaient 
        qu'une dizaine, donc assez espacés, et ils n'empêchaient 
        nullement l'accès à la rue.
 ------Par contre, ce qui a frappé 
        tous ceux qui sont passés près de ces soldats, c'est qu'ils 
        étaient tous musulmans, y compris le lieutenant qui commandait 
        le détachement, qu'ils étaient lourdement armés (l'un 
        deux avait un fusil mitrailleur, preuve que l'on voulait donner au massacre 
        une dimension particulière) et surtout que l'on pouvait voir sur 
        leur visage une tension extrême, faite de peur ou de haine, ou des 
        deux à la fois. Il était clair qu'ils avaient perdu leur 
        calme, une qualité pourtant indispensable pour contrôler 
        une foule de l'importance de celle qui s'avançait rue d'Isly.
 ------Et, en effet, tout devint clair lorsqu'on 
        apprit plus tard que ces militaires qui avaient été postés 
        là, à l'entrée de la rue d'Isly, appartenaient au 
        4e régiment de tirailleurs algériens, auquel le général 
        Commandant en Chef des Forces Françaises en Algérie avait 
        rendu une visite discrète peu de temps auparavant ; il est tout 
        à fait vraisemblable que c'est au cours de cette visite que le 
        plan qui se déroulait devant nous avait été mis au 
        point. Bien entendu, ces tirailleurs n'avaient aucune expérience 
        du maintien de l'ordre en milieu urbain. Alors pourquoi les responsables 
        les avaient -ils placés à ce point stratégique, à 
        l'entrée du piège ?
 ------Question capitale, puisqu'une telle 
        décision ne pouvait être le fruit du hasard. Pour moi, maintenant, 
        la réponse est évidente : on savait qu'une telle troupe 
        n'aurait aucun scrupule à ouvrir te feu sur une foule d'Algérois, 
        et à la maintenir pendant tout le temps qui serait nécessaire 
        pour que le massacre soit mené à son terme, c'est - à 
        - dire jusqu'à ce que plus personne
 ne bouge, jusqu'à ce que le plus possible d'hommes et de femmes 
        aient été achevés, souvent à bout portant, 
        avec la plus extrême des sauvageries.
 ------Si ce jour - là, à cet 
        endroit - là, il y avait eu des troupes exercées au contrôle 
        des foules, peut -être auraient - elles ouvert le feu si elles en 
        avaient reçu l'ordre : mais cela aurait été précédé 
        de tentatives de dispersion, de sommations et il n'y aurait pas eu ce 
        carnage qui fait que désormais le 26 mars 1962 fait partie des 
        grandes dates honteuses de l'Histoire.
 ------J'aimerais rajouter ici à mon 
        témoignage un élément qui n'a guère été 
        rapporté par les témoins, mais qui, à mes yeux, renforce 
        encore la certitude que le massacre était prémédité.
 ------Lorsque je suis passé à 
        la hauteur de ces soldats, j'ai remarqué que l'un d'entre eux avait 
        un poste de radio de campagne sur le dos. Quelques instants à peine 
        après, je me suis retourné et j'ai remarqué qu'il 
        recevait un message. J'ai alors vu un effroi s'emparer de lui (c'était, 
        je crois un sous - officier). Immédiatement il s'est avancé 
        vers le lieutenant et c'est précisément à ce moment 
        - là que le tir s'est déclenché. J'ai toujours eu 
        la conviction que c'était l'ordre d'ouvrir le feu qui venait d'être 
        donné. S'il y avait eu la moindre enquête faite un peu sérieusement, 
        cela aurait permis de dire si un ordre avait été donné, 
        et surtout par qui.
 |  | ------Alors, maintenant, 
        reste la question : pourquoi tous ces morts, pourquoi toutes ces souffrances, 
        pourquoi tout ce sang, alors que ces hommes et ces femmes, qui gisaient 
        sur la rue d'Isly ne s'étaient réunis en ce lundi de printemps 
        qu'au nom de ce qu'il n'y avait pas si longtemps le responsable suprême 
        avait fait acclamer : l'Algérie française (discours de Mostaganem). 
        Question encore plus poignante pour moi : mon propre père venait 
        de tomber sous les balles. La réponse est, hélas, simple. 
        --------Une semaine auparavant, des représentants du gouvernement 
        français avaient signé avec l'ennemi une capitulation. Non 
        pas une capitulation militaire, puisque sur ce plan - là, tout 
        le monde s'accorde à dire que la victoire était totale. 
        Mais il y avait eu capitulation politique : l'Algérie était 
        livrée à l'ennemi d'hier. Il n'était pas besoin d'être 
        grand clerc pour comprendre que les "garanties" qui, soit disant, 
        étaient données à ceux qui voulaient continuer à 
        vivre sur la terre algérienne étaient illusoires. Or, le 
        gouvernement, qui venait ainsi de céder à toutes les demandes 
        de l'ennemi ne pouvait pas accepter que sa signature soit remise en cause 
        par tant d'habitants de ce beau territoire qui bientôt n'allait 
        plus être français.
 ------Dans ces circonstances, quel est le 
        moyen le plus efficace de mettre fin à une telle opposition ? Exactement 
        ce qu'à fait le gouvernement français, évidemment 
        sur ordre du chef de l'exécutif : on attend la première 
        occasion pour taire tirer sur une foule d'innocents, et l'on fait de sorte 
        pour que le bilan soir particulièrement lourd. Cela met fin à 
        toute velléité d'opposition. Mission accomplie, mon général 
        ( probablement au - delà de tout espoir, puisque tous les assassins 
        de la rue d'Isly ont immédiatement été décorés, 
        dont une "Légion "Honneur" pour le lieutenant qui 
        commandait le détachement).
 ------Ainsi, l'inimaginable était 
        arrivé. L'armée française, en ce 26 mari 1962, avait 
        massacré une centaine d'innocents et en avait blessé bien 
        plus encore. Des centaines de familles étaient brisées à 
        jamais. Ce soir -là, dans la peine et la douleur, nous avons compris 
        ce que le haut responsable avait décidé de nous faire comprendre 
        "par tous les moyens, je dis bien par tous les moyens" pour 
        ceux qui avaient échappé au massacre que le seul choix était 
        entre "la valise ou le cercueil", vieille expression qui prenait 
        une dimension nouvelle.
 ------Elucubrations d'un jeune garçon 
        de 18 ans, qui venait d'assister à l'assassinat de son père, 
        vont peut - être penser certains lecteurs de ce témoignage. 
        Jamais l'armée française n'aurait fait cela. Et bien, pour 
        ceux - là, voici l'ultime preuve que le massacre de la rue d'Isly 
        était bien prémédité et qu'il avait bien pour 
        but de mettre un terme à la résistance de tant d'hommes 
        et de femmes qui croyaient encore en la parole donnée. Lorsque 
        les familles des victimes ont demandé que les corps leur soient 
        rendus afin d'organiser les obsèques, les autorités s'y 
        sont opposées. On leur interdisait de faire ce que depuis des millénaires 
        toutes les civilisations font : enterrer leurs morts dans la dignité. 
        N'était- ce pas là pour nous tous l' ultime punition ? Nous 
        n'avons eu que le droit de désigner un cimetière. Puis nous 
        y avons été convoqués un matin, à une heure 
        que nous n'avions pas choisie, pour procéder à une inhumation 
        à la sauvette, en cachette presque, sans cérémonie 
        religieuse. Les corps avaient été apportés dans la 
        nuit, pendant le couvre - feu, par des camions militaires. Ainsi, mon 
        père, qui souvent nous disait qu'à ses obsèques, 
        il aurait droit aux Honneurs militaires, non seulement venait de mourir 
        sous les balles françaises, mais encore cette même armée 
        française dans laquelle il avait tant investi de sa vie lui interdisait 
        même la dignité dans ses obsèques. II était 
        officier supérieur de réserve de l'armée blindée 
        - cavalerie, officier de la légion d'honneur, officier du mérite 
        militaire, croix de guerre 39-45 et croix de guerre des territoires d'opérations 
        extérieures. Notre seule consolation, à nous qui l'admirions 
        tellement, c'est de savoir qu'il repose dans ce petit coin de paradis 
        que l'on dit réservé aux héros et aux martyrs.
 C. Van den Broeck
 Témoin de ces évènements
 Bilan officielLe dernier bilan officiel est de 46 morts et 150 blessés, bien 
        que de nombreux blessés meurent à l'hôpital Mustapha, 
        où la morgue est débordée. Il y aura en tout 80 morts. 
        Aucune liste définitive des victimes n'a jamais été 
        établie. Toutes les victimes étaient des civils, européens, 
        quelques juifs séfarades. Toutefois en 2003, dans sa contre-enquête 
        Bastien-Thiry : Jusqu'au bout de l'Algérie française, le 
        grand reporter[réf. nécessaire] Jean-Pax Méfret avance 
        le nombre de 80 morts et 200 blessés au cours de ce qu'il nomme 
        « le massacre du 26 mars »14. L'association des victimes du 
        26 mars publie une liste de 62 morts, tous des civils ; 7 militaires (dont 
        2 gendarmes) sont tués.
 Il faut attendre le 12 septembre 2008 pour que la télévision 
        française (France 3) consacre une émission à cet 
        événement méconnu, Le massacre de la rue d'Isly, 
        documentaire de 52 minutes, réalisé par Christophe Weber 
        conseillé par l'historien Jean-Jacques Jordi.(Wikipedia)
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