|  | C'était la Principale, un lieu commun, 
        un symbole ! Un centre populaire, l'Agora ! l'Acropole !
 JE NE REVERRAI PLUS...
 Cette place coutumière dont l'Histoire a chassé
 Les fantômes d'avant, ces ombres du passé
 Enfouis dans ma mémoire en clichés entassés.
 La foi semblait pourtant protéger 
        de sa grâceCe carrefour de la ville, ce mélange de races 
        :
 Cathédrale et Mosquée qui priaient face à face.
 Bab-Azoun, Bab-et-Oued, quartier de la 
        Marine,La Pêcherie, Front de mer, les petites rues voisines Déversaient 
        chaque jour leurs nuées citadines.
 Partis tôt le matin par des tramways 
        grinçants, Des bus à l'impérial au "souk ahurissant",
 Venaient de l'intérieur, les chaouïas d'antan
 Burnouss et djellabas, chapeaux kabyles 
        sévères, Couffins, sacs, peaux et poules ! parfois une moukère Tatouée, 
        silencieuse et se tenant derrière...
 Que n'y vendait-on pas ? Du thé, 
        des fèves chaudes, Calentita, beignets que les mouches galvaudent 
        !Sur le coup de cinq heures, "les allumettes" en maraude !
 Sur la place bariolée où 
        prédomine le blanc,Se mêlent des chéchias, des képis, des turbans,
 Des feutres, des pailles, des voiles, des cheichs en longs rubans.
 Parmi cette ruche où le temps déambule,La vie s'écoule au rythme que le soleil formule :
 Le plus souvent "ardent" "pesant" : la canicule !
 Les éventails s'agitaient éphémères 
        et poussifs, Aux cafés d'alentour, mus par des inactifs,
 Indolents, paresseux ou des juifs attentifs.
 La vue de ma mémoire a retenu ces 
        tons Eparpillés en vrac sur une toile de fond,
 Echancrure vers le port d'un horizon profond.
 ET JE N'ENTENDRAI PLUS... L'ensemble de ces bruits qui résonnent 
        encoreLes cris, les invectives, les phonos trop sonores,
 Le bruit gai des claquettes autour des oublies d'or !
 Les vendeurs de pastèques aux onomatopées...A dix-sept heures : "Dernière heure", journal anticipé 
        !
 Tohu-bohu des trams "ferraillants", dissipés !
 Les marchands ambulants, turbulents et 
        pressants, "Les Marabouts de pluie", derboukas, en dansant !
 Les échos, les rumeurs qu'on raconte en passant !
 Et ce théâtre vivait heureux 
        et débonnaire, Chacun suivant le cours de la Place légendaire
 Remplie du tulmute de scènes populaires.
 
 Parfois, venant du Port, une sirène mugissait :
 "Le Ville d'Alger" partait ! Le remorqueur s'empressait :
 Trois coups brefs, joyeux, la passe disparaissait...
 Ces bruits montent et bourdonnent quand, 
        dans la solitude, Ils ressurgissent fidèles du fond de l'habitude 
        En concert nostalgique perturbant ma quiétude.
 
 JE NE SENTIRAI PLUS... Les parfums, les odeurs que cette place 
        immense Diffusait chaque jour en proposant au sens
 La palette des senteurs que l'odorat recense.
 Montant de la Pêcherie, où 
        sont donc les fritures ?Et des marchés voisins, les corbeilles de fruits mûrs ?
 Les arômes, les épices, les huiles âcres, les saumures 
        ?
 La loubia, la chorba, allumettes aux anchois 
        !Les poivrons qui rissolent, un peu brûlés parfois !
 Les melons odorants, et la menthe ! ça va d'soi !!!
 Les parfums capiteux, huileux et entêtants,Sur une table bancale, le santal trop puissant,
 La bergamote, le musc, l'héliotrope envoûtants !
 Enfin, non loin de là, les effluves 
        d'anisette,Surtout Phoenix et Gras, des Brasseries et Buvettes,
 Et l'odeur des kémias, rougets, sardines, brochettes !
 Parfois, parmi la foule, un délicat 
        jasmin Embaumait un instant, se frayant un chemin
 Vers sa réminiscence perdue dans le lointain.
 
 Comme le jasmin, j'exhale doucement,
 Je vois, entends, respire mélancoliquement
 Le souvenir de la "Place du Gouvernement" !
 MUVIEN Etienne 
        Pierre
 
 
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