Nost'Alger  
        Que sont-ils devenus tous mes vieux souvenirs
          De cette ville blanche où dorment nos martyrs ?
          Où sont-ils donc passés tous mes amis d'antan
          Qui hantent tous mes rêves depuis plus de trente ans ?
          J'ai voulu oublier, avoir une nouvelle vie
          Mais malgré tout ce temps, le passé resurgit !
          Je sens les capucines qui recouvraient la terre,
          Les arômes du jardin que cultivait ma mère,
          Tous ces doigts de sorcière que nous cassions en deux
          Pour écrire sur la pierre la règle de nos jeux
          Quand nous nous déguisions en tenue léopard
          Pour faire comme les paras qui gardaient nos remparts.
          Les maisons étaient blanches avec des toits terrasses
          Où les filles rêvaient d'embrasser les bidasses,
          Leurs murs étaient couverts par des bougainvilliers,
          Elles regardaient la mer du haut de leurs piliers
          Et gardaient leur fraîcheur à l'abri des volets. 
          C'est là que je suis né, sur les hauteurs d'Alger.
          Sous les pins parasols, dans le bois de Boulogne,
          Tapis dans les bosquets, nous faisions les guignols,
          Sur la place d'Hydra, face au commissariat,
          En patins à roulettes, jouions les fiers à bras,
          Et au fond du ravin de la femme sauvage
          Explorions les galeries, sans armes ni bagages.
          C'était avant les bombes et les assassinats,
          Mahmoud, Farid, Youssef et aussi Mustapha
          Etaient les compagnons de toutes nos cabrioles
          Et montaient avec nous sur les mêmes carrioles,
          Faites de vieilles planches et de roulements à billes,
          Pour descendre les rues et épater les filles.
          Sous les eucalyptus, nous tirions au taouel
          Des oiseaux qui n'avaient rien mérité de tel. 
          Le dimanche, nous allions à la plage du Chenoua
          Où sur le sable fin dont rêvent toujours les rois
          Nous faisions des châteaux entourés de fossés
          Que l'eau venait baigner, tendrement enlacer.
          A l'ombre d'une toile tendue sur des piquets, 
          La famille assemblée aimait pique-niquer
          Et avec les voisins partager l'anisette,
          De tous les plats pieds-noirs échanger les recettes.
          Nous dégustions des prunes, abricots et raisins
          Dont depuis je recherche partout le goût en vain.
          Les voici qui remontent tous les vieux souvenirs
          De cette ville blanche, qui vit tant de sourires,
          Et où tous mes amis n'étaient que des enfants
          Qui hantent tous mes rêves depuis plus de trente ans.
          Impossible d'oublier, d'effacer toutes ces vies
          Car quel que soit le temps, le bonheur resurgit.
          C'est au Clos Salembier que j'appris à nager
          Piscine de la Croix Rouge, sur les hauteurs d'Alger.
          Dans le petit bassin plongeait un toboggan
          Qui faisait le bonheur des petits et des grands,
          Autour du grand bassin, s'élevaient des gradins,
          Avec la majesté d'un théâtre romain,
          Surmontés d'une pelouse où nous nous étalions
          Pour compter les capsules que nous collectionnions.
          Je me souviens aussi du club de Badjarah,
          Des longues parties de boules chez les cousins de Rouiba,
          De la grande paella des plages d'Aïn-taya
          Des premiers pas en ski sur les pentes de Chréa
          Du goût rare des brochettes mangées à Fort de l'eau 
          
          Et du jardin d'Essai où j'allais au zoo.
          C'était avant les bombes et tous les attentats
          Quand nous pouvions encore, merci à Zoubida
          Manger le bon couscous et les tendres gâteaux
          Qu'elle avait préparés penchée sur nos fourneaux.
          On trouvait nos bonbons échoppe du Mozabit
          Où les tiges de réglisse étaient bien trop petites,
          Mais dans les coquillages emplis de caramel
          Nous pouvions découvrir le goût de l'éternel.
          A l'heure du casse-croûte, on mangeait des cocas 
          Et après le lycée, j'achetais des zélabias
          Dont je me régalais en attendant le bus
          Pourléchant tous mes doigts pour en déguster plus.
          Impossible de lutter contre ces souvenirs,
          Ils sont beaucoup trop beaux pour se laisser mourir,
          Et même s'il me faut passer encore trente ans
          Loin de cette ville blanche où je fus un enfant,
          Avant de disparaître ou d'être trop âgé,
          J'aimerais y retourner, sur les hauteurs d'Alger.
        Jacques Verpeaux
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