| C'est donc ici, dans l'est Constantinois, que tout a commencé. 
        Sur environ dix lieues de côte vendues par des tribus indigènes, 
        dans cette région des lacs - lac Mélah, lac Oubéïra, 
        lac Tonga - qui cerne la presqu'île de la Calle.
 Au XVIèsiècle, des privilèges accordaient aux Français 
        de commercer dans l'Empire turc. Mais il eut été difficile 
        de faire respecter ces droits par des tribus non encore soumises. Seulement 
        autorisés par ces privilèges, les Français acquirent 
        le droit de s'établir sur cette zone côtière. Vendue, 
        elle devenait terre aliénée, terre sur laquelle les indigènes 
        n'avaient plus de droits. C'était la Mazoule.
 
 Des Français, Carlin Didier et Thomas Lenches, fondèrent 
        le premier Bastion, dans une crique protégée, près 
        du lac Melah. Plus à l'est, ils occupèrent le port abandonné 
        de Marsa -- Marsa el Kharas c'est-à-dire le port aux breloques, 
        qu'ils appelèrent la Calle, parce qu'on y tirait les bateaux sur 
        la plage pour les radouber au moyen d'une cale.
 
 Quelles ressources avaient pu attirer nos commerçants sur cette 
        côte ? D'abord la pêche et le corail dont l'intérêt 
        est indiqué par l'ancien nom du port.
 
 Mais la Calle était aussi le débouché naturel des 
        hautes plaines constantinoises. Aussi, par-delà les forêts, 
        forêts le plus souvent de chênes-liège, mais aussi 
        d'ormes et de frênes, en plus de l'élevage existant dans 
        les prairies naturelles, il y avait la possibilité de faire venir 
        les céréales, les blés de l'intérieur, des 
        blés durs sans pareil dans le monde.
 
 Et c'est ce commerce du blé qui, plus que le très beau corail 
        de la Calle, prendra de l'importance, causera nos difficultés, 
        amènera notre occupation.
 
 Malgré ces ressources, on peut être surpris par l'intérêt 
        que nous donnons à ce comptoir de Berbérie au XVI° siècle. 
        Le XVI° siècle, c'est le siècle des grandes découvertes, 
        partant des grands empires coloniaux. Or, plus que les grandes découvertes 
        nous intéressaient ces comptoirs, ces échelles de la Méditerranée 
        si connue, et, plus que l'aventure, la politique. En effet, dans cette 
        première moitié du XVI° siècle, le duel François 
        lier Charles Quint met la France en péril. Contre l'ennemi commun 
        l'Espagnol, nous faisons alliance avec le Turc Soliman le Magnifique, 
        la grande puissance méditerranéenne.
 
 On comprend donc l'intérêt des Capitulations, ce traité 
        d'alliance défensive et offensive, mais aussi commercial. Soliman 
        règne sur la Méditerranée orientale. Les frères 
        Barberousse viennent de lui donner les côtes de Libye, de Tunisie, 
        de Berbérie. Autorisés à commercer dans l'Empire 
        turc, les Français ajoutent aux Echelles du Levant, les Echelles 
        de Berbérie.
 
 On ne saurait minimiser la valeur de ce traité sur le plan politique. 
        " Tous les chrétiens allant à Constantinople, aux Echelles 
        du Levant et de Berbérie, sont sous la juridiction et la protection 
        du Consul de France. " On voit par là le prestige de la France 
        en Méditerranée.
 
 Mais de surcroît, il y a le respect du pavillon français. 
        La Turquie, cette puissance qui vit de la course - la piraterie -, pour 
        qui la course est une institution d'Etat, fait exception pour la France. 
        " Les corsaires ne doivent pas attaquer nos bateaux. "
 
 Tant que les corsaires d'Alger respecteront cette clause, la Compagnie 
        Lenches fera de bonnes affaires au Bastion, et sa prospérité 
        témoignera de l'accord des Français avec les tribus de la 
        Mazoule. Cette clause sera-t-elle toujours respectée ? Un successeur 
        de Khair al Dïn, hostile à la France, et qui cherche à 
        se rendre indépendant ne la respectera pas. Il occupe le Bastion 
        en 1551 et ne le rendra que moyennant paiement d'un tribut.
 
 En 1571, la victoire navale de l'Espagne sur la Turquie, à la bataille 
        de Lépante, ruine pour un temps la puissance du Sultan.
 
 Plus de force, plus de prestige, partant, plus d'autorité. Les 
        corsaires d'Alger ne respecteront plus les Capitulations, si nuisibles 
        à leurs intérêts : la course reprend à nos 
        dépens, comme aux dépens de tout vaisseau chrétien.
 
 Les affaires de notre Bastion périclitent.
 
 La France, trop occupée par ses guerres de religion, ne peut, en 
        cette fin de siècle, défendre les intérêts 
        de ses commerçants en Méditerranée.
 
 Nous entrons, sous ces fâcheux auspices dans le XVII' siècle, 
        qui sera l'âge d'or de la course.
 
 On est surpris, tout de même, de la puissance des corsaires en ce 
        début du XVII' siècle ; plus forte que les pouvoirs politiques, 
        que le Sultan, que le Roi de France. Pourtant, la Turquie s'est remise 
        de sa défaite de Lépante, victoire chrétienne sans 
        lendemain. Elle a resserré ses liens avec ses nouvelles possessions. 
        Le pouvoir civil a remplacé le pouvoir militaire. La Berbérie 
        est devenue la Régence d'Alger.
 
 En France, Henri IV a affermi son pouvoir. En 1604, il décide de 
        rétablir la situation du Bastion. Notre ambassdeur à Constantinople, 
        M. de Brèves, obtiendra, cette même année, le renouvellement 
        des Capitulations.
 
 Mais telle est l'insubordination des corsaires d'Alger que non seulement 
        la course continue de sévir à nos dépens, mais que 
        le Bastion est détruit en 1604 (première destruction du 
        Bastion).
 
 Pour le sultan, c'est une offense. Un envoyé de la Porte se rend 
        à Alger et le gouverneur est étranglé. Voilà 
        qui ne trouble pas les corsaires : la course sévit plus que jamais.
 
 Un Edit de la Marine (1620) du temps de Louis XIII, prouve qu'elle triomphe. 
        Non seulement nos bateaux ne peuvent plus circuler librement, mais nous 
        devons protéger nos côtes, les fortifier contre les incursions 
        des pirates, des corsaires.
 
 Pourquoi la course prend-elle une telle extension ? Pourquoi les corsaires 
        d'Alger, au mépris des Capitulations, de la volonté du sultan, 
        s'attaquent-ils aux bateaux français ? C'est tout simplement que 
        la course est une ressource indispensable. Qui ne peut vivre de son bien, 
        vit du bien d'autrui.
 
 Quelles sont les ressources du pays ? Dans ce pays où les nomades 
        l'emportent chaque jour davantage sur les sédentaires, les ressources 
        diminuent. De moins en moins de récoltes, de plus en plus de bétail, 
        facile à dissimuler. Au passage, nous comprenons le mécontentement 
        du pouvoir d'Alger, privé des blés du Constantinois par 
        le commerce des tribus avec le Bastion et nous comprenons les tribus, 
        qui aiment mieux vendre leur blé à des commerçants 
        français plutôt qu'être pressurés par les janissaires. 
        Mais il demeure que les entrées sont maigres. Il n'en va pas de 
        même avec la course.
 
 La course, entre les mains des rais (Capitaine 
        des corsaires. ), est source d'abondance. Plus que toute autre 
        marchandise, procurée par la piraterie, ce sont les captifs chrétiens 
        qui sont la grande ressource. On sait ce que rapporte leur rédemption, 
        leur rachat.
 
 Aussi, quand les galères reviennent avec leur cargaison humaine, 
        c'est la joie dans Alger. On festoie. La course, si j'ose dire, est une 
        ressource de tout repos.
 
 En ce siècle prospère.., pour les corsaires, le nombre des 
        esclaves chrétiens, dans ce repaire de corsaires qu'était 
        Alger, a été évalué entre 25.000 et 30.000, 
        soit le tiers de la population. C'est donc une ressource essentielle à 
        la bonne marche du pays et l'on comprend qu'en dépit du sultan, 
        du roi, du traité de Brèves, la course continue.
 
 Allons-nous renoncer ? C'est impossible : nous sommes dans l'obligation 
        de nous défendre, puisque nos côtes sont attaquées. 
        Mais avant de rompre on négocie, et Richelieu chargera Samson 
        Napollon, gentilhomme de la Chambre du roi, de reprendre les 
        négociations.
 
 Le souvenir de ce négociateur est resté, quand celui de 
        tant d'autres a été oublié. Qui a vécu à 
        la Calle, du temps des Français, pouvait voir sur le cours de cette 
        ville, en bordure du port, un monument à la gloire de Samson Napollon. 
        Il l'avait bien mérité.
 
 Certes, il traite avec la Porte : traité de 1626. Mais il ne se 
        contente pas de faire confirmer par le gouvernement turc les droits qui 
        nous sont reconnus par les Capitulations. Il se rend à Alger. Il 
        sait parler au pacha, à la milice : sans doute, aux corsaires, 
        et il obtient que l'on rétablisse le Bastion, que l'on restaure 
        le port de la Calle.
 
 Un envoyé du roi, M. de Lisle, apporte une ordonnance, aux termes 
        de laquelle il fut bien établi que Samson Napollon tenait les places 
        du Bastion immédiatement du roi. Par ce dernier, Samson Napollon 
        est nommé commandant du Bastion, des forteresses de la Calle, au 
        cap Masa.
 
 Ce même M. de Lisle, au cours de son inspection, s'est rendu au 
        Bastion, à la Calle. De ce dernier port, il a laissé une 
        'description qui répond assez bien à ce qui existe encore 
        a l'escarpement du rocher, les constructions, les murs qui unissent forment 
        une enceinte qu'on a décorée du nom du Bastion. Il y a trois 
        portes : la porte de la Marine, favorable aux départs précipités, 
        la porte de Terre, la porte Sud ".
 
 Qui a vu un voilier à l'entrée du port de la Calle peut 
        imaginer la vie de ce temps : les galères amarrées au quai, 
        tous ces voiliers dans la baie des corailleurs, ou sillonnant la mer, 
        du Bastion à la Calle. On comprend le contentement des hommes de 
        la Mazoule. Cette presqu'île n'était plus Marsa el Kharas, 
        un repaire de corsaire sur une côte déserte, mais un port 
        actif. Avec le Bastion, avec la Calle, la vie renaissait.
 
 Ainsi, le Bastion rétabli, notre pouvoir confirmé, notre 
        pavillon respecté, il semblait que Samson Napollon eût jeté 
        les bases solides d'une présence française dans ce pays.
 
 L'oeuvre sera de courte durée. Nous ne connaissions plus d'autre 
        difficulté que la concurrence génoise à Tabarka. 
        Il était naturel de vouloir y mettre un terme.
 
 Mais peut-être l'action fut-elle mal entreprise, plus sûrement 
        la trahison eut raison de notre commandant.
 
 Samson Napollon périt misérablement, 
        lors de l'attaque en 1633. Ce fut un désastre.
 
 Son successeur, S. Lepage, ne s'impose pas, et, en 1637, le Bastion est 
        détruit par le corsaire Ali Bitchini, de son vrai nom oPicinini 
        (un renégat italien). Les habitants du Bastion sont enlevés, 
        vendus comme esclaves.
 
 Voilà qui semble bien fait pour décourager notre gouverneur, 
        qui a d'autres soucis. N'y a-t-il pas eu cette même année 
        1637 un complot contre Richelieu ?
 
 Ce n'est donc pas de chez nous que vient le recours. Il vient des tribus 
        de la Mazoule, des tribus de ce territoire vendu à la France.
 
 Les tribus de la Mazoule refusent de payer l'impôt au bey de Constantine. 
        Plus de Bastion, oplus de commerce, plus d'argent.
 
 Et l'on parle de rien moins que d'attaquer Constantine. Il faut toute 
        la sagesse du vieux chef pour calmer les esprits et l'on traite o: les 
        tribus de la Mazoule ne seront pas châtiées pour avoir refusé 
        l'impôt et le Bastion sera restauré, rendu aux Français.
 
 Un homme entreprenant, Coqueil. s'entremet pour la signature du nouveau 
        traité (traité Coqueil 1640). Comme les précédents 
        traités, il ratifie les Capitulations. Mais il ajoute une clause 
        oqui peut surprendre. Il demande que le Bastion de la Calle soit fortifié 
        pour se protéger des attaques espa-gnoles et pour protéger 
        les bateaux corsaires qui chercheraient refuge dans notre port. Richelieu 
        proteste mais la mesure est appliquée.
 
 En plein triomphe de la course nous pouvons donc commercer librement en 
        Méditerranée ; cela durera dix-huit ans et cela pourrait 
        durer longtemps encore sans les agissements de notre gouverneur.
 
 Si Coqueil a compris la mentalité des corsaires, Th. Piquet, lui, 
        s'est pénétré de cette mentalité. Les affaires 
        vont moins bien, le tribut est lourd. Qu'à cela ne tienne. Quand 
        Drogmans et Chaouchs se présentent pour toucher le tribut, notre 
        gouverneur les couvre de chaînes, les emmène sur sa galère 
        et les vend.
 
 Le gouvernement français désavoue ce ressortissant indigne, 
        paie ses dettes mais rien ne peut calmer la fureur d'Alger. Les esclaves 
        chrétiens ont beaucoup à souffrir tant est grande l'indignation 
        des corsaires.
 Maddy DEGEN. (A suivre...Mais je n'ai pas le n° correspondant. 
        Dommage.).)
 
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