| CATASTROPHE MINIERE AU SIEGE 
        9 DE KÉNADSA LES 4 ET 9 MAI 194814 MORTS
 Le 4 mai 1948, un incendie se déclare 
        au siège 9 des houillères de Kénadsa, dans le Sud-Oranais. 
        Il cause la mort de dix ouvriers mineurs, dont un chef d'équipe.
 Cinq jours après survient une seconde catastrophe - due à 
        la témérité et au dévouement dun ingénieur 
        qui, à l'insu de ses camarades, avait décidé d'explorer 
        le fond du siège sinistré. Cette deuxième catastrophe 
        coûte la vie à deux ingénieurs et à deux chefs 
        d'équipe.
 
 Au total, quatorze mineurs morts dans l'accomplissement de leur devoir 
        :
 
        
          | -Ingénieurs: MM. 
              DelengaigneDussel
 -Agents de maîtrise: MM. Di Piazza
 Kraemer
 Pontiaux
 -Ouvriers: MM. Abdelkader Ben Mohamed
 Belbekiri Abdelazziz
 El Hachi Chiech
 Hamed Ben Abderhamane
 Kessal Messaoud
 Loftil Khalifa
 Larbi Ben Ajel
 Mohamed O. Brick
 Terras Mohamed
 |  Aujourd'hui, la tragédie sort de l'oubli 
        et un hommage peut être rendu aux victimes. Guy Palomas a trouvé 
        aux Archives d'Outre-Mer d'Aix-en-Provence la discussion à l'Assemblée 
        Nationale exposant à l'époque les différentes hypothèses 
        sur les causes de l'incendie (Journal Officiel du 8 juin 1948).
 Mais en définitive, accident ou sabotage, le mystère reste 
        entier.
 [Transmis par Guy Mangini]
 JOURNAL OFFICIEL DU 
        8 JUIN 1948 pages 3278 à 3280 ASSEMBLEE NATIONALE  2e SEANCE 
        DU 8 JUIN 1948 Mme Alice Sportisse. Mesdames, Messieurs, 
        le 4 mai dernier, peu avant deux heures du matin, un incendie se déclarait 
        au siège 9 des houillères de Kénadsa, dans le Sud-Oranais. 
        Cette catastrophe devait causer la mort, dans de terribles circonstances, 
        de dix ouvriers mineurs, dont un chef d'équipe.
 Cinq jours après, elle était suivie dune seconde catastrophe 
        - due à la témérité et au dévouement 
        sans limite dun Ingénieur qui, à l'insu de ses camarades, 
        avait décidé d'explorer le fond du siège sinistré, 
        pour lui arracher son secret. Cette deuxième catastrophe coûta 
        la vie à deux ingénieurs et à deux chefs d'équipe.
 
 Les circonstances qui entourent cette tragédie demeurent mystérieuses, 
        malgré l'envoi sur place de hauts fonctionnaires du Gouvernement 
        général et dun nombre considérable d'enquêteurs 
        officiels.
 
 Les constatations, aussi bien que les témoignages, sont on ne peut 
        plus troublants. Les faits, tels que nous les connaissons, nous obligent 
        à poser dès maintenant une série de questions au 
        Gouvernement.
 
 Les constatations faites jusquici  indépendamment de 
        lensemble des faits que je laisse momentanément de côté 
         nous permettent de dire pourtant pourquoi l'opinion publique s'est 
        troublée. Il y a d'abord les circonstances dans lesquelles cet 
        incendie a éclaté ; et c'est encore qu'il se soit déclaré 
        au siège 9, qui est isolé, étant situé à 
        six kilomètres de Kénadsa et à dix-neuf kilomètres 
        des sièges de Bidon II. Lincendie a éclaté, 
        en pleine nuit, vers une heure quarante-cinq du matin, dans un siège 
        qui compte peu de personnel, car il est en préparation.
 
 Les constatations établissent maintenant formellement que l'incendie 
        s'est déclaré dans la descenderie principale, entre les 
        niveaux C et D alors que l'équipe travaillait à la hauteur 
        du niveau E. Depuis, on a pu constater, en effet, que plus au fond et, 
        en particulier, à lendroit où l'équipe travaillait, 
        il n'y a pas de traces dincendie. Les pompes situées à 
        ce niveau sont intactes.
 
 De ces brèves constatations, que je me réserve dailleurs 
        de développer davantage, il faut retenir:
 
 1° La rapidité et l'intensité avec lesquelles l'incendie 
        s'est déclaré. En une heure, il était impossible 
        de descendre à plus de soixante mètres;
 2° L'endroit où i1 a éclaté: vers le milieu de 
        la descenderie, ce qui ne permettait ni aux sauveteurs ni aux ouvriers 
        du fond de remonter;
 3° Létat des pompes, absolument intactes au moment où 
        la prospection, a pu se faire jusqu'à elles, le 10 mai seulement, 
        par l'équipe de sauveteurs de Lens, ce qui écarte l'hypothèse 
        du court-circuit;
 4° Le blocage suspect du skip amenant les deux premiers sauveteurs, 
        blocage qui semble avoir eu pour cause la présence sur la voie 
        de poutres de bois disposées verticalement, en obstruant le passage.
 
 Les thèses en présence sont de trois ordres: imprudence, 
        court-circuit, sabotage.
 
 Je pourrais donner des témoignages autorisés qui semblent 
        écarter les deux premières. Quant à la troisième, 
        c'est celle qui semble cheminer dans l'opinion publique avec le plus d'insistance 
        en raison des circonstances matérielles que jai indiquées 
        brièvement et aussi en tenant compte :
 
 1° D'un incident qui sest produit, quatre jours avant la catastrophe, 
        et au cours duquel un forgeron de ce siège, voulant allumer sa 
        forge avec une pelletée de charbon prise sur le carreau, provoqua 
        une explosion qui fit s'ébouler la cheminée et sauter les 
        tuiles du bâtiment.
 
 2° Lincident du 14 mal, c'est-à-dire dix jours après 
        la première catastrophe, au cours duquel, à 5 heures du 
        matin, à la fin dun poste, on trouva dans une galerie du 
        siège 8 un bois vermoulu enflammé et qui avait été 
        préalablement nettoyé de son écorce humide. Comme 
        par hasard, le téléphone de ce siège ne fonctionnait 
        pas. Recherches faites, on découvrit sur la ligne téléphonique 
        un U de fer cause dun court-circuit.
 
 3° Quelques jours encore après, cambriolage des bureaux de 
        la mine.
 
 4° Enfin, l'importance capitale du siège 9 lui-même pour 
        l'avenir de la mine. Ce siège n'était quen préparation. 
        Sa mise on exploitation devait permettre d'assurer le niveau actuel de 
        la production car, du mois de juin 1948 à fin janvier 1949, l'exploitation 
        de quatre autres sièges doit se terminer.
 
 « Par la suite, disent les cadres et les techniciens, ce siège 
        devait permettre d'augmenter de 80 p. 100 la production des houillères, 
        qui est actuellement de 1.000 tonnes par jour. »
 
 Enfin, équipé d'un matériel moderne  le seul, 
        dailleurs, de toute la houillère  il devait établir 
        la liaison avec le siège 25, également en préparation.
 Les charbons de ce dernier siège devaient être ramenés 
        par une installation rationnelle et des plus économiques au siège 
        9 et, par ce dernier, jusqu'au lavoir situé à proximité.
 
 Voilà donc, rapidement exposés, les éléments 
        qui se rattachent directement à la catastrophe du 4 mal. Mais encore 
        faudrait-il, pour permettre une appréciation exacte de cette catastrophe, 
        connaître la situation passée et présente de la houillère, 
        notamment la gestion avant le décret de nationalisation et dire 
        comment, depuis la mise en place du nouveau conseil d'administration, 
        il apparaît aux yeux de tous que non seulement cette houillère, 
        contrairement aux affirmations de ses détracteurs, est viable et 
        rentable, mais quelle peut être un élément déterminant 
        de l'économie algérienne.
 
 Au cours de mon interpellation, pour la discussion de laquelle je vous 
        demande de fixer une date aussi rapprochée que possible, je me 
        propose de décrire cette situation avec des documents authentiques, 
        qui prouvent que la mine a des ennemis, même dans les sphères 
        du gouvernement général, même au sein du conseil d'administration 
        actuel.
 
 Une autre question est également en jeu, dont on doit tenir compte: 
        cest la concurrence des charbons étrangers, dont certains 
        membres du conseil dadministration actuel qui sont, en même 
        temps, fonctionnaires du gouvernement général, voudraient, 
        en Algérie, faire prévaloir la vente sur celle de nos charbons 
        algériens.
 
 Dans tous les cas, un fait demeure, qui domine tout. Il a fallu ces quatorze 
        victimes du devoir, neuf musulmans, cinq européens, unis dans la 
        mort, comme ils l'avaient été dans la peine, dans une exploitation 
        minière située en plein Sahara, pour que les pouvoirs publics 
        se rendent compte qu'au milieu des sables, à 700 kilomètres 
        de la côte, près de 4.000 ouvriers, cadres et techniciens, 
        travaillent dans les pires conditions à doter lAlgérie 
        d'une industrie de première importance.
 
 La tragédie de Kénadsa pose brutalement devant nous le problème 
        de l'exploitation coloniale des travailleurs. Les grévistes du 
        Kouif, en lutte depuis plus de cinquante-cinq jours, les victimes de Kénadsa 
        appellent notre attention, d'une part, sur la cupidité d'un patronat 
        de combat, qui ne veut rien abandonner de ses privilèges ni de 
        ses bénéfices et, d'autre part, sur les travailleurs algériens 
        auxquels on ne veut pas reconnaître les droits de leurs frères 
        métropolitains, qui ne bénéficient pas des lois sociales 
        et de la sécurité sociale, qui n'ont pu obtenir, pour la 
        majorité des mines d'Algérie, l'application du statut des 
        mineurs et qui ne connaissent pas le respect du règlement général 
        des mines en Algérie.
 
 Il faut donc que la lumière soit faite le plus tôt possible 
        sur la tragédie de Kénadsa.
 
 Les ouvriers, les ingénieurs et les cadres des mines d'Algérie 
        ne peuvent se contenter des menées d'enquêteurs officiels, 
        qui ne les représentent pas. Ils revendiquent tous la sécurité 
        dans leur travail et dans leur vie quotidienne.
 
 Ils demandent, par conséquent, qu'une commission paritaire d'enquête 
        soit rapidement désignée, comprenant des représentants 
        qualifiés des ouvriers, des techniciens et des cadres.
 
 En attendant, je demande que la date de discussion de mon interpellation 
        soit rapidement fixée, car les mineurs de Kénadsa attendent 
        les explications du Gouvernement. (Applaudissements à l'extrême 
        gauche.)
 
 M. le président. La parole est à M. Serre.
 
 M. Charles Serre. LOranie a appris, avec peine, le drame tragique 
        du travail qui a atteint les mineurs de Kénadsa. Toute la population 
        d'Oranie, comme cette Assemblée, s'est inclinée avec émotion 
        devant ces ouvriers européens et musulmans tombés sur le 
        lieu de leur travail.
 
 Comment ne citerais-je pas les actes dhéroïsme qui ont 
        été accomplis par les cadres et par les ouvriers, certains 
        d'entre eux étant tombés en se portant au secours de leurs 
        camarades !
 
 Ce drame affreux pose à notre conscience un grave problème 
        : dans cette entreprise, qui est sous le contrôle de la puissance 
        publique et lui appartient, tout est-il organisé d'une manière 
        rationnelle, scientifique et moderne ?
 
 Pour ma part, jaccepterais volontiers le renvoi à la suite 
        qui a été demandé par M. le ministre de lIntérieur, 
        mais je ne laccepterais pas comme un enterrement, car la question 
        mérite examen. Je sais que lordre du jour des travaux de 
        cette Assemblée est surchargé et que les propositions de 
        la conférence des présidents ne nous permettent pas de traiter 
        tous les problèmes à la fois. Jespère, cependant, 
        que la discussion de cette affaire sengagera dans le plus bref délai, 
        parce que nous sommes en présence d'un fait extrêmement important. 
        Par la force des choses, les houillères du Sud-Oranais se sont 
        développées, en effet, au cours de la dernière guerre, 
        au mépris de légitimes préoccupations financières, 
        en pleine méconnaissance aussi des données dune saine 
        organisation technique de lexploitation. On a été 
        contraint d'utiliser un matériel de fortune et, de façon 
        parfois improvisée, de pousser la production au maximum.
 
 Ces méthodes précaires ont peut-être conduit à 
        négliger létablissement dun plan de travail 
        sérieux, donnant toute son importance à la mise en place 
        des moyens de sécurité, indispensables aux hommes qui, sous 
        des températures terribles, travaillent, en plein désert, 
        pour extraire le charbon nécessaire à l'économie 
        nationale et aux activités algériennes.
 
 Je me permets donc d'insister, à la fois, auprès du Gouvernement 
        et de lAssemblée, pour qu'on n'oublie pas les mineurs de 
        Kénadsa, pour qu'on ne néglige pas les garanties de sécurité 
        quon leur doit et pour que, le plus tôt possible, l'Assemblée, 
        avec l'ardent désir d'aboutir, étudie cet événement 
        douloureux avec une entière efficacité.
 
 M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Intérieur.
 
 M. le ministre de l'Intérieur. J'ai, en effet, demandé le 
        renvoi à la suite, non que le sujet ne vaille pas d'être 
        discuté. C'est un accident douloureux, infiniment regrettable, 
        aggravé par les circonstances dans lesquelles s'est produit le 
        deuxième accident.
 
 Le premier a fait dix victimes, le 4 mai, et le deuxième, quelques 
        jours plus. tard, en a fait quatre autres: un ingénieur, qui s'était 
        aventuré, peut-être imprudemment, au fond de la mine encore 
        dangereuse, et trois hommes  un ingénieur et deux chefs de 
        chantier  qui s'étaient efforcés de dégager 
        le premier.
 
 Je suis en possession des télégrammes qui m'ont été 
        immédiatement envoyés par le gouvernement général 
        et d'un premier rapport de l'inspecteur général des mines 
        qui est resté sur place.
 
 Je ne crois pas quil soit utile que je donne à lAssemblée 
        lecture de ces textes, qui sont longs et contiennent nombre de renseignements 
        techniques. Je préfère en résumer la substance.
 
 Des premiers éléments de l'enquête, il apparaît 
        que la catastrophe est due à un incendie de boiserie, survenu dans 
        une descente, sensiblement à égale distance de l'ouverture 
        en surface et du fond de la galerie.
 
 L'origine de l'incendie est inconnue. Il semble qu'il ait provoqué, 
        à mi-course, un éboulement et l'on peut expliquer ainsi 
        larrêt des wagonnets formant funiculaire, l'un empruntant 
        la galerie montante, lautre la galerie descendante.
 
 Les premières constatations indiquent qu'il ne peut pas sagir 
        dun accident de mine proprement dit: coup de grisou, ou coup de 
        poussières. Il n'y avait pas de grisou. Il n'y a jamais eu de grisou 
        dans cette galerie, qui nétait pas encore exploitée 
        et que lon perçait en vue dune exploitation future.
 
 Il ne semble pas non plus, d'après les rapports des techniciens, 
        quil y ait eu faute dexploitation, ou violation de la réglementation 
        minière, en sorte qu'il est encore impossible de conclure de façon 
        formelle, sur la cause de l'accident.
 
 On peut émettre des hypothèses.
 
 On peut émettre celle d'une imprudence: il y avait, à peu 
        près à mi-distance, un dépôt de vêtements, 
        - semble-t-il, d'après les traces que l'on a retrouvées 
        - et il est possible qu'une lampe y ait mis le feu.
 
 On ne peut pas éliminer complètement, encore qu'elle soit 
        particulièrement atroce, l'hypothèse d'un acte de malveillance 
        ou de sabotage. On a peine à imaginer qu'un être humain puisse 
        commettre un tel acte. Mais,dans 1'état actuel de l'enquête, 
        il n'est pas possible décarter complètement cette 
        hypothèse. En tout cas, l'enquête continue. Elle est menée, 
        pour le Gouvernement général, par un homme de très 
        grande valeur, M. Bouakuir, qui est un kabyle, directeur technique au 
        Gouvernement général et, pour le contrôle des mines, 
        par un inspecteur général des mines, M. Bétler, que 
        je connais particulièrement et que j'estime également beaucoup.
 
 Le premier rapport d'ensemble de M. Bétler, en dehors des nouvelles 
        fragmentaires parvenues au jour le jour, date du 28 mai. Nous lavons 
        reçu il y a quelques jours. Cest un rapport assez volumineux, 
        qui se termine par ces mots: « En l'état des constatations, 
        on ne peut toutefois écarter définitivement l'hypothèse 
        de la malveillance, que je discuterai dans mon prochain rapport ».
 
 Je me garderai dajouter quoi que ce soit. Je veux attendre d'avoir 
        tous les textes pour juger. Ce que je puis dire, cest quil 
        semble, en rapprochant les heures des accidents des heures d'envoi de 
        matériel de secours, que toutes les mesures humainement possibles, 
        pour limiter les conséquences funestes de la catastrophe, ont été 
        prises.
 
 Ainsi, contrairement à ce qu'on a dit, on na pas manqué 
        d'oxygène. Le hasard fait quil en était arrivé 
        7.000 litres par chemin de fer. le jour même. Mais, l'administration 
        d'Alger, ignorant l'arrivée de ce supplément doxygène 
        liquide, a frété immédiatement un avion, qui est 
        parti trois ou quatre heures après que l'accident eut été 
        connu à Alger, apportant lui aussi des réserves doxygène 
        pour les appareils respiratoires.
 
 Bien entendu, je donne lassurance aux deux interpellateurs qu'aussi 
        bien l'Inspecteur général des mines que les services techniques 
        de lAlgérie prendront toutes mesures utiles pour imposer 
        les méthodes de sécurité nécessaires.
 
 M. le Président: La parole est à M. Lecoeur, au nom du groupe 
        communiste.
 
 M. Auguste Lecoeur. Nous ne pouvons accepter la proposition du Gouvernement 
        tendant au renvoi à la suite des interpellations.
 
 En effet, depuis plusieurs mois, nous assistons à une avalanche 
        de catastrophes minières. Celle qui vient de se produire à 
        Kénadsa a fait suite à celle de Courrières qui elle-même 
        avait suivi celle de Petite Rosselle.
 
 En dehors de ces catastrophes, dautres accidents, sans doute moins 
        spectaculaires, mais plus nombreux, se produisent tous les jours dans 
        nos bassins miniers. Par conséquent, le Gouvernement se doit de 
        demander lui- même la discussion de ces interpellations au fond, 
        afin de déterminer les raisons pour lesquelles la corporation minière 
        compte en ce moment tant de victimes, de rechercher les causes des catastrophes 
        et dy porter immédiatement remède.
 
 A la vérité, le Gouvernement ne veut en aucun cas que lon 
        aborde la discussion au fond de la question parce quil ne veut pas 
        que soit mise en lumière la néfaste politique qui a provoqué, 
        dans les houillères, cette série de catastrophes.
 
 Les catastrophes se produisent dans les mines depuis que M. Lacoste, ministre 
        du commerce et de lindustrie a rassemblé à Paris tous 
        les cadres des mines, ingénieurs compris, et leur a dit: «Actuellement, 
        compte tenu de létat technique de notre bassin et nos difficultés 
        dexploitation, le prix de revient de notre charbon peut concurrencer 
        le prix des charbons étrangers ».
 
 Ayant énoncé cette vérité, 1e ministre a ajouté: 
        Dans la période présente, le prix du charbon détermine 
        lensemble de l'économie et  je cite, ici, textuellement 
        ses paroles  « Il vous faut faire du charbon au prix de revient 
        le plus bas possible ».
 
 En conséquence, on produit aujourdhui du charbon au prix 
        de revient le plus bas possible, au mépris de la sécurité 
        des mineurs. Voilà la première responsabilité.
 
 Mais, me direz-vous, il y a quand même, dans les mines, des moyens 
        de veiller à la sécurité des ouvriers mineurs.
 
 Il y a évidemment, cest une première chose, les délégués 
        mineurs. Mais les délégués mineurs, élus par 
        le personnel, nont aucun pouvoir leur permettant de veiller à 
        la sécurité. Le Gouvernement refuse d'étendre leurs 
        pouvoirs, seul moyen qui leur permettrait darrêter le travail 
        sur un chantier dès que celui-ci serait reconnu dangereux.
 
 En outre, il existait dans les mines ce que l'on appelait les ingénieurs 
        du corps de l'Etat, dont la fonction naturelle était de veiller 
        à l'application du règlement, d'obliger lexploitant 
        à appliquer le règlement pour assurer la sécurité. 
        Mais, aujourd'hui, ces hommes sont transformés eux-mêmes 
        en exploitants par l'Etat-patron.
 
 Aujourd'hui, le ministre de l'industrie et du commerce, au lieu demployer 
        ces ingénieurs à veiller à l'application du règlement, 
        les utilise à sa politique d'exploitation, qui consiste à 
        produire du charbon au prix le plus bas possible. Les Ingénieurs 
        du corps de lEtat, au lieu de veiller à l'application du 
        règlement, deviennent des exploitants.
 
 En récompense de leurs services  non pas pour l'application 
        du règlement, mais pour celle de la politique du Gouvernement! 
         le ministre de lindustrie et du commerce leur octroie des 
        sinécures. Ainsi, il désigne M. Audibert comme président 
        des Charbonnages de France et M. Bazillac comme directeur général 
        adjoint des houillères du Nord et du Pas-de-Calais. Tous les ingénieurs 
        du corps des mines, lorsqu'ils ont satisfait à la politique du 
        Gouvernement, qui est de ne pas appliquer le règlement lorsqu'il 
        gêne le Gouvernement, obtiennent une sinécure.
 
 Le Gouvernement en est arrivé à cet état de fait 
        qui consisterait, par exemple, à nommer directeur général 
        de Citroën l'Inspecteur du travail chargé dappliquer 
        le règlement dans cette usine.
 
 C'est là une violation de la légalité par le Gouvernement. 
        Elle n'est, d'ailleurs, pas unique. La semaine dernière, nous assistions 
        à ce spectacle lamentable: devant le tribunal de simple police 
        de Carvin, dans le Pas- de-Calais, le ministre du commerce et de l'Industrie 
        a été condamné par les Juges de paix pour avoir violé 
        le statut des mineurs ! (Exclamations à l'extrême gauche.)
 
 M. Jean Masson. Cela prouve l'indépendance de la magistrature.
 
 M. Auguste Lecoeur. Voilà où en est lapplication du 
        règlement.
 
 Cest pourquoi nous ne pouvons accepter la proposition du Gouvernement.
 
 Les mineurs remercient bien sincèrement tous ceux qui consentent 
        à lever leur chapeau devant leurs sacrifices et les deuils dont 
        ils sont victimes.
 Mais ils se refusent et nous nous refusons absolument à faire nôtre 
        cette sorte de fatalisme qui consiste pour les uns et les autres à 
        rester insensibles lorsque la presse apprend une nouvelle catastrophe 
        minière et la mort de nouveaux mineurs au champ dhonneur 
        du travail.
 
 Tout à l'heure, M. Serre, député d'Oran, disait au 
        ministre: « Si je savais que vous voulez repousser aux calendes 
        la discussion de mon interpellation, je serais contre vous ».
 
 Monsieur Serre, vous êtes suffisamment au courant des pratiques 
        de cette Assemblée pour savoir qu'en fait le ministre repousse 
        définitivement la discussion de cette interpellation. Et les gens 
        d'Oran, les mineurs de Kénadsa, que vous nêtes pas 
        allés voir souvent pour parler comme vous lavez fait de l'exploitation, 
        savent parfaitement quelle a été votre attitude. (Applaudissements 
        à l'extrême gauche.)
 
 Nous demandons instamment que le Gouvernement consente à se pencher 
        sur cette situation. Je fais appel aux députés qui font 
        partie de la majorité du Gouvernement : vont-ils encore longtemps 
        se faire les complices de cette politique du Gouvernement qui consiste 
        à accumuler des ruines et des deuils dans notre corporation minière 
        ? Leur responsabilité est engagée.
 
 J'insiste pour que l'interpellation de Mm» Alice Sportisse soit 
        discutée immédiatement. (Applaudissements à l'extrême 
        gauche.).
 
 M. le président. La parole est à M. Rabler, au nom du groupe 
        socialiste.
 
 M. Maurice Rabler. J'ai déjà eu loccasion, lorsque 
        noua avons discuté de la proposition de M. Djemad, de dire brièvement 
        ce que nous pensons de ce terrible accident de Kénadsa.
 
 A peine la nouvelle était-elle connue à Paris, que nous 
        sommes intervenus auprès du ministre pour quune enquête 
        soit ouverte. Le ministre nous a tranquillisés en nous disant que 
        cette enquête suivait son cours et que nous pourrions à bref 
        délai être mis en présence de ses conclusions sur 
        ce terrible accident.
 
 Nous n'avons pas aujourd'hui à prendre de conclusions hâtives 
        sur cette question. Le groupe socialiste votera le renvoi à la 
        suite, non pour que le débat soit renvoyé aux calendes, 
        comme on la dit, mais pour que notre Assemblée puisse être 
        mise au courant des résultats de l'enquête en cours.
 Je demande au Gouvernement de communiquer ces résultats à 
        lAssemblée le plus rapidement possible, afin qu'un débat 
        au fond puisse s'instaurer devant l'Assemblée, en vue de faire 
        toute la lumière sur la catastrophe de Kénadsa.
 
 M. Jacques Duclos. Sur le renvoi à la suite, je demande un scrutin.
 
 M. le président. Je consulte l'Assemblée sur le renvoi à 
        la suite de linterpellation de Mme Sportisse. Je suis saisi d'une 
        demande de scrutin présentée par 1e groupe communiste.
 
 Le scrutin est ouvert.
 
 (Les votes sont recueillis.  MM. les secrétaires en font 
        le dépouillement.)
 
 M. le président. Voici le résultat du dépouillement 
        du scrutin :
 Nombre des votants 573
 Majorité absolue 287
 Pour l'adoption 366
 Contre 207
 
 L'Assemblée nationale a adopté.
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