| ------Le gouvernement 
        déféra par la suite au Haut Tribunal militaire cinq autres 
        généraux accusés d'avoir pris parti en faveur du 
        mouvement insurrectionnel d'avril 1961. Comparurent tour à tour, 
        durant le mois de juin 1961 et dans les premiers jours de juillet, les 
        généraux Bigot, Petit, Nicot, Gouraud et Mentré.------Au premier d'entre eux, le général 
        Pierre-Marie Bigot, commandant de la 5° région aérienne 
        à Alger, il était reproché d'avoir connu le projet 
        d'insurrection dès le 16 avril et de n'en point avoir averti ses 
        chefs. En outre, il avait été "le passeur" de 
        Challe et de Zeller auxquels il envoya un avion en métropole, à 
        la veille des évènements, en accord avec le général 
        Nicot, major-général de l'armée de l'air, pour leur 
        permettre de gagner l'Algérie.
 ------L'accusation reprochait aussi au général 
        Bigot d'avoir donné l'ordre au général Fourquet d'intercepter 
        la Caravelle qui amenait en Algérie, le jour de l'insurrection, 
        M. Louis Joxe, ministre des Affaires Algériennes et le nouveau 
        commandant en chef, le général Olié, envoyés 
        de toute urgence en inspection sur place par le gouvernement. Le général 
        Fourquet s'étant refusé à exécuter cet ordre, 
        il était fait grief à l'accusé d'avoir ordonné 
        son arrestation. Enfin, était reproché au général 
        Bigot d'avoir entraîné, au moins durant les premières 
        heures, le tiers de l'aviation française dans la rebellion. L'accusé 
        s'expliqua devant le Haut Tribunal
 ------Il avait rallié le mouvement 
        parce qu'il était "profondément 
        attaché au destin de l'Algérie dans la France ...
 ... Je me sentais attaché, ajouta-t-il, à tout ce qui fait 
        la grandeur de ma patrie. Alors j'ai choisi avec ma seule conscience. 
        Tout le reste en découle".
 ------S'il avait envoyé un avion en 
        métropole pour ramener en Algérie Challe et Zeller, c'était 
        parce que, à ce moment, l'opération insurrectionnelle était 
        déjà pratiquement lancée et que seul Challe "pouvait 
        avoir une chance de réaliser l'unité".
 ------S'il avait donné l'ordre d'intercepter 
        l'avion de M: Joxe et du général Olié, il n'avait 
        jamais été question d'ouvrir le feu sur l'appareil.
 ------Enfin, il n'était pas le signataire 
        de l'ordre d'arrestation du général Fourquet, cet ordre 
        ayant été donné par Zeller.
 ------Commencé vers treize heures, 
        le mardi 6 juin, le procès se termina en fin d'après-midi. 
        Après une heure de délibération le général 
        PierreMarie Bigot fut condamné à quinze ans de détention 
        criminelle.
 ------Le lendemain 7 juin, comparut le général 
        André
 Petit.
 ------Ancien chef du cabinet militaire du 
        Premier Ministre, Michel Debré,l'accusé avait été 
        jusqu'au 20 avril 1961 adjoint du général commandant au 
        Sahara, et nommé à la veille du déclenchement de 
        l'insurrection commandant de la zone Est-Constantinois à Tébessa.
 Le général Petit avait été mêlé 
        de très prés aux événements du 13 mai 1958. 
        C'est lui, en effet qui, envoyé à Alger par M. Debré. 
        alors dans l'opposition, pour imposer aux militaires "la solution 
        De Gaulle" assiégea littéralement Salan" pour 
        qu'il y donnât son accord. Car, comme le rappellera le bâtonnier 
        Alléhaut dans sa plaidoirie : "Au 
        mois de mai 1958. les généraux d'Alger n'étaient 
        pas gaullistes et les gens d'Alger moins encore".
 ------L'accusation reprochait au général 
        Petit d'avoir accepté, des dirigeants de l'insurrection, le commandement 
        du corps d'armée d'Alger en replacement du général 
        Vézinet, resté fidèle au Pouvoir, et arrêté 
        par les insurgés.
 ------Dans sa déclaration liminaire, 
        l'accusé expliqua longuement les raisons de son choix, et évoqua 
        la psychoogie des populations d'Algérie
 - On s'obstine en métropole à voir 
        dans les réactions des Algériens des réactions politiques, 
        alors que ce sont des réactions patriotiques. Si la France n'a 
        pas oublié la Résistance, elle devrait se rendre compte 
        de cette réalité. Les gens de Bab-el-Oued ou de Belcourt 
        ne sont ni des activistes, ni des ultras. Leurs réflexes sont les 
        mêmes que ceux des gens de Belleville ou de Levallois devant l'occupation 
        allemande. Ils ont simplement le sentiment d'être abandonnés. 
        C'est une des raisons pour lesquelles il " a marché".
 ------Le général André 
        Petit fut condamné à cinq ans de détention criminelle.
 ------Le lundi 19 juin 1961 le général 
        Jean-Louis Nicot, major général de l'armée de l'Air, 
        au moment des événements du 22 avril, répondit du 
        crime d'intelligence avec les chefs d'un mouvement insurrectionnel. Son 
        cas différait de celui des précédents en ce qu'il 
        plaidait non coupable.
 ------On lui reprochait d'avoir connu avant 
        le 22 avril les projets de Challe et de Jouhaud, et cependant de ne pas 
        en avoir averti ses supérieurs. D'avoir assisté le 22 avril 
        chez le Premier ministre à une réunion extraordinaire des 
        hauts responsables civils et militaires et d'avoir joué celui qui 
        ne savait rien.
 ------L'accusation lui reprochait aussi d'avoir 
        tardé à transmettre certains ordres. Notamment, le 23 avril 
        à 20h45, le Gouvernement avait ordonné de prendre toutes 
        les mesures nécessaires pour s'opposer à l'invasion de la 
        métropole par des troupes aéroportées. Les ordres 
        allaient jusqu'à ordonner la destruction des appareils qui ne se 
        laisseraient pas intercepter. Or Nicot, bien qu'il eût été 
        mis en possession de cet ordre à 1 heure du matin, ne l'avait transmis 
        qu'à 4 heures.
 ------Devant le Tribunal, le général 
        Nicot ne contesta pas avoir reçu le 13 avril la visite du général 
        Jouhaud, venu lui demander s'il était prêt à faire 
        "passer" Challe en Algérie. Il refusa.
 ------S'il ne dit rien de cette démarche 
        à ses supérieurs, c'est que "cela 
        revenait à dénoncer un camarade... C'eût été 
        une action méprisable".
 ------Mais le 20 avril, non sans avoir eu 
        un entretien avec Challe pour tenter de le dissuader de se lancer dans 
        cette entreprise, et n'ayant pas réussi, le général 
        Nicot accepta de recevoir clandestinement l'avion que Bigot envoya d'Alger, 
        de faciliter son atterrissage, et de faire savoir à Maurice Challe 
        que tout était prêt pour son départ.
 ------Si l'accusé avait agi ainsi, 
        c'est, dit-il, qu'il savait qu'en toute hypothèse l'insurrection 
        allait se déclencher et que Challe était " le 
        seul homme qui pouvait empêcher les contraintes et les violences, 
        empêcher une guerre civile...
 ------Peut-être 
        même pouvait-il arrêter un mouvement mal engagé ?".
 ------Et s'il ne transmit qu'à quatre 
        heures du matin l'ordre de détruire les avions qui ne se laisseraient 
        pas intercepter, c'est que cet ordre lui posait un cas de consicence.
 | 
     | ------Cet ordre 
        qui allait jusqu'à envisager le tir au but, je voudrais bien qu'on 
        comprenne les problèmes qu'il peut poser... M. Debré a pleuré 
        quand il l'a donné aux commandants des légions de gendarmerie. 
        C'était l'ordre de tirer sur des avions de transport sans armement. 
        C'était crucifiant.------Entendu en qualité de témoin, 
        Challe confirma qu'ayant rendu visite à Nicot à deux reprises, 
        celui-ci lui déconseilla de se lancer dans l'opération insurrectionnelle, 
        parce que, disait-il, "elle n'aurait aucune 
        résonance en métropole".
 ------Challe expliqua alors à Nicot 
        qu'il était appelé en Algérie par les meilleurs officiers, 
        et c'est alors seulement que son interlocuteur céda et accepta 
        de le "faire passer".
 ------L'avocat général Raphaël 
        réclama vingt ans de détention criminelle contre l'accusé.
 ------En dévoilant le complot, dit-il, 
        vous le faisiez avorter et vous évitiez à Challe de devenir 
        un général factieux. C'était la plus grande preuve 
        d'amitié que vous pouviez lui fournir. Quant aux transmissions 
        des ordres, elles étaient impératives. Les raisons morales 
        et psychologiques avaient été pesées par ceux qui 
        en avaient pris la responsabilité.
 ------L'ancien major général 
        de l'armée de l'Air fut condamné à douze ans de détention 
        criminelle.
 ------La décision d'intenter des poursuites 
        judiciaires contre le général Marie-Michel Gouraud, ancien 
        commandant du corps de l'armée de Constantine, avait été 
        prise, apprendra-t-on par les débats, à l'échelon 
        supérieur le plus haut. L'audience se déroula le mardi 20 
        juin 1961. Versatile, le général Gouraud s'était 
        tout d'abord rallié le 22 avril, à 4 heures du matin, au 
        mouvement insurrectionnel, après un appel téléphonique 
        de Challe. Mais une demi-heure plus tard, ayant réfléchi, 
        il décrocha à nouveau son téléphone pour faire 
        connaître à son interlocuteur qu'il n'était plus d'accord.
 ------Protestant de sa fidélité 
        au régime auprès de M. Joxe et du général 
        Olié, lors de la visite de ceux-ci à Constantine le 22 juin, 
        il demanda, ainsi que les débats du procès du colonel Ceccaldi 
        l'établirent par la suite, le 23 juin, à rencontrer Zeller. 
        Entretien à la suite duquel, pressé, bousculé par 
        son entourage, il accepta de se rallier à l'insurrection, tout 
        en tentant de joindre Paris au téléphone pour expliquer 
        sa position.
 ------Mais au cours d'une inspection à 
        Sétif, un télégramme du général De 
        Gaulle lui parvint : il rejoignit alors la légalité dont 
        il ne sortit plus.
 ------L'avocat général Lemoine 
        vit en lui "un chef flottant, sans volonté, 
        incapable de l'être, trahissant en fin de compte les uns et les 
        autres Challe et Zeller, autant que le Gouvernement". 
        ------Pour son avocat, M° Baudet, " 
        le drame de Michel Gouraud c'est d'avoir dû penser tout haut, de 
        ne pas s'être assuré des sympathies dans les deux camps pour, 
        au contraire, déplaire aux deux... Oh ! je sais, on préfère 
        les saints et les héros. On ne connaît jamais d'eux les faiblesses 
        et les malheurs. La sainteté, l'héroïsme ne sont pas 
        pourtant autre chose que la conclusion d'un beau combat intérieur 
        dont nous ignorons les détresses et peut-être les horreurs..."
 ------L'ex-général Gouraud 
        fut condamné à sept ans
 de détention criminelle.
 ------Le cas du général Mentré, 
        commandant interarmées du Sahara, jugé le 4 juillet 1961, 
        est tout à fait à part. En effet, non seulement l'accusé 
        plaida non coupable, mais il fut le seul des officiers supérieurs 
        qui comparurent devant le Haut Tribunal militaire à proclamer son 
        accord avec la politique algérienne du chef de l'Etat.
 ------«J'ai 
        toujours été favorable à la politique du général 
        De Gaulle concernant l'Algérie. J'ai toujours été 
        défavorable au mouvement Challe que je tiens pour une aventure 
        déraisonnable. j'ai choisi de rester à mon poste, non pour 
        Challe, mais pour maintenir la mission dont j'étais chargé. 
        Je n'ai composé avec lui que pour cela.»
 ------On reprochait essentiellement au général 
        Mentré d'avoir accepté de collaborer avec Challe et, en 
        outre, d'avoir diffusé un message à ses troupes, le 22 avril, 
        pour leur dire de continuer leur mission : "Cette 
        nuit le général Challe a repris en main le destin de l'Algérie", 
        et dans lequel il demandait à chacun de continuer à poursuivre 
        sa mission "pour sauvegarder l'unité 
        de l'armée".
 Et puis, surtout, il y avait la dernière phrase : "En 
        conséquence, je vous demande d'exécuter ses ordres que je 
        vous transmettrai en temps opportun".
 ------Mais, selon l'accusé, il s'agissait 
        là d'une erreur de frappe. Son chef d'état-major lui avait 
        présenté un projet de message, un "brouillon" 
        que le général corrigea. II avait écrit "les 
        ordres" et non pas "ses ordres". La dactilo se trompa, 
        et le général signa l'original sans relire. Bien sûr, 
        il aurait pu ensuite rectifier son message. S'il ne l'avait pas fait c'est 
        que : «De toutes façons les ordres 
        devaient d'abord passer par moi, et, dans ces conditions, la rectification 
        avait peu d'importance.»
 ------Cependant le général 
        ignora certains ordres transmis par son état-major, prescrivant 
        la réquisition de l'Hôtel Transatlantique à InSalah, 
        pour y abriter les personnalités arrêtées à 
        Alger.
 ------En outre, le général 
        Mentré était allé rendre visite à Challe le 
        22 avril. Ce dernier ne lui demanda pas de se rallier au mouvement. C'est 
        librement que le général Mentré choisit, à 
        la suite de cet entretien, de continuer sa mission. Pourquoi ? "C'est 
        que, dit-il, le Sahara ne peut subvenir seul à ses besoins militaires 
        et économiques : coupé de la France, il devient tributaire 
        de l'Algérie.
 "... II y avait de nombreux problèmes. 
        Nous avions des frontières dégarnies, des unités 
        avaient été prêtées à Dakar, toute la 
        circulation aérienne était arrêtée. Il ne fallait 
        pas être coupé de notre support logistique. Le Sahara ne 
        pouvait vivre sur l'habitant. Et à Reggane il y avait 5 000 personnes 
        en raison de la proximité d'une nouvelle explosion atomique. Mes 
        motifs n'avaient donc rien à voir avec les événements 
        en cours. j'ai demandé à chacun de continuer à travailler, 
        Challe était en place, mais à cela je ne pouvais rien. Bien 
        entendu, si j'avais su que l'affaire ne durerait que trois jours, j'aurais 
        pu agir autrement".
 ------Telle était la thèse 
        de l'accusé, à laquelle s'opposa le premier avocat général 
        Gavalda, aux yeux duquel "si l'accusé 
        n'avait pas accompli d'actes criminels, il n'en avait pas moins été 
        en état criminel".
 ------Le général Mentré 
        fut condamné à cinq ans de prison avec sursis.
 ------Ce fut le dernier des généraux 
        déférés au Haut Tribunal militaire, au lendemain 
        du putsch du 22 avril.
 Y.F. Jaffré-
 |