|  XI DANS la Casbah d'Alger, en dehors des maisons 
        publiques fermées, qu'elles soient françaises ou indigènes, 
        des temples classiques aux prêtresses nombreuses, il existe une 
        infinité de petites chapelles où une seule Vénus 
        se propose à la vénération des passants.
 Tout antre de deux mètres cinquante sur deux - ce qui représente 
        à peu près les dimensions d'un placard - ne comprenant aucun 
        autre moyen d'aération que la porte et nulle possibilité 
        dès que l'on y a introduit les meubles indispensables d'y pouvoir 
        faire aucune gymnastique rythmique en dehors de celle extrêmement 
        circonscrite que réclame l'amour, s'y nomme " Magasin " 
        et excipant de ce nom fastueux et commercial s'y loue à des prix 
        excessifs. Ces antres voués au négoce de la chair humaine 
        se retiennent à l'avance, de toutes les parties du globe et par 
        télégrammes chiffrés, au besoin.
 
 Une certaine Madame Ahmed d'origine espagnole et veuve d'un indigène 
        détient, dans la rue Barberousse, la plupart de ces " Magasins 
        ". On prétend qu'elle ne serait que le prête-nom de 
        personnes modestes qui préfèrent garder l'anonymat.
 
 Chaque fin d'après-midi, vers le crépuscule, avant l'heure 
        d'affluence des chalands, Madame Ahmed vient encaisser le prix du loyer 
        de la journée et morigène celles qui laissent brûler 
        l'électricité inutilement. Non seulement elle abrite ces 
        dames mais encore elle leur impose, moyennant quinze autres francs par 
        jour, une pâture qu'elle fricote elle-même. Elle est longue, 
        maigre, noire comme une fourmi et s'apparente physiquement à la
 
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 chaisière d'église, à la servante de curé, 
        à la vieille fille dyspeptique fabricante de lettres anonymes.
 
 Madame Ahmed est vêtue, hiver comme été, d'un sarrau 
        de lustrine noire et traîne aux pieds des pantoufles feutrées 
        ; ses cheveux sont rassemblés en un chignon de dévote au 
        sommet de son crâne étroit. On se demande ce qui chez cette 
        personne avait pu séduire un arabe amateur d'ordinaire de formes 
        plantureuses. Il est impossible d'imaginer qu'elle ait pu paraître 
        seulement agréable dans son jeune âge. Au milieu de cette 
        rue éclatante parée de porches enluminés et de filles 
        pour la plupart grasses, peintes et nues, d'icones chamarrées elle 
        semble une image détestable et désolante du remords, elle 
        donne de la vertu une idée minable. Elle demeure généralement 
        assise au seuil du magasin qu'elle s'est réservé pour y 
        faire la cuisine, tellement dénuée de sex-appeal qu'il n'est 
        pas d'exemple qu'un passant même complètement saoul ou atteint 
        de myopie ait pu s'y tromper une seconde et l'ait prise pour une fille 
        de joie. Entre deux antres de putains séduisantes perpétuellement 
        elle écosse des pois, épluche des patates ou, les mains 
        jointes sur son ventre, regarde venir le monde. L'hiver elle allume une 
        sorte de brasero et place un châle de laine grise sur ses épaules 
        pointues. Elle est impitoyable aux filles qui paient mal.
 
 Madame Ahmed a deux enfants. Pour se concilier les bonnes grâces 
        de la mère, les dames locataires et pensionnaires leur font des 
        cadeaux, leur sourient au passage. La petite est insignifiante mais le 
        fils promet. Parfois, le soir, au moment de la recette il arrive en éclaireur, 
        précédant de peu madame sa mère et tapant du pied 
        dans les portes des filles en hurlant des mots gras d'entrepreneur d'exploitation 
        humaine. Il a sept ans. Tout laisse prévoir que dans une dizaine 
        d'années il pourra substituer sa génitrice. Les filles qui 
        s'y connaissent en graine d'homme prévoient que ce petit donnera 
        quelque souci à leurs continuatrices. Car, au moins, Madame Ahmed 
        qui est une femme sans vices n'exige strictement que ce qu'elle appelle 
        son dû.
 *** Les types féminins sont extrêmement 
        variés dans la Casbah sensuelle... Ce marché d'esclaves 
        modernes comporte le choix indispensable qui devait déjà 
        se rencontrer ici au temps des pirates barbaresques... On trouve Mina 
        l'allemande... blanche, trapue, blonde, frisée grâce à 
        l'aide experte du coiffeur, à côté de Doudjda qui 
        est une métisse à la bouche lippue, aux cheveux d'étoupe, 
        aux jambes admirables, au torse fier, à la peau granuleuse comme 
        un cuir rustique.
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 Baya sent le jasmin. Elle a des dents intactes et puissantes que bien 
        entendu elle montre à tout passant ; une belle mâchoire de 
        femelle primitive qui n'a pas su cependant encore agrafer un seul homme 
        solidement.
 
 Rachel qui est une juive polonaise serait belle avec ses larges yeux glauques, 
        ses narines qui palpitent si le masque d'une grossesse déjà 
        avancée ne déformait ses traits, ne tachait sa peau...
 
 Norah qui vient du fond du Nord est pourtant brune comme une méridionale 
        avec des cheveux lisses, brillants et doucement plats... Quand on passe 
        ses doigts sur cette chevelure, on doit croire qu'on flatte un pelage 
        de bête racée, un bois précieux, une laque bien venue... 
        Norah qui vient du fond du Nord paraît toute lustrée, intacte 
        comme une qui malgré tant d'assauts n'aurait par un hasard extraordinaire 
        encore attrapé aucun horion. De même qu'il y a des types 
        qui sont bien sortis de Verdun sans blessures (Elle tient beaucoup à 
        cette comparaison) .
 Blondine a le nez retroussé, un corps de girl, les yeux bleus, 
        des cheveux de miel... Les jeunes indigènes et les sénégalais 
        en sont fous. Le samedi et le dimanche ils prennent la file devant sa 
        porte tels des amateurs de théâtre, coeur battant à 
        l'idée qu'il n'y aura peut-être plus de place.
 
 Chérifa la sombre et la silencieuse plait de préférence 
        aux jeunes recrues militaires, récemment importées de France, 
        qui n'ont connu encore aucune femme tatouée. Elle possède 
        une chevelure résistante, des joues fermes et naturellement rouges 
        encore.
 
 L'une comme l'autre savent pêcher les hommes qui passent dans le 
        flot de cette voie étroite avec adresse. Blondine demande du feu 
        en éclatant de rire... Chérif a semble tâter l'air 
        d'une main racée jusqu'à prendre un point d'appui comme 
        involontaire, sur l'épaule de ce naïf blond... " Excuse- 
        moi! hein, chéri... la rue est si étroite..." Elles 
        sont jeunes, elles sont à l'apogée. Pour combien de temps 
        ?
 
 En l'espace d'une saison l'on voit parfois se faner, à l'ombre 
        de ces couloirs, de jeunes et savoureuses filles. Elles étaient 
        fermes et saines comme des fruits frais cueillis. Les voici, en si peu 
        de temps déjà gâtées, talées par toutes 
        ces mains calleuses, putréfiées par ces contacts hasardeux. 
        Et leurs seins n'ont plus la même arrogance.
 
 Mais il est des filles si exceptionnellement solides, les percheron-
 
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 nes du métier (et si ce ne sont pas les plus belles ce seront sûrement 
        les victorieuses) , qu'on les voit résister aux assauts des mâles 
        les plus redoutables, sans qu'une fatigue ombre leurs yeux, marque leur 
        bouche.
 *** Blanche-Rosse n'a pour elle que d'avoir tué 
        un homme autrefois et d'avoir passé, à cause de cela, cinq 
        années de fougueuse jeunesse dans une maison centrale. Les clients 
        viennent à elle avec une fausse angoisse de poitrine... Comme ils 
        entreraient dans la cage d'une panthère préalablement gavée 
        de viande. Ils pensent n'avoir plus rien à craindre de Blanche- 
        Rosse dès l'instant qu'elle a déjà contenté 
        ce besoin de meurtre qui était en elle et qu'on l'en a punie... 
        Ce sont, en général, de pauvres types qui se procurent à 
        bon compte l'illusion d'être devenus costauds comme des dompteurs. 
        Ce ne sont pas ces personnages de faible musculature et de chair blême 
        qui redonneront à Blanche-Rosse ce goût de l'homme qu'elle 
        a perdu pendant ses années de maison centrale. Non, elle n'était 
        pas une fille perdue, autrefois... Et quant à entretenir un homme 
        ! Si elle en tua un, qui était son mari légal, ce fut justement 
        pour ne pas accepter cette corvée monnayable. Maintenant, elle 
        se contente d'offrir des douceurs à sa petite compagne de case 
        qui a vingt ans, se nomme Clara, qui est agréable à regarder 
        et surtout si niaise qu'on peut penser qu'elle ne sait vraiment pas ce 
        qu'elle fait, ni avec celle-ci, ni avec celui-là ! *** Ginette est plantureuse... Quand avec une 
        musculature de boxeur, on s'adjuge un prénom pareil, c'est qu'on 
        est incurablement sentimentale. A toi, Ginette, les voyous les plus exigeants, 
        les mecs les moins recommandables... Elle pleure toujours quand ils l'ont 
        Dchée et parle d'eux comme s'ils n'étaient que ses enfants 
        et ingrats, forcément, comme ils le sont tous. Elle a gagné 
        l'année dernière, à la loterie d'Espagne, une somme 
        importante qu'elle eut le tort de confier en partie à certain Mohamed 
        de dix-neuf ans. " Boh ! dit-elle ! J'en gagnerai davantage une autre 
        année !"
 C'est extrêmement possible. Car Ginette qui n'est pas jolie, qui 
        n'est pas bien bâtie, qui n'est plus toute jeune, représente 
        pour les filles de la Casbah d'Alger " la Veine " dans ce qu'elle 
        a de plus fantasque, de plus injustifié parfois et de plus insolent. 
        On sait, sans cependant prévoir comment, qu'elle s'en tirera toujours, 
        au moment opportun, grâce à ce pouvoir mystérieux 
        qui fut une fois pour toutes, dès sa naissance, posé sur 
        elle... et qui est une sorte de permanence de miracle capable d'escorter 
        d'un bout à l'autre
 
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 de l'existence tant de gens de professions ou de pays divers. Quelque 
        chose comme ce que les arabes appellent la baraka...
 *** Katia vient de Hambourg... Flossie (dont 
        on a fait Florie) de Londres... Véra, de Léningrad car on 
        prétendait l'empêcher d'exercer là-bas...
 Pola la Romaine n'aime pas que l'on parle mal ou légèrement 
        de Mussolini... Elle a une chevelure sèche et crissante sous les 
        doigts comme un plant de bruyère... Elle se maquille beaucoup. 
        Elle est si bonne que non seulement elle recueille les chiens errants 
        mais qu'elle ne pourrait pas voir crever un homme !
 
 Iota qui est suédoise et qui débute dans le métier 
        est l'une des rares qui éprouve quelque difficulté à 
        se faire comprendre. En général, les filles européennes 
        de la Casbah sont polyglottes et, quand il s'agit de s'insulter entre 
        elles ou de discuter avec le client, usent au surplus d'une sorte de langage 
        international, particulier à leur secte et qu'elles accompagnent 
        de gestes extrêmement expressifs.
 *** Outre cette population de séductrices 
        qui s'arrêtent plusieurs mois ou quelques années dans la 
        Casbah, il y a les innombrables errantes de la prostitution, les inquiètes, 
        les assoiffées d'une espèce d'idéal impossible... 
        et qui attendent toujours, de tout territoire nouveau, le rendement maximum 
        en amour ou en argent. Les nomades du métier... Celles-ci ne demeurent 
        qu'une semaine, un mois au plus dans les rues chaudes de la Casbah d'Alger... 
        Puis elles repartent vers Tunis, Oran, Constantine, Bône... Les 
        camarades blasées haussent les épaules : " Laisse-les 
        ! Ça nous donne un peu d'air... Il y en a qui s'imaginent, dès 
        qu'elles remuent, que la chance, aussi, va se déplacer autour de 
        leur chambre ! "
 Blondine sourit !... " Moi, maintenant, j'ai assez roulé (elle 
        paraît avoir vingt-cinq ans environ) ... Et je me suis acheté 
        des meubles ! Ah ! des meubles !... Aussi, je bouge plus ! Plutôt 
        que de courir toujours, j'attends que la chance passe ! Inch Allah ! "
 
 Le cafetier maure qui lui fait face regarde beaucoup Blondine.
 *** - 130 -Une fille aux cheveux crépus, au mufle écrasé, à 
        la peau d'un grain grossier, aux grands yeux brillants est assise devant 
        sa porte. Elle est vêtue de l'un de ces costumes bâtards où 
        le chandail de matelot se combine avec le pantalon arabe.. Le guide la 
        salue en passant.. "Bonjour, Marcelle !" " Marcelle ? "... 
        " Oui, Marcelle Garcia... Son père est espagnol... sa mère 
        est morte, c'était une indigène et qu'il avait sortie d'une 
        maison comme celle-là.. Il a tout fait pour son enfant... Il ne 
        la privait pas... Il a un commerce sur la côte... Elle s'ennuyait 
        chez lui... Trois fois il a pu la faire reprendre par la police... Une 
        autre fois il l'a presque assommée !... Mais quand elle a eu l'âge 
        !.. Il y en a vraiment qui aiment le métier ".
 
 Marcelle Garcia fume placidement, assise devant sa porte.
 ***
 Rhira dit : " Mon père, tu comprends, 
        il est pauvre, il se débarrasse comme il peut... Nous étions 
        cinq filles et il m'a mariée à un vieux... de trente-cinq 
        ans... Moi, j'en avais quatorze.. Ah ma belle ! ma fille, il était 
        bien laid !.. Jamais je ne l'avais seulement vu un peu avant... même 
        en regardant par les trous du mur ou de la porte... Tout de suite, voilà 
        que j'ai un fils... bon !... Ay ! mon mari il est toujours sur moi, il 
        me dégoûte et ses deux autres femmes anciennes, elles sont 
        jalouses. Et jusqu'à mon gosse qu'elles me prennent sous le prétexte 
        qu'elles savent mieux... Moi, si on ne me laisse même plus ce petit, 
        qu'est-ce qu'il faut que je fasse ?.. Alors, une première fois, 
        je demande à mon père... Dis, tu me laisses casser la carte 
        ?... Et parce qu'il n'est pas riche, qu'il a peur de rendre l'argent et 
        qu'il en a encore deux autres à marier sur les cinq, il me fout 
        une bonne gifle... Bon, j'en ai la patience encore un peu !... Mais voilà 
        que mon fils grandit et qu'il ne veut même plus me connaître 
        et que mon mari tout le temps il grogne, parce que les autres elles lui 
        montent la tête... Et je retourne pour la deuxième fois vers 
        mon père... Ay... tu me laisses casser la carte, oui ou non... 
        Il a manqué de me fendre la tête... Alors, en rentrant, je 
        fais ma valise et je pars...
 - Et tu es plus heureuse, maintenant, Rhira ?
 
 - Ah ! Je comprends ! Seulement, oilà... j'ose pas revoir ma mère... 
        Mes frères me tuent s'ils savent ce que je fais ici ! Alors j'en 
        ai l'cafard des fois quand même quand je pense de trop à 
        chez nous autres et pour me punir tiens, tu vois comme je fais, je me 
        brûle...
 
 Elle retrousse sa manche et montre une série de marques rondes
 
 - 131 -
 
 faites par l'apposition d'une cigarette enflammée. Presque toutes 
        les filles indigènes, outre les tatouages, portent ces stigmates 
        volontaires, ces marques de désespérance. D'ordinaire, elles 
        se les impriment plutôt à cause de l'infidélité 
        de quelque amant de coeur.
 
 Rhira ajoute, en contemplant son bras :
 
 - A cause de ça, jamais plus je peux retourner dans ma famille. 
        Car, tout de suite, mes frères, s'ils voient mes bras, ils savent 
        ce que je suis...
 
 - Alors pourquoi l'as-tu fait ?
 
 - Passe que !.. Mektoub ! C'est la destinée !
 
 Eternelle réponse des femmes de ce pays quand on tente d'empiéter 
        sur le domaine réservé de certaines pudeurs.
 **
 Les filles publiques de la Casbah d'Alger ont comme n'importe quelles 
        femmes des autres clans sociaux un sens des valeurs hiérarchiques 
        : les filles des magasins méprisent les filles des maisons qui, 
        entre elles, font la moue pour parler des filles indigènes.
 
 ***
 
 Celles qui sont établies comme des 
        commerçantes, dans ces placards sans air et sans soleil que l'on 
        appelle " Magasins " ferment leurs éventaires à 
        neuf heures en semaine, à minuit le samedi et le dimanche. Aucune 
        ne consent à coucher dans le placard où elle se pro-stitue.
 - Non, ah ! vous pensez, dit Blondine, je passerais la nuit là-dessus, 
        le lendemain je serais esquintée. C'est une vraie planche à 
        soldats et la paillasse n'a pas été changée depuis 
        deux ans !
 Dès qu'elles ont bouclé leurs portes, les Dames des Magasins 
        offrent une apparence sérieuse, parfaitement convenable, parfois 
        un peu désuète même. Rien, dans leur tenue, ne saurait 
        déceler le métier qu'elles font. Elles ont des robes démodées 
        et n'usent que très légèrement de fard. Les hommes 
        qui vivent d'elles les attendent beaucoup plus loin, dans la basse ville, 
        pour ne pas se faire remarquer de la police et bien cependant qu'on les 
        apprécie tous à leur juste valeur. Le trajet est assez long,
 
 - 132 -
 
 et serait dangereux pour une femme seule, surtout les samedis et dimanches 
        où la recette est fructueuse et le sac à main bourré 
        de billets. Il est donc certains personnages intermédiaires entre 
        les souteneurs et les filles qui se chargent d'escorter ces dames, moyennant 
        une rétribution honnête, depuis leur magasin jusqu'au café 
        où ces messieurs les attendent. Ils sont trois ou quatre légèrement 
        défraîchis qui exercent encore ce métier singulier 
        de chevalier d'escorte. Il en est un qui est particulièrement apprécié 
        bien qu'il soit le plus vieux, mais ce qu'il perd en vigueur il le regagne 
        en autorité, en énergie spirituelle. Généralement, 
        on le trouve à son poste de vigie qui est situé sur la marche 
        d'une maison publique où il attend que Fathma, Olga, Marinette, 
        Gerta, Carmen l'envoient quérir de l'aspirine, de l'huile ou du 
        pétrole car il est nombre de maisons de la Casbah qui se contentent 
        encore d'un antique éclairage. Il peut aussi s'être attardé 
        dans les délices d'une manille. Les cigares et les cafés-rhums 
        composent le double poison à l'aide duquel il peut trouver l'existence 
        supportable. C'est un personnage suffisamment expert en science de vie 
        pour savoir que le superflu est préférable à l'essentiel. 
        Il dort n'importe où, c'est-à-dire dans le patio de quelque 
        maison publique ou chez n'importe quel cafetier bienveillant, il ne mange 
        guère, il se lave peu. Une culotte de cheval et d'immenses bottes 
        d'ogre composent son costume. C'est un personnage qui est si réussi, 
        si parfait dans le sens d'un certain romanesque, qu'il apparaît 
        plutôt comme créé par la seule imagination. Il n'aime 
        pas qu'on parle de lui. C'est un être sauvage et pur qui considère 
        les journalistes et les photographes comme des individualités diaboliques 
        capables de vous faire durer par delà la mort naturelle, de vous 
        prolonger dans une légende malsaine et sous des traits déformés. 
        Le respect des adolescents de la Casbah et l'anonymat pour le reste de 
        l'univers, voilà son idéal. Aucune idée de gloire 
        ne le tracasse et s'il pouvait seulement être appointé au 
        mois par plusieurs pensionnaires prospères des maisons de filles, 
        il serait heureux. L'incertitude de ses gains lui cause ce malaise ressenti 
        universellement à l'heure actuelle par tant d'autres. Il aspire 
        à une sorte de fonctionnarisme qui lui permettrait de boire et 
        de fumer davantage. Il parle des filles, de leurs maquereaux, de leurs 
        aventures, de leurs maladies, des milieux les plus pourrissants de la 
        Casbah avec la verdeur, la nonchalance, la hauteur de vues qui conviennent.
 
 Il est un peu moins inquiet sur son propre sort depuis que le nombre des 
        " Magasins " s'est accru de par le refoulement dans la Casbah 
        de certaines dames qui jusque là n'avaient exercé que dans 
        la ville européenne.
 ***
 - 135 -
 Il s'est passé ici en 1930, peu avant les fêtes du 
        Centenaire, dans le monde de la galanterie, un drame que le 
        public ignore encore actuellement, une sorte de révolution par 
        arrêté préfectoral qui a surpeuplé la Casbah 
        d'une aristocratie de filles.
 
 Celles-ci prétendent que les tenanciers des antiques et classiques 
        maisons des rues Kataroudjil et Barberousse se plaignaient depuis longtemps 
        du tort que leur faisait cette prostitution plus élégante 
        et plus à portée de certaine clientèle. Ce sont des 
        gens qui paient patente et qui peuvent avoir même une influence 
        électorale.
 
 Il est possible aussi, que pour que le quartier spécial ait plus 
        de lustre, dégage plus de dynamisme pour les vieux sénateurs 
        appelés à le parcourir au sortir d'un voyage pénible, 
        on se soit avisé d'y rassembler tout ce qui dans la ville d'Alger 
        se comptait de filles séduisantes.
 
 Mais il était alors des filles qui même soumises au contrôle 
        du service des moeurs pensaient, par une sorte d'aberration, n'avoir rien 
        de commun (sauf la visite hebdomadaire) avec le pauvre bétail qui, 
        le samedi et le dimanche particulièrement, fait la joie des sénégalais, 
        à raison de cinq francs la touche. On se chargea, sans avis préalable, 
        de leur ôter cette réconfortante illusion. On leur notifia 
        brusquement qu'il fallait changer de rang et d'étage, passer du 
        monde de la galanterie aimable et d'une clientèle d'habitués 
        choisis à tout l'inconnu des rues immondes, peuplées aussi 
        bien de charbonniers sales que de lycéens timides et impécunieux. 
        Ce fut une chose assez terrible. Qu'on imagine, dans n'importe quel monde 
        ou quelle classe sociale, une rétrogradation absurde et soudaine 
        pour comprendre cela comme il convient, et que l'on se figure un préfet 
        ravalé au rang de son concierge, un officier supérieur promu 
        caporal d'ordinaire, un magistrat obligé d'ouvrir un cabinet de 
        consultations juridiques véreuses, un professeur issu de Normale 
        Supérieure chargé d'enseigner l'A.B.C. à des négrillons 
        de l'Afrique équatoriale. Qu'on imagine une dévote habituée 
        par son rang d'ancienneté et d'héritage à son siège 
        de peluche obligée de se meurtrir le séant sur l'humble 
        et anonyme chaise de paille où tout le monde peut s'asseoir moyennant 
        vingt centimes. Et sans même choisir ses victimes dans un monde 
        aussi hautement révéré : un commerçant de 
        l'avenue des Champs-Elysées ou de la rue Royale transporté 
        par ordonnance arbitraire dans la rue des Francs-Bourgeois pour y diriger 
        une boutique de prêts sur reconnaissances.
 
 Personne ne peut évoquer cela aussi bien que Lola de Valence(Drôme) 
        .
 
 - 136 -
 
 Lola, avant cet arrêté dictatorial, possédait dans 
        la ville basse un logement parfaitement ténu. Elle faisait diligemment, 
        le matin, son ménage et sa cuisine et rejoignait l'après-midi, 
        dans des chambres de rendez-vous spécialement affectées 
        à cet usage, des personnages célibataires, veufs ou mal 
        mariés qu'elle savait distraire de leur surmenage cérébral 
        ou de leurs ennuis d'affaires. Sa clientèle se composait plutôt 
        d'intellectuels français et de jeunes bourgeois arabes que sa plénitude 
        charnelle et sa bonne humeur toute méridionale autant qu'une serviabilité 
        presque infatigable, contentaient. Il fallut déchoir de cette situation 
        pour tomber à la basse besogne d'une fille publique offerte sur 
        le pas de sa porte à tous les passants. Lola n'en est pas bien 
        consolée encore. Après trois ans passés, elle parle 
        en victime résignée mais en victime quand même, de 
        cette mesure administrative aussi parfaitement injuste en soi que la révocation 
        de l'Édit de Nantes et qui eut aussi ses martyrs. Mais il est préférable 
        de laisser parler Lola de Valence.
 
 - Ah quoi ! dit-elle, tout s'arrange et on s'habitue à tout, hein 
        ! Si j'avais pu lui faire comprendre, à cette jeunesse ! ! ! Elle 
        s'est tuée, oui, dès qu'on l'a eu forcée à 
        rester là. Non, pas du véronal, pensez-vous ! c'est bon 
        pour celles qui ont peur de souffrir et font ça au chiqué 
        avec une arrière-pensée qu'on les sauve. Et Suzanne tenait 
        vraiment à mourir !...
 - Moi... j'y ai perdu ma situation seulement... Bon, ça va !... 
        Pensez que mes clients je ne leur ai pas donné ma nouvelle adresse... 
        J'aurais pas osé, quoique c'est bête... Après tout, 
        hein, c'est pas mal ici... j'ai fait mettre l'eau et la lumière 
        et je reste pareille... Les hommes sont orgueilleux... Le mien (il est 
        mort depuis) dame, il n'a pas été content. Il n'était 
        pas si fier quand même et il a toujours eu ce qu'il a fallu et chaque 
        fois que j'ai pleuré, au commencement - plus souvent qu'à 
        mon tour - je me suis arrangée pour pleurnicher dans mon placard, 
        sans qu'il me voie. Mais il y en avait, vous pensez ! Leur femme en magasin 
        !.. L'homme de Suzanne a râlé comme les autres... Eh ! non, 
        ce n'était même pas ça... C'était pour elle 
        qu'elle était vexée... Ah ! vexée, ce n'est pas bien 
        dire... Quand on est jeune on se fait des idées sur le métier... 
        autrement on n'y viendrait pas !.. Poule de luxe... hein et puis qui sait, 
        un jour, le cinéma... Y en a qui n'étaient pas plus jolies 
        qu'elle et qui maintenant ont la Légion d'Honneur !.. Enfin, des 
        idées romanesques !.. Et, là-dessus, les moeurs qui arrivent 
        et qui disent : " En place pour le quadrille, dans la Casbah... vivement... 
        ou sinon, c'est la tôle !... " S'en aller.... partir.... oui.... 
        ce n'est pas commode, aussi vite, on n'a pas toujours ce qu'il faut, devant 
        soi... Et Suzanne était dépensière !.. Elle avait 
        de ces robes !.. Beaucoup trop belles pour les soûlards de la Casbah 
        !.. Au matin du troisième jour, elle est morte ! Si jeune !.. Et 
        même ici, quand on veut, on s'arrange!.. On refuse ceux qui sont 
        trop sales!..
 
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 Ces arabes pauvres, ils sont plutôt polis... surtout avec nous, 
        les françaises... Enfin, elle est morte et c'est bête !.. 
        Avec tout ce beau soleil qu'il y a !.. Leur Casbah... on s'y habitue!.. 
        Quoique!.. Ah la la!.. Vrai... dites... vous venez par plaisir et vous 
        trouvez ça beau ! Chez nous qu'il y a de si belles avenues avec 
        des arbres ! Depuis dix ans que j'habitais Alger, on m'avait dit que c'était 
        sale, alors j'y étais pas seulement montée pour voir. Ah 
        ! non, la rue, ici, visez ce qu'elle mesure !... On sort de chez soi, 
        si on n'y prend pas garde on se cogne le nez de l'autre côté.... 
        Ah figurez-vous ! Un passant, l'autre jour, m'a demandé comment 
        elle s'appelait !.. Moi, je suis complaisante mais je ne le savais même 
        pas ! Depuis le temps que j'y habite, hein ! c'est drôle ".
 
 Lola exerce là son métier, en effet, depuis trois années. 
        Rien ne saurait être aussi méprisant que ce refus d'accorder 
        un nom à ce que l'on hante d'une façon assidue.
 
 Lola tricote sur le seuil de sa porte ou bien lit " Les Deux Gosses 
        ". Elle refuse son estime, résolument, à tout ce bobard 
        oriental.
 
 Lola, les jours d'extrême chaleur, et ils sont particulièrement 
        pénibles parce que moites, étouffants, poisseux dans ces 
        couloirs à filles de la Casbah, achève d'user les chemises 
        de nuit de percale blanche festonnée de son trousseau provincial 
        de jeune fille. Ce sont des vêtements commodes et qui ont l'avantage 
        d'aller à la lessive. " Ah ! dans un pays pareil quand on 
        sue tellement ! Et tout ce qu'on ne peut pas faire bouillir garde l'odeur 
        ".
 
 Ce costume honnête et familial est aussi celui qui convient le mieux 
        à l'esthétique particulière de Lola qui est appétissante 
        et s'apparente au type bonne réjouie et belle fermière. 
        Ceux qui viennent chez elle doivent appartenir à cette catégorie 
        de refoulés qui ont rêvé, dans leur enfance, de jouir 
        par la grosse Marie leur nourrice ou par leur tante Adeline. Le linge 
        de Lola fleure la lavande, l'iris, la citronnelle. Elle apporte une odeur 
        de verger, de potager français dans cette ville qui pue le musc, 
        l'encens et tant d'autres parfums maléfiques.
 *** Contre le magasin de Lola de Valence, il 
        y a celui de Nousnicaa. Les prostituées de la Casbah ont presque 
        toutes des sobriquets. Il y a VinBlanc-Citron... Tire-en-l'air... Celle-la-qui-fait-peur-aux-manchots... 
        Certains autres surnoms ne sont décemment pas transmissibles. Quelques 
        prostituées indigènes ajoutent à leur nom un surgeon 
        qu'elles jugent distingué. C'est
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 ainsi qu'une Rhira peut être aussi Rhira-Charleston sans connaître 
        cette danse... Une Baya sauvage au front tatoué de graphiques charmants 
        et certainement photogéniques, Baya-la-Chance parce qu'elle accompagne 
        la moindre phrase de cette expression favorable. Quant à Nousnicaa, 
        c'est une consonance qui paraît digne de l'Odyssée, au moins 
        pour des oreilles occidentales... Et cela, pourtant, ne veut dire que 
        : " Demi-portion "... " Demi-plaisir ".... plutôt 
        et encore est-ce un à peu près.... La traduction littérale 
        serait scabreuse... Qu'il suffise de savoir que certains musulmans pudibonds 
        ne prononcent que la première syllabe (celle qui marque le fractionnement) 
        pour la seconde, ils laissent à l'auditoire le soin de la reconstituer 
        mentalement, à l'aide d'une suite d'images.
 
 Nousnicaa est exagérément petite... Autant que son sautoir 
        de pièces d'or est long et qu'elle met de vaillance têtue 
        à en supporter, jour et nuit, le poids. Ce sautoir qu'elle a sur 
        sa peau, sous son corsage ou sa gandoura est composé de trois cents 
        louis de vingt francs. Il est à la fois l'orgueil et le tourment 
        de Nousnicaa. Il est à peu près certain qu'il causera sa 
        mort et de manière violente, un jour ou l'autre. Il faut le veiller 
        sans cesse comme un précieux enfant fruit de beaucoup de peines 
        et de douleurs d'entrailles. Même quand Nousnicaa se rend à 
        la visite hebdomadaire, au dispensaire des filles, elle n'ose pas le laisser 
        chez elle, bien qu'elle ait fait renforcer les verrous de sa porte.
 
 On la plaisante sur cette richesse tandis qu'elle la considère, 
        rutilante au soleil, avec un air plutôt accablé.
 
 - Tu n'as pas peur, O Nousnicaa... de te promener aussi riche par les 
        rues ?
 
 - Ah ! tais-toi... Et qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ? Si je le 
        laisse chez moi, ce collier, tandis que je passe la visite, on me le vole...
 
 - Vends-le, Nousnicaa !
 
 Elle secoue la tête. " Moi, le papier y en a pas la confiance 
        et le papier, on me le vole aussi ou bien le feu lui prend ! "
 L'indigène n'a jamais foncièrement cru qu'aux valeurs d'échange 
        éternelles, comme n'importe quel être simple et profondément 
        instinctif. Il lui faut des choses tangibles : la terre, la pierre, le 
        métal. Si l'on pouvait faire le recensement de l'or pendu au cou 
        de toutes les prostituées arabes de l'Afrique du Nord, l'on parviendrait 
        à un beau chiffre.
 
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 - O Nousnicaa, porte ton collier à la Banque ! Nousnicaa, plus 
        énergiquement encore, refuse :
 
 - Tous ceux qu'ils touchent l'argent, et partout, n'importe où, 
        ils sont des grands voleurs... La preuve... Tojors y en a l'jouif avec 
        eux ! Et moi, si on me vole chez les plus grands voleurs, qu'est-ce que 
        je fais, chez qui je crie ? Une fille d'en bas... Ya Allah ! les plus 
        grands, tojors, ils se soutiennent entre eux... Comme ça, sur moi, 
        il faudrait plutôt qu'on me tue...
 
 - O Nousnicaa ! Achète-toi un commerce.... Achète-toi un 
        mari, pour t'aider à garder ton or !
 
 Alors, à la seule idée d'un autre maître légitime 
        de cette fortune si difficilement, patiemment, obscurément gagnée, 
        Nousnicaa levant les bras au ciel prend la fuite après avoir soigneusement 
        glissé sous ses pauvres vêtements son lourd fardeau.
 
 C'est une transposition dans le domaine féminin, de la fable du 
        savetier et du financier. Mais Nousnicaa ne veut rien rendre et Nousnicaa 
        finira mal, forcément, à cause de ce pesant d'or sur son 
        ventre.
 *** De temps à autre, certaines apparitions 
        fulgurantes, certaines divinités momentanément chues d'un 
        Olympe de la prostitution, enrichissent fugitivement la Casbah des filles.
 Ainsi, par exemple, ces deux filles de Boghar aux visages tatoués 
        de croix, aux yeux soulignés d'un large trait bleu d'une audace 
        décorative extraordinaire.
 
 Muettes et lentes, plus dignes que toutes les autres, elles semblaient 
        sortir d'une légende, d'un passé prodigieux, d'une période 
        admirablement facile et chaste où les femmes se prêtaient 
        à l'homme comme on se prête au vent, au sable chaud, sans 
        y attacher la moindre idée d'orgueil ou de déchéance.
 
 Ce fut un vendredi qu'elles arrivèrent avec leurs sombres visages 
        d'idoles éclairés par le contentement de ce rire prodigieux 
        de blancheur, de jeunesse, d'innocence.
 
 - 142 -
 
 Le lundi, elles étaient déjà reparties. On prétendit 
        qu'un vieillard musulman extrêmement riche et qui possède 
        des rabatteuses expertes les avait acquises pour en orner une maison de 
        campagne, tant il avait trouvé leur sourire stimulant.
 *** Il est aussi, dans la Casbah des filles, 
        certaines vieilles idoles monstrueuses, énormes, barbues, croulantes 
        qui trouvent cependant le moyen de se faire honorer encore en ayant l'astuce 
        de laisser croire qu'elles possèdent des talents exceptionnels. 
        Ce sont les virtuoses d'une certaine publicité pour laquelle elles 
        soudoient des agents de propagande. Aucun consommateur n'osant avouer 
        en sortant qu'il a été dupé et que la réclame 
        était excessive, les autres y vont à leur tour, de confiance. 
        Il est ainsi de vieux produits qui même en leur jeunesse ne furent 
        jamais extrêmement savoureux et que les gens continuent d'acheter 
        sans savoir pourquoi, par une sorte d'habitude acquise. Tant mieux pour les produits manufacturés et surtout pour les produits 
        humains.
 
 Dans la Casbah d'Alger, mieux vaut employer n'importe quelle ruse que 
        de finir à la rue des Zouaves.
 *** La rue des Zouaves 
        (note du site: voir plan ci-dessous! initiative perso.) est 
        située dans la plus haute Casbah. Elle est une succession ininterrompue 
        de tanières au sol de terre battue d'où surgissent au crépuscule, 
        et de préférence à la pleine nuit, des objets de 
        sépulcre que certains hommes ivres prennent parfois pour réceptacles 
        vivants. Cette illusion ne leur coûte qu'un franc, généralement.
 Non seulement ces apparences féminines sont d'âge canonique 
        mais elles présentent de nombreuses traces de blessures contractées 
        en service au cours de cette lente guerre des sexes. D'anciennes lésions 
        leur ont rongé le nez, mangé les yeux. Dans la rue des Zouaves, 
        certaines prostituées aveugles dont le toucher est probablement 
        plus délicat, font prime. La plupart ne prennent plus la peine 
        de se laver ou de se coiffer. Il en est cependant qui luttent encore, 
        tout comme de vieilles vedettes de music-hall, pour conserver une apparence 
        de séduction. Entre deux tanières de créatures définitivement 
        perdues et qui se sont résignées à régresser 
        lentement du règne humain au règne animal, demeurent des 
        octogénaires qui se maquillent et qui tentent de toutes les ressources 
        du costume et de l'éclairage au pétrole le
 
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 plus atténué pour faire illusion. Ce sont celles qui osent 
        demander deux francs encore et qui parlent entre elles de leur passé 
        glorieux, quand on applaudissait leur danse ou leur beauté dans 
        les douars de leur enfance. Elles sont plus atroces à considérer 
        que les autres. On peut penser, d'après leur apparence, qu'elles 
        espèrent encore.
 *** Suprême injure et malédiction 
        des filles publiques de la Casbah : - Eh ! Va-t-en finir à la rue 
        des Zouaves ! |