
          Situer les abattoirs
          
          
          
          
           
 
          
          
          Les nouveaux abattoirs d'Alger 
        Dans nos cités modernes, 
          la question de l'abatage est l'une des plus complexes qui puisse être, 
          qu'on l'envisage du point de vue technique ou qu'on l'examine du point 
          de vue économique. 
          
          Ceux qui l'ont traitée jusqu'à ce jour, soit en France, 
          soit à l'étranger, n'ont, pas toujours été 
          libérés de toute préoccupation d'intérêts 
          personnels. Bien souvent même, les livres techniques sur les abattoirs 
          ont été édités en vue de faire une réclame 
          plus ou moins déguisée aux maisons chargées de 
          construire ou d'agencer les abattoirs. 
          
          Contrairement à ce que l'on suppose, les abattoirs sont loin 
          d'avoir toujours été des établissements bien compris 
          au point de vue économique. On a trop respecté la formule 
          allemande et il en est résulté de grosses dépenses, 
          tant en matière de premier établissement qu'en matière 
          d'exploitation. Comme abattoirs modernes très onéreux 
          du type germanique il faut citer ceux de Dresde, Stuttgart, Zurich, 
          Stockholm, Madrid. 
          
          Des spécialistes ont du reste, depuis longtemps, attiré 
          l'attention sur ces grandes erreurs économiques. Partout, dans 
          le monde, on se plaint de l'accroissement considérable des frais 
          de gestion de grandes institutions publiques (service des eaux, égouts, 
          abattoirs, etc...). La cité moderne a été prodigue. 
          Sans prétendre comme Henri Ford qu'elle est en faillite et que 
          demain elle aura disparu, on peut s'efforcer de rechercher de meilleures 
          méthodes. C'est, croyons-nous, du côté de l'abatage 
          industriel dans des abattoirs-usines qu'il faudra tendre désormais. 
          
          
          A titre indicatif voici les principales caractéristiques de cette 
          forme d'abatage : 
          1° Surface restreinte des usines. A Saint-Paul (États-Unis), 
          l'abattoir Armour prépare 628 porcs à l'heure, soit 5.024 
          par journée de 8 heures sur 4.148 mq, soit 0 mq 83 par porc. 
          A Omaha, l'usine Skinner prépare 500 porcs à l'heure sur 
          1.520 mq, soit 4.000 par jour et 0 mq 938 par porc, alors qu'à 
          Vaugirard on compte 2 m. 86 et à la Villette 2 m. 9 environ par 
          porc. Cette surface restreinte de l'usine tient à ce qu'elle 
          affecte une disposition en cascade ; 
          2° Progression de la viande, des abats et issues de haut en bas 
          sans grand effort, sous l'influence de la gravitation ; 
          3° Machinisme tendant à supplanter partout la main-d'uvre 
          ; 
          4° Extrême division du travail et taylorisation de manière 
          à obtenir une grande vitesse et de grands rendements ; 
          5° Utilisation sur place des sous-produits ; 
          6° Hygiène et salubrité des locaux, des produits ; 
          souci d'avoir toujours du personnel aussi propre que possible. 
          
          Limités par la place nous ne pouvons insister sur chacune des 
          questions soulevées par l'étude de l'abatage industriel. 
          Cependant nous rappelons que le transport mécanique cadencé, 
          réglé, automatique, de manière à réduire 
          les allées et venues parasites et la suppression des habitudes 
          de routine qui conduisent à l'inertie et à l'apathie sont 
          les grands facteurs qui ont permis le travail facile à grand 
          rendement, sans fatigues inutiles, plus rapide, mieux fait, plus hygiénique 
          et moins onéreux pour le consommateur. 
          
          Si l'abattoir moderne du type allemand dont nous parlons plus haut comporte 
          des défauts, par contre il a eu pour effet de montrer l'importance 
          du frigorifique. Certains axiomes en honneur dans l'Europe centrale 
          disent assez le rôle que les bouchers de là-bas attribuent, 
          avec raison, au froid artificiel. Nous les rappelons : " périsse 
          l'abattoir pourvu que le frigorifique reste " ; " l'abattoir 
          sans chambres froides est une table sans pieds ". 
          
          Aujourd'hui, dans tous les pays, les charcutiers réclament l'emploi 
          du froid qui permet de fabriquer en toutes saisons. En Algérie 
          comme en France, nos bouchers commencent enfin à comprendre le 
          rôle si utile de la découverte de Charles Tellier leur 
          permettant de conserver et d'attendrir leurs viandes. 
          
          L'Allemagne s'est servie des frigorifiques d'abattoirs pour faire des 
          réserves qui l'ont puissamment aidée au cours de la guerre. 
          En 1914, et alors qu'au Congrès du froid tenu à Toulouse 
          dès 1911, le cri d'alarme avait été poussé 
          publiquement, notre intendance militaire a été surprise 
          sans réserves de viandes fraîches. Heiss avait écrit 
          qu'en 1912, l'Allemagne possédait 207.448 mq de frigorifiques 
          d'abattoirs (78.706 mq pour les salaisons) et 31.829 mq d'antichambres 
          frigorifiques. Il avait établi que 427 abattoirs publics modernes 
          desservaient une population de près de 18 millions d'hommes. 
          
          
          On sait quelles pertes nous valut notre système archaïque 
          de concentration du bétail dans les camps retranchés. 
          En août 1914, pour celui de Paris, la mortalité du gros 
          bétail atteignit 4,1 %, celle des moutons 4 % et celle des porcs 
          3,4 %. Il fallut abattre d'urgence 2,4 % de gros bétail, 3,7 
          % des moutons. Pour faire 74.134 quintaux de conserves, 15.790 quintaux 
          de salaisons et entreposer 16.769 quintaux de viande de buf, 9.151 
          quintaux de moutons, il fallut des quantités de bestiaux fort 
          élevées. Le calcul établit que compte tenu des 
          pertes par mortalité, accidents, amaigrissement, là où 
          l'on aurait dû en temps normal utiliser du gros bétail 
          rendant 250 kilos de viande nette, le rendement fut abaissé de 
          moitié. Les résultats ont été à peu 
          près du même ordre, pour les porcs morts en tel nombre 
          qu'il 'fallut renoncer à les équarrir. Ils furent encore 
          plus désastreux pour l'utilisation des moutons. 
          
          A propos de l'utilisation industrielle des déchets qui font la 
          fortune de l'équarrissage, chaque abattoir devrait avoir une 
          section de récupération bien organisée. L'industrie 
          et l'agriculture y trouveraient leur compte. Nous connaissons une usine 
          qui chaque année récolte pour 60.000 francs de graisse 
          en prenant soin de recueillir l'écume des eaux résiduaires 
          s'échappant des salles de travail. La méthode est connue. 
          Elle est d'usage courant en Amérique, alors que dans les grands 
          abattoirs de Paris on laisse aller à l'égout et se perdre 
          des quantités formidables de graisses et de matières azotées. 
          A Alger même, le temps n'est pas loin où l'on négligeait 
          le sang qui maintenant rapporte aux bouchers de la ville 25.000 francs 
          par an. 
          
          Comme tant d'autres cités, Alger avait des abattoirs antiques, 
          étriqués et sordides. Depuis déjà longtemps 
          et pour y remédier un projet sommeillait parmi bien des projets. 
          Ayant d'autres soucis en tête ou dépourvues d'argent, telles 
          municipalités cédaient la place à d'autres, les 
          années s'écoulaient et l'on désespérait 
          de voir jamais édifier de nouveaux abattoirs lorsque vinrent 
          les édiles actuels. Conscients de leurs devoirs, ils votèrent 
          les crédits nécessaires et chargèrent l'architecte 
          de la ville d'établir un projet pour une cité de 500.000 
          habitants. Grâce à M. Bévia, l'affaire fut rondement 
          menée et, ces jours écoulées, nous avons assisté 
          à l'inauguration du nouvel édifice. Au cours d'une longue 
          visite où nous furent expliqués dans leurs menus détails 
          l'agencement et le fonctionnement des abattoirs modernes de la ville 
          d'Alger, nous avons constaté que M. Bévia s'était 
          largement inspiré des dernières réalisations françaises 
          et étrangères. Et nous avons noté que ne pouvant, 
          pour des raisons d'ordre rituel, utiliser l'abatage au masque ou au 
          pistolet, il avait su trouver une solution ingénieuse pratique. 
          
          
          A l'instant d'achever notre instructive promenade, M. le Maire d'Alger 
          tint à nous rappeler les efforts des municipalités successives, 
          les mérites de tous ceux qui avaient participé à 
          la réalisation des nouveaux abattoirs. Après lui, M. Lemoine 
          remplaçant M. le Gouverneur général empêché 
          et M. Ziza du Syndical commercial se firent les interprètes éloquents 
          de la foule des visiteurs parmi lesquels nous avons noté MM. 
          Billiard, président de la Chambre de commerce ; Thirion, secrétaire 
          général de la préfecture ; Cayron et Pestre, adjoints 
          au maire ; Estelle, Mantout, conseillers municipaux ; Roig, vétérinaire 
          départemental ; l'Intendant général ; Mesguich, 
          président du Syndicat des bouchers.