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          | Les jardins du 
            Saint-George, jardins de rêve.Palmes, roses, cinéraires et capucines, dans un désordre d'Éden.Entre 
            les clameurs, les convulsions d'Alger et les portes blanches du
 Saint-George, il y a toujours eu le silence des jardins, comme un 
            ultime privilège. Ici, certains matins, on pouvait encore croire 
            au miracle. Quand on n'entendait plus que le bruit de l'eau sur les 
            feuilles, le rebondissement des balles dans un tennis tout proche...
 |  -------Le Saint-George 
        et l'Aletti, comment les raconter ? Remarquons, d'entrée, qu'il 
        n'y avait pas de " s " à George, qu'au fronton de l'hôtel 
        le saint terrassait - of course! - le dragon. Ici, l'hôtellerie 
        se voulait d'influence britannique. Tout y fut conçu, au départ, 
        pour faire se pâmer d'aise, dans un cadre oriental, sur les hauteurs 
        de la ville, les voyageurs anglais. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. 
        A l'époque où les cartes postales invitaient aux couchers 
        de soleil sur la baie et aux paradis sahariens deux chameaux dédaigneux, 
        au pied d'un bouquet de palmes, sur fond de dunes couleur tango. Bref, 
        le tourisme de daddy dans l'Algérie de papa.-------Sous 
        les fenêtres du Saint-George, la brise agitait les cimes d'une flore 
        tropicale. Contre les murs blancs, des bougainvillées retombaient 
        en masses flamboyantes. En juin, on assistait à la floraison bleue 
        des jacarandas. Les soirées se prolongeaient alors sur la terrasse, 
        face aux profondeurs des jardins, auxquels des lumières indirectes 
        donnaient pour quelques heures l'allure de quelque gigantesque toile du 
        Douanier Rousseau. Au loin, la mer. Et cette calme rumeur-là qui 
        venait de la ville. Ce n'est pas tout, mais nous y reviendrons.
 Guillaume et Thomas -------La ville. 
        Au coeur de la ville, du chahut, les sonneries aigres des tramways, les 
        cris des yaouleds (les sciuscias d'Alger), les sirènes du port, 
        et l'Aletti... Une façade sur la mer, l'autre rue Alfred-Lelluch. 
        " Une ville dans la ville ", c'est ainsi qu'on l'appelait.
 
         
          | -------L'Aletti, 
            dont une des façades donne sur le port et l'autre sur une rue 
            qui portait le nom d'Alfred Lelluch. Une des rues les plus bruyantes 
            et les plus animées d'Alger. L'Aletti, c'était le grand 
            caravansérail de luxe, l'hôtel favori des colons. |  -------Franchies 
        les plates-bandes de l'hôtel et grimpées les quatre marches 
        du perron, on se faisait avaler par la porte-tambour, puis rejeter dans 
        le hall, où quelques bachaghas rêveurs, quelques voyageurs 
        en attente, vous regardaient distraitement déboucher. Avant de 
        faire le tour des deux cinémas, du cabaret, du salon de thé, 
        de la boîte de nuit, du club privé, du salon de coiffure, 
        des boutiques et de la salle de jeu, il faut aller au " Cintra ". 
        C'est le bar de l'Aletti, le rendez-vous de l'Alger qui fait des affaires, 
        qui cherche des informations, des aventures, des copains, ou tout simplement 
        qui cherche à tuer le temps. Décor de plantes vertes et 
        de salle à manger de paquebot. Au bar, Guillaume. Un 
        Italien. L'accent de De Sica (quand il parle français), la démarche 
        de Groucho Marx, l'oeil en berne de Marguerite Moréno et la moustache 
        d'Adolphe Menjou. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.Une cravate verte, 
        invariablement verte, sombrement verte, légionnairement verte. 
        Les soirs de Camerone, Guillaume offrait le champagne. En souvenir du 
        temps où il était " képi blanc ". Il lui 
        arrivait de se pencher par-dessus son comptoir-------- L'autre, là-haut, comment 
        il va?
 -------" L'autre ", c'était 
        le barman du Saint-George. Il roulait les " r " et s'appelait 
        Thomas. Un Arménien. Il tutoyait ceux qu'il aimait bien, oubliait 
        parfois de servir ceux qu'il aimait moins, buvait sec et tenait le coup. 
        A l'heure des confidences, quand Thomas avait éteint la moitié 
        des lumières du bar, il racontait comment sa famille avait fui 
        devant les Turcs, quand il avait six ans, que Charles Aznavour 
        - un compatriote - s'appelait en réalité Aznavourian, que 
        tous les Arméniens réussissent dans la vie car, quand ils 
        n'ont pas la bosse du commerce, ils ont celle des arts.
 -------- Et souvent, ils ont les deux, ajoutait 
        Thomas, jamais avare, en rangeant ses bouteilles.
 -------Quand il avait un peu trop bu, son 
        visage devenait aussi gris que ses cheveux. Alors, il donnait de grands 
        coups de poing dans le comptoir en livrant sa tendance
 -------- Les Arabes, c'est pire que les Turcs! 
        Un pied-noir, ça vaut dix Arabes!
 -------Pour lâcher ça, il attendait 
        que la nuée de jeunes musulmans qui le secondaient au bar du Saint-George 
        fussent allés se coucher.
 -------Il lui arrivait aussi de se pencher 
        pardessus son comptoir
 -------- Et l'autre, en bas, qu'est-ce qu'il 
        f... ?
 -------- Guillaume? Il va bien.
 -------- Y'a du monde?
 -------- Un monde fou...
 -------Thomas haussait les épaules
 -------- Quel monde? Du monde comme ça, 
        moi, j'en voudrais pas chez moi!
 -------Son " chez moi ", c'était 
        le bar du Saint-George. Thomas le couvait du regard : pétroliers, 
        journalistes, officiers en permission, hauts fonctionnaires du G.G. Ceux-là 
        mêmes qui avaient sansdoute pris un whisky, le matin,-à l'Aletti. 
        Dans un coin, sous un guennour impressionnant, le cheikh Ben Tikkouk, 
        chef religieux musulman, devant sa limonade. Une barbe teinte en noir 
        et tout un harnachement dont le style semblait dater de la prise de la 
        smalah d'Abd el-Kader baudrier et bottes soutachées d'argent, multiples 
        burnous. Il allait si bien dans ce décor de mosaïques, d'arcades 
        et de vieux cuivres qu'on en arrivait à se demander si la direction 
        du Saint-George ne l'invitait pas à séjourner, 
        pour ajouter au pittoresque de l'hôtel. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.Le 
        cheikh méditait en lissant sa barbe d'une main blanche et grasse. 
        En réalité, le Saint-George lui convenait. On ne le voyait 
        jamais à l'Aletti.
 
         
          | ------ 
              La façade sud, toujours éclaboussée de soleil. 
              Avec ses cascades de bougainvillées et ses assauts de chèvrefeuille. 
              ------Au-dessus 
              des palmes du Saint-George, la baie d'Alger, où se penchaient 
              des voiles. Le style de la façade? On ne savait plus très 
              bien. Tant d'ailes y furent ajoutées...
 |  ------L'Aletti, c'était 
        le rêve des colons. 1l y a très peu de jours, une jeune femme 
        qui vécut dans une ferme, près de Miliana, dont le mari 
        et le fils furent assassinés par une bande rebelle, un soir de 
        décembre 1959, me parlait de son bonheur avant la tourmente. Ce 
        qu'elle avait fait, aimé, souhaité dans sa ferme, au milieu 
        des vignes. Brusquement, elle m'a dit: -------« Nous nous étions tellement 
        promis d'aller passer un réveillon de Noël à l'Aletti! 
        Moi, en robe longue... Il faut savoir ce que l'Aletti représentait, 
        pour ceux du bled, quand ils voulaient s'offrir deux ou trois jours à 
        Alger, sans compter, après la solitude des fermes et l'âpreté 
        des paysages. Les vitrines du hall, pleines de parfums, de dentelles, 
        d' " articles de Paris ". Marcher sur de la moquette, accompagné 
        par des effluves de musique douce, prendre un ascenseur qui vous emmenait 
        au salon de coiffure ou au cinéma, ou bien encore au restaurant 
        Chantecler ou à la salle de jeu. L'air sentait le parfum cher et 
        on n'y entendait pas forcément l'accent pied-noir.
 Le mois des congrès  -------Qui aurait osé 
        craindre pour l'avenir, en écoutant chanter Gloria Lasso, au cabaret, 
        en jouant au badminton au club privé de l'Aletti, présidé 
        par Laurent Schiaffino, en dégustant son thé, le mardi, 
        dans les éclairages tamisés où ces dames de la vanité 
        algéroise rivalisaient de chapeaux, de toilettes et de potins?1951, ce fut l'année des congrès. À l'Aletti, les 
        congrès se succédaient : il faut ouvrir le petit journal 
        de l'hôtel, en date du 15 mai 1951!
 -------Notre ami 
        Robert de La Perrière, maire de l'Arba, nous avait annoncé 
        le congrès des maires de France, à l'organisation duquel 
        il participa fort heureusement. Ce fut le seul pour lequel il n'y eut 
        aucune bousculade. Les maires vinrent bien dîner au Chantecler (Restaurant 
        "chic" de 1'Aletti), à l'effectif de cent cinquante à 
        la fois; mais c'était prévu. On décongestionna la 
        ville, et " la ville dans la ville ", en les faisant voyager. 
        Ils visitèrent le Constantinois et l'Oranie et eurent un dîner 
        de quatre cents couverts, à l'Aletti.
 -------Là-dessus, 
        les "pédiatres" s'étaient émus. On avait 
        dû leur dire que leurs questions ne 
        pouvaient se traiter à Alger qu'au mois de mai, l'époque 
        des congrès. Les pédiatres furent charmants... et leur banquet 
        de trois cents couverts dans le hall du Casino ( 
        Immense salle attenant 
        à la salle de jeu.) ne manqua ni de jolies 
        femmes ni d'esprit.
 ------Les médecins 
        ne nous quittèrent qu'à la dernière extrémité 
        et, au même moment, les notaires nous tombèrent dessus. Cette 
        fois c'était sérieux. Ils étaient sept cents qui 
        arrivaient, le kodak en bandoulière, la serviette sous le bras 
        et... le sourire laissé sur le quai, pour ceux dont le logement 
        n'était pas prévu. Il y eut des séances un peu orageuses 
        au Studio (un 
        des cinémas de l'Aletti), devenu, 
        le matin, salle de conférences. Mais un banquet de sept cents couverts 
        réconcilia tout le monde, après une soirée dansante 
        où ce fut une joie de voir les arrivants de France donner l'exemple 
        de " s'habiller ". Il y eut une soirée au Cabaret 
        (le salon de thé, 
        cabaret le soir), où le plus sérieux 
        des notaires, Me Chardonnet, se déchaîna au point d'écrire 
        une très amusante chanson composée à l'occasion du 
        congrès.
 
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              - -------Dans ce même 
                petit journal de bord, une journée de l'hôtel Aletti, 
                ce même mois de mai 1951-------À 
                7 heures, le hall est plein. A 8 heures, on cherche déjà 
                refuge au Cintra. A heures, le Studio-cinéma est plein 
                de monde qui écoute des discours, ou fait semblant. A 10 
                heures, la circulation est déjà difficile au carrefour 
                du bar de " la Frégate ". A midi, les gens prudents 
                déjeunent déjà au Chantecler. A 13 heures, 
                les imprudents y cherchent une table. A 14 heures, les moins pressés 
                arrivent, pour s'y trouver à l'aise. Lorsque le Baccara 
                ouvre, à 16 heures, il en est qui déjeunent encore 
                à côté. Des gens sortent du cinéma, 
                ou bien s'y rendent. Puis cela va s'aggravant, vers le soir. La 
                marine américaine, dont on voit, en rade, un porte-avions, 
                un croiseur et plusieurs torpilleurs, doit donner à ses 
                équipages le conseil d'occuper le " Cintra ". 
                Régime sec à bord et champagne à l'Aletti. 
                Au Club, on trouve un peu de paix. Mais au cabaret, George-Henri 
                Martin vous montre combien elle est provisoire et déchaîne 
                les rires et des tempêtes d'applaudissements. A côté, 
                les boutiques font recette...
 
 
                 
                  | ------Le 
                      hall d'entrée. Scène insolite, pas tout à 
                      fait touristique la nuit où le putsch d'Alger a échoué, 
                      une fusillade éclate devant l'Aletti. Dans l'hôtel 
                      même, il y a des blessés. Une civière 
                      passe, sous l'ail à peine étonné des 
                      clients. A l'heure du putsch, Alger avait fait son apprentissage 
                      de la violence. Derrière le comptoir de la réception, 
                      une trousse, pour les soins de première urgence. |  ----Derrière 
                ses frondaisons, le Saint-George, un peu replié sur son 
                passé, attend les grands tournants de l'Histoire pour 
                faire le plein. Le débarquement allié lui amena 
                des hôtes illustres. http://perso.wanadoo.fr/ bernard.venis.Des 
                plaques de cuivre bien briquées apprennent au voyageur 
                que dans telle ou telle chambre dormit le général 
                Dwight David Eisenhower ou le général Henry Maitland 
                Wilson, chefs du corps expéditionnaire anglo-américain 
                en A.F.N.
 
                 
                  | -------Au 
                    fil des années et des événements, des 
                    nuées de parlementaires et de journalistes, des groupes de colonels, 
                    des hauts fonctionnaires et des apprentis comploteurs fréquentèrent 
                    le bar du Saint-George.
 -------Des 
                    personnalités célèbres traversèrent 
                    ses salons en enfilade, Camus, Valéry, Colette...
 -------En 
                    novembre 1942, le débarquement des forces alliées 
                    amena au Saint-George des hôtes illustres, dont le général 
                    Dwight David Eisenhower.
 |  Chambre 95 ou 
                97 ?  -------La 
                guerre d'Algérie y déversera ses cargaisons de correspondants 
                de presse, d'officiers, d'informateurs, de comploteurs. Au moment 
                de l'affaire du bazooka, à l'heure où les noms de 
                Kovacs et du général Cogny étaient sur toutes 
                les lèvres, un garçon d'étage du Saint-George 
                vous glissait sous le manteau le plan d'une certaine chambre (95 
                ou 97?) où les conjurés se seraient rencontrés.-------Mais, entre les guerres, le 
                Saint-George somnole.
 -------Si, le dimanche, une clientèle 
                un peu compassée vient y déjeuner, face à 
                de superbes mosaïques, en revanche, il n'y a pas foule dans 
                les salons. L'hôtel retrouve son agitation les soirs de 
                réveillon, pour le bal de l'X ou pour un grand mariage. 
                Puis tout retombe à plat.
 -------- Moi, pour un empire, j'y 
                monterais pas! assurait Guillaume, le barman de l'Aletti.
 -------En fait, il y montait parfois, 
                les soirs où il ne travaillait pas. Blazer bleu marine 
                et cravate toujours verte, il rendait visite à son vieux 
                rival Thomas. Mais, cette fois, c'était en client qu'il 
                venait.
 Marie ELBE  Remarquons, 
              d'entrée, qu'il n'y avait pas de " s " à 
              George, qu'au fronton de l'hôtel le saint terrassait - of 
              course! - le dragon. |  
        
          |  Document 
              Marie Elbe/historiamagazine 221/28 Très " tango argentin " ou " Une nuit à 
              Monte-Carlo ";
 bref, très " vie à grandes guides ", champagne,
 fume-cigarette, smoking et bananier, devant
 le scintillement d'un clair de lune, c'est la couverture
 du journal de l'Aletti, 15 mai 1951. La belle époque.
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          |  
               Menu, 
                bristol 236 x 150, éditions Henri Dormoy
 Diner
 Crême d'orge
 Ombrine 
                grillée, sauce tartare
 Cuisseau(1) de veau étuvé au Chablis, maïs 
                au beurre
 endive flamande
 Pudding soufflé Singapour, sauce au rhum
 Corbeille de fruits
 (1) alors que, 
                bizarrerie de la langue française: cuissot, pour sanglier, 
                chevreuil, cerf
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