L'oasis thermale
          de Hammam-Rirha*
          *Aqu calid colonia - les eaux qui guérissent
          par Claude-Maurice Robert ()
          Grand Prix littéraire de l'Algérie
        Les pages que 
          voici datent de l'automne 1956, de novembre pour être exact. Retourné 
          à Miliana afin de m'y reposer du tintamarre d'Alger, j'y trouvai 
          un froid si vif que, dès le soleil tombé, il fallait s'enfermer. 
          Et comme l'hôtel était sans feu, venu pour une semaine, 
          je fuyais le deuxième jour. Alors je me souvins que Miliana se 
          trouve à 720 m d'altitude et de ma déception je n'accusai 
          que moi. Ayant agi en étourdi, je payais à son prix mon 
          effraction à la raison. Mais du même coup je me souvins 
          que dans le voisinage, à 30 km, et à l'altitude de 525 
          m se trouve Hammam-Rirha. Y ayant eu très chaud l'été, 
          je pensai qu'en automne je pourrais y trouver un climat tempéré. 
          J'y fus - et j'y vécus trois jours de paradis terrestre.
          
         
          LES THERMES d'Hammam-Rirha sont les " Aqu Calid " 
          des Anciens, mentionnées par Antonin dans son itinéraire.
          
          L'établissement romain daterait de 44 avant Jésus- Christ 
          et aurait été florissant sous Tibère, c'est-à- 
          dire au début de l'ère nouvelle.
          
          L'archéologue Waille, dans le Bulletin de correspondance africaine 
          (tome i, 1882, p. 352), signalait des fragments de sculptures: deux 
          torses d'empereur, une tête de satyre, une déesse diadémée, 
          et la partie inférieure d'une statue de Vénus drapée, 
          laquelle orne désormais le parc du Grand Hôtel.
          
          Au nord-ouest de ce dernier, des fouilles furent effectuées en 
          1898 qui amenèrent la découverte de fragments de colonnes 
          et d'une inscription en l'honneur de Gordien III, celui qui fut proclamé 
          empereur à Thysdrus (El-Djem) en l'an 238.
          
          Comme Aqu Sirenses (Bou-Hanifia), Aqu Calidae recouvrait 
          un plateau incliné, parfaitement drainé et ventilé, 
          au sud et en arrière de l'établissement actuel. De l'enceinte 
          aux bastions carrés, quelques vestiges, à l'est et à 
          l'ouest, encore identifiables en 1898, ont cessé de l'être 
          depuis. Plusieurs piscines ont également disparu. Le même 
          Bulletin de correspondance africaine signalait encore " un cimetière 
          important à l'est ". Plus rien de tout cela n'est nettement 
          discernable. Les terres, presque toutes cultivées, ont dû 
          tout recouvrir. Mais Waille indique que les ruines des Aqu Calid 
          " ont servi de carrière au siècle dernier ". 
          Cela - qui n'étonnera personne - explique tout. Ici, comme partout, 
          les pierres de tailles romaines ont été remployées; 
          l'infrastructure du Grand Hôtel en est la preuve sans réplique.
          On présume enfin que les Aqu Calid, érigées 
          en colonie, devaient avoir un évêque en 484, date mémorable 
          pour l'Église africaine, puisqû elle celle du rassemblement, 
          ordonné par le Vandale Hunéric, de tous les chefs de diocèse 
          à Carthage, d'où ceux qui n'abjurèrent pas le credo 
          catholique sortirent exilés ou condamnés aux mines.
          
          Les sources d'Hammam-Rirha (ou Righa) 
          tirent leur nom de la tribu qui occupait jadis 
          le plateau des eaux chaudes d'où ils furent chassés par 
          une tribu rivale, les Béni-Ménad, lesquels furent à 
          leur tour refoulés à la suite de l'insurrection de 1871. 
          Les Rirha, qui habitent actuellement le djebel Zaccar voisin, sont d'origine 
          berbère, mais ils ont adopté l'arabe avec l'Islam. Seuls 
          les noms de lieux révèlent aujourd'hui le dialecte oublié. 
          Exemple : Tala-N'Tarit (la source du col) devenue Aïn-Tala-N'Tarit. 
          Pléonasme que notre administration redouble en écrivant 
          officiellement: source-de-l'Aïn-Talat-N'Tarit !
          
          Un beau cas de stratigraphie épigraphique. Pas unique. Ne dit-on 
          pas couramment, à Constantine le pont d'El-Kantara ? Or, " 
          gantra ", déformé en " kantara ", signifie 
          pont en arabe. De même " bab " signifie porte. Or, il 
          n'y a pas longtemps, l'on disait à Alger : la porte Bab-Azoun.
          
          Les eaux chaudes jaillissent sur le versant sud-est de la montagne et 
          c'est là que, dès l'occupation de Miliana par la France, 
          un établissement militaire fut créé, et plus tard 
          les piscines et le Grand Hôtel actuels. En se plaçant sur 
          la terrasse de ce dernier et en regardant devant soi, c'est- à-dire 
          vers le sud-est, on aperçoit, à gauche : la chaîne 
          de l'Atlas, le pic de Mouzaïa (1604 m), le djebel Nador près 
          duquel se situe Médéa, que l'on pourrait distinguer en 
          escaladant le plateau. En bas, dans la vallée, l ravin où 
          coule l'oued El-Hammam, qui devient plus bas l'oued Djer, sépare 
          Hammam-Rirha de Vesoul-Bénian, village de colonisation aux terres 
          bien cultivées. J'oubliais Bou-Medfa (le Père du Canon), 
          station ferroviaire du pays, à 12 km de la station et à 
          110 km d'Alger.
          
          Au second plan, la chaîne onduleuse du djebel Gontas (871 m) circonscrit 
          l'horizon. Enfin, sur la droite, tout près, s'érige le 
          massif du Zaccar, le Transcelleus Mons de Rome, dont le pic culminant, 
          celui de l'est (" chergui "), atteint 1 572 m.
          
          C'est sur la pente sud de l'autre pic, celui du nord (" rarbi "), 
          à 720 m, comme il est dit plus haut, que s'arc- boute Miliana, 
          la " Zuccabar " antique. Cité du bon vin, de la bonne 
          eau et du bon air, des beaux arbres et des bons fruits, des beaux visages 
          aussi, mais où il fait si froid à partir de la Toussaint!
          
          C'est le 10 novembre 1830 que la colonne d'occupation de Miliana mettait 
          à jour, sur l'emplacement des Aqu Calid, des piscines 
          antiques. Celles-ci étaient restées en si bon état 
          de conservation qu'une réparation sommaire les rendit utilisables. 
          Les médecins de l'armée se préoccupèrent 
          de l'aménagement des eaux et des essais furent tout de suite 
          décidés, ce dont témoignent les instructions officielles 
          adressées aux officiers de santé de l'hôpital militaire 
          de Miliana, qui débordait de malades: " Un service d'ambulance, 
          sous le titre d'annexe de l'hôpital de Miliana, sera établi 
          à " Aqu Calid ", afin de seconder les moyens 
          curatifs ". Exactement ce que l'on fit, dans le même temps, 
          à Bou-Hanifia et HammamMeskoutine. Ailleurs aussi, sans doute.
          
          La première armée, trente militaires, quatre colons et 
          un musulman furent traités par les eaux, et l'on constata dix-neuf 
          cas de guérison complète, dix améliorations, cinq 
          cas d'effet nul et un cas incertain. Le succès dépassait 
          les espérances. Ce que spécifiait le médecin traitant 
          dans son rapport officiel : " On était loin de s'attendre 
          à un résultat aussi satisfaisant, surtout en réfléchissant 
          au peu de moyens en notre pouvoir ". C'est qu'à cette époque 
          aucun abri fixe n'existait pour les malades que l'on n'appelait pas 
          encore " curistes ". Ceux-ci, de même que le personnel 
          médical, étaient logés sous la tente, et l'installation 
          balnéaire se limitait aux piscines romaines, hâtivement 
          restaurées. Des résultats aussi décisifs amenèrent 
          la création d'un hôpital militaire, lequel n'a pas cessé, 
          depuis, de fonctionner.
          Aux " Aqu Calid ", les Romains, ai-je lu, utilisaient 
          trente-deux sources. Aujourd'hui, neuf seulement, qui représentent 
          un débit de 54 000 1/h, alimentent la station. Ces eaux sourdent 
          à une température de 44° et 39°. Les unes sont 
          sulfatées calciques hyperthermales, les autres sulfatées 
          calciques ferrugineuses.
          
          Ces eaux sont favorables dans les rhumatismes, les séquelles 
          de traumatismes et de blessures, le paludisme, l'anémie paludéenne, 
          l'insuffisance hépato-rénale, la lithiase biliaire, la 
          lithiase urinaire, la goutte, certaines dermatoses torpides.
          
          Je m'excuse de cette nomenclature barbare, mais, comme faire se doit, 
          je respecte le jargon médical. Et j'ajoute, pour rassurer mon 
          lecteur, que je puise ces précisions dans le fascicule du 15 
          décembre 1946 des Documents algériens publiés par 
          les soins du Gouvernement général.
          
          Dès 1879, le docteur Renard, médecin-major de première 
          classe, chargé du service médical de l'établissement 
          thermal militaire écrivait: " La température n'est 
          jamais trop élevée, excepté pendant les jours de 
          sirocco, en juillet et août, ce qui est général 
          pour l'Algérie. Le thermomètre ne s'élève 
          guère au-delà de 33° à 36°, les soirées 
          et les matinées sont toujours très bonnes et les nuits 
          délicieuses. Le moment le plus chaud de la journée c'est 
          le matin, de 8 à 11 heures, c'est du moins le plus pénible 
          et le plus fatiguant. À partir de 11 heures, la brise de mer 
          arrive, met l'atmosphère en mouvement, et la chaleur n'a plus 
          rien de désagréable ".
          
          Le toubib, ici, parle de la température éprouvée 
          à l'hôpital militaire, lequel se trouve à 505 m 
          d'altitude, alors que le Grand Hôtel (qui n'existait pas encore) 
          est à 525 m. Vingt mètres de plus en hauteur, c'est peu 
          de chose dirait-on. En été, c'est l'altitude de la terrasse 
          d'un immeuble moyen comparée à celle du rez-de-chaussée. 
          Ici, on suffoque; sur le toit on respire. Le docteur Renard conclut: 
          " Le climat de Hammam Rirha se rapproche un peu de celui de Miliana, 
          c'est le meilleur éloge que j'en puisse faire ".
          
          Ici, une mise au point: plus chaude en été (j'y ai vécu 
          en août), HammamRirha est plus froide en hiver que Miliana. Ce 
          qu'explique naturellement son altitude inférieure à 195 
          m. C'est ainsi que, chassé de Miliana par une bise hivernale, 
          je devais trouver ici une tiédeur printanière:
          
          " Un automne sans feuilles mortes, Doux et fleuri comme un printemps 
          ". Cela, le 15 novembre.
          
          Un autre médecin, le docteur Lelorrain, s'exprimait ainsi en 
          1854 :
          
          On respire là (à Hammam-Rirha) un air pur et doux. L'élévation 
          de la montagne met à l'abri des " émanations paludéennes 
          ", nées des débordements de la rivière ". 
          J'ai mis deux mots entre guillemets. C'est pour faire remarquer qu'en 
          ce temps-là encore nos hommes de sciences croyaient que le paludisme 
          se transmettait par des " émanations ".
          
          Un autre dans le même temps, parlait de " miasmes paludéens 
          ". Laveran n'avait pas découvert que la " fièvre 
          des marais " a pour seul agent vecteur le moustique anophèle. 
          Mais de nos jours encore n'en voit-on pas qui croient que l'innocent 
          laurier-rose, l'adorable oléandre, transmet le paludisme ?
          
          " On nous l'a appris à l'école ", m'a déclaré 
          une dame que je pensais moins attardée. Ça n'est pas impossible, 
          mais la " maîtresse " s'est trompée. Et c'est 
          dommage.
          
          Complétant les appréciations optimistes de ses confrères, 
          le docteur Dubief écrivit en 1878: " Les avantages d'un 
          tel pays sont inestimables. N'y eut- il pas d'eaux minérales 
          à HammamRirha, certains malades y trouveraient encore la santé, 
          grâce à ses excellentes conditions atmosphériques 
          ".
          
          Cette opinion est la mienne. J'aime Hammam-Rirha, indépendamment 
          de ses eaux dont je n'ai jamais usé. Je l'aime pour sa position 
          et son atmosphère, pour sa forêt de pins au sous- bois 
          de bruyères et de salsepareilles, de philarias, et d'arbousiers, 
          de lentisques et de nerpruns, l'été 
          plein de lavandes et de cèpes à l'automne... 
          
          Et pas un thérapeute ne me contredira si j'avance que cette ambiance 
          de paix et de beauté, cette grandeur du paysage et sa grâce 
          bucolique, sont déjà lénitives ensemble et tonifiantes 
          pour ceux qui viennent ici faire une cure balnéaire.
          
          Il me semble impossible que l'idiosyncrasie la plus imperméable 
          aux prestiges de la nature ne soit pas impressionnée, même 
          à son insu, par ce que les Latins nomment les " circumfusa 
          " et les Anglais " l'environnement ".
          
          Oui, je crois à l'influence du milieu, du meilleur comme du pire, 
          et que l'enveloppement tellurique d'Hammam-Rirha est éminemment 
          bénéfique pour détendre un malade, dénouer 
          ses nerfs, lui inspirer confiance, lui rendre l'espérance, conditions 
          optima pour un traitement thermal.
          
          J'ai dit et pense beaucoup de bien de Hammam-Bou-Hanifia et HammamMeskoutine, 
          encore que le premier soit singulièrement austère. Mais 
          aucune de ces deux stations, non, pas même Meskoutine, ne peut 
          rivaliser, pour la beauté du site, avec Hammam-Rirha.
          
          Tout charme et tout sourire, fleurie et parfumée, elle est toute 
          seule à son image, toute seule à bénéficier 
          d'autant de dons de la nature.
          
          Je n'ai rien dit de l'eau froide, gazeuse et ferrugineuse qui, comme 
          à Meskoutine et à Bou-Hanifia, coexiste, à Hammam-Rirha, 
          avec les eaux thermales. Selon l'appréciation du docteur Besançon 
          " elle suffirait seule à la réputation de la localité 
          ". Et le docteur Renard précise : " Une eau froide, 
          gazeuse et ferrugineuse est, en effet, bien précieuse dans un 
          pays comme l'Algérie où le climat et les influences telluriques 
          ont précisément pour résultat l'anémie, 
          la chlorose, la débilité, l'embarras des fonctions digestives, 
          l'engorgement des viscères et, en général, toutes 
          les maladies qui reconnaissent pour cause l'appauvrissement du sang 
          ". La source gazeuse se trouve à la côte 525, à 
          1 500 m de l'hôpital militaire. Elle fut découverte en 
          1846 par le docteur Panier, chargé à cette époque 
          du service médical. Sans écoulement, elle formait un marécage 
          envahi par la brousse.
          
          Après avoir bâti un hôpital pour utiliser les thermes 
          au profit des soldats et des colons, l'autorité militaire avait 
          aménagé une autre source, chaude également à 
          45°, pour les Arabes et les Israélites et construit, pour 
          eux, une sorte de caravansérail où les baigneurs avaient 
          deux grandes piscines à leur disposition et quelques petites 
          chambres dans lesquelles ils pouvaient se reposer et passer la nuit 
          ". Mais ajoute le docteur Renard : " Cette installation primitive 
          et sans aucune espèce de confort ne permettait pas à la 
          population algérienne, et surtout à la partie féminine, 
          de faire usage des bains... Et si quelques personnes, forcées 
          par la maladie, se décidaient à passer deux ou trois jours 
          à Hammam-Rirha, aucune n'aurait consenti à faire une saison 
          de 30 jours dans ces conditions ". Tout cela devait changer. Un 
          autre médecin, le docteur Gros, le souhaitait en ces termes en 
          1862 : " Si un homme sérieux se présentait, qui voulût 
          entreprendre à ses frais la construction d'un établissement 
          nouveau, nous croyons qu'il ne faudrait pas laisser échapper 
          l'occasion. Ce serait le plus sûr moyen d'assurer l'avenir de 
          ces thermes efficaces. En France, toutes les eaux doivent leur fortune 
          à des entreprises particulières qui, dans certains endroits, 
          ont amené de petits centres de population, et dans d'autres, 
          ont fait naître de grandes villes ". Ce voeu plein de sagesse 
          allait bientôt s'accomplir.
          
          Après quarante ans d'exploitation au ralenti par l'armée, 
          les eaux de Hammam-Rirha étaient concédées en 1883, 
          à François Prosper-Alphonse Arlès-Dufour, négociant 
          propriétaire, demeurant à Alger, à titre de bail, 
          pour la durée de 99 ans. Ce bail n'ayant pas été 
          rompu, il expirera en 1981. Selon les termes de la convention annexée 
          au décret de possession, l'État laissait aux établissements 
          à venir l'usage de dix sources débitant ensemble 414,50 
          1/ min et cédait au concessionnaire plusieurs lots importants 
          de terrain.
          
          En ce qui concerne la source n° 4, ferrugineuse et gazeuse, à 
          laquelle six articles de la convention sont consacrés, " 
          elle restera, précise-t-elle, la propriété du département 
          de la Guerre. La consommation sur place, pour boisson, sera gratuite 
          en tout temps et pour tout le monde. Le concessionnaire devra, en
          outre, supporter les frais du premier établissement, de remplacement 
          et d'entretien des appareils qu'il pourra être nécessaire 
          d'établir pour assurer la répartition entre les divers 
          intéressés ".
          
          Cette convention qui devait être sanctionnée par un décret, 
          fut signée à Alger le 10 février 1882, entre ArlèsDufour 
          et le gouverneur général Tirman, puis ratifiée 
          par le ministre des Finances Léon Say, frère, si je ne 
          me trompe, de Louis Say, (fondateur du petit port oranais qui porte 
          aujourd'hui son nom), lequel se ruina dans cette entreprise comme se 
          ruinera Arlès-Dufour en créant la station moderne de Hammam-Rirha. 
          
          
          Ainsi le proverbe n'a pas toujours raison qui dit que la fortune sourit 
          aux audacieux. Niestzche est plus près de la vérité, 
          qui fait dire à Zarathoustra : ". Les précurseurs 
          sont toujours sacrifiés ". Ce que furent effectivement Arlès-Dufour 
          et Louis Say. En plus des thermes modernes du Grand Hôtel, le 
          " fermier ", précise la convention de 1882, devait 
          aménager à ses frais sur les terrains concédés 
          " un hôpital civil ainsi qu'un caravansérail et un 
          fondouk destinés aux indigènes et appropriés à 
          leurs usages ". L'article 3 stipule: " Le concessionnaire 
          sera tenu de meubler et de décorer convenablement les chambres, 
          dortoirs et salles de repos de l'hôpital comme de l'établissement 
          balnéaire. Les parois des piscines et des baignoires, les marches 
          d'escaliers, les soubassements, les dallages, cordons et corniches seront 
          en ciment de bonne qualité, le tuyautage sera en plomb ".
          
          On le voit, rien n'est laissé à l'initiative du constructeur, 
          ni au hasard. Tout est prévu, même le nombre des robinets, 
          des douches, des piscines et de leurs dimensions, des lits. On accuse 
          facilement l'administration de tout faire à la vanvole. Je suis 
          heureux - pour une fois - de rendre hommage à sa minutie. Mais 
          le concessionnaire - n'en doutons pas - pensait différemment. 
          Ce que j'admire, encore dans la convention précitée, c'est 
          le soin que prend l'État d'imposer au fermier des eaux de Hammam-Rirha, 
          " de meubler et de décorer convenablement les chambres, 
          dortoirs, salles de repos " des établissements à 
          construire.
          
          Que ceux qui pensent que l'esthétique - qui agit sur le psychique 
          - est chose neuve en thérapeutique, fassent leur confiteor : 
          en 1882 l'État veillait déjà à leur conjugaison 
          !
          
          D' Arlès-Dufour, je ne sais pas grand-chose. Je regrette ce manque 
          de documentation, car cet audacieux malheureux appartient à la 
          race d'hommes que j'estime et que j'aime, assez hardi pour agir sans 
          penser à une récompense; hommes d'action, que leur défaite 
          ennoblit plus qu'une victoire. On m'a dit que la fondation par lui du 
          Grand Hôtel était la conséquence d'un pari ou d'un 
          voeu. En puissance d'un ulcère au visage, il s'était engagé, 
          si les eaux de Hammam-Rirha le guérissaient, à édifier 
          ici un établissement thermal. Sa guérison s'étant 
          produite, Arlès-Dufour avait accompli sa promesse.
          
          La " vox populi " lui est d'ailleurs favorable. Je n'ai rencontré 
          personne qui l'ait personnellement connu. Mais plusieurs de mes connaissances 
          le connaissent par ouï-dire. Toutes m'ont fait de lui un éloge 
          enthousiaste. À Hammam-Rirha, les jeunes savent par les vieux 
          et par les disparus, le faste des réceptions du Grand Hôtel 
          et l'élégance de sa clientèle, où le tout-Alger 
          mondain et tous les touristes de marque se donnaient rendez-vous.
          
          J'ai sous les yeux une photographie de l'époque, où l'on 
          voit de belles dames en longues robes volantées et chapeaux à 
          voilettes, et des grooms et des chauffeurs en uniformes. Mais le plus 
          beau, c'est l'auto qui amena ces mondaines de la ville jusqu'ici : un 
          char haut sur roues, les antérieures plus basses que les postérieures, 
          exactement comme la calèche à deux chevaux qui l'accompagne 
          : l'automobile est la réplique motorisée de l'hippomobile. 
          L'amusant, c'est le phare : une lanterne à pétrole fixée 
          à la carrosserie. Je serais curieux de connaître combien 
          d'heures mettait cet ancêtre de nos " Arondes " et de 
          nos " Frégates " pour effectuer les 100 km qui séparent 
          Alger d'HammamRirha.
        Visiteurs illustres
        D'illustres artistes ont fréquenté 
          Hammam-Rirha. Camille Saint-Saëns 
          y avait sa chambre avec terrasse sur le parc, que j'ai moi-même 
          occupée. Une plaque de marbre, à l'entrée, rappelle 
          les séjours du compositeur de "Samson et Dalila ", 
          de la " Suite algérienne ", de " Phryné 
          ".
          
          Guy de Maupassant y vécut 
          en curiste avec son domestique. 
          
          Gide y passa le 13 novembre 1903. 
          Dans " Amyntas ", il parle ainsi du site : " La forêt 
          de Hammam-Rirha me rappelle beaucoup celle de l'Estérel à 
          l'entour de Fréjus. Même sécheresse embaumée; 
          lavandes et brûlantes résines, même feuillage aigu, 
          sec, luisant, que ne rougit ni ne jaunit l'automne ".
          Gide ne cite pas les arbouses, dont la forêt, certains cantons 
          du moins, brasillent à cette époque; ni les cèpes 
          que l'on foule à chaque pas; ni les bruyères roses et 
          blanches. Mais il a bien traduit le bien-être euphorique qui envahit 
          le visiteur qui a des yeux pour voir et un coeur pour sentir:
          " Par ce temps ravissant, éclatant, radieux, tout, ce matin, 
          paraît splendide. L'air coloré d'azur semble neuf; je le 
          sens qui m'emplit de santé, de vigueur. Je marcherai dans la 
          montagne - là-bas, là-haut, sans but, sans chemin ".
          C'est le Gide dionysien des " Nourritures terrestres ", que 
          cet hymne panique à la nature africaine n'avait pas appauvri.
          
          Maupassant, je l'ai dit, fit plusieurs séjours en Algérie. 
          Ils se situent en 1881, 1887-1888 et 1890.
          De ces différentes visites, il a parlé dans deux de ses 
          ouvrages, La vie errante et Au soleil. Surtout dans ce dernier, qui 
          n'est guère qu'un reportage vers Saïda, la Kabylie et Djelfa, 
          destiné à ses lecteurs du Gaulois.
          C'était la mi-juillet 1881. Belle saison, pour recevoir le baptême 
          du soleil africain ! Il allait être comblé. Vers le Kreider, 
          où sévissait l'agitateur Bou Amama, allié des Ouled 
          Sidi-Cheikh, il rencontra une telle chaleur que, a-t- il écrit, 
          " l'on pousse un cri si la main rencontre l'acier des armes ". 
          Ce qui n'empêchait pas les soldats de s'en servir. Mai " 
          Bel-Ami " n'était pas un guerrier.
          C'est présumablement en 1887 que Maupassant vint à Hammam-Rirha. 
          A-t-il publié ses impressions sur les " Aqu Calidae"? 
          Je n'en ai pas connaissance. Ce que nous savons de sa visite fut rapporté 
          par son valet de chambre, François, dans ses Souvenirs sur son 
          maître. Selon François, Maupassant ne fut pas satisfait 
          de sa cure et il rentra à Alger d'où il partit pour Tunis. 
          Sans parler des eaux, l'atmosphère sédative du milieu 
          aurait dû apaiser cet hypersensitif, qui eût pu dire avec 
          Baudelaire: " Mécontent de tous et de moi ". Mais il 
          était condamné à " la vie errante ", 
          soit " sur l'eau ", soit " au soleil ", jusqu'à 
          sa mort horrible qui fut celle (ou presque) de l'auteur des Fleurs du 
          Mal.
        Décadence 
          et vandalisme
        On a lu les exigences imposées par 
          l'État aux concessionnaires des sources. Plutôt que moins, 
          ArlèsDufour fit plus qu'il lui était prescrit. Pour ne 
          parler que du Grand Hôtel et des Thermes du sous-sol, ils étaient, 
          pour cette époque (1882) ce qui existait de mieux en Algérie. 
          Ce bâtiment de 90 m de façade, avec deux étapes 
          d'appartements, ascenseur, chauffage central et jardin d'hiver, méritait 
          le titre de " palace ", si souvent usurpé de nos jours. 
          Encore faut-il spécifier que le projet initial d'Arlès-Dufour 
          ne fut pas exécuté dans son ensemble. En effet, une seconde 
          aile de bâtiment devait doubler au nord la façade sud, 
          qui fut seule édifiée. Le tout devait former un carré 
          long avec un jardin au centre. Le Crédit Foncier d'Algérie 
          et de Tunisie, qui assuma la relève du fondateur aux ressources 
          taries, n'a
          pas réalisé sa grandiose ambition. Heureusement, peut-on 
          dire aujourd'hui. Car si cet édifice actuel coûte cher 
          à entretenir, qu'en serait-il si les frais étaient doubles?
          
          Vers 1936, dans un livre intitulé Hammam Rosa, Lucienne Favre, 
          avec l'ironie et la férocité qui caractérisent 
          sa " manière ", a stigmatisé le désordre 
          qui sévissait au Grand Hôtel et la faune qui le hantait. 
          C'était l'époque où je vis un client briser un 
          disque sur son genou et en cacher les morceaux sous le coussin de son 
          fauteuil. Mais dès 1924, lors de mon premier séjour, tout 
          allait déjà à vau- l'eau. Puis la guerre est venue 
          et l'occupant militaire a tout démantibulé. L'état 
          de délabrement dans lequel, après les hostilités, 
          fut restitué le Grand Hôtel est inimaginable. Il faut l'avoir 
          vu pour le croire. Je l'ai vu.
        Restauration 
          et modernisation
        N'importe, si déchu qu'il soit dans 
          son ameublement par l'incurie des hommes et par leur barbarie, l'imposant 
          édifice aux assises de pierres romaines est demeuré intact 
          et son confort ancien peut lui être rendu : c'est une question 
          de remise en état et de modernisation, c'est-à-dire de 
          capitaux. Souhaitons qu'on les découvre. Il serait trop affligeant 
          de voir ce monument dont la mission est double : thérapeutique 
          et touristique, tomber en ruine faute d'entretien. Depuis le déguerpissement 
          de l'occupant militaire, le docteur Granger, administrateur délégué 
          de la Société des Thermes, secondé par M. Vial, 
          directeur du Grand Hôtel, se consacre à sa restauration. 
          Et si la tâche est ardue, il aura trop de force ayant assez de 
          coeur. Le rez-de-chaussée et le premier étage sont déjà 
          restaurés.
          
          Le reste le sera. Veuillent Esculape et sa parèdre Hygie, dieux 
          des eaux qui guérissent, que cela soit bientôt!
          
          Aux portes du Grand Hôtel qu'entoure un parc de cinq hectares, 
          les promenades champêtres et forestières abondent, et je 
          les ai toutes faites aux erres du docteur Granger, dont les bottes de 
          sept lieux font des foulées de Nemrod.
          
          Je fus au Djebel Sam-Sam d'où se découvre tout le Sahel 
          avec le Chenoua et au Djebel Diouane (1075 m) qu'un arc-en-ciel double 
          nimbait de sa splendeur.
          
          Ici comme au Zaccar et comme dans l'Ouarsenis, au Lella-Kadidja et au 
          djebel Chélia, un marabout en ruine sanctifie le culmen. Un trou 
          creusé dans l'argile est la citerne barbare qui garde l'eau des 
          pluies à l'usage des pèlerins qui visitent le saint lieu.
          
          Heureux de l'aubaine, des sangliers irrespectueux font de cette vasque 
          une bauge. Le dernier soir de mon séjour, au pas de Jean-Jacques 
          lorsqu'il herborisait, je suis allé me recueillir sur le terre-plein 
          aménagé à l'orée de la forêt, que 
          les gens du pays en souvenir de l'époque où ce carnassier 
          abondait,nomment " le plateau de
          l'hyène ". C'était l'ultime crépuscule. Des 
          combes et des ravins montaient des appels d'oiseaux : une pie-grièche, 
          des merles, une mésange, des geais, vingt autres, qui n'en finissaient 
          pas de se poursuivre et de s'appeler. On m'avait promis des hiboux. 
          Mais sans doute était-il trop tôt, ou n'était-ce 
          pas la saison car aucun ululement ne parvint jusqu'à moi.
          
          Sous mes yeux, la vallée d'El- Hammam s'embuait de vapeurs floues. 
          Au-dessus, sculpté en plombagine sur le firmament blême, 
          le Zaccar olympien était un monstre fossile. Plus rares, les 
          bruits devinrent moins distincts. Entre deux cumulus, une étoile 
          s'alluma.
          
        Oubliant la distance qui me séparait 
          de l'hôtel, fondu à l'atmosphère que je buvais de 
          tous mes pores, docile à l'incantation de l'ombre et du mystère, 
          longtemps je restai là, écoutant, regardant, plein d'une 
          béatitude impossible à traduire. Lorsqu'enfin je rentrai, 
          éclairé par le phare de la lune ascendante, je scandai 
          ce quatrain au rythme de mon pas :
        
           
            | " Loin du tumulte vaindes cités délétères,
 De l'homme et de ses jeux, de l'homme
 et de ses fanges
 Tel qu'en moi-même enfin
 la Nature me change,
 Je suis le plus heureux
 des vivants de la terre! "
 |