
          
          HAMMAM-MESKOUTINE
          Les eaux les plus chaudes de la terre
        LES EAUX THIBILITAINES
          A 300 mètres d°altitude au pied des Alpes numidiques, au 
          centre du triangle Constantine-Philippeville-Bône, à 108 
          kilomètres de cette dernière, Hammam-Meskoutine fut, Rome 
          régnante, " Aqu Thibilitana " : les Eaux de Thibilis, 
          ville morte dénommée aujourd'hui Announa, à 8 kilomètres 
          au sud, que nous visiterons bientôt.
          Situés sur la grande voie de Carthage à.Sétif, 
          donc intégrés à " l'Africa nova " après 
          l'annexion du royaume de Juba, en 43 avant notre ère, les thermes 
          thibilitains ont certainement bénéficié de ce privilège 
          stratégique qui les rendait d'accès facile aux citadins 
          du voisinage, à ceux notamment de Calama-Guelma, dont 18 kilomètres 
          seulement les séparaient.
          
          Les témoins de cette antique prospérité abondent 
          à Ha.mmam-Meskout1ne, où le parc de l'hôtel thermal, 
          peuplé d'autels votifs aux dieux de Rome et de Carthage, de milliaires, 
          de colonnes, de sarcophages, de mortiers, de caissons funéraires, 
          a l'importance et l'attrait d'un musée lapidaire.
          
          Enfin, des ruines de piscines, situées en amont des émergences 
          actuelles des eaux, ont révélé un luxe rare de 
          mosaïques et de colonnes, et tant elles étaient spacieuses 
          que les archéologues qui les ont étudiées ont évalué 
          à 500, voire à 1.500, le nombre des baigneurs qui pouvaient 
          s'y ébattre ! Il est juste d'ajouter que ceux-ci, selon les mêmes 
          savants, étaient des légionnaires.
        Les eaux les plus chaudes 
          de la terre
          Avec leur température de 96 degrés centigrades, les eaux 
          de Meskoutine sont les plus chaudes du monde. On avait cru, jusqu'ici, 
          qu'après Hammam-Meskoutine, Aigues-Chaudes. avec ses 88 degrés, 
          Carlsbad, avec 75, Plombieres. avec 68. battaient le record des maxima 
          thermiques Mais il y a deux ans, le vulcanologue Tazieff a reconnu, 
          au Congo belge, à l'altitude de 1.000 mètres, les Sources-Chaudes 
          de la Rift Valley. lesquelles atteignent 95 degrés, ce qui les 
          range immédiatement après celles de Thibilis. Incrustantes 
          comme celles-ci, ces eaux congolaises créent des vasques, des 
          cascades et des tuyaux par où elles giclent à l'air libre, 
          comme elles fusaient ici avant le tarissement des crevasses et des cônes 
          épars aux environs
          
          Ainsi seuls les geysers, dont la température est de 109 degrés 
          centigrades, surpassent en torridité les eaux de Meskoutine, 
          très vraisemblablement d'origine volcanique, Quant aux laves 
          à l'état fluide (puisque nous parlons de volcans), elles 
          montent à 1.000 et 1.200 degrés, On conçoit qu'Empédocle, 
          s'il s'est véritablement, précipité dans l'Etna, 
          n'en soit pas remonté...
          Un autre privilege des eaux thibilitaines, c'est leur débit exceptionnel 
          de 200.000 litres-heure. Amélie-les-Bains la station thermale 
          la plus favorisée d'Europe, ne dispose que de 50.000 litres. 
          Et Hammam-Rhira. Que de 4.200 l.
          
          Quant aux vertus thérapeutiques de ces eaux, qui sont radioactives 
          et sulfurées calciques. voici l'appréciation d'une sommité 
          qualifiée, M. le docteur Giberton, professeur à la faculté 
          de médecine d'Alger : " Des travertins millénaires 
          jaillit l'eau
          merveilleuse ; le Diable légendaire qui l'anime est le Soufre. 
          Ses atomes aux aptitudes variées secourent les organes détaillants, 
          renforcent les muqueuses ".
          
          Et le toubib conclut par ce conseil de sagesse : " Curistes, venez 
          en foule en ce lieu enchanteur ! ".
        Vertus curatives des 
          eaux
          Deux établissements, avec médecin traitant, sont à 
          la disposition des malades, M. le docteur Benabu, membre de la société 
          d'Hydrologie de Paris, sous la direction
          duquel j'ai pu les visiter, a bien voulu m'indiquer que l'hôpital 
          thermal reçoit les évacués de tous les hôpitaux 
          du département de Constantine, ainsi que ceux de l'hôpital 
          algérois de Béni-Messous. 
          Mais tient-il à préciser, il n'accueille que les malades 
          atteints de rhumatismes, à l'exclusion de tous autres.
          
          Malgré cette exclusion, l'hôpital est toujours plein. Un 
          chiffre, à titre d'indication : 429 malades ont été 
          hébergés au cours de la dernière saison, c'est-à.-dire 
          d'octobre àjuin.
          Parmi les guérisons les plus intéressantes au point de 
          vue scientifique, dont il a été témoin, le praticien 
          me cite le cas d'un enfant de 13 ans atteint de Chauffart-Still.
          L'amélioration fut si inespérée que le garçon 
          fut présenté à la Société des Médecins 
          d'Alger après sa cure de Meskoutine.
          
          Un autre malade, atteint de paralysie flasque des quatre membres, " 
          genre poupée en chiffon ", fut guéri fonctionnellement 
          et rendu à l'état normal.
          Enfin, le toubib m'arrête devant une jeune femme clopinant. Venue 
          ici percluse par une coxarthrie double (cuisses et jambes collées) 
          elle déambule aujourd'hui, après un
          court traitement, à travers les couloirs, en offrant à 
          son guérisseur sa joie non feinte pour récompense.
          
          Malgré ces résultats vraiment peu ordinaires, loyal et 
          circonspect, le docteur Bénabu n'en tire pas vanité ; 
          il se contente de vanter les vertus curatives des eaux de Meskoutine.
        La nature collabore 
          avec la science
          Outre cet hôpital, où les mala es sont soignés aux 
          frais de leur commune d'origine, il existe, à Hammam-Meskoutine, 
          un établissement neuf, avec infirmières et infirmiers 
          diplômés et doté de tout l'équipement technique 
          " up to date ". C'est ici, toujours sous la direction du,même 
          docteur Bénabu, que sont traités les curistes résidant 
          à l'hôtel.
          Ainsi, dans ce cadre bocager, paisible 'et grandiose, où le non-malade 
          que je suis voudrait l'être,.afin d'avoir une excuse valable de 
          s'attarder, l'hydrothérapie et la science médicale collaborent 
          avec la nature pour réparer les désordres de la santé 
          des hommes et rendre aux déficients vigueur et optimisme.
          C'est pourquoi, je voudrais voir dressée à l'entrée 
          du parc en hommage d'action de grâces, la triode des anciens jours 
          : Cybèle, Esculape, Pluton.
        Un geyser enchaîné
          Chez Pluton. nous y sommes. Toujours conduit par le docteur Bénabu. 
          je visite ce que l'on nomme le geyser. C'est, à. proximité 
          de l'hôtel, un évent au flux souterrain capté sous 
          une coupole chaulée que l'on dirait maraboutique. Mais un mugissement 
          rauque en fait vibrer les murs et tressaillir le sol : ce sont les coups 
          de bélier du courant éruptif contre les madriers qui brisent 
          son jaillissement. Dans ce grondement, régulier et puissant, 
          pareil au beuglement du Minotaure du Labyrinthe. les indigènes 
          locaux, qui donnent un nom à toutes les voix, croient entendre 
          les rugissements d'Iblis et des Djenouns.
          
          Ne rions pas Roumis sceptiques, de cette candeur orientale Ce serait 
          oublier que nos aïeux les Gaulois, voyaient dans le bouillonnement 
          des eaux thermales, la présence de
          Bormanus. dieu du feu souterrain, épigone gallo-romain du Pluton 
          hellénistique et éponyme de Bourbon, Bourbonne, Bourboule.
          Ne rions pas. Il est trop manifeste que partout, a un même stade 
          d'inculture, a correspondu la même crédulité. Partout 
          les mêmes phénomènes naturels, mêmement interprétés, 
          apparurent aux hommes comme la manifestation d'une puissance mystérieuse, 
          c'est-à-dire redoutable.
          
          D'où la pullulation. aux époques d'inculture, des mystagogues 
          et des mythes Et s'ils sont demeurés si vivaces au Maghreb. c'est 
          parce que l'ignorance s'y est éternisée.
        A la source des 
          eaux torrides
          Une vapeur sulfureuse, dense et opaque, véritable nuée 
          moite, emplit toute la coupole où l'on accède en rampant 
          pour éviter l'asphyxle et cinq minutes de présence suffisent 
          pour qu'on suffoque. C'est que nous sommes à. la bouche des ruissellements 
          torrides, au seuil du royaume incandescent de Pluton : c'est ici que 
          l'eau bout à. 96 degrés.
          Nous respirons l'haleine enflammée de Cocyte.
          
          Et cet air gourd irrespirable, la chaleur du sol sous nos plantes malgré 
          le parquet cimenté, le halètement du flux souterrain, 
          tout conspire à nous faire croire que l'on se trouve sur la margelle 
          d'un cratère en éruption et que ce ruissellement formidable 
          d'en bas, c'est le magma igné de la planète terraquée, 
          dont le ressac bat les parois de la chaudière abyssale...
          - C'est ici, m'apprend le docteur Bénabu, que je traite les maladies 
          des voies respiratoires. Qui doutera du succès des inhalations 
          effectuées avec ces vapeurs ardentes ?
        Les eaux bougent 
          et décroissent
          Il y a quelques lustres (je les ai vues du train vers 1922 et peut-être 
          plus tard) plusieurs geysers fusaient sur le plateau voisin. Et c'était 
          beau, ces fusées d'écume et d'étincelles, de perles 
          et de diamants. dans le soleil et la brise. Aujourd'hui, plus un seul 
          jaillissement à l'air libre. L'ultime, nous l'avons vu, asservi 
          pour servir d'inhalations aux hommes.
          
          Si l'on remonte le cours du temps, à des siècles en arrière, 
          des millénaires sans doute, on demeure confondu par le foisonnement 
          des émergences qui ont dû ruisseler ensemble puisque tous 
          les cônes épars sur le plateau voisin et jusque sur la 
          rive de l'oued en contre-bas, où il en est est d'énormes, 
          - lesquels sont des geysers morts - ont sensiblement la même taille, 
          ce qui doit signifier qu'ils sont contemporains.
          
          Mais le flot. éruptif n'a pas.jailli que par des cônes 
          ou plutôt n'a pas laissé que des " éjecta " 
          conoïdes.
          
          Là-haut en amont de l'oued Chedakra, au lieu dit Ras-el-Ma, où 
          coule une source ferrugineuse à 78 degrés (Aïn-el-Hadid) 
          des dépôts sédimentaires emoncelés par des 
          ruissellement taris, composent une longue muraille rectiligne de 6 à 
          10 mètres de hauteur, que l'on dirait de pisé, et sur 
          laquelle. Ai-je lu, on a trouvé un autel à Pluton avec 
          une inscription. Ce qu'il fallait prévoir car c'est là 
          que se trouvaient les thermes des Anciens.
          
          Non seulement les émergences des hauteurs sont taries, mais le 
          plateau des cônes, en contrebas de l'hôpital thermal est 
          aujourd'hui presque aride. Sur la gauche de ce meêm plateau, sur 
          la crête de l'oued, une longue murette basse. comme une roche 
          naturelle, mais régulièrement fendue longitudinalement 
          est également un résidu de ruissellements anciens.
          Ainsi, non seulement les eaux bougent. mais les eaux diminuent.
        Formation des 
          dépôts d'incrustations
          Je note, pour ceux de mes lecteurs que ces phénomènes 
          hydrologiques intéressent, que les dépôts d'incrustatlons 
          coniques seraient antérieurs aux murailles, et que les
          cônes les plus élevés, produits par une force ascensionnelle 
          plus grenue, seraient les plus anciens. Quant aux formations en dôme, 
          elles dateraient d'une époque intermédiaire et les dépôts 
          mamelonnés seraient les plus récents.
          
          Par ailleurs, toutes les terres circonvoisines de l'immense parc de 
          l'hôtel seraient formées des mêmes dépôts, 
          des mêmes laisses, des mêmes eaux éruptives, qui 
          ont lentement décru en même temps qu'elles se déplaçaient. 
          Et la Grande Cascade, elle-même, merveille de Meskoutine, avec 
          ses ruissellement; de 30 mètres de hauteur, ses colorations et 
          ses vapeurs d'ozone, n'occupe plus aujourd'hui son emplacement d'antan.
          
          Qu'il serait curieux de comparer des photos anciennes à la réalité 
          actuelle ! Ce qui doit être aisé en consultant les publications 
          illustrées du début de notre installation. lorsque le 
          docteur Moreau, en 1858, fonda le premier établissement thermal 
          civil, ou quand avant lui, le docteur Grellois improvisa des piscines 
          militaires
          Un témoignage contemporain de la migration des eaux m'a été 
          fourni " in situ ". Dans la nuit du 19 au 20 juin 1857, la 
          source qui alimente les thermes. cessa brusquement de couler, cependant 
          qu'une autre, à 15 mètres de là, émergeait 
          tout à coup. Puis la source tarie reparut et l'autre disparut. 
          C'était la même sans doute, mais déplacée. 
          Et nul ne sait pourquoi l
          Verra-t-on l'assèchement du bassin de Meskoutine ?
          Toutes ces constatations ne laissent pas d'être troublantes. Elles 
          ont même laissé entrevoir le possible assèchement 
          de ce bassin thermal. Le docteur Bourguignat, le premier anthropologue 
          qui ait fouillé et décrit les dolmens de Roknia, en 1867, 
          est du nombre de ces imaginatifs audacieux.
          
          Selon lui. qui a fait de Roknia, à 8 kilomètres au Nord, 
          un précédent préhistorique de Meskoutine, cette 
          station est en train de devenir ce qu'est devenu Roknia " que n'ont 
          pas connu les Romains, puis qu'aucune ruine de cette époque ne 
          subsiste ". Et M. Paul Delau, docteur ès-sciences, confirme 
          la présence de travertins déposés par les eaux 
          chaudes à Roknia. .
          
          Pour moi, Saharien, je compare le processus des eaux thibilitaines à 
          celui des courants artésiens de Touggourt qui, eux aussi, bougent 
          et s'épuisent. Et je pose cette question naïve et saugrenue, 
          mais surtout sans réponse : dans combien de millénaires 
          verra-t-on l'assèchement des eaux de Meskoutine ?
        
        
        
        
          
          II -Hammam-Meskoutine
          Thermale et bucolique
        Une 
          merveille botanique
          Pour aimer Meskoutine, il n'est pas nécessaire d'éprouver 
          les vertus curatives de ses eaux. Son décor de nature suffit 
          à nous ravir. Ceux qui connaissent Bou-Hanífia apprécieront 
          sans que j'insiste la valeur de ce don.
          
          Et d'abord le parc, écrin vivant de verdure et d'arômes, 
          de citronniers et d'orangers qui enchâsse l'hôtel thermal, 
          et que prolonge un bois d'oliviers séculaires. Un parc plein 
          d'oiseaux - grâce rare en Algérie - et que des pierres 
          antiques phéniciennes et romaines, marquées du " 
          Signe de Tanit " et de la svastika, de dédicaces aux dieux 
          du panthéon latin, transforment - je l'ai dit - en musée 
          lapidaire.
          
          Parmi ces monuments de l'archéologie, un monument botanique impose 
          l'admiration. C'est un faux pistachier appelé aussi térébinthe 
          (" pistacia atlantica "), le bétoum saharien, dont 
          la frondaison recouvre 420 mètres carrés. Avec son tronc 
          énorme dont l'écorce est rugueuse comme un cuir d'éléphant, 
          ses rameaux gigantesques au feuillage si fourni que les midis d'été 
          restent frais à son ombre, il me rappelle son congénère 
          du village de Mercier-Lacombe que le maire du pays obtint de faire classer 
          << monument historique ".
          
          En ce qui me concerne, n'y aurait-il .que ce chef-d'uvre d'architecture 
          végétale élaboré par les siècles, 
          que je referais volontiers le voyage de Meskoutine, pour admirer sans 
          fin ce que la Nature fait d'un arbre quand l'homme impie et barbare 
          ne la contrarie pas,
          
          Tout voir pour tout dire, doit être la devise du parfait pariégète.
          
          Hélas! Comment tout dire quand la beauté foisonne ? Et 
          comment procéder par élimination quand tout vaut d'être 
          dit ? J'ai beau me répéter le conseil de Boileau:
          Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire.
          
          Choisir me mécontente comme une mauvaise action, puisque opter 
          pour, c'est opter contre, Je dirai donc ce que j'ai vu dans l'ordre 
          de mes découvertes.
        Le ravin 
          des eaux chaudes
          Revenons vers la Grande Cascade, qui reste la merveille cardinale du 
          pays. Trois griffons l'alimentent et ses frais coloris, en moins bariolé, 
          rappellent les incrustations de Hammam-bou-Hadjar et les marnes d'Aïn-Ouarka 
          dans l'Oranie.
          
          Haute de trente mètres. comme je crois l'avoir dit, et d'une 
          longueur égale, ses eaux ruissellent en fumant dans des vasques 
          et des gradins modelés par elles au cours des siècles, 
          puis se déversent dans un bassin diapré de réfléchir 
          sa paroi bigarrée.
          
          Quant au trop-plein, il s'évade dans un ravin où roule 
          l'oued Chedakra, lequel, un kilomètre plus bas, devient l'oued 
          Bou-Hamdan qui, melangé à l'oued Cherf près de 
          Medjez-Amar, formera la Seybouse dont l'embouchure est à Bône.
          
          C'est ce ravin feuillu, vrai vallon d'Arcadie,que je vais découvrir 
          ce beau matin d'automne, où les merles et mon cur ramagent 
          à l'unisson.
        Plantes 
          et poissons thermophiles
          Que c'est beau ! D'emblée, je suis épris. C'est plus beau 
          que mon rêve, plus beau que mon espoir, plus beau que mon désir.
          
          Tout de suite je sens qu'en moi un grand amour va naître, qu'un 
          nouveau lieu du monde vient de prendre mon cur et que je souffrirai 
          quand je devrai partir.
          J'ai suivi le courant qui roule parmi les pierres embué d'une 
          vapeur blanche, Sur les deux rives, c'est la nature aux allures de forêt 
          vierge : des fourrés de lentisques et d'oliviers sauvages, de 
          lauriers-roses et de genévriers. Tout cela enlacé, escaladé, 
          coiffé de lianes tentaculaires de ronces et de vignes, de chèvrefeuilles, 
          de clématites et de salsepareilles. Et tout cela étincelant 
          de lumière et de vigueur,
          
          L'émerveillant, c'est que des arbustes - des lauriers-roses en 
          fleur - croissent au bord du courant, leurs racines sous ses eaux à 
          45 degrés !
          
          Il y a même des poissons ! Je ne les ai pas vus. Mais les savants, 
          ai-je lu, justifient la présence de ces barbeaux thermophiles 
          en expliquant que l'eau est moins chaude en ses fonds qu'elle ne l'est 
          en surface.
        Flore 
          automnale
          Sur le versant nord, dont les parois rocheuses sont couvertes de mousses. 
          toute une flore desséchée par l'été ressuscite 
          : ombellifères et graminées, renonculés et faux 
          narcisses, scilles céruléennes, thyms et fougères. 
          Et aussi, ô merveille qui me fixe sur places, des cyclamens et 
          des colchiques, disséminés en bouquets aux lieux les plus 
          ombreux.
          
          Surprise que ces présences (qui symbolisent l'automne champêtre 
          et forestier) dans un site tellement chaud dès le 1" Juillet 
          que l'hôtel ferme en juin pour ne rouvrir qu'en octobre.
          
          Sur les paroi sd'un cône de geyser refroidi - car jusqu'ici il 
          y en a, certaine même sont jumelés - une touffe de cyclamens 
          est si bien disposée, là. ou un peu d'humus a pu s`agg1omérer. 
          que, prêt, à les cueillir. ma main hésite et retombe. 
          Ils sont trop beaux ! Y toucher serait un sacrilège.
          
          Je n'avais rien vu ! Au sommet d'un autre cône, strictement régulier 
          et lisse comme un pain de sucre - un pain de sucre de huit mètres 
          - dans l'orifice même du jaillissement tari, une gerbe de " 
          soukkoum " (qui est l'asperge sauvage), mais tellement, hérissé 
          que d'abord je l'ai pris pour un genévrier - s'érige et 
          s'ébouriffe. On dirait. exposé là exprès 
          pour la joie du poète, un bouquet dans un vase Et je m'assieds 
          devant pour longtemps l'admirer.
        Sus 
          aux profanateurs !
          Mais si la Nature est prodigue en beauté, l'homme est un prédateur 
          et rien ne l'intimide. Auprès de ce cône fleuri qui fait 
          mon émerveillement, un autre, le plus élevé, est 
          souillé par un poteau de transport d'énergie implanté 
          à sa pointe.
          
          Il y a pis ! A deux pas de la Grande Cascade, en bordure de la route, 
          les mêmes vandales ont trouvé pareillement " rigolo 
          " de ficher la carcasse d'un pylône métallique sur 
          un amoncellement ancien d'incrustations, qu'à cause de son faciès 
          on appelle " l'éléphant ".
          
          Quelle joie pour le barbare auteur de ce mauvais coup ! Je le vois s'ébaubir 
          et l'entend rigoler ! Et je sais bien, par Pan ! que ces engins sont 
          nécessaires. Mais Je sais également que l'on pourrait 
          les camoufler. Car très rares sont les cas où le faire
          est impossible.
          
          Qu'on ne croie pas, surtout, que je suis seul à m'insurger contre 
          ces attentats à. la beauté des sites. A qui le prétendrait 
          je citerais ce distique d'un touriste étranger rencontré 
          à Colomb-Béchar, où les vandales sont rois :
          Pas une photo
          Sans un poteau !
        Un 
          pont qui est un ornement
          Poursuivant ma promenade, par un sentier sous branches en bordure du 
          torrent, j'ai atteint le pont où passe la voie ferrée 
          de Constantine-Tunis. Parce qu'il est en pierre, ce viaduc ajoute à. 
          la beauté des lieux qu'il aurait profanée s'il était 
          de métal.
          
          Ses quatre arches majeures composent un polyptyque de Claude Lorrain 
          et de Corot, de Poussin et de Puvis de Chavannes, avec la note exotique 
          d'un bouquet de palmier, de laurier rose et d'orangers.
          
          Ces palmiers sauvages (car ils sont nés de noyaux jetés 
          par des mangeurs de dattes), qu'ils sont beaux, couronnés de 
          leurs fruits immatures, qui luisent dans le soleil comme des grappes 
          de topazes ! Je les regarde, mes frères du sud, à peine 
          dépaysés dans cette lumière radieuse. Et je sens 
          que je les aime comme aucun arbre au monde.
        Avifaune
          Ce qui ravit encore dans cette ravine agreste, c'est l'abondance des 
          oiseaux. Partout des pépiements et partout des bruits d'ailes.
          Un cul-rouille me parait être le plus nombreux. Les merles aussi 
          abondent Ils ne trillent pas, mais lancent ce cri strident, panique 
          et prolongé, que j'appelle un you-you.
          
          Et les rossignols ? Car je suis sûr qu'il y a des " bul-bul 
          ". En sorte que la fête, à la saison des nids, est 
          nocturne et diurne, sans discontinuité : c'est l'unanime épithalame 
          l'universel alléluia !
          
          Je n'oublie pas les moineaux. Ils ont leur habitat sous le tablier du 
          pont, où je les vois s'agripper, piailler, puis disparaître. 
          L'admirable, c'est que deux trains venant à passer ensemble, 
          ils ne s'en inquiètent pas. Placides, indifférents, ils 
          restent au seuil de leurs cavernes, bien que les lourds convois ébranlent 
          les piles massives et emplissent tout le vol d'un fracas de tonnerre.
        Entomologie
          Pour le retour, je suis une canalisation aménagée au versant 
          de la paroi rocheuse. où l'eau chaude, attiédie par sa 
          course à l'air libre, s'écoule indolemment vers je ne 
          sais quel destin. J'allais méditatif, savourant mon bonheur à 
          la fois grave et chaud, quand je suis arrêté par la rencontre 
          d'un insecte que je manque écraser.
          Est-ce une mante religieuse ? Je le croirais s'il était vert 
          comme toutes les mantes que je vis au Sahara et dans le Nord. Mais il 
          est fauve ! Et s'il était posé sur ces gramens flétris 
          au lieu d'être sur ce gazon, il serait invisible et je l'eusse 
          piétiné.
          
          Quand je m'empare de lui, l'animal se convulse, darde vers l'agresseur 
          ses longues pattes articulées, pousse une clameur ténue, 
          pareille à un chuintement assourdi de petit chat, en même 
          temps qu'il exsude une goutte de venin brun, couleur de café 
          clair.
          
          Lorsque je l'abandonne, l'insecte reste là., m'observant, ses 
          longues ailes repliées, très élégantes, 
          telle une traîne d'apparat, ses pattes antérieures jointes 
          dans l'attitude implorante, qui fit donner son nom de " religieuse 
          " à la mante. Mais quand, pour la mieux voir afin de la 
          mieux peindre, je veux la ressaisir, lasse d'être tripotée. 
          la bête m'échappee en vol plané. Et j'admire ses 
          ailes doubles de sauterelle et de libellule, brillantes comme de la 
          nacre.
          
          Maïs soudain, je frissonne. C'est que l'ombre est glacée, 
          Nul doute que, même en août, ce ravin reste frais quand, 
          la-haut, on rissole.
          
          J'évoque. en remontant, mes souvenirs de pèlerin. et je 
          ne trouve d'analogue à cet oued Chedakra que l'oued Zour vers 
          Collo. lorsqu'il roule sous les aulnes, l'oued Bouzina dans l'Aurè, 
          lorsqu'il roule sous les noyers, et l'oued Ifrane au Maroc, lorsqu'il 
          roule sous les saules...