|  -----Vers 1876, Pascual 
        LIMINANA quitta le premier son village de Monforte del Cid puis ce fut 
        le tour de son frère Manuel. La misère sévissait 
        alors dans les campagnes espagnoles et leur père n'arrivait plus 
        à nourrir sa nombreuse famille. Il décida de les envoyer, 
        l'un après l'autre, tenter leur chance en Algérie. A l'âge 
        de douze ans, chacun des enfants se vit remettre un peu de nourriture 
        enveloppée dans un linge noué aux quatre coins et dut parcourir 
        à pied les 20 km qui séparaient Monforte du port d'Alicante, 
        tout en se remémorant les recommandations paternelles :« 
        Si tu t'allonges en attendant le navire, pose ta tête sur une 
        pierre rugueuse afin de ne pas t'endormir, car il repartirait sans toi. 
        Lorsque le bateau sera là, présente toi au capitaine et 
        demande lui de te prendre à son bord". C'est ainsi qu'ils 
        partirent d'un après l'autre pour servir dans le bar de leur oncle 
        installé rue de la Marine à Bab 
        El Oued.
 -----En échange de leur travail, ils 
        étaient logés et nourris mais ne recevaient aucun salaire. 
        Manuel livrait aux clients de son oncle des tonneaux de vin qu'il faisait 
        rouler à travers les rues en pente. On lui remettait un sou en 
        guise de pourboire. Lorsqu'il avait réuni quelques pièces, 
        il allait jusqu'au kiosque à journaux pour acheter quelques feuillets 
        des romans de Jules VERNE publiés chaque semaine par la maison 
        d'édition HETZEL. Il les lisait le soir à la lueur d'un 
        bougie avant de s'endormir sur une table du bar. Il se procura aussi un 
        dictionnaire afin de mieux déchiffrer ces passionnants récits. 
        C'est ainsi qu'il acquit une maîtrise parfaite de la langue française.
 
 -----Le bar fréquenté par de 
        nombreux espagnols qui, par les chaudes soirées de Juillet regrettaient 
        le goût de l'anis, la "paloma", qui les désaltérait 
        si agréablement dans leur pays. Manuel et Pascual demandèrent 
        à leur oncle de se procurer des "fleurs d'anis" afin 
        de préparer eux-mêmes la délicieuse boisson, comme 
        ils l'avaient vu faire dans leur village.
 
 -----Alors, les clients du bar se firent plus nombreux. Pascual 
        et Manuel allaient livrer à travers Alger des bonbonnes d'anis. 
        Leur oncle, à présent, leur versait un salaire. Ayant économisé 
        assez d'argent, Pascual décida de regagner son pays afin d'y acheter 
        des terres. Manuel s'installa au Hamma, alors séparé d'Alger 
        par une vaste étendue d'eucalyptus et, dans un local exigu situé 
        au milieu d'un terrain vague, il créa le CRISTAL ANIS en 1884. 
        L'étiquette semblable à du parchemin se composait de plusieurs 
        symboles : la fleur d'anis et les emblèmes des trois communautés 
        qui se côtoyaient en Alger : Arabes, Espagnols et Français 
        : elle est à peu de choses près la même aujourd'hui.
 
 -----La graine de fleur d'anis, macérait 
        dans de l'alcool à l'intérieur de chaudrons de cuivre avant 
        d'être distillée dans un alambic rudimentaire. Manuel remplissait 
        les bouteilles l'une après l'autre et recouvrait l'extrémité 
        du bouchon d'un papier argenté.
 
 -----D'autres maisons furent édifiées 
        alentour et cet endroit devint le n° 26 de la rue Caussemille. Il 
        fallut acheter une charrette et des chevaux pour répondre à 
        la demande croissante de la clientèle. Manuel fut d'abord secondé 
        par son fils aîné, François qui mourut avant lui. 
        Quand il disparut à son tour, vers 1936, la fabrique comptait une 
        dizaine d'employés. Ses fils, Ernest et Manuel, développèrent 
        l'activité de l'entreprise. On passa au remplissage mécanique 
        puis à la chaîne d'embouteillage. De nouveaux produits furent 
        créés: l' IMPERIALE MANDARINE, le PACHA MINT, les SIROPS 
        du PACHA, L'AROPE.
 
 -----Ernest mourut en 1948. Malgré 
        la deuxième guerre mondiale et l'interdiction de fabriquer durant 
        une longue période, le CRISTAL ANIS était devenu la boisson 
        nationale des habitants d'Algérie. Le nombre d'employés 
        avait doublé.
 
 -----Manuel LIMINANA (fils) se lança dans la production 
        de vin dans sa propriété de Bouzaréah. Il remplaça 
        les vieux camions Unic par des semi-remorques Willems qui, chaque matin 
        partaient pleins à craquer vers le sud Algérien et fit agrandir 
        l'usine en construisant un entrepôt, rue des Allumettes.
 
 -----Il devint le mécène du 
        sport de boule et créa de nombreux clubs boulistes en Algérie, 
        en Métropole et même en Espagne où ce jeu était 
        alors inconnu.
 
 -----La guerre d'Algérie commença 
        et les nombreux appelés du contingent qu'il accueillait chaque 
        dimanche à sa table découvrirent le CRISTAL.
 
 -----Il patronna le théâtre 
        aux armées et finança le lancement en France de la pièce 
        "La famille HERNANDEZ". Ainsi, bien avant l'indépendance 
        de l'Algérie, le CRISTAL fut connu sur l'autre rive de la Méditerranée
 
 -----En 1961, fut créée la 
        société des Anciens Ets LIMINANA. Quelques mois plus tard, 
        Manuel LIMINANA, qui avait conservé la nationalité espagnole, 
        fut arbitrairement expulsé d'Algérie et de tout le territoire 
        français par le gouvernement de DE GAULLE.
 
 -----Après l'indépendance, 
        l'usine fut nationalisée par l'Etat algérien et le siège 
        social fut transféré à Paris. Une succursale fut 
        implantée à Marseille l'année suivante. Après 
        des années difficiles durant lesquelles il dirigeait ses collaborateurs 
        depuis l'Espagne, Manuel LIMINANA put regagner la France. I1 acheta la 
        Distillerie de la Méditerranée et fit construire une nouvelle 
        usine au 99 Bd Jeanne d'Arc, dans le 5eme arrondissement de Marseille 
        (siège social actuel). Parcourant l'hexagone, il donna au CRISTAL 
        ANIS un nouvel essor.
 
 -----Vingt ans après la mort accidentelle 
        de Manuel LIMINANA, la société demeure à cent pour 
        cent familiale. Les pieds-noirs, fidèles au CRISTAL l'ont fait 
        apprécier à leur amis de métropole ou d'ailleurs. 
        On boit du CRISTAL dans toute la France et jusqu'à Tahiti, en Nouvelle- 
        Calédonie , en Guyane, aux USA, au Luxembourg et en Suisse.
 Noëlle VASSEROT-LIMINANA
 
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