| --------L'atmosphère 
        humide d'Alger est accablante cet après-midi d'été 
        ; pour beaucoup de lycéens, c'est le dernier jour de classe. Le 
        long de la cabine des 
        C.F.R.A., à l'ombre des ficus, face au café de 
        Bordeaux, le car " direct " pour Guyotville stationne, déjà 
        plein. La place du Gouvernement est une étuve. Seul, le Duc d'Orléans, 
        qui caracole, semble défier la fournaise. Toutes vitres ouvertes, 
        nous démarrons enfin : un souffle d'air rafraîchit la peau 
        moite qui colle à la chemise. L'autobus contourne la place du Gouvernement, 
        roulant vers la rue Bab-el-Oued, oblique vers la Pêcherie, à 
        l'angle de la Mosquée et s'engage dans la large avenue du 8-Novembre, 
        flanquée de ses grands immeubles modernes, à l'endroit même 
        de l'ancien quartier de la Marine, autrefois si pittoresque avec ses vestiges 
        de la basse Casbah.--------Puis, 
        c'est la rue 
        Borély-la-Sapie, à l'angle de la caserne Pélissier. 
        Laissant à droite l'esplanade qui domine les bains Padovani et 
        Matarèse, le car s'engage vers le front de mer le boulevard Pitolet 
        surplombe flots et rochers, doublé à gauche du boulevard 
        Malakoff, un petit square hérissé d'aloès séparant 
        les deux avenues.
 
 
        
          |  boulevard 
              Malakoff |  --------Un virage 
        à droite et le boulevard Pitolet côtoie l'hôpital Maillot, 
        longé par le boulevard de Champagne qui grimpe vers la Bouzaréah 
        (hôpital militaire construit sur les anciens jardins du Dey Hussein), 
        puis le magasin général et la caserne de la Salpêtrière 
        (ancien dar-el-baroud ou " maison de la poudre " construit en 
        1815 par le Dey). A cet endroit même, disparue aujourd'hui sous 
        les arcades du boulevard Pitolet, coulait la source des génies, 
        ou des sept fontaines : les négresses d'Alger venaient autrefois, 
        le mercredi, y sacrifier des poulets.--------C'est 
        ici le quartier de la Consolation, à hauteur du fort des Anglais 
        (bâti en 1850 par le corsaire Djaffar, futur pacha), sur une pointe 
        rocheuse, nom donné en souvenir des canonnades échangées 
        avec les vaisseaux anglais sous le dernier Dey Hussein ; ce quartier est 
        devenu le siège de la colombophilie.
 --------Le 
        boulevard Pitolet s'est éloigné du front de mer et longe 
        le stade Marcel-Cerdan, avant de surplomber à nouveau les falaises 
        ; le car laisse à gauche les cimetières européen 
        et israélite, dominés par le massif de la Bouzaréah, 
        aux pentes abruptes en cet endroit, avec, tout en haut, le fort de Sidi-ben-Nour.
 --------À 
        la pointe des Deux-Chameaux, il pénètre dans la commune 
        de Saint-Eugène : jusqu'aux Deux-Moulins, la route surplombe les 
        cabanons construits sur des pilotis scellés sur les escarpements 
        rocheux que la mer frange d'écume et quelques petites plages de 
        gravier, où l'on accède par des escaliers abrupts taillés 
        dans le rocher ou des échelles de bois, plage des Deux-Chameaux, 
        plage Balard, plage de l'Olivier, sports nautiques, parc aux huîtres.
 
 
        
          |  parc 
              aux huitres |   --------Le 
        car longe à gauche une rangée de maisons et villas entre 
        le boulevard Pitolet et l'avenue Maréchal-Foch qui prolonge l'avenue 
        Malakoff et, plus haut, des villas entourées de jardins, sur le 
        versant adouci de la colline au sommet de laquelle la basilique Notre-Dame-d'Afrique, 
        en contrebas de la Bouzaréah, 
        domine de sa splendeur un merveilleux paysage, l'immensité de l'eau, 
        bleu outre-mer, parsemée de longues traînées turquoise, 
        le ciel éclatant de luminosité à l'azur estompé 
        par l'humidité de l'air. Le soleil amorce sa descente à 
        l'ouest, vers l'horizon, éblouissant le ruban de bitume aux luisances 
        d'étain bruni qui se dévide à nos pieds et dévoile 
        à chaque méandre un paysage nouveau.
 --------L'agglomération de Saint-Eugène 
        est ainsi franchie, : l'avenue Foch qui traverse le village 
        a rejoint le boulevard Pitolet. Jusqu'à la pointe des
 
 
        
          |  Deux 
              Moulins |   Deux-Moulins, 
        deux kilomètres plus loin, le rivage devient encore plus dentelé, 
        hérissé de rochers bruns, tandis qu'à gauche, les 
        pentes bistres du massif de la Bouzaréah se rapprochent à 
        nouveau, profondément ravinées, recouvertes d'une maigre 
        végétation. Les villas de bord de mer deviennent plus élégantes. 
        ------ |  | --------Après 
        la Vigie, le 
        Casino de la Corniche apparaît, surplombant la mer ; 
        de l'autre côté, le contrefort abrupt de la Bouzaréah 
        a dû être entaillé pour ouvrir le passage dans le grand 
        virage qui amorce la descente vers la Pointe-Pescade, entre la Réserve 
        et la cimenterie Lafarge. En contrebas, face à la mer, la villa 
        Xuéreb où vécut Camille Saint-Saëns. 
        
          |  Pointe-Pescade |  --------Le 
        massif de la Bouzaréah s'est un peu éloigné de la 
        falaise de bord de mer, raviné de sentiers sinueux ; il était 
        autrefois parsemé d'anciennes fortifications turques, Bord mersel-debban, 
        fort d'Hussein, Topanet mers-el-debban... seul ce fort ayant subsisté, 
        occupé par la Douane.
 --------Le 
        car traverse le village de la Pointe-Pescade, adossé à la 
        montagne, bâti en losanges concentriques autour de la place du 14-Juillet 
        ; du côté mer, après le cap de la Réserve, 
        à l'ouest de la falaise, une plage arrondie, les bains Franco, 
        dite Mers-el-debban ou " port aux mouches ", était autrefois 
        le refuge des pirates.
 --------À 
        partir de la Pointe, à 7,5 kilomètres d'Alger, le climat 
        change brusquement ; dans le car, chacun éprouve les bienfaits 
        d'une première bouffée d'air frais et la ville nous semble 
        déjà bien loin. Au-delà, les maisons de campagne 
        se raréfient, la route serpente entre la mer et les pentes du Sahel, 
        avec quelques cultures.
 --------Après 
        la carrière de pierres de Miramas, 500 mètres plus loin, 
        le car fonce vers les Bains-Romains et son premier arrêt. Deux kilomètres 
        au-delà, voici Baïnem-Falaise, dominée par la tache 
        verte de la forêt 
        de Baïnem : une petite route y grimpe, bordée de 
        belles villas, qui rejoint Alger à travers bois, par la Bouzaréah 
        et El-Biar.
 --------Deux 
        cents mètres après cet arrêt, la chaussée franchit 
        un petit oued, non loin du Palmarium, qui délimite les communes 
        de Guyotville et de Saint-Eugène.
 --------Et 
        c'est le cap Caxine et son phare, au bout d'une longue allée toute 
        droite, qui domine la mer du haut de ses 64 mètres portant à 
        65 milles, il guide les bateaux venant d'Espagne et du Maroc.
 
        
          |  Cap-Caxine |  ---------La vigne fait son apparition sur 
        les coteaux en contrebas de la forêt. Un peu plus loin, c'est l'arrêt 
        de Saint-Cloud, avec ses villas de bord de mer, ses falaises de calcaire 
        bleu.
 --------Dans 
        un dernier assaut avant le Sahel, la Bouzaréah projette vers la 
        Méditerranée le massif du Grand Rocher : comme celui de 
        la Pointe-Pescade, il obstruait autrefois le passage, sauf un étroit 
        chemin muletier. Un tunnel le traversait, pour l'ancien petit train ; 
        aujourd'hui, l'éperon rocheux dynamité laisse place à 
        la route.
 --------Guyotville 
        apparaît alors au bout de la longue ligne droite qui longe la dentelle 
        sombre des rochers de bord de mer, le car laissant à gauche le 
        cimetière ; puis c'est l'entrée du village, la gare, la 
        Makanghia, les écoles et enfin l'arrêt face au monument aux 
        morts, avant les stations de la place Marguerite et des Docks.
 --------Et 
        chacun ressent le bonheur de la paix retrouvée, loin du tumulte 
        de la capitale. Car, dans ce village qui nous a vus naître, où 
        nous sommes allés ensemble à l'école, à l'église, 
        au cercle, au stade..., où toute boutique nous est familière, 
        où tout habitant nous est connu, où tout paysage est enchanteur, 
        du bord de mer au plateau, de la forêt à la Madrague, où 
        le climat est d'une incomparable douceur, nous nous sentons véritablement 
        , chez nous, heureux, enracinés au plus profond de notre être. 
        Comme n'importe quel petit village de France, nous avons l'impression 
        que Guyotville, qui a bercé l'existence de nos parents, de nos 
        grands-parents, a toujours existé
 
 |