| -----Ville singulière, ville haute 
        en altitude, parmi les plus hautes, elle culmine à 1376 mètres 
        (carte Taride 1958) et dépasse ainsi Briançon la plus haute 
        cité d'Europe avec ses 1316 mètres (Guide Michelin). Poste 
        militaire fondé en 1852, sur ordre du Général Pelissier, 
        avec la construction d'un fort, par le lieutenant du Génie, futur 
        Général Segretain.
 
 Plus vaste que la Belgique et le 
        Luxembourg
 -----La lère pierre fut posée 
        le 25 novembre 1852 et le poste a failli s'appeler Lignyville du nom du 
        Lieutenant-Colonel Deligny, directeur des Affaires Arabes de la région. 
        En décembre 1853, alors que les travaux étaient fort avancés 
        et le lendemain de la prise de Laghouat, le Général Pelissier 
        dans une lettre au lieutenant Segretain, ordonnait " Je décide 
        que le poste que vous construisez s'appellera Géryville, et la 
        Tour détachée se nommera Deligny." Et c'est ainsi 
        qu'est né Géryville, du nom du Colonel Gery, qui avait fait 
        une incursion avec une petite colonne en 1843 à El-Bayadh, point 
        d'eau avec quelques mines de ce qui fut un Ksar. C'était le point 
        le plus méridional qu'on eut atteint. Après avoir été 
        Poste, Annexe, Commune Mixte, Commune et sous préfecture en 1962, 
        El Bayadh est aujourd'hui chef lieu d'une willaya (département).
 -----Pays des grands espaces, sa commune 
        avec ses 50 000 km2 était plus vaste que la Belgique et le Luxembourg 
        réunis (32 000 km2). Elle s'étendait du Chott Ech Chergui 
        à l'Erg occidental avec seulement une population rurale de 46 000 
        nomades d'origine arabe, 7 000 ksouriens berbères et de 7 500 à 
        10 000 à Géryville centre dont un grand nombre de militaires.
 -----Singulière aussi, la ville se 
        situe à 106 km de sa gare, sise à Bouktoub. Après 
        la traversée de la mer d'alfa, elle s'étale, enserrée 
        entre les 2 oueds El-Bayadh Ghabi et El-Bayadh Chergui dont le confluent 
        forme les " Gorges", point de passage obligé pour y parvenir, 
        avec son fameux "Pont Cassé", pont emporté par 
        une crue dans les années trente.
 -----Elle est dominée par ses trois 
        Monts du Djebel Amour de la chaîne Atlas saharien.
 - Le Bouderga 1873 m, majestueux par sa masse avec ses vestiges du poste 
        optique.
 - El-Bayadh Ouastani 1878 m, petit frère du grand et altier Ksell 
        (2008 m) avec tous trois, leur sommet enneigé en hiver et parfois 
        jusqu'au printemps pour le Ksell.
 -----Ses écoles communales avec leurs 
        cours complémentaires ont donné de brillants résultats 
        jusqu'au niveau universitaire. Ses hommes ont donné de valeureux 
        soldats, d'honnêtes gens de toutes catégories sociales et 
        de tous les corps de métiers.
 
 Trois communautés
 -----Enfin et surtout Géryville a 
        été le creuset où trois communautés ont vécu, 
        se sont appréciées, estimées, respectées. 
        Où les peines et les joies se partageaient comme se partageaient 
        le pain azyme, (rekaka) la Mouna ou la Kesra, où des familles catholiques 
        faisaient la Zerda, la Ouada, une fois l'an pour le saint Patron Sidi 
        Cheikh ou Sidi Abd-el-Kader, le salon d'une vieille famille
 israélite s'ornait de portraits des grands chefs des Ouled-Sidi-Cheikh 
        du début du siècle et la fin du siècle dernier. Ces 
        tableaux se trouvent encore dans cette famille rapatriée en 1962.
 -----Les lois de Vichy, ne nous ont pas épargnés. 
        C'est ainsi que les enfants israélites furent expulsés des 
        écoles et les fonctionnaires révoqués à la 
        stupéfaction de toute la population. La solidarité s'est 
        alors manifestée spontanément un exemple parmi tant d'autres, 
        un vieil instituteur, chargé de famille, révoqué 
        s'est trouvé dans la gêne. Aussi, en hiver, des bûches 
        de bois, du sucre, de l'huile, étaient déposés chaque 
        soir, par certains de ses élèves. Paradoxe aussi, son fils 
        est mort pour la France et après le débarquement en Afrique 
        du Nord, c'est lui qui nous apprit le "God save the King". La 
        Marseillaise, nous la chantions déjà. Sous Vichy, seul le 
        couplet " Amour sacré de la patrie" était chanté 
        tous les lundis matin. Un père de famille fort épicurien 
        à Géryville, a retrouvé une sagesse inattendue après 
        1962. Il s'adonna à l'étude rabbinique et ouvrit une modeste 
        boutique, rue des Rosiers, pour articles et livres religieux. La théière 
        ronronnait à longueur de journée. C'était le lieu 
        de rendez-vous des Géryvilois de passage, de là-bas ou de 
        l'hexagone. A l'annonce du décès d'un membre d'une famille 
        amie, il récita d'un trait un verset du Coran, verset du Trône 
        de la Sourate de la Génisse, sublimant la puissance de " l'Éternel" 
        et la vanité de l'homme. C'était stupéfiant.
 
 Une capitale de l'alfa
 -----Les grands stratèges de l'équipement, 
        à l'époque, ont fait passer la voie ferrée Oran-Béchar, 
        bien au large de Géryville, effrayés peut-être, par 
        les Djebels Amours et les monts des Ksours. Cela n'a pas été 
        une tare, bien au contraire, nous étions, bien, à l'écart. 
        Grâce à nos conducteurs de diligences, puis de cars et de 
        camions, nous étions bel et bien reliés au reste du monde.
 C'est ainsi que Géryville eut la visite au moins, d'un ministre 
        de la guerre, Monsieur Etienne vers 1904 ou 1905, d'un Gouverneur Général, 
        en 1940, L'Amiral Etienne, défenseur de Dunkerque, les camions 
        et cars Berliet de la croisière Berliet franco-musulmane, avant 
        la Grande Guerre. L'alfa des hauts plateaux a fait la prospérité 
        de la cité entre les deux guerres, en effet, elle en fit le centre 
        alfatier le plus important d'Afrique du Nord. Arrachée avec méthode, 
        cette plante bien singulière, parce qu'unique, donnait un papier 
        de qualité de renommée mondiale, fabriqué, hélas 
        en Angleterre. L'importance de cette ressource alfatière a fait 
        qu'un exploitant local a eu maille à partir avec un certain Blachette 
        et un certain Borgeaud, bien connus de la finance dans l'Algérois. 
        Ils voulaient en avoir le monopole. Notre concitoyen eut gain de cause, 
        après un long procès, c'était avant guerre.
 
 Bien d'autres richesses
 -----Cette mer d'alfa avait aussi une autre 
        richesse, le mouton, qu'exploitaient les nomades élevant aussi 
        leurs superbes chevaux, leurs dromadaires indispensables à la transhumance 
        et les méhara pour les grandes randonnées dans le sud de 
        l'Atlas Saharien. L'élevage du mouton, a eu sa prospérité 
        accrue avec l'amélioration de la race et les soins prophylactiques, 
        c'est ainsi que le mérinos a été introduit dans le 
        Géryvillois.
 -----Il y eut, hélas, aussi des grosses 
        pertes avec la sécheresse et parfois dans certains points à 
        cause des intempéries, pluie et crues d'Oued où paissent 
        les troupeaux et enfin le froid et la neige, les nomades ne connaissant 
        pas de granges. En 1954, " ce pays de mouton", comptait 600 
        000 ovins, 200 000 caprins et 20 000 camélidés.
 Il y eut, hélas, la révolution agraire, qui a sédentarisé 
        les populations et les troupeaux. C'est ainsi qu'on a vu des troupeaux 
        de moutons, dans des enclos, nourris avec du fourrage importé de 
        Hongrie. C'est ainsi qu'a commencé le déclin de l'élevage, 
        avec la fuite des troupeaux au Maroc, en contournant le barrage électrifié 
        au large de Béchar, mais c'est une autre histoire. Le cheptel se 
        reconstituait après chaque calamité et le dernier moutonnier 
        a quitté le port de Mostaganem à destination de Marseille 
        en 1948, avec à son bord des touques métalliques, conservant 
        le beurre de brebis, spécifique à notre région. Ces 
        touques métalliques étaient soudées hermétiquement 
        par le père de notre futur Chevalier de la Légion d'honneur 
        (cité plus loin). Autre richesse de Géryville, ses tapis 
        de haute laine du Djebel Amour, rouge et noir avec une croix Svastika 
        comme motif, venue dans cette contrée on ne sait comment, et des 
        tapis ras, des coussins, il faut noter que les tapis rouge et noir sont 
        tissés essentiellement dans la tribu de Stitten par la fraction 
        des Geramna (pluriel de Germani).A noter qu'en Allemagne existe une ville 
        Stettin avec son camp militaire dit "la Petite Sibérie" 
        en raison du froid qui y sévissait. Stitten, Stettin, Geramna, 
        Germani, mystère ! Un peu plus au sud existe le village Ksar ou 
        Oasis, portant le nom de Brezina, Berezina, curieux, ce qui fit dire a 
        un garçon quelque peu espiègle, lors d'un cours d'histoire 
        sur Napoléon nous avons, nous aussi, notre " Berezina". 
        C'est bien, à l'école de ce village, que notre agrégé 
        de l'université de France apprit son alphabet. Il en sera question 
        un peu plus loin.
 -----Nos chevaux de race, agiles, vifs et 
        de belle robe se distinguaient dans les comices. Ils étaient retenus 
        pour la remonte et fournissaient l'essentiel des montures de nos régiments 
        de Spahis. Une fois l'an, le lendemain de ces comices que présidait 
        le chef d'annexe (officier du grade de Capitaine ancien ou Commandant) 
        assisté d'officiers de spahis, de médecins et vétérinaires 
        militaires et juges civils, se disputaient les courses au pied du Bouderga, 
        au Mrires.
 -----Avant la dernière course, apparaissaient 
        au loin, les méhara blancs, dans la poussière, après 
        une longue randonnée de plus de quarante kilomètres. Enfin 
        la journée se terminait par une fantasia que donnait chacune des 
        vingt tribus après un beau défilé, caïds en 
        tête, tous anciens officiers ou sous-officiers.
 -----Le jeudi se tenait le marché 
        aux bestiaux, avec ses centaines de moutons et de chèvres, ses 
        dromadaires, ses méhara, ses mulets et le fidèle bourricot. 
        Se vendaient aussi les blocs de sel gemme, les dattes pétries dans 
        les peaux de moutons aromatisées au thym sauvage, aliment préféré 
        des troupeaux, les dattes sèches rouges et translucides du Gouarara 
        ; les fagots de bois de chauffage, de chêne débité 
        pour les foyers aisés, de taga pour les classes moyennes et de 
        brindilles pour les autres, les poteries en argile rouge cuite, tajines, 
        kanouns, encensoirs, du charbon de bois, du goudron qui en est tiré 
        et qui servait à imperméabiliser les outres (guerba pour 
        l'eau) tout en produisant un goût particulier à l'eau transportée. 
        De plus, très bon désinfectant, ce goudron servait aussi 
        de remède à la teigne.
 -----Et nos nomades, arrivés la veille, 
        envahissaient la rue commerçante, dite rue de Stitten, en fin de 
        journée, pour faire leurs emplettes, tissus, café, sucre, 
        thé et accessoires divers tels que harnais et selles de chevaux, 
        deux artisans spécialistes se distinguaient par la beauté 
        de leur travail, broderie or et argent sur cuir rouge, cuir souple et 
        cousu main. Un passage chez le maréchal-ferrant s'imposait. Enfin, 
        visite était faite aux bijoutiers de la ville, tous de confession 
        israélite originaires du Mzab ou du Tafilalet. Les autres commerçants 
        étaient des mozabites ou des kabyles et de gros commerçants 
        israélites ou berbères des Ksours mais tous Géryvillois
 
 Nos écoles
 -----Ses écoles communales de filles 
        et de garçons ont vu le jour bien avant le siècle. Le premier 
        directeur, a eu son fils, enseignant comme lui, tué au champ d'honneur 
        en 1916. Son portrait existait encore en 1962, accroché au mur 
        au-dessus de la chaire du maître dans ce qui fut sa dernière 
        salle de classe.
 -----Ses cours complémentaires, existaient 
        déjà dans les années 20. En sont issus les premiers 
        instituteurs du cru, un avocat, un agrégé de l'université 
        de " France" comme il se plaisait à le préciser 
        un médecin général inspecteur (trois étoiles), 
        (certificat d'études en 1929) et son frère colonel de cavalerie, 
        certificat d'études en 1930. D'autres officiers et sous-officiers 
        suivront, supérieurs et subalternes.
 Après guerre, les cours complémentaires ont repris avec 
        le retour des enseignants et le palmarès s'est encore prolongé 
        jusqu'en 1962. Nos élèves quittaient ces cours complémentaires 
        pour le collège de Mascara, le lycée ou l'Ecole Normale 
        d'Oran et par la suite les universités, les grandes écoles 
        ou les écoles militaires et même plus tard le CNRS. L'un 
        des derniers issus de ces cours complémentaires est en activité 
        comme patron, précisément au CNRS. 3 autres jeunes" 
        recensés sont universitaires, enseignants ou chercheurs. Un autre 
        enfant de Géryville est mort à Los Angeles en 1984 lors 
        des Jeux Olympiques. Il représentait la ville de Paris dont il 
        était conseiller municipal, arrivé en 1962 avec ses seuls 
        titres d'enseignant. Du côté algérien, un chercheur, 
        directeur du CNRS algérien, fut victime de la barbarie il y a deux 
        ans.
 -----Le dernier ambassadeur d'Algérie 
        à Berlin en RDA fut aussi un Géryvillois, précédemment 
        consul à Grenoble. Il y rencontra une famille nombreuse repliée 
        depuis 1962. C'est avec émotion que les retrouvailles furent célébrées. 
        A noter que cette famille a compté une championne de haut niveau 
        parmi ses jeunes. El-Bayadh a toujours fourni un fort contingent de hauts 
        fonctionnaires à l'administration centrale à Alger. C'est 
        ainsi que deux ministres dont le dernier ministre des affaires étrangères 
        avant la tourmente, figuraient au palmarès.
 
 L'armée
 -----Alors que la conscription n'existait 
        pas dans les Territoires du Sud, donc à Géryville, bon nombre 
        d'Escadrons du Régiment de Spahis d'Oranie, comptaient dans leurs 
        rangs des Gérvvillois du centre ou des ruraux et c'est ainsi qu'on 
        a vu partir en guerre en 1914 ou 1939 des unités avec leurs officiers, 
        sous-officiers, spahis et chevaux tous originaires de Géryville. 
        Et il faut signaler, hélas, un acte de bravoure sans pareil, de 
        désespoir, un peloton de spahis a chargé sabre au clair, 
        sur des chars allemands. Cela s'est passé en mai 1940. C'est ainsi, 
        que partout où les armées françaises furent engagées 
        et l'armée d'Afrique présente, les Géryvillois payèrent 
        un lourd tribut comme tant d'autres douars, villages et villes d'Algérie. 
        Le livre d'or de l'Algérie, édition 1937, fait mention de 
        40 personnalités, notables ou simplement fonctionnaires, commerçants, 
        totalisant 10 chevaliers de la Légion d'honneur, 6 Médailles 
        Militaires et de nombreuses Croix de Guerre, de 14-18 et des expéditions 
        sahariennes et extérieures. Enfin une anecdote, illustrant bien 
        le géryvillois. A la reprise de la houillère de Kenadza, 
        bon nombre de Géryvillois s'exilèrent à Béchar 
        et Kenadza, dans les années 40. Ils y trouvèrent un emploi, 
        surtout dans les bureaux. Un candidat se présenta à l'embauche
 - Question : Avez-vous votre certificat d'études?
 - Réponse : Oui.
 - Question : Savez-vous conduire une voiture ?
 - Réponse : Non.
 - Question : Savez-vous monter à vélo?
 - Réponse : Non.
 - Question : Alors que savez-vous faire ?
 - Réponse : Piloter un planeur et un avion de tourisme."
 -----En effet, Géryville possédait 
        un aéro-club sans aérodrome, mais avec des avions de type 
        Norecrin et Stamp et des planeurs, avec comme animateur et fondateur, 
        un Père Blanc, capitaine d'aviation de réserve, héros 
        de la RAF et des Ailes Françaises à la libération. 
        Alors que ronronnaient sur notre route nationale n0 6, à peine 
        goudronnée, les derniers camions à chaîne et le dernier 
        Lancia, camion italien, récupéré en Tripolitanie, 
        dans le ciel bleu de Géryville, vrombissait le Spitfire, avion 
        de combat du pilote Père Blanc, effectuant des loopings, chandelles 
        et autres rase-mottes. Maudit était ce camion Lancia, par les prisonniers 
        italiens, il était la cause de leur capture, en raison du temps 
        qu'il lui fallait pour démarrer le moteur et leur permettre la 
        fuite.
 Un accident, malheureusement, endeuilla le club et toute la cité. 
        Le plus jeune des adhérents se tua à son premier vol. Nous 
        n'étions pas à Pavie, mais un quart d'heure avant sa mort, 
        il était plein de vie, pétillant de santé et de joie, 
        à l'idée de voler en autonome. Il avait à peine 18 
        ans . Au moins deux des membres de ce club peuvent arborer l'insigne de 
        pilote, lors de nos réunions annuelles.., longue vie à eux.
 -----Géryville eut, aussi, ses marins, 
        quatre de ses enfants ont servi dans la " Royale", deux avant 
        guerre dont l'un fut un grand mutilé dans la brève empoignade 
        au Levant entre les FFL et les troupes fidèles à Vichy, 
        et deux après guerre. Une famille comptait 4 frères aviateurs 
        dans les années 30.
 -----Sur le plan sportif, Géryville 
        n'était pas à la traîne. Nous avions deux équipes 
        de Football, la Vaga (Vie Au Grand Air) et l'Étoile du Sud. Des 
        manifestations d'athlétisme se déroulaient avec les élèves 
        des écoles et leurs maîtres. C'est ainsi qu'un jour, nous 
        vîmes s'envoler un sauteur au bout d'un long morceau de bois. C'était 
        le premier saut à la perche dans le sud algérien, réalisé 
        par un instituteur originaire de Normandie et qui s'est distingué 
        par la suite en créant les écoles nomades chez les Touareg. 
        Cela se passait au stade municipal, qui portait le nom de son créateur, 
        le chef d'annexe. Ce nom avait une forte consonance arabe, il était 
        pourtant un pur provençal, originaire d'Arles la Romaine et il 
        avait pour prénom, celui d'un empereur. Sa fille avait comme camarades 
        de classe, deux de nos mamies encore en bonne forme. Longue vie à 
        elles.
 
 L'aspect culturel
 -----Sur le plan culturel et associatif, 
        Géryville a eu ses louveteaux, ses scouts et ses routiers. Certains 
        d'entre eux participèrent au premier Jamboree d'après guerre 
        à Colombes. Les années scolaires se terminaient par des 
        représentations théâtrales montées par nos 
        enseignants et leurs élèves. Tous en gardent un souvenir 
        ému, n'est-ce pas nos vénérés maîtres?
 -----En métropole et aujourd'hui, 
        existent encore, et Dieu merci, un couple d'enseignants, arrivés 
        en 1940 à Géryville, retraités paisibles dans leur 
        Poitou natal. Une fois l'an, ils sont entourés avec affection et 
        respect de leurs élèves, tous sexagénaires, lors 
        de leur réunion des Géryvillois dans le Bourbonnais. Ils 
        sont plus de la centaine avec leur progéniture et la progéniture 
        de la progéniture et l'ambiance y est. Existe encore et aussi un 
        Père Blanc, le Père Duvollet, mémoire vivante du 
        passé de l'Algérie, il en est à son 20ème 
        volume. Il y était en 1940. Sans oublier un ancien officier des 
        Affaires Indigènes, le dernier avant le statut de l'Algérie 
        et l'arrivée des administrateurs civils dont un sous-préfet 
        replié dans sa belle région d'Alsace. Ces personnalités 
        représentent les derniers maillons d'une lignée où 
        l'enseignant dispensait savoir et éducation, dans les classes de 
        40 à45 élèves dont le français n'était 
        pas la langue maternelle. Le médecin soignait et arrivait à 
        éradiquer des maladies telles que le trachome le religieux respectait 
        les autres croyances. A souligner que seules trois conversions au christianisme 
        furent enregistrées en plus d'un siècle et une seule juive 
        à l'Islam, c'était par amour. Une autre idylle, digne du 
        dernier des Abencérages, eut lieu dans le milieu des années 
        40. Elle n'eut pour d'autres conséquences que l'exil, dans le Tell, 
        des 2 amants et le soupir de quelques jeunes témoins d'une aussi 
        belle histoire d'amour. Les uns et les autres ont accompli un travail 
        qui fait honneur à leur pays, à leur corps de métier 
        et qui a amplement mérité la reconnaissance de toute la 
        population. Autre anecdote pour rendre hommage à nos enseignants, 
        deux compères, candidats au certificat d'études, révisaient 
        leur texte de récitation à la veille de l'examen, le soir 
        au frais dans le jardin public
 -----"Heureux qui comme Ulysse..." 
        Un officier et sa femme témoins de la scène, médusés 
        applaudirent et encouragèrent le récitant qui enchaîna 
        "France, mère des Arts, des Armes et des Lois." Du Bellay, 
        à Géryville, par un soir d'été, dans la bouche 
        de deux gamins. Le français n'était pas leur langue maternelle, 
        au cours élémentaire, ils le parlaient déjà 
        et La Fontaine ne leur était pas inconnu. Au cours moyen 2ème 
        année, ils avaient, déjà, entendu parler de la Pléiade 
        et l'imparfait du subjonctif était dans le programme du certificat 
        d'études primaires, comme dans toutes les classes de France et 
        de Navarre, à l'époque. Qu'en est-il aujourd'hui, ici et 
        là-bas? Et quel beau diplôme que ce Certificat d'Etudes Primaires 
        et plagiant le poète, l'on peut dire que notre certificat était 
        plus beau que vos diplômes ronflants d'aujourd'hui. Un Géryvillois 
        s'est vu décerner, il y a moins d'un an, la Légion d'honneur 
        à titre militaire comme tant d'autres concitoyens, ses anciens 
        ou ses camarades. il était issu d'un milieu fort modeste et sur 
        sa poitrine cette haute distinction est bien portée.
 
 Nos personnalités
 -----Nous avons eu à déplorer, 
        récemment, le décès d'un ancien médecin militaire 
        qui s'était distingué, assisté de ses deux fidèles 
        infirmiers du cru, lors de l'épidémie de typhus dans les 
        années noires de guerre, de misère et de froid de l'hiver 
        43-44. Mention spéciale pour ces deux infirmiers, connus de plusieurs 
        générations d'enfants des écoles soumis aux soins 
        prophylactiques contre le trachome.
 -----La lettre du diocèse de Laghouat 
        a relaté l'an dernier, la disparition d'un Géryvillois resté 
        au pays. Il était l'ami, le soutien des Surs Blanches, les 
        dernières qui s'y trouvaient. Singulier, ce Géryvillois, 
        il n'avait qu'un oeil pour conduire un camion, l'autre oeil étant 
        plus que fatigué. Singulier aussi, parce qu'il était un 
        virtuose de l'harmonica. En effet Géryville, pendant la guerre, 
        a été incidemment un haut lieu de cet instrument de musique 
        les prisonniers de guerre allemands échangeaient leur harmonica 
        Honer, contre un paquet de cigarettes. C'est ainsi que s'est constitué 
        un corps de joueurs d'harmonica avec quelques virtuoses pouvant porter 
        ombrage au trio Ressner. Les morceaux les plus joués étaient 
        - une fleur de Paris , Étoile des Neiges, la Houlillah, et tant 
        d'autres.
 -----Particulier, aussi était le camp 
        occupé par les prisonniers de guerre, Italiens et Allemands. Occupants, 
        ils le créèrent et vaincus, ils l'occupèrent. En 
        1940, quelques bâtiments étaient réservés dans 
        la grande caserne à quelques réfugiés venus d'Europe. 
        En 1941, fut dressée une enceinte de barbelés, pour enfermer 
        des prisonniers de guerre britanniques. Enfin après le débarquement, 
        le camp s'est agrandi et y furent internés les prisonniers de la 
        campagne de Tunisie et de Libye, Allemands et Italiens. Il faut signaler 
        quelques tentatives d'évasion lamentablement échouées, 
        en effet, il y avait une prime accordée pour la récupération 
        de tous prisonniers évadés. C'est ainsi que fut ramené 
        à la mairie, bien ficelé sur un âne, un géomètre, 
        en plein labeur vers le Ksel. Au cimetière, reposait un prince 
        allemand, mort de mort naturelle et rapatrié bien après 
        guerre sur un vaisseau de la marine allemande.
 -----Tous les faits relatés et les 
        personnages décrits ont bien existé, même notre ancien 
        et dernier maire adjoint, Bachagha de son état et descendant de 
        l'illustre Sidi-Cheikh. Il avait le pouvoir de changer dans sa bouche 
        la gorgée d'anisette bien fraîche en gorgée de petit 
        lait aussi frais. Si ses adeptes le croyaient, ses amis et tous les Géryvillois 
        le croyaient aussi. C'était un saint homme.
 Et comme il faut de tout pour faire un monde, Géryville eut, aussi, 
        son gangster de haut vol. Un chanteur auteur-compositeur de renommée 
        nationale, voire internationale est né de père géryvillois.
 -----Et puisqu'il s'agit de progéniture, 
        parlons en, l'aînée de nos enfants, née à Géryville 
        est enseignante, d'autres ont suivi. La réussite, la leur, est 
        due peut-être aux facilités trouvées en France, mais 
        due surtout aux sacrifices des parents qui tous ne roulaient pas sur l'or 
        en 62. On y trouve Polytechnique, Normale Sup., une poignée de 
        doctorats mais curieusement pas en médecine, c'est trop courant 
        ou tout simplement des artisans, des commerçants, des fonctionnaires. 
        Le droit du sol étant de rigueur à Géryville, tout 
        être né, tout être qui a enfanté, tout être 
        qui a aimé, tout être qui a séjourné en cette 
        cité est réputé Géryvillois, d'office et de 
        cur. C'est ainsi que nos "pièces rapportées", 
        épouses ou époux, en sont tellement persuadées, tellement 
        imprégnées, qu'elles ne peuvent ignorer ce qui a été 
        relaté ci-dessus et en rajoutent parfois... au point d'être 
        plus Géryvillois que les Géryvillois. Ce n'est pas un reproche, 
        c'est un éloge. Enfin une pensée pour les nôtres qui 
        sont restés de l'autre côté, amis ou parents vivants 
        ou disparus. Et ultime pensée, avant de conclure, pour ce qui fut 
        notre symbole la Mahboula "la folle". Source à l'entrée 
        de la ville. Captée et aménagée par leur service 
        du Génie, elle coulait à flot, est-ce son débit, 
        hors du commun, qui est à l'origine de son appellation ? Eau, limpide 
        et combien fraîche, elle a servi d'abreuvoir pour les chevaux de 
        spahis, de lavoir, mais surtout d'eau de consommation en été 
        dans bon nombre de foyers. Elle ne coule plus de nos jours, et... c'est 
        ainsi que les Géryvillois naissent et demeurent égaux mais 
        inégalables, il faut le dire, dut leur modestie en souffrir!
 -----Et à tous, présents et 
        à venir, Salut et Fraternité.
 Colonel Boualem LAOUFI |