| SOUVENIRS D'ENFANCE II (1950-1957)
 UN DIMANCHE A FRANCIS -GARNIER Serge SOCIAS Le matin, au lever du jour déjà, la population 
        du village augmentait. Les indigènes des douars environnants arrivaient 
        avec leurs bêtes, mulets, bourricots, vaches, boeufs et volailles, 
        et le marché s'animait, le soleil brillait et commençait 
        à chauffer, les échanges et le commerce se faisaient.
 Certains habitants des montagnes amenaient leur bétail pour la 
        reproduction qui se faisait à l'arrière du marché, 
        sous l'oeil attentif des propriétaires. Nous, les petits, nous 
        allions voir les faits, comme un spectacle...
 
 Nous trouvions sur le marché des épices, des céréales, 
        quelques marchands ambulants qui vendaient un peu de tout et rien d'important. 
        Il y avait aussi cette tombola de "petits-beurre", (je pense 
        que certains d'entre- nous s'en souviendront), dans leurs boîtes 
        en fer, en paquets de 5 ou 10, que l'on gagnait, et une fois sur trois 
        nous gagnions encore des petits-beurre...
 
 Mokarnia, le boucher sédentaire, avait ce jour-là la concurrence 
        du boucher Youce, avec son véhicule rouge, qui recrutait sa clientèle 
        dans les rues du village. Puis le marchand de mercerie ambulant, dont 
        j'ai oublié le nom. Nous l'avions baptisé "Le Petit 
        Avion de Koléa". Pourquoi, le "petit avion" ? Tout 
        simplement, lorsqu'il faisait sa tournée dans le village, il remontait 
        les côtés de sa camionnette, qui prenait alors l'aspect d'un 
        avion comme celui de Koléa...
 
 Puis l'épicier en gros, avec son camion bâché. Il 
        faisait la navette Cherchel-Ténès, et, de temps à 
        autre dans la semaine, il nous récupérait, mon frère 
        Gilles et moi, à la sortie l'école, sur le chemin du retour 
        à Doumia, et nous accompagnait jusqu'à la ferme où 
        nous vivions, les deux ou trois dernières années. Il chargeait 
        les vélos dans son camion, et nous montions dans la cabine. Il 
        avait du mal à passer les vitesses, car il était tellement 
        petit qu'il n'arrivait pas aux pédales.
 
 Il y avait aussi les représentants de l'ordre : les gendarmes Pilloy, 
        Bandet, Marti, Gral, Labotte, Labert, Zada, et l'auxiliaire musulman.On 
        les voyait au village et au marché, soit à cheval soit à 
        pied, mais peu étaient en véhicule. Et les gardes forestiers 
        qui vivaient dans les montagnes du Bissa (M. Perez, Zaragoza et Mazetti), 
        et de Tacheta (Bouillaut et Latil). Ils venaient au village pour quelques 
        courses, et pour remettre à leur supérieur, Mr Grebet, et 
        aux gendarmes, leurs rapports au sujet du travail effectué dans 
        la semaine.
 
 Je me souviens du Garde-Champêtre, Monsieur Curien. Pour lui, ce 
        jour-là n'était pas un jour comme les autres. Il avait fort 
        à faire... Bien sûr, les bêtes, les mulets et les bourricots, 
        vu le manque de place, étaient attachés un peu partout en 
        dehors du Marché, donc en "stationnement interdit". Certaines 
        bêtes se détachaient. Monsieur Curien, s'en emparait et les 
        amenait chez lui en "fourrière". Les propriétaires 
        les récupéraient contre une modeste somme.
 
 Les épiciers, Mr et Mme Carillo, d'une part, Mr et Mme Rémusat 
        d'une autre, avaient une dure journée. Mr. Trinquier tenait le 
        dépôt de pain qu'il récupérait au car des transports 
        Mory, qui faisait les liaisons Alger-Ténès. Il chargeait 
        le pain sur une charrette à bras, et le transportait du café 
        à son épicerie, près de la Gendarmerie. Plus tard, 
        nous avons eu la boulangerie Orrofino, tenue par Louis, presque en face 
        du Café Martinez.
 
 M. Mokrane, autre garde-champêtre, avait son petit bureau à 
        l'entrée du marché.
 
 Il établissait les papiers de la population des douars. (C'est 
        lui qui a établi ma première carte d'identité, que 
        j'ai gardée en souvenir).
 
 Le dispensaire du docteur Djaoune ne désemplissait pas...
 Pour 5 francs nous avions une cagette de sardines, achetée 
        au marchand ambulant qui faisait les rues du village.
 M. Curien, Joseph, dit "Pico", faisait son broumitch avec les 
        abats et les têtes de sardines. Comme il aimait la pêche et 
        la chasse, en partant pêcher il prenait son fusil de chasse, ce 
        qui lui permettait de chasser sur le trajet du village à la plage, 
        et au retour : ainsi, il ne revenait jamais bredouille, soit avec du poisson, 
        soit avec du gibier.
 
 Nous entendions au centre du village le forgeron Ledesma battre le fer. 
        C'était, pour lui, une grosse journée à ferrer les 
        bêtes.
 
        
          |  les Gnaoui |  De temps en temps, devant la ferme de M. Bortolotti, les Gnaoui (sorte 
        de saltimbanques), vêtus de leurs gandouras et turbans blancs, venaient 
        du Sud avec deux ou trois dromadaires, nous faire de la musique de là-bas, 
        s'accompagnant de leurs darboukas, raïtas, et qaraqebs. Sans oublier 
        les coups de fusil... C'était, bien sûr, une mini-fantasia, 
        donnée en l'honneur d'une réception ou d'une petite fête 
        pour marquer un événement.
 Je me souviens aussi du petit café maure à 
        la sortie du village, à droite, sur la route en repartant sur Ténès, 
        après la maison de Mme CAMP. Il y avait beaucoup de monde, et les 
        parties de dominos et de carré arabe ne manquaient pas, à 
        l'ombre des eucalyptus. 
 Vers 10h30 nous entendions la cloche de l'église, 
        annonçant la Messe. Les curés venaient de Gouraya ou de 
        Novi, en 4 CV, ou en moto. Pour certains d'entre-nous cette petite église 
        rappelle beaucoup de souvenirs, baptêmes, catéchisme, communions, 
        mariages, et puis le Départ pour une autre vie... 
 Au plus fort de la saison de la récolte des figues, 
        août principalement, l'usine de confiture "Karmoucette" 
        tournait à plein régime, même le dimanche, sous l'oeil 
        vigilant de Mr. Perre. Un grand nombre de villageois y travaillaient. 
        Les jeunes qui venaient passer quelques semaines de vacances étaient 
        à poste pour la mise en boîte de cette bonne confiture "karmoucette"... 
        Pour citer quelques familles, Mme Eck, avec Guy, Henri et Georges, Mme 
        Socias avec Cécile, Ghislain et Luc, Mme Pérez avec Olga, 
        Pierrette et André, dit "Dédé", Mady et 
        Arlette Pierra, Mme Carillo de temps à autre, et d'autres, dont 
        j'ai oublié le nom. Certains travaillaient à l'extérieur 
        de l'usine pour le séchage des figues, exposées au soleil 
        sur de grandes claies. Une fois séchées, elles étaient, 
        soit broyées pour être transformées en pâte, 
        et mises en boîtes, soit mises telles quelles en petits sachets. 
        Une grande quantité était expédiée en Indochine 
        à nos soldats qui se battaient pour nos couleurs... Cette journée nous permettait de nous retrouver, 
        de parler. Nos parents avaient tant de choses à se dire et à 
        faire que la journée était bien trop courte. Bien sûr, 
        nous, les enfants, il nous aurait fallu inventer la journée de 
        48 heures... Un petit souvenir me revient. Les jeudis ou les dimanches 
        après-midi, nous jouions dans le village ou dans les environs. 
        Nous avions inventé le ski sans neige, et, en quelques mots, certains 
        s'en souviendront. Nous avions fabriqué nos skis avec des branches 
        de palmier, après en avoir enlevé les feuilles et coupé 
        à la bonne longueur nos skis, bien sûr le bout le plus relevé 
        vers l'avant. Nous les attachions à nos chaussures avec de la ficelle. 
        Il nous fallait une bonne pente pour skier, et l'endroit choisi sous les 
        pins se situait justement à proximité de la zone de séchage 
        des plateaux de figues, en face de chez Mme CAMP, juste au-dessus du verger 
        de Mr. Bortolotti. Sur les aiguilles de pin, je vous assure que ça 
        glisse, et très bien ! Nous descendions sans bâtons, à 
        tour de rôle, et sans doute y avait-il quelques chutes, mais sans 
        gravité... Il y a tant de souvenirs dans ma tête ! Bien sûr, 
        je ne peux tout écrire, ni citer tout le monde ayant vécu 
        à Francis-Garnier...  Serge SOCIAS Coudoux, le 2 octobre 2004
 
         
          |  Darboukas, Raïtas, et Qaraqebs.
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               ************************ POEME 
        
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                | Serge SOCIAS Coudoux, le 8 octobre 2000
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          | F  rance de notre 
            enfance, R  ien de pareil en ces lieux d'asile.
 A  l'heure bénie où le soleil se terre,
 N  otre accent aux couleurs de tendresse,
 C  es décors heureux qui berçaient notre 
            enfance,
 I  ls sont là dans nos coeurs en détresse,
 S  ensibles et passionnés, ils sont aussi les vôtres.
 G  randir dans 
              ces lieux entre mer et montagne...A insi lorsque nous évoquons notre village,
 R essuscitant nos souvenirs de jeunesse,
 N ous disons : "C'est là que j'ai grandi.
 I l est là mon pays, ne ressemble à nul autre."
 E t dans les rêves secrets jamais oubliés,
 R etrouvons-nous alors par tous ces souvenirs.
 B aie enchantée 
              de Méditerranée,E ntre Dupleix et Ténès, au pied des montagnes,
 N otre beau village entre ciel et terre,
 I nondé de sa plage et magnifiques forêts.
 H eureux de vivre dans 
              ce paysage magique,A u temps de notre insouciante jeunesse,
 O ù sous ton beau soleil tu nous faisais rire, chanter,
 U ne vie de rêves, de souvenirs, d'amtiés.
 A dieu notre village, notre terre, Adieu notre pays.
    
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