Les Fontaines 
          mauresques
        Elles sont hélas! peu nombreuses, 
          aujourd'hui, les fontaines mauresques algéroises, si intéressantes 
          par leurs lignes, par les souvenirs historiques qu'elles évoquent, 
          par les groupes pittoresques qu'elles réunissent devant leur 
          onde chantante.
          
          Quel est, en effet, l'artiste, le touriste que n'ont pas retenu un instant 
          au passage, leur mignonne architecture, leur blancheur brodée 
          d'arabesques, leur si originale clientèle indigène qui, 
          en des attitudes bibliques, apporte à leur coulée d'eau 
          fraîche ses urnes de cuivre, ses vases de forme antique!
          
          Fièrement comme des lettres de noblesse - elles portent leur 
          séculaire inscription de marbre, dont nous regardons distraitement 
          chaque jour le capricieux graphisme, résignés d'ailleurs 
          à ignorer le sens des phrases musulmanes gravées là 
          - qui pourtant seraient dignes de notre curiosité...
          
          Tous ces textes lapidaires, sans exception, exaltent les mérites 
          du fondateur de l'édifice.
          
          C'est que la "fontaine" 
          est, pour l'Arabe, une chose des plus précieuses, pour laquelle 
          il professe une sorte de culte.
          
          Les sources de ce pays ont perdu les génies qu'avaient autrefois 
          honorés les Romains, mais elles sont demeurées un objet 
          de vénération parmi les peuples qu'elles ont successivement 
          désaltérés. Aussi, le meilleur moyen de gagner 
          les sympathies des fils de l'Islam, est-il de leur offrir une fontaine. 
          Guillaume II, qui savait cela, ne manqua pas d'en édifier une 
          à Constantinople.
          
          Veut-on savoir ce que proclament les vieilles fontaines existant encore, 
          à El-Djezaïr ou dans sa banlieue?
          
          Le regretté professeur Colin 
          renseigna à ce sujet.
          
          Nous lui empruntons les traductions suivantes :
          
          - De la fontaine adossée au mur du cimetière 
          de Saint-Eugène qui, sur la demande du Comité du 
          Vieil Alger, fut restaurée en 1909 et en 1936.
          
          "L'homme puissant animé d'intentions sincères 
          en vue de belles actions et de bonnes oeuvres (que Dieu vivifie ses 
          projets en ce bas-monde et dans la dernière demeure!), le très 
          pieux seigneur Mustapha-Pacha, gouverneur d'Alger, a ordonné 
          la construction de cette fontaine à cause de la pureté 
          de son eau". Année 1219 (1804-1805).Mustapha-Pacha (qui 
          régna de 1795 à 1805) périt, assassiné par 
          un janissaire.- De la Fontaine-Bleue (Aïn-Lesrek) qui donna son 
          nom à tout un quartier de Mustapha, et dont la jolie ruine a 
          été maintes fois reproduite par la gravure et la photographie.
          
          "Ali-Pacha a laissé des traces de cette existence dans le 
          séjour affecté à celle-ci. Emu de compassion, il 
          a étendu une aile illustre sur ceux qui l'habitèrent. 
          Dans sa bienfaisance, il a libéralement porté ses désirs 
          vers les bonnes oeuvres. Puisse-t-il rencontrer la grandeur sans cesse 
          et rester sous la garde de la protection divine. Sa date se place en 
          l'année 1179 (1765-66)".
          
          Le fondateur, Baba-Ali Neskis, surnommé Bou-Sebâ, régna 
          de 1755 à 1766.
          
          - Sur la fontaine du "Beau-Fraisier", 
          édifiée par Hussein, de 1823 à 1824, près 
          d'un bras de l'oued El-M'Khacel (rivière des lavoirs), il est 
          dit entre autres choses :
          
          "En ce monde perfide, que ma fontaine reste comme un souvenir 
          ! Son constructeur est Hussein-Pacha, célèbre en Occident 
          et en Orient !".
          
          Bab-el-Oued possède encore une autre fontaine très intéressante, 
          à l'intersection de l'avenue 
          de la Bouzaréah et de la rue Pierre-Leroux. Elle date 
          de 1807. Son inscription contient des réflexions empreintes de 
          tristesse, se rapportant à l'époque troublée pendant 
          laquelle elle fut construite.
          
          L'Amirauté en reçut deux :
          
          L'une voisine de la grande voûte, 
          fut édifiée par Baba-Ali et date de 1765. Elle présente 
          d'anciennes faïences et des plaques de marbre curieusement décorées. 
          Un grille la protège depuis 1934.
          
          Son inscription se termine ainsi : "Puisse-t-il (le pacha) être 
          admis sans jugement au plus haut du Paradis !".
          
          L'autre, dressée près 
          des voûtes du boulevard de France, n'y demeura que jusqu'en 1935. 
          C'était un véritable bijou, qu'il eût été 
          vraiment dommage de laisser en un coin aussi retiré, et où 
          il se détériorait sous l'action de la mer. Ses marbres 
          furent ciselés d'exquises arabesques, de floraisons d'oeillets 
          et de tulipes, du plus gracieux effet. Elle décore à présent 
          le jardin des Antiquités, sur le désir exprimé 
          par les Amis du Vieil Alger.
          
          Son inscription apprend qu'elle fut élevée en 1820, par 
          Hussein. Son emplacement premier n'était pas cependant sur le 
          quai même. Il se trouvait à un niveau supérieur, 
          niveau qu'elle dut perdre en 1867, à l'achèvement du boulevard.
          
          D'autres fontaines existent encore à Alger, comme la fontaine 
          "Ech-Châra" (de 
          la Grand'rue), sous l'église 
          N.-D. des Victoires, et celle de "Sidi 
          Mohammed Ech Cherif", 
          rue du Palmier, mais ces dernières sont aujourd'hui 
          dépourvues d'inscriptions arabes.
          
          Dans la banlieue, plusieurs fontaines, souvent élégantes, 
          apparaissent, que firent élever jadis divers deys, pour le plus 
          grand bonheur des voyageurs qui cheminaient péniblement au long 
          des routes poudreuses et ensoleillées.
          
          La plus chère aux artistes fut celle, jadis parée de verdure, 
          du Jardin 
          d'Essai et connue sous le nom de "Fontaine 
          du Hamma". Voici ce que dit son inscription :
          
          "O Dieu ! il n'est donc aucune limite à la perfection 
          de ta puissance, puisque, à force de creuser la terre, les sources 
          apparurent à la place de l'eau trouble, coulant grâce à 
          ta magnanimité, comme une onde saine pour le peuple de la Foi. 
          Abreuve de l'eau du Kaouter (fleuve du paradis) le zélé 
          serviteur de ta bonté... " 1173 (1759-60).
          
          Son fondateur fut Baba-Ali Neskis. (Classée en février 
          1911).
          
          Il y a encore la fontaine de Birmandreïs 
          - Birmandreïs, 
          corruption a-t-il été dit, de "Bir Mourad Raïs", 
          le puits du Raïs Mourad. Ce Mourad était un flamand qui 
          devint chef de corsaires après s'être converti à 
          l'islamisme. Il enleva en 1661, sur les côtes d'Irlande, 237 personnes 
          qu'il fit vendre à Alger, au Badistan.
          
          La fontaine autrefois, fait connaître Rosey, était ombragée 
          d'un pin, de deux trembles fort beaux, d'un peuplier d'Italie et de 
          deux saules pleureurs.
          
          La plaque de marbre de l'édifice contient les paroles suivantes 
          :
          
          "A merveille, bonheur immense ! Le Dieu créateur a favorisé 
          cette oeuvre. Le gouverneur du "Boulevard de la Guerre Sainte" 
          (Alger) a construit cette fontaine. C'est la source de la vie ! Bondis, 
          pauvre étranger ! Bois son eau et fais une prière pour 
          Hassan-Pacha !" 1208 (1793-94). -
          
          A rappeler que le petit temple auquel est adossée la fontaine 
          date de 1724 et reçut des soldats en 1830.
          
          Plus loin, à Birkadem 
          (le puits de la Négresse), s'élève  
          une ravissante fontaine de marbre, avec un entablement 
          surmonté de menons. Elle est comme la précédente, 
          due à la libéralité d'Hassan-Pacha que l'on compare 
          dans l'inscription à Asef, ministre de Salomon ! Voici en quels 
          termes est célébré le donateur :
          
          "L'Asef de l'époque, Hassan-Pacha, dont aucun siècle 
          n'a vu l'égal, doué de générosité 
          et de munificence, de justice et de bienfaisance, dont la personnalité 
          fait honneur au monde entier, a créé du néant cette 
          fontaine, afin que l'homme boive son eau et la vie tout ensemble. Que 
          Dieu agrée ses bonnes oeuvres ! Qu'il lui accorde comme récompense 
          la félicité et le témoignage de sa satisfaction 
          !" En 1211 (1797-98), cette fontaine a établi son beau 
          cours.
          
          Reproduite en 1839 par Dauzats, venu dans le village avec le duc d'Orléans. 
          Fromentin fut un admirateur de cette fontaine de Birkadem, alors ombragée 
          de saules et de pins.
          
          Tout près de là, dans une campagne verdoyante, c'est Tixerain, 
          pourvu également d'une fontaine grâce à Hassan-Pacha 
          dont celle-ci chante les bienfaits avec non moins de reconnaissance. 
          Voyez plutôt :
          
          "L'ami des bonnes oeuvres, Hassan-Pacha, mine de générosité 
          et de munificence, après avoir fait couler cette source vive, 
          a eu la bienveillance de commander une fontaine. N'erre plus dans la 
          vallée de la soif ! Ceci est un guide pour celui qui l'a vue. 
          Bois jusqu'à ce que tu sois désaltéré à 
          la source de la vie. Lève les mains et fais une prière 
          !" 1212 (1797-98).
          
          Nous pourrions faire encore d'autres citations, mais celles qui précèdent 
          donneront au lecteur, pensons-nous, une idée suffisante de ce 
          qu'est l'épigraphie de nos fontaines mauresques.
          
          On vient de voir que le nom : Birkadem signifie le puits de la Négresse.
          
          C'est une désignation relevant d'un lointain souvenir qu'a depuis 
          longten perdu le public. Cette négresse, affectée autrefois 
          au dit puits, servait son eau 2 janissaires de passage et à tous 
          les voyageurs.
          
          Curieuses sont parfois les dénominations arabes de certaines 
          communes.
          
          Citons à titre d'indication Birtouta 
          (le puits du Mûrier); Ras-el-Mâ 
          (la tête l'eau); Aïn-Sefra 
          (la source jaune); Mazafran (l'eau 
          jaune); Oued-el-Alleug (la rivière 
          des sangsues); Tizi-Ouzou (la colline 
          des Genêts); Berrouaghia (le 
          pays des scylles), Sour-Ghozlan, 
          devenu Aumale (le rempart des Gazelles); Bordj-Bouira 
          (le fort du petit puits); Chéragas 
          (les gens venus de l'Est); Fouka 
          (les cryptogames); Mahelma (les 
          enfants de Mahalem); Drariah (l'arête 
          du Vent); Mascara (le camp); Koléah 
          (la petite forteresse); Saïda 
          (l'Heureuse); Mansourah (la Victorieuse); 
           Es-Seman, devenu Orléansville 
          (les Idoles, en souvenir des statues retrouvées dans les ruines 
          Castellum Tingitii). 
          
          Crescia, Saoula, Zeralda (altération de Zeradla), noms ethniques 
          désignant tribus du passé; Douaouda 
          (les enfants de Daoud); Boufarik, 
           Meurad, Bourkika 
          noms d'oueds; Cap 
          Caxines (altération de Keschine, mauvais); Blida 
          (petite ville
        La Fontaine des Génies
        Cette fontaine, dénommée 
          : Seba-Aïoun (les sept sources) 
          existait jadis, sur la route de Saint-Eugène, près de 
          la Salpêtrière. La construction du boulevard Front de Mer 
          la fit disparaître.
          
          Des négresses y venaient le mercredi, offrir des poulets en sacrifice, 
          aux Génies du lieu, dans le but d'obtenir de ceux-ci, une guérison 
          ou la réalisation d'un voeu ( Le 
          marabout gardien de Sidi-Yacoub, kouba voisine de Seba-A1oun, avait 
          une permission du Général en chef, l'autorisant à 
          stationner devant la fontaine sainte, les mercredis et les jeudis, et 
          à y recevoir les offrandes des fidèles (1833).). 
          Andrews donne à ce sujet, d'intéressants renseignements 
          que nous résumons ici.
          
          Le grand djinn de Seba-Aïoun est, pour les Soudanais d'Alger : 
          Baba Mouça, surnommé : el bahari, esprit aquatique d'eau 
          douce, venu du Niger.
          
          Les sacrifices qui se font exclusivement le mercredi, ont lieu le jour, 
          jamais la nuit. On procède ainsi pour ne pas déranger 
          les djinns qui viennent chaque fois boire le sang des victimes.
          
          Quatre ou cinq groupes de femmes soudanaises et mauresques se tiennent 
          là, avec des sacrificateurs nègres. Le nombre des poulets 
          égorgés en ce lieu, chaque année, est d'environ 
          un millier. L'opération commence par la purification des victimes 
          qui, pour cela, sont tenues, les ailes étendues, au-dessus d'une 
          fumée de benjoin. Cette matière odorante est prise par 
          l'officiant en l'une des sept boîtes respectivement consacrées 
          au culte de chacun des sept djinns. Ces boîtes se distinguent 
          par une couleur particulière : blanche, rouge, noire, bleue, 
          verte, jaune, orangée.
          L'opérateur tourne ensuite sept fois l'animal autour de la tête 
          de l'intéressé. Il le lui passe ensuite sur la poitrine 
          et sur le dos, après quoi, faisant face à l'Orient, il 
          procède à l'égorgement du volatile ( 
          C'était d'un heureux 
          présage que le poulet, se débattant sur le sable, se dirigeât 
          vers la mer.). Un peu de sang écoulé est alors 
          appliqué sur le front du postulant. Si la victime offerte est 
          un coq, elle demeure entre les mains du sacrificateur. Si c'est une 
          poule, le postulant doit l'emporter pour la manger chez lui.
          
          Au cours de la cérémonie, des cierges ont été 
          allumés, qui sont jetés ensuite à la mer. On ne 
          manque jamais en partant, de se munir d'une petite provision d'eau sacrée 
          et d'un peu de benjoin dont on fera usage chez soi.
          
          Les sept djinns de ces sources sont : Baba Mouça, Baba-Kouri, 
          Ouled-Sergou, Nana Aïcha, Touam, Sidi-Ali et Bacherif.
          
          Seba-Aïoun n'était pas toutefois le seul endroit où 
          eussent lieu ces sortes de sacrifices. Il y a encore à citer 
          : l'Amirauté, la voûte 111 sous le bastion du Casino, le 
          Marabout Sidi-Abdelkader - rue d'Isly, l'ancienne fontaine Ez-Zouaouï 
          (entrée de la rue Henri-Martin), les Bains Romains, au lieu dénommé 
          : Redjel-Afroun, Sidi-Yahia, et aussi la plage du Hamma, à Sidi-Abiod, 
          où est vénéré Sidi Bacua, le perruquier 
          des djinns. Non loin de là, se trouvait la kouba de Sidi-Bellal, 
          grand patron des nègres, le fondateur de Tombouctou. Sur cette 
          partie du rivage, les Soudanais célébraient bruyamment 
          jadis, au printemps, la grande fête dite "des Fèves". 
          Ils s'y rendent encore.
          
          Nombreux étaient autrefois les étrangers qu'attirait cette 
          originale manifestation.
          
          Le cérémonial de cette fête, appelée en arabe 
          : Aïd-el-Foul (Fête des Fèves), commençait 
          par la Fatha, prière initiale du Coran. On égorgeait ensuite, 
          au milieu de chants et de danses, un boeuf, paré au préalable 
          de fleurs, puis des poulets et des moutons. Avant de procéder 
          aux sacrifices, les nègres tournaient sept fois dans un sens 
          et sept fois dans l'autre. Le sacrifice consommé, la foule se 
          dirigeait vers un bassin carré, rempli d'eau, consacré 
          à la sainte Lella-Haoua.
          La fête se poursuivait par un festin où figuraient des 
          fèves, les premières de l'année, que les nègres 
          devaient manger. Les réjouissances se terminaient par des danses 
          d'une animation extraordinaire, exécutées aux sons assourdissants 
          des karakeb (castagnettes de fer) et du tam-tam. (D'après Piesse). 
          Ce cérémonial est toujours observé.
          Des fêtes particulières, dénommées Derdebas, 
          ont eu lieu, longtemps, dans les rues Darfour et Kataroujil, en des 
          maisons appartenant aux nègres.
          
          Les nègres composent ici sept confréries, représentant 
          chacune une région du Soudan. Ces régions sont :
          Bambara (Sénégal-Niger).
          Sonoui (Tombouctou).
          Bornou.
          Gourma et Tombou (Boucle du Niger).
          Zouzou et Katchena (Haoussas).
          Le père Dan, au XVIIème siècle, a, le premier, 
          décrit les cérémonies religieuses des nègres 
          d'Alger.