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               Hôpital de Sétif 
                 - Ecole 
                d'infirmières musulmanes
 |  Pour  l'observateur qui juge les choses de l'extérieur, 
        la situation de la femme musulmane algérienne lui paraîtra 
        bien précaire comparée à celle de l'européenne 
        qu'elle côtoie ou à celle de la femme turque, égyptienne, 
        syrienne, persanne, hindoue qu'il est convenu d'appeler « émancipée 
        ».
  Il y a seulement moins de dix ans un article sur l'évolution 
        de la femme algérienne ne pouvait se concevoir sinon dans un sens 
        à peu près négatif, car si l'on acceptait quelques 
        éléments sporadiques dont la majorité n'avait pu 
        recevoir l'instruction et vivre à la mode occidentale qu'à 
        la faveur d'un séjour hors de l'Algérie, on pouvait dire 
        que la musulmane algérienne continuait au xxe siècle à 
        vivre comme aux siècles obscurs de l'ignorance, victime des préjugés 
        familiaux et sociaux.
 Est-ce à dire que nous pouvons parler aujourd'hui de l'évolution 
        de l'algérienne comme un fait accompli ou en voie d'accomplissement 
        ? Sans faire preuve d'un optimisme exagéré, en tenant compte 
        des résultats acquis depuis seulement quatre ou cinq ans et en 
        formulant l'espoir que la marche vers le progrès se poursuivra 
        sur le même rythme, nous pouvons dire que l'essentiel est acquis 
        puisque le désir et la volonté de s'instruire et de se libérer 
        de préjugés séculaires sont nés dans toutes 
        les classes de la société musulmane.
 
 Certes, un très petit nombre de femmes peuvent à l'heure 
        actuelle revendiquer le titre d'intellectuelle en Algérie, en donnant 
        à ce terme toute la valeur que l'occident lui accorde. Une vingtaine 
        d'institutrices, autant de sage-femmes, deux ou trois professeurs, une 
        doctoresse en médecine, quelques étudiantes en Faculté 
        et quelques lycéennes forment un ensemble à peine digne 
        de retenir l'attention, même si nous voulons le grossir du nombre 
        de celles qui avec quelques rudiments de français passent pour 
        très évoluées du fait qu'elles ont adopté 
        le costume et la coiffure de la femme européenne et dont l'évolution 
        mal comprise a discrédité le mouvement 
        d'émancipation de la femme algérienne au lieu de le servir. 
        Ce n'est pas bien sûr, en s'appuyant sur ce nombre de femmes instruites, 
        ni sur l'existence de conseillères municipales, de déléguées 
        dans les syndicats que nous pouvons bien augurer de l'avenir de la musulmane 
        algérienne, mais sur l'esprit qui se répand désormais 
        partout dans les villes et qui enseigne la marche vers le savoir et le 
        progrès.
 
 Les Algériens ont fini par comprendre que leur évolution 
        ne saurait être parfaite que si l'on instruit la fille comme on 
        instruit le garçon, car l'expérience leur a montré 
        quel danger il y avait à négliger cette grande partie de 
        la population constituée par l'élément féminin, 
        sans le concours de laquelle nulle révolution ne peut s'accomplir 
        sainement.
 
 Les jeunes gens en face du problème du mariage se sont trouvés 
        obligés de choisir entre ces trois alternatives : épouser 
        une jeune fille ignorante, recourir au mariage mixte, ou se réfugier 
        dans le célibat. Il est inutile d'insister sur les conséquences 
        néfastes de ces trois solutions également imparfaites. Désormais, 
        il ne suffit plus d'être jolie et bonne ménagère pour 
        se marier; la première condition requise est l'instruction; c'est 
        l'argument irréfragable qui a fini par persuader à tous 
        les parents de la nécessité d'instruire leurs filles.
 
 Pour cette raison et pour d'autres encore dont la plus profonde est certainement 
        cette loi naturelle de l'évolution qui n'excepte rien de ce qui 
        vit sur la terre, le branle semble être donné. On veut donc 
        instruire les filles; mais  il n'y a pas de place 
        pour tout le monde dans les écoles françaises. 
        L'école libre où l'enseignement est donné en arabe 
        est le tremplin tout désigné pour cette génération 
        dont l'engouement pour la langue des ancêtres frise le délire. 
        Pour cette génération qui monte la moisson promet d'être 
        belle, car malgré les moyens rudimentaires le désir de s'instruire 
        est tellement vif et le zèle des maîtres tellement grand 
        que le nombre est sans cesse grandissant.
 
 Et devant l'ardeur de leurs petites filles, les mères frustrées 
        de la joie de s'instruire soupirent : Ah s'il y avait des écoles 
        pour les femmes Mais si elles n'ont plus la chance de fréquenter 
        l'école comme leurs filles, elles assistent souvent à des 
        fêtes et des réunions pour les admirer quand elles récitent 
        des monologues ou des saynètes, et apportent généreusement 
        leur tribut pour aider les étudiantes nécessiteuses ou fonder 
        de nouvelles écoles.
 
 Il est une question que l'on ne peut esquiver quand on 
        parle de l'instruction de la femme arabe : c'est la question du voile. 
        Peu de femmes en Algérie ont abandonné le voile bien qu'elles 
        soient déjà très nombreuses à porter le costume 
        occidental avec parfois beaucoup de recherches et d'élégance.Il 
        y a même plusieurs étudiantes qui n'ont obtenu de leur famille 
        de continuer leurs études qu'à condition de sortir voilées. 
        Il semble, dans un grand nombre de cas, que seul le respect quasi religieux 
        que l'on voue aux parents, oblige encore les jeunes femmes à garder 
        levoile malgré le désir violent de s'en libérer, et 
        l'on sent leurs doigts bien prêts à le laisser choir. Sans 
        être prophète, on peut affirmer que la mode souveraine sur 
        l'esprit de la femme aura plus de force que toutes les traditions, tous 
        les préjugés, tous les symboles, pour triompher de cette 
        partie du costume.. Pour les jeunes retardataires qui voudront continuer 
        à frustrer la femme de privilèges que ni la religion ni 
        la saine raison ne lui refusent, ils finiront bien par se rendre à 
        l'évidence, la, femme elle-même se chargera de les mettre 
        devant le fait accompli; car ce que femme veut, Dieu le veut !...
 Halima BENABEB.
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