| 
         
          |  La cueillette du tabac |  C'est un fait d'évidence 
        qu'en Algérie la plus grande partie de la population vit directement 
        ou indirectement du sol. De tout temps, les produits agricoles ou forestiers 
        : vins, céréales, fruits, primeurs, moutons, alfa, liège, 
        etc... ont représenté avec les phosphates et le minerai 
        de fer la presque totalité des exportations.
 A l'importation, l'Algérie demandait à la Métropole, 
        aux autres pays de l'Empire ou à l'étranger : du sucre, 
        du riz, des huiles de graines, des produits laitiers, des bois, des huiles 
        minérales et essences, du charbon, des tissus de coton, des vêtements, 
        de la lingerie, des automobiles et des machines de toutes sortes.
 
 Dès le pénible armistice de 1940, les agriculteurs algériens 
        européens et indigènes suivirent les conseils des Services 
        Techniques de l'Administration Algérienne relatifs à l'orientation 
        qu'il convenait de donner à leur activité, dont le but essentiel 
        fut et continue d'être, d'assurer une production maximum pour la 
        satisfaction des besoins propres du pays de denrées alimentaires 
        de première nécessité, tant pour la satisfaction 
        des besoins propres du pays, qu'en vue d'apporter 
        au ravitaillement de la Métropole une contribution qui soit la 
        plus élevée possible. Pourtant, les difficultés de 
        tous ordres qu'ils rencontrent pour assurer l'exploitation intensive de 
        leurs domaines sont allées s'aggravant, et malgré quelques 
        améliorations récentes des moyens de production (carburants, 
        engrais, produits anticryptogamiques) il faut encore se garder de surestimer 
        les possibilités de l'Algérie, qui doit avant tout s'efforcer 
        d'élever le standing d'existence de sa population autochtone demeuré 
        encore assez bas.
 
 Indépendamment des chutes de rendement dues à la pénurie 
        de certains produits et outillages et notamment du matériel de 
        culture mécanique d'importation dont l'Agriculture européenne, 
        très " mécanisée ", fait depuis de nombreuses 
        années un large emploi, certains facteurs naturels limitent l'extension 
        des cultures et les résultats qu'on peut en attendre.
 
 " L'influence décisive du climat saisonnier, ne peut permettre 
        de prévoir avec certitude, d'une campagne sur l'autre, l'ordre 
        de grandeur que peut atteindre annuellement la satisfaction des besoins 
        propres à l'Algérie et, a fortiori, la part contributive 
        sur laquelle peut compter la Métropole. La succession caractéristique 
        en dents de scie des graphiques de notre production et de nos exportations, 
        l'allure symptomatique de nos importations périodiques, montrent 
        trop que notre économie est irrégulière, que si notre 
        agriculture connaît des années exceptionnelles et pléthoriques 
        (au cours desquelles nos récoltes excédentaires déséquilibraient 
        les marchés) elle connaît trop souvent des années 
        déficitaires nécessitant des importations massives et pressantes 
        de diverses denrées alimentaires.
 
 " Par ailleurs, l'espace agricole utile algérien est très 
        limité, représentant à peine 14 % de la surface totale 
        de la colonie (soit 30.500.000 ha); les sols exploitables par la production 
        végétale (forêts comprises) ne s'élèvent 
        qu'à 10.000.000 d'ha environ, sur lesquels les terres labourables 
        occupent 5.700.000 haà peine, exploités annuellement et 
        utilement dans la proportion de 5 5 % seulement. Cette proportion relativement 
        faible des terres mises en culture annuellement, qui tient au climat nord-africain 
        et à la nécessité impérieuse de pratiquer, 
        dans les zones arides et semi-arides de la céréaliculture 
        l'assolement biennal (avec une année de jachère), jointe 
        à l'irrégularité pluviométrique et aux excès 
        météoriques qui influent si fortement sur l'étendue 
        des emblavures et l'importance des récoltes, marque bien la capacité 
        et les limites exactes de production de l'agriculture algérienne 
        " (VIVET et LAUMONT. - La Production 
        Agricole de l'Algérie - Rapport présenté à 
        la journée commémorative du centenaire de la Société 
        des Agriculteurs d'Algérie.).
 
        
          |  Evolution des productions |  Il est cependant possible, par une technique appropriée 
        de pallier dans une certaine mesure l'influence souvent fâcheuse 
        du climat. C'est l'application de cette technique, résultat des 
        travaux des laboratoires et des stations de recherches et des colons évolués 
        qui procure déjà à certains 
        agriculteurs européens dans des conditions de sol et de climat 
        comparables, des rendements moyens, constamment supérieurs à 
        ceux obtenus par la grande majorité des fellahs qui sont restés 
        fidèles aux méthodes ancestrales.
 De 1939 à 1942 les difficultés constantes et croissantes 
        du trafic maritime ont perturbé les courants commerciaux traditionnels. 
        Ceux-ci furent influencés, en outre, par les obligations nées 
        de l'armistice. La plupart des importations étrangères furent 
        supprimées.
 
 Lors de l'armistice de 1940, il existait des stocks de céréales 
        importants, reliquat de l'excellente année que fut 1939. Des prélèvements 
        officiels et surtout officieux, au profit des puissances de l'Axe, la 
        diminution des rendements dus tant aux conditions climatiques mauvaises 
        de la campagne 1940 qu'à l'amenuisement progressif des moyens de 
        production, les épuisèrent rapidement.
 
 En 1942, à la veille du débarquement allié, le problème 
        le plus grave était celui des carburants. Une distillation intensive 
        et très onéreuse, des excédents de vins ayant produit 
        jusqu'à 77z.000 hl d'alcool pendant la campagne 1940-1941, la transformation 
        du plus grand nombre possible des moteurs pour la marche au gaz de bois 
        ou de charbon de bois ne suppléèrent que très partiellement 
        à l'insuffisance des carburants d'importation.
 
 Par contre, jusqu'à cette date, malgré la mobilisation de 
        1939, suivie du maintien en captivité d'un nombre important de 
        travailleurs, l'Agriculture ne souffrit pas trop du manque de cadres et 
        de main-d'uvre.
 
 Après le débarquement allié, la situation de la production 
        agricole ne fut pas, dans l'ensemble, améliorée car si dès 
        le début de 1943, les importations de carburants et lubrifiants 
        purent reprendre à une cadence croissante,, celles du matériel 
        agricole et des produits divers (engrais, semences, produits anticryptogamiques) 
        ne débutèrent que plus tardivement et restèrent constamment 
        inférieures à celles d'avant-guerre, en même temps 
        qu'une mobilisation atteignant pour les Européens un taux plus 
        élevé que dans les autres pays en guerre, privait les exploitations 
        comme les ateliers ruraux de la majeure partie de leurs cadres et de leurs 
        ouvriers spécialisés. Parallèlement la main-d'uvre 
        musulmane, elle-même réduite par les appels sous les drapeaux, 
        attirée par les chantiers militaires alliés ou français, 
        trouvant dans des spéculations diverses, des ressources faciles, 
        désertait les champs. Il était fatal dans ces conditions, 
        malgré l'esprit d'adaptation et l'ingéniosité incontestable 
        des agriculteurs algériens, malgré les efforts de l'Administration 
        et les encouragements résultant de la revalorisation des produits 
        agricoles que la production des principales denrées aille s'amenuisant.
 
 Il en fut ainsi jusqu'à l'été 1945 et si l'on y ajoute 
        les conditions climatiques particulièrement défavorables 
        de cette campagne, on comprend que la production se soit établie 
        cette année-là spécialement pour les céréales, 
        à un 'niveau très inférieur aux besoins du pays. 
        Depuis, la reprise des relations normales avec la Métropole, l'augmentation 
        sensible du tonnage des carburants, une amélioration 
        des importations de matériel, qui restent malgré tout très 
        au-dessous des besoins, la démobilisation des cadres et de la main-d'oeuvre 
        et pour la campagne qui se termine, un climat plus favorable ont permis 
        d'enregistrer une reprise sensible.
 
 Les quelques tableaux ci-après illustrent assez bien ces faits. 
        L'examen de ces tableaux souligne les efforts accomplis par les agriculteurs 
        algériens pour compenser dans la mesure du possible, l'insuffisance 
        des importations traditionnelles.
 
 En matière de carburants et de lubrifiants, on développa 
        l'emploi de l'alcool et la production du charbon de bois pour l'alimentation 
        des gazogènes et la culture de certains oléagineux (ricin).
 
 Pour les cultures maraîchères, on organisa la production 
        locale de certaines semences. C'est ainsi que pour la pomme de terre la 
        production locale des plants contrôlés, nulle avant guerre, 
        fut entreprise sur les Hauts-Plateaux, atteignit 6o.000 quintaux en 1945 
        et permit, après la suppression des relations avec la Métropole 
        et concurremment avec certaines importations, de maintenir la production 
        au 3/4 environ de son niveau d'avant-guerre pendant les années 
        1943-1944 et 1945 et d'atteindre et même dépasser ce niveau 
        dès 1946.
 
 Comme dans les périodes de pénurie de main-d'uvre, 
        l'élevage connu la faveur des agriculteurs européens et 
        musulmans. Les statistiques n'indiquent qu'imparfaitement cette évolution 
        car tout porte à croire qu'au début de l'année 1945, 
        qui devait être catastrophique pour l'élevage algérien, 
        les effectifs réels dépassaient i million pour les bovins 
        et atteignaient 8 à 9 millions, pour les bovins. Cette surcharge 
        des pacages a d'ailleurs contribué à exagérer les 
        fâcheux effets de la sécheresse de 1946.
 
 Actuellement, les effectifs, bien que réduits par la mortalité 
        élevée constatée durant l'été 1945 
        et l'hiver 1945-1946, sont vraisemblablement voisins de ceux d'avant-guerre 
        pour les différentes espèces, à l'exception des ovins 
        dont le nombre doit pouvoir être estimé entre 4 et 5 millions 
        de têtes.
 
 Parallèlement à ces initiatives techniques, les agriculteurs 
        européens et musulmans d'Algérie perfectionnèrent 
        l'organisation professionnelle. Sur le plan général, restés 
        réfractaires à l'application de la loi de décembre 
        1940 créant la " corporation ", ils accueillirent avec 
        plus de faveur la Confédération Générale de 
        l'Agriculture dont l'Union Algérienne associant les divers éléments 
        techniques de la population est en bonne voie de réalisation.
 
 Sur le plan coopératif, la pénurie de matériel motorisé 
        les conduisit à multiplier les Coopératives d'outillage 
        mécanique, encouragées d'autre part par les Services Agricoles 
        sous la forme d'attributions prioritaires de tracteurs.
 68
 Sans être redevenue normale, la situation s'est 
        donc améliorée et sauf pour le vignoble dont le vieillissement 
        prématuré et l'excédent des arrachages sur les replantations 
        (6o.000 ha depuis 1940) ont réduit de près de 40 °,/,, 
        le potentiel de production, on peut espérer retrouver rapidement 
        les niveaux de production antérieurs à la guerre. Ce niveau 
        est même déjà dépassé pour la plupart 
        des cultures maraîchères.On ne peut cependant s'en tenir à cet objectif. La nécessité 
        d'améliorer le standing de vie d'une population qui s'accroît 
        de 120à 150.000 unités chaque année oblige à 
        mettre en oeuvre tous les moyens propres à augmenter la production, 
        spécialement pour les denrées vivrières de base. 
        Or, comme il n'existe plus dans les zones favorables que des étendues 
        restreintes de terres susceptibles d'être défrichées 
        et mises en valeur, c'est par l'amélioration des techniques appliquées 
        aux terres déjà cultivées que l'on peut atteindre 
        le résultat cherché.
 
 L'effort doit porter essentiellement sur l'agriculture musulmane dont 
        les rendements même sur les sols de bonne qualité, dans les 
        régions à pluviométrie satisfaisante, restent très 
        inférieurs à ceux des agriculteurs européens.
 
 La prospection méthodique et l'aménagement de toutes les 
        ressources hydrauliques aussi faibles soient-elles, la généralisation 
        des labours préparatoires ou des méthodes de culture profonde 
        pour la production des céréales, l'amélioration des 
        cultures fruitières, la lutte contre la mortalitépar maladie 
        ou disette du cheptel, sont parmi les principaux moyens envisagés.
 
 Leur mise en uvre est grandement facilitée par l'adoption 
        de formules coopératives qui permettent d'utiliser au mieux les 
        moyens encore limités existants. C'est ainsi, comme nous le signalions 
        plus haut, qu'au cours de ces dernières années, de nombreuses 
        coopératives se sont créées pour l'utilisation en 
        commun des tracteurs importés.
 
 Dans les milieux musulmans où il faut vaincre des obstacles divers 
        d'ordre économique faible étendue des propriétés, 
        état rudimentaire de l'équipement, complexité du 
        statut de la propriété foncière; ou psychologique 
        : fatalisme, manque d'esprit de prévoyance, attachement au statut 
        musulman de la propriété, etc... La tâche est complexe 
        et ce sera l'oeuvre des S.A.R. (Secteurs d'amélioration rurale) 
        récemment créés, de rechercher et d'appliquer les 
        formules qui dans chaque cas, permettront d'intéresser les fellahs, 
        de surmonter ces difficultés et d'obtenir cette augmentation indispensable 
        de la production par quoi la France manifestera son soucis d'améliorer 
        toujours davantage la condition matérielle de tous ceux qui vivent 
        à l'ombre de son drapeau.
 
 Parallèlement, des mesures heureuses sont intervenues : création 
        en septembre 1943, d'un Service de l'Expérimentation Agricole, 
        création en août 1946, d'un Conseil Algérien de la 
        recherche scientifique appliquée, assimilation de l'Institut Agricole 
        d'Algérie aux Écoles Nationales d'Agriculture, réorganisation 
        des Stations Expérimentales, création d'une importante Station 
        d'Élevage, etc... qui donneront à la Recherche et à 
        ,l'Expérimentation Agronomique Algérienne les moyens de 
        poursuivre leurs travaux, base des futurs progrès de notre agriculture. 
        C'est en faisant largement appel à la science et à la technique 
        que la France compte développer, en Algérie, dans le domaine 
        agricole, une uvre de civilisation qui compte déjà 
        à son actif de magnifiques réalisations.
 M. BARBUTInspecteur général de l'Agriculture.
 |