| ----------Dans 
        le fin fond du bled, l'instituteur, parfois venu de la lointaine métropole, 
        se trouvait bien souvent être le seul fonctionnaire européen 
        à vivre au milieu des douars, à des dizaines de kilomètres 
        du plus proche village de colonisation, auquel il était relié 
        par un autocar aussi rare que vétuste. Comme ces postes étaient, 
        d'une manière générale, confiés à de 
        jeunes maîtres auxiliaires ou stagiaires, leur maigre traitement 
        leur interdisait, en eussent-ils manifesté le désir, d'acheter 
        l'automobile que leur eût permis des déplacements plus fréquents 
        vers la civilisation.----------Terni, 
        commune mixte de Sebdou, département de Tlemcen, était un 
        petit hameau de montagne niché au milieu des bouleaux, des hêtres, 
        des trembles et des platanes et il faisait penser à un vrai petit 
        coin de montagne français. Un unique bâtiment administratif 
        comprenait, au centre, le logement de l'instituteur, à gauche, 
        la petite salle de la mairie précédant l'unique classe de 
        l'école et, à droite, la chapelle. Près de l'école, 
        une source captée déversait dans le bassin du lavoir une 
        eau délicieuse, aussi fraîche qu'abondante. Un ruisseau coulait 
        sous les saules dans la vallée et son lit abondait en cresson.
 
        
          | ----------Dans 
            le cadre de la pacification, les militaires suppléeront parfois les instituteurs manquants.
 ----------Ils 
            ont été parmi les premiers visés par le F.L.N.
 Comme un symbole, unes des premières victimes de la rébellion 
            seront un jeune couple de maîtres : les Monnerot
 |  ----------Mis 
        à part l'inévitable épicerie arabe, aucun ravitaillement 
        sur place; ni taxi ni automobile privée, l'autocar Sebdou-Tlemcen 
        deux fois par jour, une agence postale et pas de médecin dans un 
        rayon de 15 kilomètres. Propres comme des sous 
        neufs ----------On 
        accédait à Terni, par la route - en très bon état 
        - qui, après avoir quitté Tlemcen et traversé Mansourah, 
        capitale des cerises, partait à l'assaut du plateau de Lalla-Setti, 
        d'où l'on apercevait au loin la Méditerranée, longeait 
        la colonie de vacances des petits cheminots, puis fonçait vers 
        le sud, laissant sur sa droite le chemin conduisant au barrage des Beni 
        Bahdel, imposant ouvrage d'art alimentant en eau potable la ville d'Oran. 
        Après 15 km, c'était Terni, puis à nouveau la montée 
        du col de Terni à 1 400 m d'altitude, rendez-vous des skieurs de 
        la région.----------J'emménageai 
        à Terni un jour de novembre 1950 avec ma femme.
 ----------Je 
        me trouvai donc à la tête d'une classe de douze élèves, 
        tous musulmans. En effet, la population européenne du hameau comptait 
        en tout, y compris le jeune ménage du garde champêtre, vingt-trois 
        personnes, couples de paysans âgés, la plupart d'origine 
        alsacienne, tous très attachés à cette terre ingrate
 
        
          | ----------Il 
            n'y a jamais eu de ségrégation scolaire. Simplement 
            des coins où il n'y avait pas un seul Européen, Aurès 
            ou Kabylie. En 1956, le terrorisme ramène le nombre des classes 
            de 11 880 à 11440. Pourtant, la scolarisation se développera. |  ---------Autour 
        du village vivaient misérablement, sous leurs khaïmas et gourbis 
        en pisé groupés en mechtas, environ 2 000 Arabes dispersés 
        dans la montagne. Un bachagha, bien nanti et propriétaire d'une 
        ferme confortable, était chargé d'administrer (?) tous ces 
        parias, pour qui la nécessité de subsister primait celle 
        de l'éducation de leurs enfants. À ma demande, le caïd 
        recruta quelques élèves, ce qui porta mon effectif à 
        dix-huit, dont deux âgés de plus de quatorze ans.----------Peu 
        après mon arrivée, je fus convoqué au siège 
        de la commune mixte de Tlemcen, où l'administrateur m'annonça 
        l'ouverture d'une cantine scolaire. On me livra en quantité appréciable 
        légumes secs, couscous, pâtes et figues sèches et 
        l'on m'octroya une petite somme pour acheter les légumes et condiments 
        indispensables, mais pas de viande, vu son prix. Je recrutai sur place 
        une vieille femme arabe, qui se révéla, eu égard 
        aux faibles moyens que je lui offrais, un véritable cordon bleu. 
        Elle cuisinait dans la buanderie sur un feu de bois.
 
 | ------ | ----------C'était 
        une aubaine que ces repas pour ces enfants hâves, déguenillés, 
        qui bien souvent ne portaient pas de culotte sous leur misérable 
        djellaba, chaussés d'espadrilles à semelles de caoutchouc 
        passablement trouées et usées. Et pourtant ils étaient 
        là, chaque matin, qu'il plût, neigeât ou ventât, 
        une demi-heure avant l'ouverture de l'école, toujours aimables 
        et souriants lorsque j'apparaissais.----------Le premier repas fut pour 
        moi la révélation de la sous-alimentation dont souffraient 
        ces petits : ils furent en effet incapables d'absorber plus de la moitié 
        des rations qui leur avaient été préparées, 
        leur estomac étant habitué à la maigre pitance quotidienne 
        constituée d'un quignon de galette d'orge. Un seul parmi eux, Saïd, 
        bambin de huit ans plus miséreux que les autres, se bourra de pâtes 
        à la tomate au point d'en être malade dans l'après-midi. 
        Je dois dire que mes petits pensionnaires s'habituèrent bien vite 
        à leur nouvelle cuisine.
 ----------Le problème de 
        l'alimentation réglé, je m'attaquai à celui de l'hygiène, 
        qui laissait beaucoup à désirer. J'instaurai la douche hebdomadaire, 
        chaque samedi, à l'aide du chaudron de la buanderie, qui me servait 
        à chauffer l'eau, et d'un arrosoir tenu par l'un de mes deux grands 
        qui versait l'eau tandis que son camarade frottait - je dirai même 
        raclait - les peaux hâlées qui n'avaient sans doute jamais 
        été à pareille fête. Les deux grands procédaient 
        ensuite eux-mêmes à leur toilette. Et à 16 h 30, mes 
        dix-huit gosses sortaient, propres comme des sous neufs, les joues roses, 
        l'estomac garni pour deux jours et allégés de leur crasse.
 Les aventures d'Adémaï ----------Souvent 
        nous faisions de longues promenades en montagne au milieu des lentisques, 
        des arbousiers, des chênes-lièges, et les enfants revenaient 
        les bras chargés d'iris, de glaïeuls, de gueules-de-loup et 
        de marguerites qu'ils se faisaient un plaisir d'offrir à ma femme. 
        En cours de route, nous faisions une halte à l'ombre, près 
        d'une source, à la maison forestière.----------Mes relations avec la 
        population européenne étaient assez limitées mais 
        bonnes.
 ----------Au cours de cette année 
        de fonction à Terni eurent lieu les élections législatives. 
        Je fis partie, en tant que secrétaire, du bureau de vote du hameau 
        placé sous la présidence de l'adjoint spécial, un 
        modeste
 agriculteur du coin. Dès l'ouverture du scrutin, il me dit très 
        franchement et amicalement : " Monsieur Campos, la coutume veut que 
        nous aidions les musulmans du premier collège à voter. Quant 
        à moi, je choisis Quilici (qui était un candidat centriste). 
        Si vous voulez faire voter pour quelqu'un d'autre, nous donnerons alternativement 
        aux électeurs le bulletin de notre choix. "
 ----------Et c'est ainsi que le 
        socialiste Maurice Rabier, un ancien collègue de mon père 
        aux ateliers C.F.A. de Perregaux, obtint 18 voix, pour la première 
        fois dans les annales électorales du hameau de Terni.
 ----------J'ajoute qu'un cours d'adultes 
        fonctionnait dans l'école et chaque soir, de 18 heures à 
        19 h 30, une vingtaine de fellahs venaient s'initier au langage et à 
        la lecture.
 ----------L'année scolaire 
        s'achevait, mes gosses avaient de belles mines souriantes et ils avaient 
        accompli des progrès sensibles. Au printemps, l'un de mes deux 
        grands, Fetouhi, venait parfois, le jeudi ou le dimanche, apporter à 
        mon épouse des fleurs magnifiques qu'il cueillait dans le djebel.
 ----------En juillet, une colonie 
        de vacances jociste vint s'installer près de l'école et, 
        un soir, nous eûmes une séance de cinéma parlant offerte 
        par le service cinématographique itinérant du Gouvernement 
        général. ----------Les 
        Aventures d'Ademaï aviateur furent une révélation pour 
        cette populatior et je me souviens de l'émerveillement de facteur 
        (européen), qui n'était pas retourne au cinéma depuis 
        sa démobilisation, à Marseille, à la fin de 1918!...
 Georges 
        CAMPOS
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