| Situation de l'enseignement des indigènes 
        pendant l'année 1902-1903Rapport du recteur. -- ler 
        février 1904.
 Tizi Hibel. - C'est surtout à la rentrée 
        d'octobre que les malades sont nombreux, écrit l'instituteur. ---------" 
        Le premier élève est alors pharmacien. Il traite les yeux 
        trois fois par jour, il tient registre et inscrit tous les malades qui 
        se présentent, mais à condition qu'ils s'engagent à 
        venir régulièrement. Il y a des femmes qui ne voudraient 
        venir qu'une fois, mais on ne des accepte que si elles veulent suivre 
        la cure jusqu'à ce qu'elles soient guéries. Je soigne moi-même 
        les fièvres, qui demandent une étude spéciale du 
        sujet et de la maladie, les plaies, les blessures, les brûlures. 
        "---------L'instituteur 
        de Zaknoun (Djurdjura), a soigné plusieurs marabouts qui, en désespoir 
        de cause, s'étaient décidés à s'adresser à 
        lui, au risque de compromettre leur prestige. Les élèves 
        de l'école sont l'objet de toute sa sollicitude.
 ---------" 
        Je suis inflexible en ce qui concerne la propreté des vêtements 
        et du corps. Les lessives, que j'ai créées à mon 
        arrivée, fonctionnent toujours ; tous les mois, je fais décrasser 
        avec de l'eau de cristaux de soude les ardoises de toute l'école. 
        A la fin de l'année, j'ai désinfecté tous les livres 
        disposés debout et ouverts dans une salle bien close, où 
        j'ai fait brûler beaucoup de soufre. Pour que les élèves 
        n'aient pas trop froid l'hiver, Mme D... leur a appris à tricoter 
        des chaussettes, qu'ils portent maintenant. Ceux qui ont la fièvre 
        sont soignés au sulfate de quinine ; ceux qui ont des plaques ou 
        des boutons à la tête, à la teinture d'iode ou à 
        la vaseline boriquée.
 ---------" 
        Mais ce qui est le plus fréquent, ce sont les maux d'yeux. Au moment 
        de la rentrée, au moins 90 enfants sur 96 que compte l'école, 
        étaient atteints d'ophtalmie. Traités par moi au sulfate 
        de zinc, deux fois par jour, ils étaient, au bout d'une semaine, 
        guéris et joyeux, ce qui leur faisait dire que l'école était 
        " kif-kif tsebitar " (comme l'hôpital). C'est alors que 
        les mères m'ont apporté leurs bébés, de grandes 
        personnes, hommes et femmes, sont aussi descendues. Tout ce monde a été 
        rapidement guéri par le sulfate de zinc. Je crois ne point exagérer 
        en évaluant à 200 le nombre des personnes (hommes, femmes, 
        enfants) que j'ai soignés pour des maux d'yeux, et gratuitement. 
        "
 ---------Partout, 
        en Kabylie, ce sont les ophtalmies et les fièvres qui dominent. 
        A Tamazirt, sur la route de Fort-National, la moyenne annuelle des enfants 
        traités et guéris est de 80 fiévreux et de 140 atteints 
        clé maux d'yeux. Près de là, à Tizi-Rached, 
        l'instituteur, a soigné 33 cas d'ophtalmie et 62 cas de fièvre. 
        L'administration de la commune mixte de Fort-National fournit généreusement 
        les remèdes.
 ---------" 
        A Tiguemounine, dans la commune du Djurdjura, les ophtalmies, les maladies 
        de la peau et le paludisme sont à l'état permanent. J'emploie 
        avec succès, pour les maux d'yeux, écrit l'instituteur, 
        une solution assez concentrée de sulfate de zinc. Après 
        trois ou quatre jours de traitement, le mal est enrayé. L'eau boriquée 
        est absolument insuffisante. Pour lutter efficacement contre les maladies 
        de la peau, il faudrait obtenir des indigènes une propreté 
        rigoureuse et quelques soucis des règles de l'hygiène. Mais, 
        sur ces deux points, les progrès sont encore peu appréciables. 
        Nous consommons par an plus de 500 grammes de vaseline boriquée 
        ou phéniquée, sans compter la pommade soufrée et 
        la pommade au goudron.
 ---------" 
        Il m'arrive fréquemment, surtout pendant le ramadan, d'avoir à 
        soigner des indigestions... D'autres fois, ce sont des suites de refroidissements, 
        mais les malades arrivent souvent trop tard. Le Kabyle, en voyageant, 
        commet des imprudences. Dès qu'il se sent atteint, au lieu de demander 
        des soins clans le centre où il se trouve, il se fait transporter 
        en toute hâte chez lui, n'ayant qu'un seul désir : arriver 
        assez tôt pour mourir dans son gourbi, au milieu des siens.
 ---------" 
        En somme, je puis dire qu'il est peu de maisons, au village, où 
        je n'ai eu l'occasion de pénétrer, appelé une femme, 
        tantôt pour de jeunes enfants. Ces derniers, tenus si cachés 
        aux yeux des Kabyles, par crainte du " mauvais oil ", me sont 
        présentés sans difficulté. On suit les conseils que 
        je donne. Ainsi, j'ai pu obtenir, pour cinq nouveau-nés, un allaitement 
        au biberon, qui s'est fait dans de bonnes conditions hygiéniques.
 ---------" 
        Je suis devenu aussi vétérinaire à mon insu. De 'temps 
        en temps on m'amène des mulets, voire des veaux. On me consulte 
        pour des moutons, et pour des chèvres.
 ---------" 
        J'ai en ce moment deux clients exceptionnels : un sorcier et une sorcière.
 ---------" 
        A Aït-Ali, près de Dra-el-Mizan, ce que l'instituteur est 
        appelé le plus fréquemment à soigner, c'est encore 
        l'ophtalmie et la fièvre paludéenne. En octobre dernier, 
        plus de 30 personnes venaient chaque jour me demander des soins pour leurs 
        yeux. Les lotions d'eau boriquée tiède ont raison des affections 
        simples, prises à leur début ; pour les cas plus graves, 
        les conjonctivites anciennes ou granuleuses, on a recours au sulfate (le 
        zinc laudanisé, ou au crayon de sulfate de cuivre. Dans le courant 
        de l'été, nous faisons une ample récolte de petites 
        centaurées, de bourraches, de fleurs pectorales. Avec l'humidité, 
        le froid, les cas de fièvre deviennent nombreux. Un peu de quinine 
        pendant quelques jours et les gros accès disparaissent. Mais les 
        enfants restent pâles, anémiés. On leur fait prendre 
        chaque matin une bonne infusion de centaurée préparée 
        sur le poêle de la classe. Les petits font bien un peu la grimace 
        en présence de l'amer breuvage, mais le régime continué 
        pendant quelque temps produit un excellent effet. "
 |  | ---------Ces efforts 
        amènent des résultats. Ainsi, l'instituteur d'Aïn-benNaceur, 
        par Pont-du-Caïd, écrit que dans le voisinage de l'école, 
        les maux d'yeux, qui faisaient tant de ravages ont disparu. Au lieu de 
        soigner les plaies avec des cataplasmes de marc de café ou des 
        emplâtres de henné, on a pris l'habitude de s'adresser à 
        l'instituteur qui préconise la propreté et emploie des antiseptiques.---------Il 
        semble que l'indifférence des Arabes ne résiste pas au vif 
        intérêt qu'on leur témoigne. Leur sympathie nous paraît 
        acquise, mêlée d'un certain sentiment de notre supériorité."
 ---------J'ai 
        dit que des marabouts s'adressent fréquemment aux instituteurs 
        français. Il est arrivé que des médecins arabes les 
        ont consultés. Voici un fait intéressant, rapporté 
        par l'instituteur de l'oasis de Négrine (cercle de Tébessa).
 ---------" 
        Un médecin arabe, jouissant d'une grande réputation dans 
        la région, surtout pour des opérations chirurgicales, qu'il 
        réussit très bien, fut atteint de fièvres paludéennes 
        pendant l'été 1902.
 ---------" 
        Les accès disparurent avec l'arrivée de l'automne, mais 
        il resta au malade des névralgies cérébrales, qui 
        lui ôtaient toute possibilité de repos. Il vint me trouver 
        : " L'ennemi est en moi, dit-il, mes enfants sont encore petits, 
        ne me laisse pas mourir. " Il avait jusque-là témoigné 
        de la froideur à mon égard, et je le soupçonnais 
        de n'avoir pas beaucoup de sympathie pour l'école française. 
        Je le soignai du mieux que je pus, et après un mois et quelques 
        jours de traitement, il était complètement guéri. 
        Un gramme d'ipéca au début, quelques grammes de quinine 
        ensuite et, pour finir, trente grammes d'iodure de potassium avaient chassé 
        " l'ennemi " qui était en lui. Depuis, i1 ne laisse échapper 
        aucune occasion de me témoigner sa gratitude. Au leL janvier, il 
        m'assura devant tous ses coreligionnaires, avec qui il était venu 
        m'offrir ses voeux de nouvel an, que toujours, fussé-je en France, 
        il accourrait à mon appel si j'avais besoin de lui. Il a près 
        de soixante ans."
 ---------D'octobre 
        à janvier, cet instituteur a soigné 293 malades, non compris 
        les élèves des deux classes. On vient même de Tunisie 
        se faire soigner par lui. Il est très aimé de la population. 
        Il y a quelques années, les habitants avaient demandé à 
        M. le général Tartras, qui commandait alors la division 
        de Constantine, de le nommer cheikh indépendant de la localité. 
        Une autre année, comme il avait manifesté l'intention de 
        se rapprocher du littoral, les indigènes de l'oasis adressèrent 
        une pétition à l'autorité militaire pour qu'elle 
        s'oppose à son départ.
 ---------J'ai 
        tenu à entrer dans quelques détails parce que le public 
        français d'Algérie connaît mal le rôle des instituteurs 
        des écoles d'indigènes et n'a pour ainsi dire aucune idée 
        du bien qu'ils accomplissent autour d'eux. Ceux qui les ont vus à 
        l'oeuvre savent que ce sont des hommes de coeur, heureux de rendre service 
        à la population musulmane, fiers de la confiance qu'elle leur témoigne 
        et en profitent pour réaliser peu à peu autour d'eux, dans 
        le genre de vie des indigènes des améliorations, lentes 
        sans doute, mais déjà sensibles.
 ---------M. 
        le gouverneur général et les assemblées algériennes 
        qui ont pris à coeur le progrès de la condition matérielle 
        et morale des indigènes de l'Algérie, peuvent être 
        assurés de trouver parmi ces instituteurs des auxiliaires utiles 
        et dévoués qui les aideront à répandre un 
        peu plus de lumière, un peu plus de bien-être et, par suite, 
        un peu plus d'amour de la France parmi nos sujets musulmans. "
 ---------Alger, 
        1er février 1904. Recteur JEANMAIRE.(Bulletin de l'Enseignement des indigènes, avril 
        1904 - n°132)
 
 
     |