| --------Autrefois, nombreuses étaient 
        les écoles d'indigènes où l'on avait grand peine 
        à réunir, à la rentrée, un effectif d'élèves 
        suffisant. Plus tard, dans beaucoup d'écoles, la rentrée 
        ne fut pas moins difficile, mais pour une raison inverse : il s'agit de 
        ne recevoir que les enfants qu'il est matériellement possible de 
        placer dans les classes. C'est dire à quel point les parents indigènes 
        ont apprécié l'instruction donnée
 à l'école française. La lettre que nous reproduisons 
        ci-après - et qui n'avait certes pas été écrite 
        pour être publiée - en témoigne curieusement.
 M'Sila, le 4 octobre 1925.  --------Le 
        directeur de l'école d'indigènes, F. Coudino, à Monsieur 
        l'inspecteur des écoles d'indigènes à Sétif.
 
 --------J'ai l'honneur de porter à 
        votre connaissance que la rentrée des classes s'est effectuée, 
        pour moi, dans de très mauvaises conditions.
 --------Les trois classes sont dérisoirement 
        insuffisantes pour la quantité d'enfants qui se présentent 
        chaque année à l'inscription. Le nombre d'enfants d'âge 
        scolaire à M'Sila est d'environ 800.
 --------L'année dernière, j'avais 
        déjà refusé une quarantaine d'enfants faute de place, 
        mais j'en avais fait une liste pour servir de base au recrutement de cette 
        année. En plus de ces 40 il s'en est présenté encore 
        une vingtaine. De sorte que j'ai eu environ une soixantaine de demandes 
        d'inscription. J'avais 8 places libres.
 --------Il y a quelque trente-cinq ans, quand 
        j'ai débuté en Kabylie, il fallait se fâcher pour 
        réunir 25 élèves et quels élèves ! 
        Aujourd'hui il faut se fâcher pour empêcher les classes de 
        se congestionner et on a le choix ; l'école est devenue un privilège.
 --------Mais, avec ce système, je 
        me fais des ennemis féroces et je m'attire des ennuis. On emploie 
        toutes sortes de roueries pour m'imposer le surnombre. Ainsi, vendredi 
        matin, dans ma 3e classe, je devais avoir un effectif de 64 élèves 
        : 56 anciens et 8 nouveaux. Je fais mon registre, puis je contrôle 
        en comptant dans les tables. J'en trouve 70. Nous voilà obligés 
        à un pointage avec le moniteur. Nous appelons les élèves 
        un à un en les faisant sortir des tables et, naturellement, à 
        la fin, les 6 intrus restent dans les bancs, leur petit nez en l'air.
 
 |  |  --------Comment sont-ils 
        là ? C'est bien simple, les parents leur ont fait la leçon. 
        Au coup de sifflet pour la rentrée en classe, ils se sont tranquillement 
        mis sur les rangs comme les anciens. Le maître, étant nouveau, 
        n'a rien vu.--------Il y en a qui insistent trop.
 --------" Tu le prends, hein ? taleb 
        !
 --------- Mais non, tu vois bien que les 
        tables sont bourrées.
 --------- Mets-le par terre, je lui achèterai 
        un h'acir (1).
 - Tu sais bien qu'il y en a déjà 64, c'est trop pour un 
        seul maître.
 --------- Un tout petit de plus, ce n'est 
        rien.
 --------- Non, l'inspecteur n'en veut pas 
        plus de 60.
 --------- Cela fait rien, tu lui diras que 
        c'est pour moi.
 --------- Non, je ne peux pas. Et les autres, 
        ils m'en feraient une comédie !
 --------- Alors, tu veux que mon fils fasse 
        le voyou dans les rues, qu'il devienne un voleur, un batailleur, un ouled-blaça. 
        C'est cela que vous voulez, les Français ? "
 --------Celui-ci revient quand tout le monde 
        est parti et m'offre 20 francs. Et je pense : dire que j'ai connu un temps 
        où ces gens-là voulaient aussi me payer, mais pour un effet 
        contraire.
 --------Celui-là me menace de l'administrateur, 
        de l'inspecteur d'Académie, du recteur et même du gouverneur 
        !
 --------Quand c'est un juif qui n'a pas de 
        place, toute la synagogue s'en mêle
 --------" Alors, maintenant les Arabes 
        vont passer avant les Français ! On va se plaindre à M. 
        Cuttoli. Vous allez voir ce qui va vous arriver. "
 --------Et, tous les ans, c'est la même 
        chose.
 --------Je supplie que l'on fasse une classe 
        de plus, n'importe comment. Qu'on loue un local ou que la commune aménage 
        un des siens ; qu'on la fasse en toubes ou en pierre, grande ou petite, 
        peu importe, pourvu que je n'ai plus ces scènes à chaque 
        rentrée et même tout le long de l'année scolaire.
 
 (1) Natte.
 COUDINO. N.D.L.R.de "l'Algérianiste"- Ce texte 
        est extrait du Bulletin de l'enseignement des indigènes de 1925
 
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