| ----------L'histoire 
        de l'école, c'est aussi celle des hommes, celle de Jean Colombo 
        qui, désireux de servir comme civil en Algérie, en 1848, 
        trouva sa véritable voie dans l'enseignement et y consacra sa vie 
        entière.
 ----------Si 
        les militaires se recrutent parmi les civils, l'histoire de notre enseignement 
        outre-mer nous apprend que, dans ses débuts, l'université 
        - si l'on peut s'exprimer ainsi - se recruta parmi.., les militaires.
 ----------Puisons 
        dans cette mine de documents représentée par le Bulletin 
        de l'Enseignement des indigènes qui, en 1939, sous la plume alerte 
        de M. Aimé Dupuy, reprenait un article de M. Francisque Sarcey 
        dans son journal le Gagne-Petit. Ce dernier découvrait, vers 1885, 
        une brochure dont l'auteur suggérait, pour les écoles algériennes, 
        démunies de personnel, l'emploi de " Zéphyrs ", 
        autrement dit de " Joyeux " comme instituteurs
 ----------" 
        Nous avons, en Algérie... trois bataillons d'infanterie légère 
        d'Afrique où sont envoyés à leur sortie d'établissements 
        pénitenciers, les militaires non condamnés à des 
        peines infâmantes, et qui, à l'expiration de leur peine, 
        ont encore un certain temps à passer sous les drapeaux. Il s'y 
        trouve un certain nombre de jeunes gens qui ont reçu, dans leur 
        famille, une bonne instruction primaire. C'est cette catégorie 
        de déclassés que l'auteur propose, pour la vulgarisation 
        de la langue française. Ils font un piètre service comme 
        militaires, car ils ont prouvé qu'ils n'aimaient pas le régiment. 
        C'est comme instituteur qu'ils achèveraient leur temps, moyennant 
        une rétribution assez faible. Quelques-uns, sans doute, prendraient 
        goût au métier,
 demanderaient à rester et passeraient dans une classe supérieure 
        et mieux payée. Ils pourraient se marier, et, dans ce cas, si leur 
        femme voulait se charger de réunir les petites filles de la tribu 
        pour leur faire la classe, elle serait également rétribuée 
        en raison des services rendus. "
 ----------Le 
        bulletin conclut en ces termes
 " Rien de plus économique, de plus effarant. Et si nous n'empruntions 
        pas cette citation à la grande étude de M. Gustave Benoît, 
        ancien inspecteur de Constantine, nos lecteurs pourraient croire à 
        une mystification ou à une galéjade. "
 ----------Cette 
        idée ne fut pas retenue et abandonnons les " Zéphyrs 
        " et leur compagnie disciplinaire à leur juste sort.
 ----------Il 
        y eut, cependant, parmi les maîtres d'antan, issus de l'armée, 
        un ancien légionnaire d'exceptionnelle valeur, dont le nom mérite 
        d'être tiré de l'oubli. Il s'agit de Jean Colombo, resté 
        célèbre à Biskra. Le recteur Jeanmaire appelle Colombo 
        le soldatinstituteur.
 ----------En 
        réalité, notre homme, né à Lyon en 1829, de 
        parents étrangers, engagé comme volontaire en 1848, blessé 
        devant Sébastopol d'un coup de baïonnette, venait d'obtenir 
        son congé de libération, lorsque, désireux de servir 
        comme civil l'Algérie, qu'il avait servie sept ans comme militaire, 
        il fut chargé par le général commandant la subdivision 
        de Batna, d'aller ouvrir, à Biskra, territoire militaire, la première 
        école arabe-française. Colombo arrive donc à Biskra 
        le 15 avril 1856. Il paraît avoir reçu une bonne instruction 
        primaire, mais n'a pas le moindre diplôme. Cependant, les pièces 
        (le son dossier en font foi, l'ex-sergent fourrier rapporte de l'armée 
        des qualités d'énergie, d'ordre minutieux et une calligraphie 
        soignée. L'estime dans laquelle le tiendront tous ses chefs montre 
        qu'il y avait en Colombo un esprit ouvert, réfléchi, un 
        " caractère ". Et en vérité, exerçant 
        pendant quatorze ans, à la tête de cette école de 
        Biskra, Colombo y fait merveille. Il est proposé pour la croix 
        de la Légion d'honneur en 1867. " Les résultats 
        qu'il a obtenus, écrit le général commandant la province 
        de Constantine, la bonne direction qu'il a su imprimer aux études 
        de ses élèves, grâce à un zèle, une 
        activité, un dévouement qui ne se sont pas démentis 
        un seul instant, malgré les fatigues causées par une température 
        exceptionnelle, le rendent en tout point digne d'une faveur qui, généralement, 
        n'est pas accordée dans la position qu'il occupe. Avec l'estime 
        de l'autorité, M. Colombo emporte les regrets unanimes de la population 
        européenne et indigène du district de Biskra. "
 
 |  | ----------En 
        effet, Colombo doit faire un court séjour aux portes de Milah, 
        puis à l'oued Ouarghotts, puis à Milah encore, et, en juillet 
        1874 à quarante-cinq ans, il se décide à affronter, 
        avec succès d'ailleurs, les épreuves du brevet élémentaire. 
        Il revient alors comme directeur de sa chère école de Biskra 
        où il restera jusqu'au 30 septembre 1882, avant de prendre une 
        retraite justement gagnée. Fixé dans la ville de ses débuts, 
        où l'attachaient vingt-sept années de services exceptionnels, 
        conseiller municipal, directeur de la palmeraie de l'Oued Rhir, il occupe 
        ses dernières années à des couvres d'utilité 
        publique, de bienfaisance et meurt en 1909, à quatre-vingts ans, 
        au milieu de la vénération unanime, notamment des indigènes, 
        qui le considéraient comme un grand taleb.----------Ce 
        qui rend attachante la figure de ce soldat-instituteur, c'est d'abord 
        son inlassable et diverse activité
 « Il a rendu mille services à ceux de ses élèves 
        qui répondaient à ses soins et même à tous 
        les Arabes indistinctement. Si presque tous les hommes faits, les jeunes 
        gens de Biskra parlent ou comprennent le français, si Biskra est 
        une ville où les Français se sentent chez eux... c'est en 
        partie à M. Colombo que nous le devons. " (Benoît, 
        Hachette, 1865.) C'est aussi sa valeur morale, attestée par (le 
        hauts témoignages et, plus encore, par un document très 
        émouvant, conservé par son fils et qui retrace, sur les 
        humbles pages d'un de ces cahiers d'écriture, les moindres détails 
        de la vie et de la mort de son premier-né.
 ----------Ce 
        vétéran de l'enseignement algérien fut un maître 
        de la plus grande valeur professionnelle maintes fois reconnue. Son inspecteur 
        primaire écrit : " L'enseignement est bien donné 
        dans la première classe où l'instituteur s'attache spécialement 
        à former les élèves au langage, à développer 
        leur intelligence par des explications journalières et à 
        leur portée.
 ----------L'inspecteur 
        général H. Le Bourgeois visita son école en 1881 
        et lui fit obtenir les félicitations ministérielles. Le 
        gouverneur général, en tournée dans la province, 
        le confirme : " M. Colombo a rendu et continue à rendre 
        de grands services. Les jeunes indigènes de Biskra parlent le français 
        mieux que les enfants maures d'Alger. Tous les fils de familles influentes 
        ont été les élèves de M, Colombo. "
 ----------Pourtant, 
        les premiers contacts avec les indigènes furent décevants 
        " Les parents firent d'abord, comme toujours, des difficultés 
        pour envoyer leurs jeunes enfants en classe. On disait, on répétait, 
        que, dès qu'ils sauraient le français, on les emmènerait 
        en France et qu'ils ne reviendraient jamais. Aussi, les premiers enfants 
        qui furent envoyés étaient-ils presque tous atteints d'une 
        infirmité quelconque. C'était une vraie cour des miracles 
        plutôt qu'une école. " (Benoît.) ----------Mais 
        M. Colombo réussit à vaincre la défiance du milieu, 
        à obtenir un recrutement choisi, une fréquentation satisfaisante 
        et il comptait parmi ses élèves M. Belkacem Ben Sedira, 
        futur professeur à la Faculté d'Alger.
 ----------Comment 
        expliquer le succès, la réputation et l'ascendant intellectuel 
        et moral de cet autodidacte, de ce chercheur solitaire et obstiné 
        de procédés pédagogiques nouveaux, si ce n'est par 
        un génie pédagogique. On peut saluer en lui l'inventeur 
        de la méthode concrète et rationnelle de langage, cette 
        méthode directe qui est, à l'expérience, la seule 
        efficace pour l'enseignement du français dans les écoles 
        indigènes. " Cette méthode, écrira plus tard 
        M. Jeanmaire, avait été employée d'instinct par M. 
        Colombo, le soldat-instituteur qui s'est illustré par les succès 
        de son enseignement à Biskra, il y a une trentaine d'années... 
        Il avait à côté (le sa chaire une caisse d'objets 
        de toute nature, dont il enseignait directement les noms, les formes, 
        les couleurs, sans recourir à la traduction." S'est-il 
        jamais douté, ce pédagogue, modeste entre les modestes, 
        que de sa petite école, patronnée par les seuls militaire 
        du corps d'occupation, partirait la méthode qui, imitée 
        par des collègues avisés, perfectionnée par l'expérience, 
        précisée dans ses détails et ses applications, d'après 
        l'indication des maîtres qui l'avaient pratiquée avec le 
        plus d'habileté et de succès, soit dans la classe indigène 
        de l'école annexe de la Bouzaréa, soit dans les écoles 
        indigènes des villes et de Kabylie devait inspirer le recteur Jeanmaire 
        " pour rédiger les instructions placées en tête 
        du programme de la langue française dans la brochure qui contient 
        son "plan d'études de 1898 ".
 ----------Et 
        le Dr Couillaud, maire de Biskra, devait faire son éloge à 
        ses obsèques en ces mots : " La patience 
        de M. Colombo, sa douceur et son talent pédagogique ont fait de 
        lui le prototype des instituteurs. "
 Textes recueillis parMme BERNOLLIN-BESSERVE,
 ex-professeur de C.E.G.,
 rue Franklin, Alger
 
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