| ---------Voici, 
        entre mille, un exemple de ce que fut la vie toute simple mais pas toujours 
        facile des instituteurs du bled.---------Dans 
        un article émouvant, publié dans le Bulletin de l'Enseignement 
        des indigènes, de juillet 1908, M. Verdy nous conte ses premiers 
        contacts avec la terre algérienne, la vie de son école de 
        Taourirt-Mimoun qu'il inaugura en 1883 et dirigea jusqu'en 1906, école 
        combien exemplaire qui donna les résultats suivants
 ---------- 
        Nombre d'élèves ayant obtenu le certificat d'études 
        primaires 115 ;
 ---------- 
        Nombre d'élèves admis au cours normal d'indigènes 
        de Mustapha et de Bouzaréa : 56 ;
 ---------Nombre 
        d'anciens élèves actuellement instituteurs : 47
 ---------Entrés 
        à la Médersa d'Alger : 4 ;
 ---------Elèves 
        pourvus d'une bonne instruction primaire et actuellement cultivateurs 
        ou se livrant à des industries diverses : 310.
 
 ---------M. 
        Verdi continue son tableau en constatant : " Les élèves 
        et les parents s'habillent mieux ; les vêtements sont tenus proprement, 
        ils sont lavés chaque semaine et raccommodés toutes les 
        fois que l'occasion s'en présente. (...) Presque tous nos écoliers 
        ont des souliers et des bas (...) Les maisons sont mieux construites. 
        (...) Des puits ont été creusés sur le modèle 
        de celui que j'ai fait faire dans une propriété voisine 
        de l'école. (...) Deux moulins, l'un à pétrole, l'autre 
        à vapeur ont été introduits dans les villages. (...) 
        Lu culture intelligente a succédé aux procédés 
        routiniers d'autrefois... "
 
 ---------Il 
        faudrait citer toute la lettre de M. Verdy. Cela ne peut se faire dans 
        le cadre de cette revue. Aussi je vous en donne l'essentiel.
 
 ---------Après 
        douze années d'exercice en métropole de son métier 
        d'instituteur, M, Verdy quitte la France avec sa femme et ses trois enfants. 
        C'est d'abord l'émerveillement (et la peur aussi) de la découverte 
        de cette Algérie qui lui devra tant. Après un séjour, 
        un stage plutôt, à Fort-National où il apprendra le 
        berbère, les moeurs et coutumes kabyles et la médecine pratique, 
        en 1882, il s'occupera de l'école d'Aïn-el-Hammam (aujourd'hui 
        Michelet), " où il doit organiser 
        une petite école dans une masure sans plafond, ni parquet, froide 
        et humide... Je ne pouvais me plaindre de la maison que nous habitions, 
        nous dit-il, c'était la meilleure du hameau... "
 
 ---------Enfin, 
        son école, celle de Taourirt-Mimoun, située au milieu de 
        la tribu des Beni-Yenni, est prête.
 ---------" 
        Je ne commençai la classe que le 1er janvier 1883 car je n'avais 
        à ma disposition ni tables, ni fournitures classiques,
 ---------A 
        cette date, 65 élèves se présentèrent volontairement, 
        sans pression d'aucune sorte. Plus tard, au mois de mars 1884, on put 
        recruter une quarantaine d'autres élèves dans les villages 
        de la 'tribu. A partir de ce moment, l'école fonctionna régulièrement, 
        et la fréquentation fut toujours bonne. Aujourd'hui, nous avons 
        132 écoliers, tous très assidus.., venus tous d'un seul 
        village. "
 ---------Les 
        visiteurs se multiplient dans cette école. A noter toutefois " 
        Les visiteurs de marque continuèrent d'affluer à l'école 
        de Taourirt-Mimoun. Dans une de ces visites (...) M. Jules Ferry qui était 
        là, interrogea en géographie. Il fit faire au jeune Azzam 
        Ferhat, le tour de la terre. L'élève se tira fort bien d'affaire. 
        Arrivé à Saïgon, il passa au Tonkin. " Le Tonkin, 
        capitale Hanoi, vaste colonie française, conquête faite par 
        M. Jules Ferry." A ces mots, deux larmes roulèrent sur les 
        joues de M. Jules Ferry. Un silence religieux s'établit et l'émotion 
        provoquée par cette simple phrase fut si forte que pas un de ces 
        messieurs n'ajouta un mot. "
 ---------Mais 
        cela est un des à-côté de la vie scolaire, l'essentiel 
        n'est pas là.
 
 |  | ---------Dans ce 
        pays si peuplé et si cultivé qu'on n'y laisse pas un pouce 
        de terre sans emploi, la gent turbulente des écoliers est heureuse 
        de rencontrer un espace disponible où elle puisse jouer, un préau 
        en hiver, une cour ombragée en été. Aussi, dès 
        l'aurore, viennent-ils par groupes. A l'heure précise, au coup 
        de sifflet du maître, les voici rangés. Ils entrent en chantant 
        dans une salle spacieuse dont les murs sont tout un musée échantillons 
        de bois et de minéraux, fleurs desséchées, outils, 
        substances et produits de toute sorte, méthodiquement suspendus 
        à des clous. Lorsque chacun est assis à sa place, les exercices 
        commencent. Tantôt on écrit sur l'ardoise une phrase tracée 
        au tableau noir et d'abord soigneusement expliquée ; alors les 
        chéchias et les jeunes fronts se penchent sur les pupitres, et 
        les crayons grincent entre les doigts encore malhabiles. Tantôt 
        on exécute une dessin avec des bûchettes de roseaux ; alors 
        les burnous se pressent et se tassent les uns contre les autres autour 
        du camarade privilégié chargé de l'opération. 
        Le plus souvent une conversation animée s'engage entre le maître 
        et les enfants. Tout se dit en français, bien entendu, par une 
        série méthodique de phrases très simples que l'élève 
        interrogé doit trouver avec l'aide du maître et que la classe 
        répète après lui.---------" 
        J'ouvre ma main droite", affirme Abdallah, en ouvrant sa main droite. 
        " Tu ouvres ta main droite " réplique Omar à Abdallah. 
        " Abdallah ouvre sa main droite" fait observer Yahia. " 
        Nous ouvrons notre
 main droite, vous ouvrez votre main droite ", etc., dit le choeur 
        des voix sonores.
 ---------Et 
        l'on apprend ainsi à conjuguer sans s'en apercevoir. Et par les 
        fenêtres ouvertes, avec l'air pur et le soleil pénètrent 
        les hirondelles qui, habituées à tous ces refrains, poussent 
        de petits cris joyeux, en visitant leurs nids accrochés aux poutres 
        du plafond.
 ---------" 
        Quand le sens d'un mot vient à manquer, le musée scolaire 
        est là prestement, le plus avisé, retroussant sa gandoura, 
        enjambe les bancs et va décrocher l'objet dont le nom ne s'oubliera 
        plus désormais. Il faut voir l'émulation peinte sur tous 
        ces visages hâlés que l'impatience colore, le remous de toutes 
        ces petites têtes carrées et solides, l'intelligence qui 
        pétille dans tous ces yeux profonds...
 ---------" 
        Le jardin de démonstration fut d'abord défoncé par 
        des ouvriers, pendant que mon mulet charriait le terreau qui se trouve 
        en abondance autour des villages. Je modifiai ainsi la nature du sol et 
        avec mes élèves, nous commençâmes les exercices 
        d'agriculture. Nous plantâmes des essences fruitières appropriées 
        et des sauvageons qui nous greffâmes par la suite. Nous ensemençâmes 
        chaque année le sol de blé, d'orge, de seigle, de pois, 
        de lentilles, etc.
 ---------" 
        Dans l'endroit le plus humide du jardin, nous avons créé 
        une petite pépinière : de frênes, d'acacias, de cognassiers, 
        dont nous utilisons et nous distribuons les plants.
 ---------" 
        Enfin, chaque élève du cours moyen et du cours élémentaire 
        a son petit jardin de deux mètres carrés environ.
 ---------"Chacun 
        y sème les graines que je distribue, ainsi que celles qu'il peut 
        se procurer : anis, pois chiche, coriandre, etc.
 ---------" 
        Avec le temps, nous sommes parvenus à faire du champ stérile 
        et improductif d'autrefois, le plus beau jardin de la tribu.
 ---------" 
        Actuellement, le travail manuel consiste dans l'entretien des arbres, 
        dans la surveillance des assolements. " (...)
 
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