| ------------Albert 
        Camus, au lendemain de l'obtention du prix Nobel de littérature, 
        écrivait à son instituteur------------" 
        Cher Monsieur Germain,
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        J'ai laissé s'éteindre un peu le bruit qui m'a entouré 
        tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon coeur. 
        On vient de me faire un bien trop grand honneur que je n'ai ni recherché, 
        ni sollicité. Mais quand j'en ai appris la nouvelle ma première 
        pensée, après ma mère, a été pour vous. 
        Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant 
        pauvre que j'étais, sans votre encouragement et votre exemple, 
        rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde 
        de cette sorte d'honneur. Mais elle est du moins une occasion pour vous 
        dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi 
        et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le coeur généreux 
        que vous y mettez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers 
        qui, malgré l'âge, n'a pas cessé d'être votre 
        reconnaissant élève.
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        Je vous embrasse de toutes mes forces.
 " Albert CAMUS. "
 
 |  | ------------Mouloud 
        Ferraoun, recevant le prix littéraire de la Ville d'Alger, pour 
        son livre Le fils du Pauvre disait ces remerciements que je soumets à 
        vos méditations------------«Je 
        suis heureux d'avoir obtenu le prix littéraire de la Ville d'Alger 
        et j'en suis fier pour plusieurs raisons.
 ------------C'est 
        d'abord un hommage à ceux qui me firent la classe, depuis mon vénéré 
        maître de l'école primaire qui fit de moi un boursier, jusqu'à 
        mes professeurs d'école normale qui m'apprirent beaucoup de choses, 
        ces choses que l'on se hâte d'oublier après les examens. 
        Mais de ces maîtres ce que chacun de nous ne saurait perdre, c'est 
        le souvenir de leur droiture et de leur compétence. Ils surent 
        donner à leurs élèves l'image exacte de " l'éducateur 
        ", l'envie de leur ressembler et la crainte de ne pas y parvenir.
 ------------" 
        Le choix du jury est aussi un hommage à mon vieux père, 
        ignorant et pauvre. Son mérite est bien grand de m'avoir fait confiance 
        et d'avoir eu confiance en l'école. Il fut récompensé 
        comme le sont toujours les gens simples qui ont foi. Il ignore que j'ai 
        publié un livre. Si on le lui expliquait il trouverait cela tout 
        naturel. Pourquoi s'en étonnerait-il du moment que j'enseigne à 
        lire ? Ne m'a-t-il pas fait atteindre le sommet ? N'a-t-il pas refusé, 
        il y a vingt ans, de faire de moi un berger comme le lui conseillaient 
        les gens sensés ?
 ------------Votre 
        choix, enfin, est un hommage à l'école primaire puisque 
        l'un de ses enfants, l'un des plus humbles sans doute, qui n'a appris 
        le français que sur ses bancs, est reconnu digne, aujourd'hui, 
        de recevoir un prix littéraire. Un prix décerné par 
        un jury compétent ; le jury de la capitale africaine.
 ------------Je 
        mesure toute la portée de cette distinction, Messieurs. J'avais 
        osé espérer, je l'avoue, un tel succès car l'espoir 
        n'a pas de limite. Mais je n'y croyais pas trop. Me voilà à 
        présent couronné. L'honneur est grand et redoutable. Je 
        n'avais fait que raconter mon histoire. Travail facile malgré tout 
        puisque je n'avais qu'à m'adresser à ma mémoire et 
        à mon coeur. Or la tâche d'un écrivain n'est pas de 
        raconter sa vie mais bien de dire ce qu'il sent, ce qu'il voit, ce qu'il 
        pense. Pour tendre vers l'humaine vérité si difficile à 
        atteindre, il lui faut des qualités de coeur et des qualités 
        d'esprit, il lui faut beaucoup de science et beaucoup d'honnêteté 
        parce que les honnêtes gens peuvent lui faire crédit. Ce 
        serait cruel de les tromper et triste de se tromper.
 ------------" 
        Voilà pourquoi, Messieurs, tout en vous remerciant du fond du ceeur, 
        j'éprouve une certaine crainte, une grande crainte à m'engager 
        résolument dans la voie où vous avez daigné marquer 
        ma petite place. Si pourtant je parvenais à m'exprimer encore, 
        soyez assurés que je le ferais en toute sincérité 
        avec mon coeur de fils de pauvre et mon bon sens de maître d'école.
 ------------" 
        Quoi qu'il en soit, j'aimerais vous redire ma fierté, ma joie et 
        mon émotion. Le lauréat, Messieurs, n'est pas l'instituteur 
        du bled qui a retenu vos suffrages, mais l'école française 
        d'Algérie dont il est un produit authentique. Et c'est en son nom 
        que je vous remercie. "
 ------------(Ce 
        texte nous a été communiqué par notre compatriote 
        et ami Théophile Bignand.)
 
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