| un instituteur 
        isolé en plein djebel kabylepar Robert G. Soulé
 ------C'est une 
        petite école perdue dans le djebel kabyle. Une petite école 
        "anonyme" qui ressemble à tant d'autres avec son préau, 
        ses larges baies vitrées, ses murs blanchis à la chaux, 
        son toit de tuiles rouges et la hampe bleue où l'on hisse, les 
        jours de fête, le drapeau national...------Mais quand, après des kilomètres 
        de pénible escalade à travers des collines et forêts, 
        vous découvrez curieusement juchée sur un piton cette construction 
        inattendue, l'école "anonyme" prend un soudain relief, 
        une personnalité nouvelle et touchante.
 ------Tout autour, il n'y a rien que des 
        chênes - lièges, des fougères, des buissons, des pierres 
        et, quelquefois, les rebelles. Un instituteur vit là tout seul 
        dans son école. On voulait le "replier", il y a quelques 
        jours. II a refusé. Sans orgueil, mais fermement, il a simplement 
        répondu : "J'ai commencé. 
        Je continuerai. Pour les gosses..." 
        Et il est resté.
 ------Il n'y a eu, chez les élèves, 
        aucune défaillance. Tous continuent de fréquenter l'école 
        et le maître poursuit là - haut sa vie habituelle. Curieuse 
        existence que mène seul, en plein cur du djebel, ce garçon 
        de 22 ans. Les premières mechtas sont à un kilomètre 
        de là, le premier commerçant à 12 kilomètres, 
        le premier pharmacien à 50...
 1.000 kilomètres à 
        pied en un an------En bas, au barrage, est installé 
        le siège de la commune mixte et l'administrateur met sa jeep à 
        la disposition de l'instituteur pour faire les 12 km de piste qui séparent 
        ce centre de l'école.
 "C'est très aimable, m'a dit l'instituteur".
 ------C'est même quelquefois utile. 
        La piste, hélas, tient du ravin l'été et du torrent 
        l'hiver. Les voitures s'embourbent. Il faut passer à pied. L'instituteur, 
        en un an, a fait ainsi 1.000 kilomètres.
 ------"Je 
        descends, m'a - t - il dit, deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche, 
        chercher mon ravitaillement au barrage. Le retour surtout est pénible. 
        Il faut grimper les pentes abruptes, le dos courbé sous le poids 
        des victuailles : pain, légumes, vin, café, conserves..."
 ------Je l'arrête pour lui demander 
        s'il fait lui - même sa cuisine. I1 éclate de rire : "Bien 
        sûr... Je m'y entends maintenant assez bien. Beaucoup mieux en tout 
        cas que tel de mes jeunes collègues métropolitains qui avaient 
        résolu de façon très simple le problème des 
        repas. Le matin, il faisait bouillir des pâtes. Le soir, il faisait 
        encore bouillir des pâtes. Le lendemain... il recommençait".
 16 jours, bloqué dans son école------Quelquefois, l'hiver, les oueds débordent... 
        Mon ami l'instituteur est resté bloqué 16 jours dans son 
        école. La piste était inondée. Le 17e jour, fatigué 
        de manger du pain rassis, il a voulu descendre au village. L'Oued a failli 
        l'emporter. Mais cet incident n'est déjà plus pour le jeune 
        maître qu'un amusant souvenir.
 -----"L'ennui, soupire - t - il, c'est 
        que les enfants sont quelquefois, l'hiver, obligés de rester chez 
        eux. A cause de la pluie et de la neige. Trente élèves de 
        5 à 15 ans suivent les cours d'initiation. L'école a été 
        ouverte il y a deux ans seulement. Les enfants ont bon esprit. Ils fréquentent 
        assidûment la classe. Le mauvais temps, dans ce domaine, est plus 
        ennuyeux que la rébellion.
 Les rebelles rôdent aux alentours------Pourtant les hors - la - loi rôdent 
        aux alentours. Il rançonnent les mechtas, vivent "sur l'habitant", 
        saccagent les gourbis des fellahs réticents, exercent une propagande 
        intensive. Mais le mouvement n'a pas touché les enfants. J'ai vu, 
        groupés devant leur école, ces jeunes Kabyles. Ils m'ont 
        salué de très loin en se découvrant et se sont approchés 
        curieux comme tous les enfants du monde. Je les ai trouvés aimables 
        et charmants avec leur chéchia rouge, crânement posée 
        sur le côté, leur teint clair de petits montagnards, leur 
        burnous blanc et leur cartable, qu'ils balancent fièrement à 
        bout de bras...
 -----"Ce sont de bons gosses, m'a dit 
        l'instituteur. Attentifs et travailleurs. Ils habitent souvent loin d'ici. 
        Certains doivent parcourir six kilomètres pour atteindre l'école. 
        Ils sont pourtant là bien avant l'heure et, la classe terminée, 
        parlent longuement avec moi, le soir, avant de rentrer chez eux..."
 ------Le maître entretient des relations 
        d'amitié avec tous ses voisins kabyles. On l'invite souvent à 
        partager le couscous ou à vider une tasse de café.
 ------On sollicite ses conseils. On fait 
        appel à ses connaissances et à son dévouement.
 La prime dite de poste déshérité------"Je ne peux tout de même 
        pas abandonner tout cela", m'a confié l'instituteur au moment 
        où je prenais congé et, tandis que je redescendis vers le 
        village, il a regagné son école, son petit appartement, 
        ses bouquins, ses élèves et cette surprenante "vie 
        de garçon" qu'il mène seul en plein djebel, à 
        1.000 mètres d'altitude.
 Un détail... J'allais oublier. L'administrateur a bien voulu reconnaître 
        le mérite de ces instituteurs du bled qui font tant pour notre 
        cause dans leur école isolée. On leur attribue une prime 
        dite de "poste déshérité". Elle s'élève 
        (tenez - vous bien) à 2.250 anciens francs. Sans un sou de plus.
 
 Des kabyles construisent "leur" école
 ------J'ai visité bien des écoles 
        et rencontré bien des instituteurs au hasard de mes pérégrinations 
        kabyles. Partout on m'a parlé de la nécessité d'ouvrir 
        de nouvelles classes, de dispenser l'enseignement plus largement encore. 
        Mais je crois avoir trouvé, dans un douar montagnard proche de 
        Djemaâ ? Saharidj, l'exemple le plus émouvant. Depuis des 
        années, les Kabyles réclamaient une école et se heurtaient 
        hélas à une insuffisance de crédits. Ils ont alors 
        déclaré aux autorités : "Donnez - nous un instituteur. 
        Nous nous chargerons des locaux".
 ------Ils ont tout fait eux - mêmes, 
        les tables, les bancs, le bureau du maître. Ils ont eux - mêmes 
        aménagé une vieille bâtisse qui menaçait ruine. 
        Ils ont consolidé les murs, restauré la toiture, nettoyé 
        l'intérieur. Tout bénévolement. Pour que les enfants 
        puissent acquérir cette parcelle de savoir qui, à leurs 
        yeux, classe un homme.
 -----Aujourd'hui, une magnifique construction 
        moderne s'élève au - dessus de la vallée. On l'inaugurera 
        dans quelques semaines. C'est la nouvelle école du village...
 Robert Soulé   ------Les évènements 
        vont vite hélas ! et la situation a considérablement empiré 
        depuis que Robert G. Soulé écrivait le reportage que l'on 
        vient de lire. L'instituteur dont il parle n'est certainement plus à 
        son poste ; peut - être même son école n'est - elle 
        plus, au moment où j'écris ces lignes, qu'un tas de ruines 
        fumantes.-----Nous apprenions, il y a quelques jours, 
        l'arrestation, puis la libération, après huit jours de séquestration 
        et d'angoisses inutiles, du Directeur d'Ecole Dupuy. Nous apprenons, ce 
        matin, l'incendie d'une dizaine d'écoles dans des villages que 
        nous connaissons bien en cette grande Kabylie naguère si accueillante.
 ------Ces nouvelles sont profondément 
        attristantes, mais nous aurions tort, malgré tout, de désespérer. 
        ]L'orage prendra fin, la paix et le calme reviendront. Nos écoles 
        - nous en sommes certains - ont gardé la confiance des populations 
        algériennes. Elles renaîtront de leurs cendres et continueront, 
        comme par le passé, à libérer les esprits prisonniers 
        de leur ignorance et de leurs préjugés.
 G.P. 19 janvier 1956 Notes de correspondances------"Mes gosses courent à moi, 
        m'entourent, m'embrassent l'épaule droite suivant la coutume arabe... 
        Tandis qu'ils suivent mes gestes avec un tel bonheur dans les yeux que 
        la cérémonie n'est pas une corvée..." (coll. 
        part.)
 ------Soldat de 2e classe Jean -Claude Veber. 
        Instituteur à Oued Chaïr. Assassiné le 20 avril 1957, 
        sur la place du marché d'Aïn Melah. " Rassure - toi, 
        papa chéri, je ne veux pas mourir... La mort est toujours là, 
        mais diluée dans la splendeur mauve des djebels... Je n'ai pas 
        perdu mon temps..." (Coll. part.)
 Et ce fut sa dernière lettre..
 il y a 30 ans, se terminait la 
        guerre d'Algérie-----En 1992 a été commémoré 
        le 30e anniversaire de la fin de la Guerre d'Algérie. Le bilan 
        est lourd : 30.000 soldats français tués. 50.000 civils 
        (arabes et français) et 300.000 morts du côté du FLN. 
        En 1962, plus d'un million de pieds-noirs ont dû fuir cette terre 
        de feu qu'était devenue l'Algérie.
 II me fut donné de vivre ce conflit dons les troupes de la "Coloniale", 
        devenues "les troupes de Marine". D'abord instructeur militaire, 
        je devais apprendre aux soldats, et ensuite aux élèves gradés 
        (peloton I et peloton 2 : sous officiers), le maniement des armes et les 
        subtilités de la guerre d'embuscade. Mais, affecté plus 
        tard dans les sections opérationnelles (commandos), j'ai connu 
        la violence des accrochages. Lorsque le bruit des armes, l'odeur de la 
        poudre, les cris de douleur des blessés, créent une sorte 
        d'ivresse collective. J'ai vu des jeunes de 20 ans mourir, tels Marty 
        ; un Périgourdin, toujours volontaire comme éclaireur de 
        pointe ou devenir infirmes tel Marques, un Catalan, qui criblé 
        de balles est aujourd'hui à demi paralysé... Lorsque nous 
        devions surveiller le transport de 150 à 200 tonnes de dynamite 
        (recherches pétrolières), notre tâche s'apparentait 
        à celle du salaire de la peur, le roman de G. Arnaud. La joie des 
        chercheurs, au cur du Sahara faisait s'estomper notre angoisse.
  -----Souvenirs d e jeunesse 
        et d'une période difficile. Les armes se sont tues. La paix est 
        revenue. Mais dans le creux de nos mémoires subsistent des souvenirs, 
        parfois douloureux ou tragiques. Il nous appartient malgré tout 
        de bâtir un avenir et celui - ci ne peut se construire sur de perpétuelles 
        rancunes. C'est pour cela qu'il m'est arrivé de correspondre avec 
        le maire de la commune algérienne où j'ai servi ( I ).-----Pour marcher vers l'avenir il faut toujours 
        faire des pas en sachant que ce futur ne saurait naître de l'oubli 
        mais de la pleine connaissance de notre histoire, sans faiblesse aucune. 
        Toutefois, plutôt que de rédiger quelque récit de 
        guerre, il me paraît utile de proposer aux lecteurs - et surtout 
        aux jeunes - un document que j'ai retrouvé par hasard chez un bouquiniste.
 -----Il s'agit du numéro de février 
        1956 d'une petite revue "Bulletin de l'Amicale des anciens élèves 
        de l' Ecole Normale de Bouzarea (Alger). Etant moi - même ancien 
        élève d'une Ecole Normale métropolitaine, l'article 
        de R.G. Souk a retenu mon attention.
 -----Il intéressera. je crois, tous 
        ceux qui, appelés ou non, ont exercé en Algérie cette 
        noble mission d'enseignant durant les années difficiles de la guerre.
 -----J'ai souvenance de ces petites écoles 
        du Sud algérien ou du Sahara, où le soleil entrait à 
        flot par des croisées toujours ouvertes... 
 où, sur 
        un sol de sable, étaient disposées quelques tables bancales, 
        des cartes de géographie tapissaient les murs, une modeste bibliothèque 
        occupait un angle, et, sur l'estrade, trônait le bureau du maître. 
        La cour ombragée de palmiers retentissait de cris joyeux. Modestes 
        temples du savoir dans les oasis du Sud...
  -----Hélas, le post 
        - scriptum ajouté à l'article de R.G. Soulé nous 
        montre l'embrasement de la Kabylie à la fin de l'année 1955. 
        La guerre avec son cortège de crimes et de destructions déchire 
        les structures sociales et les consciences humaines. La volonté 
        de libération de l'homme par le savoir s'estompe. Malgré 
        cela, l'espoir restait ancré dans les curs ainsi que l'écrit 
        G. Pestre... Mais pour combien de temps encore ?-----De nombreux instituteurs (civils ou 
        militaires) furent tués durant ce conflit. Parmi eux, l'un de mes 
        amis, camarade de promotion à l' École Normale : Maurice 
        Izard.
 -----Hommes de paix, victimes de la guerre. 
        Ainsi va le destin des hommes...
  Lucien Orsane12300 Decazeville
 (l) Le maire en question a été battu par 
        un candidat du FIS. Là aussi, l'intégrisme sectaire a pris 
        le pouvoir.  
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