| La première 
        école " arabe-française "par Henri Klein
 C'est du fondateur de la première 
        école arabe-française qu'il s'agit aujourd'hui, école 
        de la rue Porte-Neuve dont, parmi les indigènes, est demeuré 
        intense le souvenir.
 Ainsi que pour la réalisation de tant de choses, un animateur, 
        pour l'organisation de l'enseignement à donner à la jeune 
        génération musulmane était nécessaire à 
        Alger. Les prescriptions administratives ne pouvaient, en l'occurrence, 
        suffire.
 
 L'homme qu'il fallait arriva, ici en 1834. Il avait nom Depeille, et était 
        âgé de 23 ans. Bachelier ès lettres et ès sciences, 
        il professait les mathématiques au collège de Toulon. Une 
        place de maître suppléant lui échut d'abord au petit 
        collège français, créé rue des Trois-Couleurs 
        en 1835.
 
 Porté à l'étude des choses de l'Islam, il s'assimila 
        bien vite la langue du pays en laquelle il perfectionna littérairement.
 Le collège arabe-français sera inauguré en 1857 place 
        d'Isly, dans un bâtiment qui deviendra par la suite le quartier 
        général de la division du 19e Corps.
 
        
          |  Le collège arabe-français 
              sera inauguré en 1857 place d'Isly, dans un bâtiment 
              qui deviendra par la suite le quartier général de 
              la division du 19e Corps. |  Par lui furent organisés des cours 
        de français en des écoles mauresques. Il organisa, de même, 
        un cours d'arabe. En 1851, s'ouvre son école indigène au 
        n° 34 de la rue Porte-Neuve, en une maison de trois étages 
        avec appartement sur terrasse qu'il fait lui-même construire et 
        pour le loyer de laquelle lui est annuellement remis, par la Ville, la 
        somme de 1 500 F.
 L'entreprise réussit grâce à son habile tolérance 
        de laisser enseigner le Coran, de 7 à 8 heures du matin. L'école 
        compte, en 1854, deux cent dix mahométans et douze Français. 
        Grâce à Depeille, à partir de 1852, des bourses d'apprentissage 
        auprès de patrons européens sont fondées qu'apprécient 
        fort les familles. En présence du gouverneur, ont lieu, à 
        Djama-Kébir, les distributions des prix. Mais en 1857, le 14 mars, 
        un décret paraît, annonçant la création d'un 
        collège arabe-français lequel, sur la fin de l'année, 
        s'inaugure en un bâtiment de la place d'Isly qui deviendra, dans 
        la suite, quartier général de la division du 19' Corps. 
        Le directeur est M. Perron, venu du Caire, où ses connaissances 
        en arabe l'avaient, pour l'administration fait placer à la tête 
        de l'École de médecine (Desprez). Un arrêté 
        du 18 décembre nomme sous-directeur du collège M. Depeille, 
        à qui succéderont, en la maison de la rue Porte-Neuve, MM. 
        Destrées et Colomba. Bientôt est appelé à la 
        direction du collège l'orientaliste Cherbonneau qui, avec Depeille, 
        imprime à l'institution une féconde activité.
 
 Parmi la clientèle de l'établissement, se comptent nombre 
        de fils de caïds, d'aghas, gages en réalité, destinés 
        à répondre de la fidélité de leurs pères. 
        Le costume adopté comporte une culotte bleue, une veste amarante 
        écussonnée de deux croissants d'or et une chéchia 
        à longue cloche.
 
 Comme Cherbonneau, Depeille professe. Suivirent ainsi ses leçons: 
        Houdas devenu inspecteur général; Machuel, Scheer nouvel 
        apôtre de l'enseignement indigène sous le recteur Jeanmaire; 
        Fatah; Ben Sedira; Omar Brimath futur professeur de la Médersa; 
        Ahmed Brimath futur interprète militaire; Mohammed et Brahim (interprètes 
        judiciaires), tous fils de Hassen Brimath premier directeur de ladite 
        Médersa et aêul de l'actuel directeur Alata, arrivé 
        dans l'armée au grade d'interprète principal; l'avoué 
        Le maréchal Jacques Louis César Dupuy; le préfet 
        Pétrelle ; Folco, Lavanchy. Alexandre Randon.
 
 Le collège est l'objet d'une particulière sollicitude de 
        la part du gouvernement. Le 4 mars 1858, viennent le visiter le maréchal 
        et la maréchale Randon.
 
 Le 4 mars 1859, le général Yusuf y accompagne les grands 
        chefs indigènes qui, étonnés, constatent la vie toute 
        fraternelle qu'y mènent les jeunes musulmans avec leurs condisciples 
        européens.
 
 Le 29 mai 1860, le sous-gouverneur, vicomte de Martimprey, reçoit 
        les collégiens en sa campagne, où leur est servi un lunch, 
        dont la vicomtesse fait elle- même les honneurs. Sont présents 
        Yusuf et le recteur Delacroix.
 
 Le 9 mai 1865, c'est la venue de l'Empereur.
 
 Le 7 février 1865, jour d'une fête de bienfaisance donnée 
        au Palais, le maréchal de Mac-Mahon vient en personne inviter les 
        élèves, qu'à leur arrivée, comble de gâteries 
        la duchesse de Magenta, les mettant ainsi, sans s'en douter, en état 
        de péché (c'était le ramadan), ce dont, indulgent, 
        consentit à les absoudre leur iman auprès duquel, au retour, 
        chacun était accouru se confesser.
 
 En grande solennité, il était procédé à 
        la distribution des récompenses, telle celle du 28 juin 1860 qui 
        eut pour cadre la Halle aux Grains, 6 rue Joinville (maison du G.B.M.), 
        décorée en la circonstance par l'Amirauté.
 
 Le collège en 1871 cessa d'exister. Un décret du 21 octobre 
        l'avait supprimé.
 
 Le 6 novembre, réunis en carré, les lycéens reçurent 
        les collégiens indigènes, dont la vie désormais fut 
        confondue à la leur.
 
 Mais déjà Depeille était revenu à son école 
        de la rue Porte-Neuve à laquelle, plus spécialement, devait 
        s'attacher sa mémoire.
 
 Dès 1858, l'Illustration avait vulgarisé ses traits, le 
        représentant avec son collaborateur Montis, au milieu de ses élèves.
 
 À sa sortie du collège arabe, l'académie, à 
        titre de dédommagement, lui confia la direction de l'enseignement 
        du français à la Médersa. Celle-ci, rappelons-le, 
        fondée en 1850 et aujourd'hui insev rb; tallée rue Marengo, 
        avait été successivement au 21 rue Porte-Neuve; 9 rue du 
        Rempart-Médée; rue d'Anfreville ; et jusqu'en 1909 place 
        Duquesne. Maints jeunes gens, formés là par Depeille, se 
        distinguèrent comme professeurs, médecins, interprètes, 
        officiers. À ceux qu'il dirigeait vers l'enseignement, il se plaisait 
        à répéter cette parole du Prophète : " 
        Le plus méritant d'entre vous, ô Musulmans, est celui qui, 
        ayant acquis la science, la transmet à ses semblables ".
 
 Secondé par Bonvoisin, le maître dirigea plusieurs années 
        son école. Il la quitta en 1882 remplacé sur sa demande 
        par Fatah qui exerçait auprès de lui depuis 1878 et devait 
        magnifiquement, de même, poursuivre l'oeuvre entreprise en une foi 
        si ardente.
 
 Retiré à Birmandreïs où il devint l'adjoint 
        du maire Le Genissel, il résida en une campagne surplombant la 
        montée de Colonne-Voirol et acquise, en 1900, par le consul de 
        Hollande, Van Den Howen. Ce fut là, qu'âgé de 78 ans, 
        il mourut le 17 septembre 1890.
 
 Particulièrement touchant fut le spectacle de ses obsèques 
        par la manifestation de ses anciens élèves musulmans qui 
        tinrent absolument à le porter eux-mêmes au champ de repos. 
        Ses restes furent transférés à Saint-Eugène 
        et déposés dans le deuxième caveau de droite de l'allée 
        centrale. Sa fille, Mme Allemand, son fils autrefois répartiteur 
        des contributions, et Mme Depeille, habitent Alger, perpétuant 
        par leur présence en la nouvelle génération, un noble 
        souvenir du passé que, d'autre part, rappela naguère la 
        médaille militaire posthume du petit-fils tombé sur la terre 
        d'Alsace. Cependant, pour la consécration officielle de ce souvenir, 
        souvenir en liaison si étroite avec l'histoire locale, quelque 
        chose a-t- il été fait en cette cité grandie?
 Hélas! rien, rien jusqu'à présent.
 
 Se pourrait-il donc qu'en un tel néant s'évanouisse la reconnaissance 
        publique témoignée jadis, si vive, à la disparition 
        de ce bienfaiteur du pays! Non la postérité du Centenaire 
        qui se prépare à célébrer tant de dévouements 
        ne peut vraiment, sur ce point, se montrer si oublieuse.
 
 Le marbre, à juste titre, va, par un texte, commémorer Fatah. 
        Que soit donc à la fois pareillement, commémoré Depeille 
        en une école indigène.
 (La Dépêche quotidienne, 10 
        juin 1928) À la retraite du 
        premier directeur, M. Depeille, la municipalité d'Alger supprima 
        la subvention qui rétribuait " sous-maîtres et moniteurs 
        ". Brahim Fatah restait donc là, privé de ressources. 
        Ferdinand Buisson, inspecteur général de l'instruction publique, 
        écrivit dans un rapport: " Ils n'eurent pas le courage de 
        s'en aller, de laisser là les quelques centaines de petits enfants 
        qui s'obstinaient à venir en classe... Il y avait dix mois que 
        durait ce tour de force, quand l'État intervint et, prenant à 
        sa charge les frais de cette pauvre école, en empêcha la 
        suppression " (Bulletin Universitaire de l'Académie d'Alger, 
        juillet 1887). |