| Les Musées 
        d'art musulman en Algérie  L'un après l'autre, les Musées d'Algérie, 
        ayant pansé leurs blessures de guerre (certains ne furent pas épargnés), 
        commencent à rouvrir leurs portes. Les amateurs d'art, les étudiants, 
        en ont rappris le chemin. On souhaite que des touristes nombreux l'apprennent 
        à leur tour. Nos collections publiques retrouveront leur rôle 
        de premier plan dans la vie intellectuelle et leur incomparable valeur 
        éducative.
 DEFENSE DES MUSEES.
 
 Il semble superflu de démontrer l'utilité des musées, 
        de rappeler que, quelque dépaysées, impersonnelles, désincarnée.. 
        que puissent paraître des uvres d'art rangées et étiquetées 
        dans une vitrine ou alignées le long des murs, leur réunion, 
        leur classement confèrent à ces vieilles choses extraites 
        du sol ou sorties des boutiques d'antiquaires un intérêt 
        historique dont on ne les croyait pas susceptibles. Sans doute le musée 
        ne supplée ni à la visite du pays, ni à la lecture 
        des bons ouvrages, mais comme il les complète et les éclaire 
        ! Quel coup de sonde dans notre passé qu'eue heure perdue au Musée 
        de Saint-Germain, à Cluny ou à Carnavalet ! Il est permis 
        d'affirmer que, pour l'initiation au passé des pays musulmans surtout, 
        les collections d'art offrent les moyens les plus indispensables et les 
        plus séduisants. On ne croit pas manquer au respect en déclarant 
        que les livres des historiens arabes sont d'une austérité 
        peu attachante ; la succession des événements y apparaît 
        monotone et broussailleuse. Ici plus qu'ailleurs, la vie des peuples est 
        cachée par les gestes des rois, le développement de la civilisation 
        s'évanouit derrière le tumulte des conquêtes et des 
        batailles. Or, cette civilisation est à coup sûr le meilleur 
        titre de noblesse de l'Islam. Si les bibliothèques conservent le 
        legs de ses écrivains et de ses savants, le legs de ses artistes 
        survit dans quelquesmonuments et dans les musées qui en ont recueilli 
        les vestiges.
 
 A vrai dire, cette collecte de documents n'est pas très ancienne. 
        Auprès des arts assyriens, égyptiens, grecs et romains, 
        l'art musulman fit longtemps figure de parent pauvre. De même que 
        la littérature arabe n'était naguère, pour le commun 
        des mortels, représentée que par le Coran et les Mille et 
        une Nuits, l'art de l'Islam semblait n'avoir produit que l'Alhambra. Le 
        dernier né des arts du vieux monde ne paraissait pas, pour l'Occident, 
        un sujet d'étude sérieuse. Est-il besoin d'ajouter que les 
        Musulmans eux-mêmes ne s'en souciaient guère ?
 
 MUSEES D'ART MUSULMAN.
 
 Il faut attendre la seconde moitié du XIXè siècle 
        pour voir se constituer les premières collections musulmanes et 
        les vingt dernières années pour les voir se développer 
        et se multiplier avec une abondance imprévue. Toutes les capitales 
        d'Europe en sont maintenant dotées ; Londres est justement fière 
        de ses séries musulmanes du Victoria and Albert et du British Museum 
        ; Berlin a meublé des salles du Kaiser Friedrich Museum de fragments 
        monumentaux apportés pierre à pierre de Mésopotamie 
        ; Madrid a les trésors hispano-mauresques de son Musée archéologique 
        ; à Leningrad, à la Haye, à Stockholm, à Bruxelles, 
        l'art de l'Islam est largement représenté. Quant à 
        nos musées de Paris, leurs fonds musulmans déjà anciens 
        ont bénéficié d'accroissements et de présentations 
        dignes d'eux, grâce surtout à Gaston Migeon pour le Louvre, 
        et à Raymond Koechlin pour le Musée des Arts décoratifs. 
        Ajoutons que, de leur côté, les Etats-Unis ont apporté 
        à leurs achats les moyens puissants dont ils disposent. Le Métropolitan 
        Museum de New-York compte déjà parmi les plus riches.
 
 Les grandes villes d'Islam ne pouvaient, d'autre part, négliger 
        un art qui était là chez lui. Au Caire, le Khédive 
        Tawfik chargea, en 1871, l'Autrichien Franz Pacha d'organiser le musée 
        d'art arabe dans la vieille mosquée fâtimite d'El-Hakem. 
        L'Allemand Herz Bey poursuivit l'oeuvre entreprise, et les collections 
        furent, en 1902, transférées dans un palais neuf, dont la 
        bibliothèque occupait l'étage supérieur. Depuis 1929, 
        l'arabisant français Gaston Wiet en a pris la direction et a fait 
        dresser, par techniques, les catalogues qui forment la matière 
        d'une dizaine de volumes bien illustrés. Des archéologues 
        français ont de même doté la Syrie de musées 
        : celui de Beyrouth et celui de Damas, dont le premier conservateur fut 
        l'Emir Djaffar-el-Hasani. Stamboul compte deux musées d'art musulman 
        : l'un est adjoint au musée d'art antique ; l'autre conserve les 
        donations pieuses de l'Evkaf. Téhéran a son musée 
        d'art national et l'Irak a installé les pièces exhumées 
        des centres abbâssites dans le vieux monument le plus curieux de 
        Bagdad.
 
 LES MUSEES DE LA TUNISIE ET DU MAROC.
 
 L'intervention de la France dans l'Afrique du Nord devait amener la collecte 
        et le classement méthodiques des documents du passé. On 
        sait tout ce que nous apprennent sur la Tunisie, punique,. romaine et 
        chrétienne, les marbres, les bronzes et les mosaïques du Bardo. 
        La section musulmane, installée dans une partie de cette résidence 
        beylicale, fut inaugurée en 1899 ; considérablement agrandie 
        en 1913, elle n'a cessé depuis, grâce à M. Louis Poinssot, 
        de s'accroître de séries nouvelles, qui vont être logiquement 
        distribuées dans des salles plus vastes et mieux aménagées 
        pour les recevoir.
 
 Les musées marocains du Batha, à Fès, et des Oudaïa, 
        à Rabat, furent des créations du Maréchal Lyautey. 
        Pour cette manifestation de son activité si féconde, il 
        trouva les collaborateurs les plus enthousiastes dans Alfred Bel et dans 
        M. Prosper Ricard.
 
 Naturellement, l'un et l'autre s'étaient, comme Lyautey lui-même, 
        préparés à leur tâche marocaine par un apprentissage 
        algérien. Alfred Bel avait même dû s'occuper déjà 
        d'un musée d'art musulman, celui de Tlemcen.
 
 LES MUSEES D'ALGERIE.
 
 L'histoire du musée de Tlemcen a été retracée 
        dans le volume des " Musées et collections archéologiques 
        de l'Algérie et de la Tunisie ", que M. W. Marçais 
        lui a consacré. Il y raconte comment le premier fonds fut constitué, 
        à partir de 1857, par Charles Brosselard, préfet érudit 
        et diligent. En dépit de ses efforts, bien des pièces intéressantes 
        se perdirent. Ce tableau du passé se teinte pour nous de vains. 
        regrets. Entreposés plutôt qu'exposés dans une salle 
        de la mairie de Tlemcen, les précieux vestiges de la cité 
        royale reçurent, en 1901, un cadre digne d'eux dans la petite mosquée 
        de Sidi-Bel-Hassen, chef- d'oeuvre du XIII' siècle. Les stèles 
        funéraires, les tables de habous et cette coudée de marbre 
        qui garantissait l'honnêteté des ventes d'étoffes 
        au marché de la Qaïçariya, trouvèrent place 
        sur les murs de la salle de prière, au-dessous des entrelacs délicats 
        et somptueux ciselés dans le plâtre. Une salle annexe fut 
        aménagée pour recevoir des vitrines et les pièces 
        encombrantes. La céramique, les bois sculptés et quelques 
        fragments de bronze y sont réunis.
 
 L'art musulman règne en maître au Musée de Tlemcen. 
        Il occupe une place plus modeste au Musée Gustave Mercier de Constantine. 
        Cependant, une galerie lui est consacrée et contient des stèles 
        fun& raires et des fragments céramiques d'un grand intérêt. 
        Epitaphes et faïences se retrouvent au Musée de Bougie. Elles 
        attestent que la cité fit, au XII° siècle, figure de 
        capitale, quand les Emirs Hammâdides y eurent transporté 
        leur résidence.
 
 Alger ne peut se prévaloir d'un rôle historique aussi vénérable 
        ; mais elle est devenue une grande ville française, le siège 
        de notre Université nord-africaine. La constitution du Musée 
        était le prolongement naturel de l'exploration scientifique du 
        pays. Le passé, tout le passé, devait y trouver place. Dès, 
        1838, le savant Berbrugger recueillait les premiers documents d'art antique, 
        qui, à partir de 1862, meublèrent le rez-de-chaussée 
        de l'actuelle Bibliothèque nationale. Dès 1846, Bugeaud 
        prescrivait d'autre part la recherche des objets d'art musulman ; à 
        partir de 1854, ils furent présentés dans une Exposition 
        permanente, dont la ville d'Alger devint l'insouciant dépositaire. 
        Ces deux fonds émigrèrent en 1896 vers les hauteurs de Mustapha, 
        où fut installé le Musée national des Antiquités 
        algériennes et d'Art musulman.
 
 Le groupement, qui permettait de parcourir l'oeuvre de plus de vingt siècles, 
        depuis les balbutiements_ de l'art libyque jusqu'aux derniers jours de 
        l'occupation turque, devait, avec le temps, se révéler assez_ 
        incommode. Les deux sections ne cessaient naturellement de s'accroître. 
        La constitution d'un musée est une création continue. Malgré 
        la multiplication des musées locaux, malgré l'adjonction 
        de nouveaux bâtiments à ce musée central, celui-ci 
        devenait d'anLiée en année trop exigu. Chaque campagne de- 
        fouilles pouvait amener la découverte de statues ou de mosaïques 
        que l'on souhaitait d'y abriter ; et comment, d'autre part, laisser échapper 
        l'occasion d'enrichir la section musulmane d'un beau tapis ou d'un coffre 
        sculpté ? Les directeurs successifs ne pouvaient certes y résister, 
        et, parmi eux, le plus soucieux de développer 
        la collection musulmane fut sans contredit Stéphane Gsell, l'admirable 
        historien de l'Afrique du Nord antique, qui, à tant de titres, 
        mérita de donner son nom au Musée de Mustapha.
 
 Comment lutter contre l'encombrement des deux sections soudées 
        dans le principe l'une à l'autre ? Comment résoudre l'angoissant 
        problème spacial ? C'est là l'histoire de demain. Nous n'avons 
        pas ici à examiner les solutions projetées, et l'on doit 
        se garder de vendre la peau de l'ours. Qu'il nous suffise d'indiquer l'état 
        de la section musulmane, telle qu'elle se présentait à la 
        veille de la guerre et telle que les travaux en cours achèveront 
        de la rétablir.
 
 L'ART MUSULMAN AU MUSEE STEPHANE GSELL. 
        (voir 
        sur ce site.)
 
 Le Moyen-Age berbère, cette suite de siècles que l'on a 
        peut-être un peu hâtivement qualifiés d' " obscurs 
        ", occupe une première salle où sont présentés 
        des documents archéologiques assez exactement datés et qui 
        évoquent de larges tranches d'histoire. Ce sont d'abord des panneaux 
        de plâtre sculpté provenant de Sedrata, la ville saharienne, 
        où les Khârijites chassés de Tiaret au Xè siècle 
        vinrent chercher refuge. Le décor musulman s'y révèle 
        encore très proche parent du décor chrétien de l'Afrique 
        du Nord et de l'Egypte copte. Avec les sculptures sur marbres ou sur plâtre 
        de la Qala des Beni-Hammâd, de cette capitale bâtie au XIè 
        siècle sur les hauteurs au Sud de Sétif, l'art de l'Islam 
        berbère se révèle directement influencé par 
        l'Orient, par l'Egypte et la Perse. Bien que les chaires des mosquées 
        almoravides d'Alger et de Nédroma soient sensiblement contemporaines 
        des beaux jours de la Qala, c'est une toute autre province de la civilisation 
        musulmane où nous entrons avec l'art almoravide : celui-ci vient 
        directement de l'Espagne, de Cordoue ou de Saragosse. Implanté 
        en Maghreb, cet art " hispano-mauresque " s'affirmera dans ces 
        marqueteries céramiques échappées à la destruction 
        d'une somptueuse médersa tlemcenienne du XIVèsiècle, 
        dans ces bois marocains du XVè-XVIè siècles, et dans 
        cette grande jarre d'un si beau galbe que conservait une sépulture 
        juive voisine d'Alger.
 
 En sortant de la petite salle, d'où les historiens sauront tirer 
        tant de précieux enseignements, nous abordons des temps plus rapprochés 
        du nôtre. L'art mobilier naguère vivant dans les trois pays 
        de l'Afrique du Nord occupe cinq grandes salles : le Maroc en garnit une 
        ; l'Algérie se développe dans les quatre autres, le prolongements 
        de la quatrième constituant une petite section tunisienne.
 
 Des tapis de Rabat et des hanbels, tapis et tentures de Salé, garnissent 
        les murs de la salle marocaine. Les vitrines renferment une collection 
        complète de broderies des différentes villes, uvres 
        féminines d'un goût exquis et d'une étonnante variété. 
        Des vêtements, des faïences, des armes et des bijoux proviennent, 
        soit des centres urbains, soit des campagnes du pays. L'art rural est 
        également représenté par des tissus à décor 
        géométrique d'un caractère sévère et 
        d'une sobre couleur fabriqués dans le haut et le moyen Atlas.
 
 Il convient aussi, pour l'Algérie, de distinguer entre l'art rural, 
        dit " art berbère ", et l'art citadin. Le premier, étonnamment 
        archaïque et où le décor ne fait guère intervenir 
        que la géométrie, remplit une salle, avec les tapis à 
        haute laine du Djebel Amour, les tissus de la Grande et de la Petite Kabylie, 
        les poteries modelées et peintes par les femmes, les bijoux d'argent 
        de la Kabylie et de l'Aurès, les grands coffres et les bois sculptés. 
        L'art citadin, quia subi, surtout durant l'occupation turque, de fortes 
        influences orientales et européennes, est réparti dans les 
        trois autres salles. L'une d'elle a reçu le nom de salle Luce Ben 
        Aben, en souvenir d'une femme de goût qui fit beaucoup pour la conservation 
        des vieilles echniques. La collection qu'elle avait rassemblée 
        de broderies de soie sur étamine - grands rideaux à trois 
        bandes, serviettes et bonnets pour le bain est entrée au Musée, 
        dont elle constitue une des plus authentiques parures. Des tapis du Constantinois 
        et du Guergour (Petite Kabylie), très influencés par les 
        modèles d'Asie Mineure, vêtent les murs. Les vitrines contiennent, 
        outres les broderies, des armes enrichis d'argent et de corail, des selles 
        et harnachements brodés d'or, des bijoux et des pièces d'argenterie. 
        Des cuivres repoussés et ciselés, pots pour le bain, plateaux, 
        aiguières et plats couverts pour le couscous, garnissent le bas 
        des vitrines et les étagères.
 
 La section tunisienne contient des faïences de Tunis, d'inspiration 
        orientale ou italienne, des cuivres et des étoffes fabriqués 
        à Kairouan et à Tunis, des tapis également kairouanais 
        jadis justement fameux et dont on ne peut trop souhaiter que la vieille 
        ville retrouve le goût oublié.
 
 Pour une telle oeuvre de restauration des belles techniques d'art ancien, 
        qui n'exclut d'ailleurs pas l'évolution du style, un musée 
        comme celui-ci peut exercer une influence sanitaire. Si les historiens 
        de l'art y trouvent les éléments d'une documentation indispensable, 
        les artisans nord-africains y peuvent étudier des modèles 
        où s'affirment leurs meilleures traditions.
 G. MARÇAIS,Membre de l'Institut
 
 |