| 1. - LES DIFFERENTES 
        CAUSES DE L'EMIGRATION. ---------Si le problème 
        de l'immigration se pose par rapport au milieu démographique et 
        économique métropolitain, il se pose d'une façon 
        différente et d'une manière beaucoup plus urgente par l'apport 
        au milieu démographique et économique algérien. L'émigration 
        est devenue une nécessité démographique et économique 
        algérienne absolue. ---------1)Causes 
        démographiques et économiques de l'exode---------La 
        population de l'Algérie, comme celle de tous les pays musulmans, 
        croît à un rythme rapide grâce à une très 
        forte natalité qui donne, chaque année, un important excédent 
        de naissances sur les décès. malgré une mortalité 
        infantile, elle aussi, très élevée. Evaluée 
        à 2.307.400 habitants, en 1856, la population musulmane atteint 
        4.890.800 habitants, en 1921, 5.548.200 en 1931, 6.160.700 en 1936 et 
        7 millions 626 mille (y compris les 60.000 Marocains et Tunisiens) au 
        dernier recensement d'octobre 1948.
 ---------En 
        dehors des Territoires du Sud qui groupent environ un huitième 
        des Musulmans, 6.500.000 vit ent clans l'Algérie du Nord, essentiellement 
        sur la bande littorale, avec les points d'accumulation que constituent 
        l'Algérois et la Mitidja, la Kabylie dans la région de Tizi-Ouzou, 
        l'Oranie avec les centres d'Oran. Sidi-Bel-Abbès, Tlemcen, Mascara, 
        Aïn-Témouchent, et dans le Constantinois, les environs de 
        Constantine, Bône et %Philippeville. Cette cristallisation, sauf 
        pour la Kabylie restée un véritable réservoir naturel 
        d'hommes, est le résultat du mouvement qui, au XX""' 
        siècle, a vu les Musulmans quitter les Communes Mixtes pour les 
        grands centres européens (les communes de plein exercice), où 
        la de-mande de main-d'oeuvre était très grande.
 ---------Le 
        milieu social islamique encourageant la natalité par l'ensemble 
        des croyances, des moeurs, des institutions familiales, des circonstances 
        économiques qu'il crée et la France ayant, par ailleurs, 
        favorisé l'accroissement de la natalité en empêchant 
        les guerres de tribu à tribu, en introduisant un contrôle 
        sanitaire et en mettant en valeur les richesses naturelles du pays, l'accroissement 
        annuel des populations musulmanes est actuellement d'environ 120.000 individus 
        par an. Les spécialistes des questions démographiques estiment 
        qu'en 1976 la population musulmane de l'Algérie plafonnera entre 
        un minimum de 10.2 millions et un maximum de 13 millions.
 ---------L'accroissement 
        démographique pose donc automatiquement des problèmes d'ordre 
        économique.
 ---------En 
        étudiant les rapports qui existent entre richesses et populations 
        en Afrique du Nord, on m'aperçoit que l'Algérie en particulier, 
        n'arrive plus à nourrir les populations habitant sur son sol. Il 
        y a rupture d'équilibre et l'on constate que c'est dans les régions 
        où ces rapports sont les plus tendus que pré-domine l'émigration. 
        Alors qu'en Tunisie et surtout au Maroc, apparaît une marge réelle 
        entre les riches-ses existantes et les richesses possibles, cette marge 
        est dans les territoires comme la Kabylie, pratique-ment inexistante. 
        En Tunisie et au Maroc, le problème économique l'emporte 
        sur le problème démographique. En Algérie le problème 
        démographique pose le problème économique, mais aussi 
        le paralyse. Les conditions naturelles de l'Algérie en font, contrairement 
        à ce que les observateurs superficiels pourraient croire, un pays 
        pauvre dans l'ensemble. Les terres fertiles et bien irriguées ne 
        représentent qu'une infime partie de sa superficie dont la quasi 
        totalité est constituée de montagnes à relief accentué, 
        de hauts plateaux secs à cultures extensives de faible rendement 
        et de steppes qui servent de parcours à un élevage transhumant. 
        Sur 21 millions d'hectares, l'Algérie en a déjà 6 
        inutilisables. Les 15 millions restant se ré-partissent comme suit 
        : 5,5 de parcours ; 3 de bois, forêts et broussailles ; 6,5 labourables 
        (31 % du total) dont un peu plus de 4 régulièrement en culture 
        (le reste constituant la jachère). Les surfaces cultivables sont 
        donc relativement restreintes : 19 % contre 88 % pour la Métropole 
        en tenant compte des Territoires du Sud. Grande comme 35 départements 
        français, l'Algérie du Nord ne dispose que de produits agricoles 
        cultivés sur une surface parfois de médiocre qualité 
        égale à celle de 10 départements français 
        et elle doit nourrir une population croissante dépassant déjà 
        celle de 17 départements métropolitains.
 ---------La 
        situation économique générale du pays est fondée 
        sur les ressources de l'agriculture. Or, les conditions d'occupation du 
        sol, les techniques agraires et rendementss'agit de propriétaires 
        européens ou de musulmans. diffèrent profondément 
        selon qu'il
 ---------En 
        1939 et 1945, les rendements à l'hectare ont été 
        les suivants
 
         
          |  | 1 9 3 9  | 1 9 4 5 |   
          |  | récolte abondante | très mauvaise récolte |   
          |  | EUROPEENS | MUSULMANS | EUROPEENS | MUSULMANS |   
          | Blé dur | 10,1  | 5,4 | 3,3 | 1,1 |   
          | Blé tendre | 10,2  | 7.2 | 2,8 | 1,0 |   
          | Orge | 12,7  | 8,1  | 3,1  | 0,9 |  ---------La faiblesse 
        des rendements des propriétaires musulmans a des répercussions 
        importantes sur la production générale de l'Algérie, 
        la céréaliculture étant une culture essentiellement 
        musulmane (72%).---------Notons 
        par ailleurs que si les terres à céréales ont augmenté 
        de 2 millions 860.000 Ha. en 1901, à 3.100.000 Ha. en 1930, elles 
        ont diminué depuis cette date devant les progrès des cultures 
        riches (vigne. agrumes et autres fruits et légumes) et n'atteignaient 
        plus, en 1946, que 2.100.000 Ha. situés dans les hautes plaines 
        de l'intérieur.
 ---------Ainsi, 
        au moment où précisément la pression démographique 
        devenait plus pesante et plus apparente, les emblavures diminuaient, sans 
        augmentation correspondante des rendements à l'hectare. La rupture 
        d'équilibre entre le peuplement et les possibilités immédiates 
        et directes de ravitaillement se faisait plus évidente. Dès 
        1935, les Pouvoirs Publics doivent lutter contre la famine en prélevant 
        100.000 quintaux de blé sur le " stock 
        de sécurité ( Rappelons qu'à 
        partir de cette époque la réglementation restrictive de 
        l'émigration n'est plus le fait d'initiatives politiques algériennes.) 
        pour le ravitaillement des populations indigènes nécessiteuses 
        ."
 ---------La 
        sécheresse exceptionnelle des années de guerre ne fera qu'accroître 
        la gravité de la situation et le très mauvaise récolte 
        de 1945 conduira à une véritable famine.
 ---------Chaque 
        année, par suite du simple accroissement de la population, 200.000 
        quintaux supplémentaires de céréales sont indispensables. 
        La population musulmane vivant essentiellement de ces dernières, 
        on calcule qu'en 1871, chaque habitant disposait de 5 Q par an ; en 1900, 
        il ne disposait que de 1 Q ; en 1940 de 2 Q 1/2 et, aujourd'hui, avec 
        une bonne récolte, il n'a plus que 2 Q pour se nourrir. Le déséquilibre 
        entre les ressources et la population se traduit naturellement par un 
        niveau de vie très bas de le plus grande partie de la population 
        et par un important chômage.
 ---------Comment. 
        en attendant de trouver des remèdes africains, employer et nourrir 
        ces masses musulmanes en voie de prolétarisation ? L'émigration 
        vers la France se présente comme une des rares solutions immédiates 
        possible.
 ---------Cette 
        émigration a été, depuis fort longtemps déjà, 
        précédée de mouvements migratoires internes qui amenaient 
        et amènent encore, en particulier la main-d'oeuvre kabyle et oranaise 
        vers la Mitidja et les autres régions de cultures essentiellement 
        européennes.
 ---------La 
        viticulture continue, certes, de nos jours à distribuer les plus 
        importants salaires de l'agriculture algérienne (Le 
        vignoble algérien comptant 330 mille hectares et la culture de 
        la vigne nécessitant un ouvrier par hectare pendant 360 jours. 
        on peut admettre que le montant annuel des salaires versés est 
        de 29 milliards 700 millions (250 fr par jour, par ouvrier) mais 
        elle ne peut plus absorber la masse des sans-travail. Ceux-ci se tournent 
        alors vers les villes susceptibles d'offrir des débouchés 
        divers de par leur activité commerciale et industrielle. Le pouvoir 
        d'absorption des industries nouvelles demeurant limité (35.000 
        ouvriers ont pu être employés de-puis la mise en route du 
        plan d'industrialisation) le Français musulman se résout 
        bien vite au grand départ vers les cités industrielles de 
        France où, en période de prospérité économique, 
        il percevra des salaires plus élevés que ceux pratiqués 
        en Algérie, bénéficiera des allocations familiales 
        et de la sécurité sociale dans des conditions avantageuses.
 
 ---------2° 
        Causes psychologiques de l'émigration :
 ---------Il est 
        difficile de séparer les causes économiques des causes psychologiques. 
        Certains auteurs ont toutefois tenté d'expliquer l'émigration 
        des Musulmans algériens vers la France en la mettant au compte 
        " de la tendance naturelle au nomadisme 
        des populations algériennes ". C'est là 
        une erreur. Les émigrants se recrutent, en effet, presqu'exclusivement 
        parmi les éléments sédentaires de la population algérienne 
        (Kabyles, Chaouïas et Berbères arabisés d'Oranie). 
        Qu'il s'agisse des Kabyles ou des Arabes l'origine des départs 
        ne peut s'expliquer par un atavisme nomade. Le Français musulman 
        ne se déplace pas pour le seul plaisir de voir du pays ; il est 
        attiré, en France, par les salaires élevés qu'il 
        compte y toucher. A l'attrait du gain s'ajoute celui d'une existence meilleure. 
        Les travailleurs qui désirent partir sa-vent, en outre, qu'ils 
        jouiront, en France, d'une situation morale supérieure à 
        celle qui leur est faite en Algérie : ils seront plus indépendants 
        et échapperont au complexe d'infériorité qu'ils éprouvent 
        dans leur pays d'origine par rapport à l'Européen. Comme 
        l'écrit très justement Monsieur P. DEMONDION dans sa remarquable 
        étude sur l'Emigration de la Commune Mixte de Fort-National (L'émigration 
        de la commune mixte de Fort-National, par Pierre DEMONDION, docteur en 
        Droit, lauréat de la Facultè de Paris 1950 - Monographie 
        en dépôt chez R. VEZIN, 48, rue de la Santé, Paris.) 
        : " L'Egalité qu'ils recherchent 
        et la Fraternité qu'ils espèrent, ils pensent les trouver 
        beaucoup plus facilement en France que dans la Commune Mixte ".---------A 
        ces raisons générales s'ajoutent parfois des motifs plus 
        précis. Dans certaines régions francophones les jeunes s'expatrient 
        pour échapper à la sujétion des contraintes familiales 
        et dans l'espoir d'épouser des métropolitaines. 
        Parfois aussi les chefs de famille emmènent 
        leurs enfants en vue de leur donner une instruction meilleure. Et puis, 
        il y a l'orgueil kabyle : chaque famille insiste pour le départ 
        d'un de ses membres.
 II.-LES PRINCIPALES 
        ZONES D'EMIGRATION. ---------Les émigrants 
        se répartissent assez inégalement., quant à leur 
        origine, entre les diverses parties de l'Algérie. Le centre essentiel 
        de l'émigration est la Kabylie ; des émigrants viennent 
        également de l'Aurès, d'un certain nombre d'ilôts 
        berbères des Babors (El-Milia) ou d'Oranie (Mazouna, Nédroma, 
        Laila-Marnia' exceptionnellement de douars arabes sédentaires (régions 
        de Sétif et des Maâdis). Il semble toutefois que le phénomène 
        migratoire soit en progression dans ces dernières régions. 
        Les Territoires du Sud fournissent également un petit contingent 
        d'émigrants.---------La 
        carte, ci-jointe, donnant un aperçu quantitatif 
        de l'émigration assez précis et des plus parlant (Principales 
        régions d'émigration des Musulmans vers la France. Enquête 
        à la date de juin 1949.) nous ne nous livrerons pas à 
        une étude statistique et économique détaillée 
        (Pour cette dernière. cf. Les Musulmans Algériens 
        en France et dans les Pays Islamiques (chapitre IIL. par .Jean-la alae 
        ksrsa. Société d'Editions " Les Belles Lettres ", 
        95. boulevard Raspail, Paris.).
 ---------On 
        peut évaluer à environ 180.000 le total des Français 
        Musulmans se trouvant sur le territoire métropolitain. Trente mille 
        d'entre eux résident en France depuis de nombreuses années 
        et échappent actuellement au contrôle statistique algérien. 
        Sur les 150.000 émigrants recensés, 78.000 proviennent du 
        département de Constantine, 52.000 de celui d'Alger, 17.000 de 
        celui d'Oran et 3.000 des Territoires . du Shd. Ces chiffres ne sont, 
        bien entendu, que des ordres de grandeur.
 ---------Le 
        principal foyer d'émigration du département d'Alger se trouve 
        dans l'arrondissement de Tizi-Ouzou. Cet arrondissement, d'une superficie 
        de 370.000 hectares, compte environ 38.000 émigrants sur une population 
        musulmane de 574.366 habitants. L'émigration représente 
        un pourcentage de 4,8% de la population musulmane dans la Commune Mixte 
        d'Azcefoun, de 12% dans celle du Djurdjura, de 6,6% dans la Commune Mixte 
        de Dra-El-Mizan, de 8,5% dans celle du Haut-Sebaou, de 2,7% dans celle 
        de la Mizrana et de 9,5 % dans celle de Fort-National (Etude 
        précitée de M. Pierre DEMONDION.). Cette dernière 
        d'une superficie de 34.000 hectares (dont 20.000 de terres utiles) compte 
        82.833 habitants, soit une densité de 245 au kilomètre carré 
        (contre 236, en 1936). En 1948, la récolte de céréales 
        de la Commune Mixte a atteint environ 2.000 quintaux. dont 80% d'orge, 
        ce qui représente quelques jours de vivres.
 ---------L'émigration 
        y est donc inéluctable.
 
 ---------En 
        1949. elle se présentait dans les ex douars (83 Centres Municipaux 
        actuels) de la façon suivante:
 
         
          |  | Population totale | En France | Pourcentage |   
          | Béni-Aïssa  | 9.627  | 1.120 | 11,6  |   
          | Béni-Douala  | 7.008 | 930  | 13,2 |   
          | Béni-Mahmoud  | 8.249  | 970  | 11,7 |   
          | Béni-Khelifi  |  6.633  | 390 | 5,9  |   
          | Béni-Yenni  | 8.429 | 560  | 6,6 |   
          | Ir'Alen  | 1.254  |  20 | 1,5 |   
          | Iraten ,' |  13.661 | 1.150 | 8,4 |   
          | Kouriet | 9.774 | 1.270 | 12,9 |   
          | Ouadhias  | 6.844 |  850 | 12,4  |   
          | Ouamalou  | 11.354 | 680 | 5,9 |   
          | Total  | 82.333  | 7.940  | 9.5  |  ---------Le nombre 
        des émigrants de la Commune Mixte se chiffrait en :1910 de 500 à 600
 1925 de 3.000 à 4.000
 1938 de 5.000 à 6.000
 1949 8.000
 ---------Le 
        propre des Musulmans de Fort-National est d'aller, dans leurs migrations, 
        souvent plus loin que leurs compatriotes des autres régions d'Algérie. 
        Le pourcentage des commerçants et des ouvriers spécialisés 
        est, dans cette Commune Mixte, plus élevé qu'ailleurs. Le 
        nombre des écoles également : une classe pour 45 élèves 
        et pour un peu plus de 800 habitants.
 ---------Si 
        les arrondissements d'Alger, d'Aumale et d' Orléansville comptent 
        respectivement 3.700, 3.600 et 1.800 départs. ceux de Miliana. 
        Médéa et Blida ne sont, par contre, que fort peu sujets 
        à l'émigration.
 ---------Comme 
        nous l'avons déjà écrit, c'est dans le département 
        de Constantine que l'émigration est la plus importante.
 ---------L'arrondissement 
        de Bougie dont la population musulmane est de 551.515 habitants compte 
        plus de 30.300 émigrants essentiellement originaires des Communes 
        Mixtes de La Soumman, d'Akbou, du Guergour et d'Oued-Marsa.
 ---------L'Arrondissement 
        de Sétif (460.441 habitants Musulmans) voit s'expatrier environ 
        26.000 individus provenant. par ordre d'importance, des Communes Mixtes 
        des Bibans, Maadid, M'Sila, Rhira et Takitount.
 ---------Dans 
        l'arrondissement de Batna (407.461 habitants musulmans - 7.500 départs) 
        l'émigration affecte surtout les Communes Mixtes du Bélezma 
        et de l'Aurès (3.500 et 1.600 départs). Si le niveau de 
        vie de l'Aurès est très bas il n'en est pas moins vrai que 
        les motifs qui y poussent à l'émigration sont souvent le 
        désir d'acheter de la terre, de rembourser des dettes et de se 
        remettre à flot pour pouvoir ensuite s'installer au pays. Les Communes 
        Mixtes d'Aïn-Touta, Aïn-El-Ksar. Khenchela et Barika, fournissent 
        un contingent d'émigrés relativement faible.
 ---------L'émigration 
        est insignifiante dans l'arrondissement de Bône et elle n'intéresse 
        guère, dans celui de Philippeville, que la commune mixte de Collo. 
        Les douars montagneux de cette dernière vivaient de l'extraction 
        des souches de bruyères utilisées pour l'industrie de la 
        pipe. La mévente des pipes a entraîné par contre-coup 
        le chômage parmi les dessoucheurs dont mille environ sont partis 
        en France.
 ---------A 
        peu près nuls dans l'arrondissement de Guelma, de nombreux départs 
        sont, pour l'arrondisse-ment de Constantine, enregistrés dans la 
        commune mixte d'El-Milia (4.000 environ). Celle-ci évalue, en outre. 
        à environ 7.000 le nombre de ses administrés occupés 
        dans diverses communes d'Algérie.
 ---------Si 
        un grand nombre de travailleurs de l'arrondissement de Constantine trouvent 
        à s'employer dans les mines du Kouif, de l'Ouenza et de Boukhada, 
        il convient toutefois de noter que la ville de Cons-tantine même 
        compterait environ 5.000 émigrants partis en métropole.
 |  | --------Pour 
        le département d'Oran, l'arrondissement Cie Tlemcen fournit 
        à lui seul un contingent de près de 9.000 émigrants 
        essentiellement originaires des communes mixtes de Marnia et de Nédrorna. 
        Les émigrants berbères arabophones des douars montagneux 
        de ces communes mixtes ont des tradilions migratoires différentes 
        de celles des Kabyles. Notons au passage que l'arrondissement de Tlemcen 
        est de tous ceux d'Algérie celui que voit partir en France le plus 
        grand nombre de. familles musulmanes (femmes et enfants). L'émigration 
        est peu importante dans l'arrondissement de Mostaganem sauf pour les communes 
        mixtes de Renault (2.000 départs) et d'Ammi-Moussa (1.300 départs). 
        Faible dans l'arrondissement de Sidi-Bel-Abbès, elle est insignifiante 
        dans ceux de Tiaret, de Mascara et d'Oran.---------Très 
        particulière et variable selon les régions des Territoires 
        du Sud, l'émigration atteint son maximum dans celui de Touggourt 
        (plus de 2.200 départs). Signalons qu'une centaine de Mozabites 
        ont émigré temporairement ou définitivement en France. 
        -La sécheresse qui décime les troupeaux d'ovins influe énormément 
        sur l'amplitude du mouvement migratoire.
 III. - CARACTERES GENERAUX 
        DE L'EMIGRATION. ---------L'émigration 
        des travailleurs algériens en France a un caractère essentiellement 
        temporaire, son acuité varie selon les saisons ; elle ne porte 
        que sur l'élément mâle de la population ; l'absence 
        de visite médicale et de formation professionnelle la rend anarchique.
 ---------1)Durée 
        et variation de l'émigration selon les saisons.
 ---------La durée 
        de l'émigration est assez inégale. Elle varie selon les 
        régions. Dans la Commune Mixte des Bibans, la durée moyenne 
        de l'absence est de l'nrdre de deux ans. Dans celle des Rhira, chez les 
        Berbères arabophones de Lalla-Marnia, de Nédroma et de Mazouna 
        la plupart des émigrants reviennent chaque année pour la 
        moisson, puis repartent. Dans ces dernières régions l'émigration 
        est maxima en automne (après la moisson' et au printemps (après 
        les labours) ; elle est minima en hiver et en été.---------En 
        Grande et en Petite Kabylie l'absence dure de une à quatre années. 
        L'émigration y atteint son maximum au printemps et en été, 
        car la température, plus clémente à cette époque 
        de l'année, permet au Kabyle de mieux s'adapter au climat métropolitain. 
        Le Kabyle réserve le reste de l'année à ses travaux 
        agricoles et aux traditionnelles cueillettes de figues et d'olives.
 ---------La 
        durée de l'absence varie également avec le degré 
        d'enrichissement de l'émigrant. Celui qui possède un métier 
        quelque peu spécialisé revient moins souvent que le simple 
        manoeuvre.
 ---------Ce 
        dernier rentre au pays tous les deux ans, ou tous les ans s'il le peut, 
        pour se reposer des fatigues de l'année. Quant à l'émigrant 
        qui n'a pas réussi il revient au plus vite à son village. 
        Notons que beaucoup de retours s'effectuent pour le Ramadan, l'Aïd-el-Kébir 
        et à l'occasion de fêtes religieuses locales (taams, ouadas, 
        zerdas).
 ---------Bien 
        que les émigrants soient pour la plupart mariés et pères 
        de famille, les retours définitifs au pays d'origine sont rares. 
        Souvent l'attrait de la Métropole est trop fort, souvent aussi 
        les gains de l'ouvrier émigré ont été employés 
        en totalité à l'alimentation journalière de sa famille 
        et n'ont pu constituer un pécule assurant l'existence de cette 
        dernière pour l'avenir. L'émigrant algérien apparaît 
        donc comme un travaileur qui va s'installer en France pour une longue 
        période, coupée de retours fréquents au pays d'origine, 
        où il reviendra finir ses jours.
 ---------On 
        décèle toutefois, depuis quelques années, une tendance 
        des émigrants à s'installer définitivement en France 
        avec leur épouse. Si quelques rares départs avec femme et 
        enfants sont déjà signalés en 1936-37. c'est à 
        partir de 1948 que le phénomène devient sensible. On peut 
        actuellement estimer à environ 900 le nombre des familles musulmanes 
        installées en France. La Commune Mixte de Nédroma en compte 
        à elle seule 56 et la petite commune de plein exercice d'Eugène 
        Etienne-Hennaya a vu partir sur un total de 450 émigrants, 40 femmes 
        et une centaine d'enfants.
 ---------Ce 
        phénomène social a pris de l'importance du fait des allocations 
        familiales et de la Sécurité Sociale accordées aux 
        familles algériennes résidant dans la Métropole. 
        A ces raisons s'ajoutent naturellement l'attrait de la vie en famille 
        évitant à la fois les frais d'un double ménage et 
        les retours onéreux vers la terre natale, auxquels la majorité 
        des ouvriers s'astreint volontairement.
 ---------Si 
        les départs de famillles venaient à s'accentuer ils entraîneraient 
        une modification profonde du caractère de l'émigration.
 
 ---------2)Age 
        et caractéristiques des émigrants.
 ---------L'émigration 
        des Français-Musulmans vers la Métropole est essentiellement 
        masculine. La répartition par âge s'effectue, pour la Commune 
        Mixte de Fort-National de la façon suivante :---------18 
        à 20ans : l0%
 ---------20 
        à 25 ans : 20 %
 ---------25 
        à 35ans : 30%
 ---------35 
        à 45 ans : 25 %
 ---------45 
        à 55 ans : 10 %
 ---------au-dessus 
        de 55 ans = 5 %
 ---------La 
        plupart des émigrés ont entre 20 et 40 ans. Ils arrivent 
        donc en France dans la pleine force de l'âge et représentent 
        de ce fait une puissance de travail. intégrale. Peu de travaileurs 
        émigrent après leur 55è année.
 ---------Les 
        qualités physiques et morales varient quelque peu selon les groupes 
        ethniques. Le Kabyle des régions scolarisées est indéniablement 
        le plus préparé à s'adapter au travail industriel 
        et au genre de vie occidental. L'intensification de la scolarisation et 
        l'orientation de cette dernière vers le professionnel pourraient 
        rapidement valoriser la main-d'oeuvre des autres régions d'émigration 
        et, par contre-coup. en-traîner la diminution du nombre des chômeurs 
        ( Beaucoup de Nord-Africains sont réduits au chômage 
        parce que inadaptés à la technique industrielle occidentale 
        lui néessite un minimum de connaissances théoriques et pratiques.). 
        Les qualités physiques des individus diffèrent selon les 
        régions. Les Sahariens, moins robustes que les Berbères 
        des montagnes supportent très mal le climat métropolitain.
 IV.-REPERCUSSIONS DE 
        L`EMIGRATION SUR LA SITUATION ECONOMIQUE, SOCIALE ET SANITAIRE DE L'ALGERIEN. ---------Le départ 
        massif de l'élément masculin français-musulman ne 
        s'effectue pas sans provoquer directement. (par le fait du départ) 
        ou, par contre-coup (au retour après un contact plus ou moins prolongé 
        avec la Métropole, des modifications dans la situation économique, 
        sociale et sanitaire de l'Algérie. ---------1)Répercussions 
        économiques. ---------Sous l'angle 
        économique l'émigration se traduit, d'une part, par un départ 
        de main-d'oeuvre et, d'autre part. par des envois de fonds de la Métropole 
        vers l'Algérie. a) Le départ de main-d'oeuvre. ---------Comme nous 
        l'avons déjà souligné dans l'historique de l'émigration 
        (Cf. Document Algérien Ne 30 du 8 avril 1950.), 
        celle-ci, e partir de 1935, ne géne plus ni les exploitations industrielles 
        ni les exploitations agricoles algériennes. Au contraire, elle 
        diminue le nombre de bouches à nourrir sur une terre pauvre et 
        surpeuplée. Elle modère, dans une certaine mesure, l'installation, 
        dans les villes. d'un véritable prolétariat rural.---------Désormais, 
        écrit M. L. CHEVALIER., " la grande nouveauté est l'aspect 
        plus fortement démographique de ce phénomène migratoire 
        " ( Cf. Le problème démographique nord-africain 
        (p. 141) par L. Chevalierx. Presses Universitaires de France 1947) 
        Nous sommes loin de l'époque où les rapports administratifs 
        algériens mentionnaient que l'Afrique du Nord, menacée de 
        se voir dépossédée d'une partie de ses travailleurs, 
        ne pouvait continuer à subir le renforcement de leur émigration 
        . L'émigration est devenue pour l'Algérie une soupape de 
        sécurité.
 
 b) Les envois de fonds.
 ---------La répercussion 
        économique la plus importante de l'émigration est, sans 
        aucun doute, l'envoi considérable de fonds effectués par 
        les Français-Musulmans qui travaillent dans la Métropole. 
        Ceux-ci prélèvent une fraction importante de leurs gains 
        pour l'adresser à leurs familles, et les mouvements de capitaux 
        nui résultent de ces envois atteignent une ampleur telle qu'ils 
        constituent un élément très appréciable de 
        la balance des comptes entre l'Algérie et ra Métropole.---------En 
        1913,. le seul bureau de poste de Fort-National avait payé à 
        des familles kabyles un miilion trois cent dix mille francs de mandats 
        émanant de la métropole. En 1948, la Commune Mixte de Fort-National 
        e reçu plus de 700 millions de francs de mandats émanant 
        de la Métropole (Les allocations familiales étant 
        payées par les Caisses Algériennes ne sont pas comprises 
        dans ce chiffre.). A ce chiffre il convient naturellement d'ajouter 
        les sommes que les émigrants rapportent sur eux à leur retour 
        ou confient à des parents et amis qui rentrent au pays.
 ---------On 
        peut évaluer à plus de huit milliards de francs le total 
        des fonds envoyés ou amenés en Algerie par les Français-Musulmans 
        employés en France.
 ---------Les 
        envois varieitt naturellement selon les catégories professionnelles 
        et selon la régularité du travail des émigrants. 
        On peut estimer de 100 à 200.000 francs les expéditions 
        faites par les commerçants. et de 20 à 80.000 celles effectuées 
        par les ouvriers. Ainsi, les manoeuvres spécialisés du Centre 
        Municipal d'Ifigha-Ait-Issaad (1) (CommuneMixte du Haut-Sébaou) 
        employés chez Citroën, Renault, dans les raffineries de sucre 
        et les mines, envoient à leurs familles jusqu'à 100.000 
        francs par an (Pour le détail des sommes expédiées 
        en Algérie. cf. Thesee précitée de M.J-J. RAGER, 
        p. 139 à 148.). Les calculs des moyennes mandatées 
        par émigré appartenant à groupe ethnique précis 
        font ressortir que les gens de l'arrondissement de Tlemcen, c'est-à-dire 
        les émigrants partis avec femme et enfants, expédient 54.000 
        francs par an au membre de leur famille chargé de gérer 
        leurs biens, tandis que les Kabyles de l'arrondissement de Tizi-Ouzou, 
        partis seuls, n'envoient que 40.000 francs. Cette différence de 
        moyenne annuelle s'explique aisément du fait que les ouvriers émigrés 
        avec leurs familles ont des frais généraux moindres, jottissent 
        d'une situation solidement établie, sont souvent logés par 
        l'employeur, perçoivent les allocations familiales au taux métropolitain 
        et bénéficient des avantages de la Sécurité 
        Sociale.
 
 ---------2)Répercussions 
        sociales et sanitaires.
 ---------L'émigration 
        e des conséquences sociales importantes dans le domaine familial 
        et sur les genres de vie. Elle peut avoir des répercussions graves 
        dans l'évolution de la situation sanitaire des populations mnusulmanes.a) Conséquences sociales.
 ---------Partant 
        généralement seul, il arrive fréquemment que le Français-Musulman 
        épouse une métropolitaine. On estime actuellement à 
        près de 6.000 le nombre des mariages mixtes. Environ 400 de ces 
        ménages sont venus s'installer en Algérie. On évalue. 
        d'autre part, à plus de 12.000 le nombre des femmes musulmanes 
        abandonnées et il est permis de penser qu'une vingtaine de milliers 
        d'émigrants tendent à se fixer (II serait 
        souhaitable que le prochain recensement métropolitain s'efforce 
        d'obtenir des précisions sur ces questions.) définitivement 
        en France.
 ---------L'émigration 
        accélère également l'évolution des moeurs 
        : le costume s'occidentalise, les vieilles superstitions telle celle de 
        "l'enfant endormi" disparaissent : souvent aussi l'autorité 
        du vieux père de famille est battue en bréche, l'idée 
        de l'indispensable scolarisation progresse, le médecin remplace 
        le marabout, le mariage forcé recule. Certes, souvent, l'émigrant 
        de retour au pays retrouve ses anciennes formes de pensée et est 
        repris par la conscience collective du douar. Mais il n'en est pas moins 
        vrai que dans les régions où l'émigration est une 
        habitude solidement établie, les modifications du genre de vie 
        ne feront que s'accentuer.
 ---------Si 
        l'argent envoyé de France contribue essentiellement à nourrir 
        tes familles restées vu pays, certains émigrants, après 
        avoir payé leurs dettes, achètent souvent un lopin de terre 
        et augmentent leur cheptel.
 ---------L'habitat 
        se modifie également mais très lentement. Certains commerçants 
        de Fort-National ont construit des habitations confortables où 
        ils pourraient, si les femmes étaient éduquées, vivre 
        d'une façon moins primitive. L'apparition de placards, buffets, 
        matelas dans les demeures est signalée en divers endroits. il est 
        souvent difficile de,faire dans ces transformations la part de l'influence 
        de l'émigration et celle de l'enseignement. Notons toutefois que 
        beaucoup de Kabyles souhaitent la construction d'éco--le professionnelles. 
        de routes et l'adduction d'eau " tout comme en France . disent-ils.
 ---------Par 
        ailleurs, tout le monde s'accorde à reconnaître que si l'émigrant 
        rentre au pays plus " revendicatif " qu'avant son départ, 
        il n'en est pas moins devenu plus sociable. Très sensible aux égards 
        dont il a pu être l'objet en France, il supporte mal d'être 
        traité différemment à son retour en Algérie. 
        Il demeurera toujours " celui qui a été 
        en 'France "et jouira d'un prestige certain auprès 
        de ses coreligionnaires.
 ---------Si 
        socialement l'émigration constitue un exutoire pour les classes 
        paupérisées d'Algérie, elle ne semble cependant pas 
        avoir pour résultat la limitation de l'accroissement démographique. 
        Il conviendrait toutefois d'examiner si le nombre des enfants ne décroît 
        pas dans les familles occupant un certain rang social (Une 
        étude sur la fécondité différentielle des 
        Musulmans selon le niveau social est actuellement en cours.).
 
 b) Conséquences sanitaires.
 ---------La 
        répercussion de l'émigration sur l'état sanitaire 
        des populations musulrnsnes de l'Algérie est une question sur laquelle 
        les avis divergent. Sans aller jusqu'à dire que l'émigration 
        en France est à l'origine de la tuberculose et de la syphilis, 
        il faut toutefois admettre qu'elle exerce une influence sur le développement 
        de ces maladies qu'il convient de combattre en France par une politique 
        du logement de la main-d'oeuvre algérienne, et en Algérie 
        par la création de maisons de repos (Le régime 
        métropolitain de Sécurité Sociale permet aux Français-Musulmans 
        d'étre soignés dans les sanatoria. Plus de 800 d'entre eux 
        étaient hospitalisée en 1948.), car, comme le fait 
        connaître le nouveau timbre anti-tuberculeux : " 
        Pas de guérison sans repos ".
 ---------Quant 
        au développement de l'alcoolisme en Algérie, il n'est pas 
        douteux que sa progression aans les campagnes a souvent pour cause l'habitude 
        prise par l'émigrant en France de consommer du vin ou des liqueurs.
 ---------Les 
        conséquences psychiatriques et médico-sociales du développement 
        de ce fléau sont graves (Cf. L'alcoolisme nord-africain, 
        par Mme le Docteur ZANGERLIN-COLET , dans Études anti-alcooliques. 
        Octobre-déembre 1947 14 bis, rue d'Alger, Nantes.).
 ********** ---------Inéluctable, 
        l'émigration des Musulmans algériens vers la France a des 
        conséquences heureuses pour l'économie algérienne. 
        Elle pose, certes, tant pour la Métropole que pour l'Algérie 
        de délicats problèmes sociaux et sanitaires. Mais ceux-ci, 
        ne l'oublions pas, ne sont que les reflets de problèmes humains 
        et techniques plus larges auxquels il convient de donner des solutions.
 ---------Au 
        moment où les industriels français repensent les problèmes 
        du plein emploi. de la qualification professionnelle, du logement et de 
        la vie des Français-Musulmans dans nos cités techniques, 
        au moment où les Français-Musulmans (dont soi-disant on 
        ne pouvait rien tirer) deviennent, dans certaines branches d'activité, 
        des ouvriers spécialisés ou des ouvriers professionnels, 
        nous pensons qu'il appartient à l'Algérie de trouver sa 
        part de solutions neuves, hardies, réfléchies et " 
        à l'échelle du grand problème 
        humain qui la préoccupe."
 ---------Bref, 
        il s'agit de ne pas rester enlisés dans les formules desséchantes 
        d'un bréviaire administratif désuet et de concevoir, pour 
        l'appliquer. une politique de création continue.
 Jean-Jacques RAGERDocteur-ès-Lettres de l'Université d'Alger
  
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