| ---------- 
        La mer unit, le désert sépare. Les 
        épidémies, les épizooties, les épiphyties 
        qui ont ravagé l'Afrique du Nord lui sont venues par-mer de l'Orient, 
        du Nord ou de l'Occident. Mais, au Sud, la vastité du Sahara a 
        protégé l'Afrique blanche contre les. maladies de l'Afrique, 
        noire. Un malade qui traversait, au pas ler t des caravanes, les sables 
        torrides de l'Erg ou les cailloux de la Hammada, avait le temps de guérir 
        ou de mourir avant la' dernière étape. Les progrès 
        mécaniques ont changé tout cela. La propagation des maladies 
        oà travers le Sahara n'est plus retardée, comme autrefois, 
        par la rareté et la lenteur des communications. ----------Deux 
        redoutables maladies infectieuses, que les sables et la pierraille ont 
        empêché jusqu'à présent de franchir les étendues 
        sahariennes, peuvent maintenant, si l'on n'y prend pas garde, envahir 
        des régions indemnes. Ce sont une maladie des animaux, la 
        peste bovine, et une maladie des végétaux, le baïoudh 
        des dattiers. ----------Par 
        une heûreuse fortune, ces deux maladies présentent ce caractère 
        commun de pouvoir être arrêtées par de simples mesures 
        'sanitaires, à condition que celles-ci soient rigoureusement appliquées.
 PESTE BOVINE ------La 
        peste bovine est à la fois, comme l'indique son nom de peste, 
        une maladie qui se propage avec une grande rapidité, et ,une maladie 
        très meurtrière. NOCARD et LECLAINCHE oint écrit 
        :" Les épizooties de peste bovine 
        sont' rapidement envahissantes et détruisent la quasi-totalité 
        du bétail dans les régions atteintes " 
        ( Ed. NOCARD et E. LECLAINCHE, " Les Maladies Microbiennes des Animaux 
        ", 3è édition, 1, 1903, p. 520 (Masson, Paris). 
        . D'autre part, il est un fait remarquable : alors que les mesures de 
        police sanitaire sont souvent impuissantes contre la propagation d'infections 
        contagieuses, telles que la fièvre aphteuse, qui peut se faire 
        à distance par des vecteurs autres que le bovin lui-même, 
        ces mesures sont efficaces contre la diffusion de la peste bovine " 
        qui procède toujours d'une contagion assez 
        directe " (NOCARD et LECLAINCHE). Un bel exemple de cette 
        efficacité a été donné, après la première 
        guerre mondiale, par le succès des mesures de défense prises 
        à la frontière nord-est de la France, sous la direction 
        de ROUX, LECLAINCHE et VALLLEE. L'organisation d'une " douane sanitaire 
        " a été suffisante.--------La 
        défense sanitaire se définit en peu de mots interdire l'introduction 
        d'animaux vivants. -Non seulement les bovidés doivent être 
        arrêtés, mais certaines autres espèces animales, car 
        nombre d'entre elles peuvent donner des transporteurs de germes.
 ----------A 
        la lumière de ces quelques notions générales, l'histoire 
        de l'invasion de l'Afrique noire par le virus-contage pestique montre, 
        à la fois, le péril qu'entrains la disparition progressive 
        de la barrière naturelle que constituait le' désert sans 
        routes et l'espoir qu'on' peut mettre dans un" barrage sanitaire 
        rigoureusement surveillé.
 ----------La 
        première apparition de la peste bovine en Afrique parait dater 
        de 1884. L'Egygte fut, cette année- là, ravagée par 
        une epizootie due à l'importation de bétail russe, envoyé 
        des ports de la Mer Noire pour le ravitaillement des troupes britanniques 
        au moment de la campagne du Nil. Il est établi que, d'Egypte, la 
        peste boviné a cheminé vers l'Ouest, atteignant le Tchad, 
        où on la signale de 1889 .à.1893. Vers. le Sud, la peste 
        bovine est transportée, en 1890, d'Egypte en Abyssinie, par le 
        bétail envoyé aux troupes italiennes, à Massaoua. 
        En cinq années, par l'Afrique orientale allemande, elle s'étend 
        au Transvaal, à l'Orange, au Cap. Depuis lors, plusieurs vagues 
        épizootiques, venues du Soudan anglo-égyptien, déferlent 
        vers l'Ouest et le Sud.
 ---------Cette 
        rapide diffusion de la peste bovine sur le continent africain, son installation 
        à demeure dans, la colonie du Tchad, en Mauritanie, expliquent 
        cette phrase écrite par le vétérinaire-major MALFROY 
        en 1923 : " Il se pourrait même qu'un 
        jour une de ces epizooties arrivât jusqu'au Sud marocain et, de 
        là, se prepageât en Algérie et en Tunisie ".
 ----------Nous 
        ajouterons qu'il faut penser également, et plus qua jamais à 
        l'heure actuelle, au risque de la contamination de l'Algérie-Tunisie, 
        à travers la Tripolitaine et la Cyrénaïque, par l'Egypte, 
        où, comme nous l'avons exposé, elle sévit à 
        l'état enzootique.
 ----------Si 
        la peste bovine, envahissait l'Afrique du Nord, non seulement elle causerait 
        des pertes immenses au cheptel bovin;: mis elle interdirait' l'exportation 
        en France de tout animal vivant venant du Maroc,de l'Algérie et 
        de la Tunisie. Nousavons signalé çe danger à plusieurs 
        reprises depuis 1918 ( 
        En aout 1918, mai 1925, juillet 1926, 1930, juin 1940, octobre 1941 (lettres 
        au Gouvernement Général de l'Algérie); Nous avons 
        fait aussi une commucation à l'Académie des Sciences Coloniales 
        16, 1930-31, intitulée : " Du danger que présente pour 
        l'Afrique du Nord la peste bovine qui règne en Afrique noire ".)
 ----------On 
        pourrait, certes, combattre la maladie si elle s'installait en Afrique 
        du Nord. On appliquerait la vaccination et la sérothérapie, 
        qui donnent de très bons résultats dans les colonies déjà 
        contaminées, comme l'Indochine et le Soudan. ----------Pour 
        être prêt à toute éventualité, l'Institut 
        Pasteur d'Algérie a établi un plan de mobilisation antipestique 
        il serait "nécessaire de disposer d'un très grand domaine, 
        isolé des agglomérations et des grandes routes, et cependant 
        suffisamment proche d'Alger ; il faudrait y construire de nombreux laboratoires, 
        écuries et baisses ; les frais de fonctionnement monteraient chaque 
        année à plusieurs millions de francs. Et l'histoire montre 
        que lorsque la peste bovine s'est introduite dans un pays, elle y devient 
        enzootique et n'en peut plus être extirpée.
 ----------En 
        bref, les conséquences néfastes de 'l'invasion, d , l'Afrique 
        du Nord par la peste bovine de l'Afrique noire, seraient de trois ordres 
        : disparition presque complète du troupeau bovin, impossibilité 
        d'exporter désormais du bétail en Europe, dépenses 
        élevées à répéter annuellement pour 
        la reconstitution et la préservation du cheptel local.
 ----------Au 
        contraire, une barrière sanitaire, à condition qu'elle soit 
        fortement organisée et strictement surveillée, peut arrêter 
        la contagion.
 ----------Il 
        faut l'organiser le plus loin possible des régions à protéger, 
        face au Soudan d'un côté,' à l'Egypte de l'autre.
 ----------En 
        résumé
 ------------La 
        pesté bovine cause, dans les pays qu'elle envahit, des pertes immenses.
 ------------L'Afrique 
        du Nord, encore indemne, est menacée sur toutes ses frontières 
        terrestres.
 ------------Le 
        contage-virus peut être introduit par des porteurs sains : bovins, 
        zébus, moutons, chèvres, chameaux,. etc...
 ----------Pour 
        se préserver de la contamination, le moyen le plus simple que possède 
        l'Afrique du Nord est d'interdire l'importation de tous" lês 
        animaux vivants même sains en apparence, provenant, du reste de 
        l'Afrique.
 ----------Les 
        pays de l'Afrique du Nord française ont intérêt à 
        conjuguer leurs efforts. La Tunisie doit se protéger du côté 
        de la Tripolitaine et le Maroc du coté de' Rio -de Oro et de la 
        Mauritanie. C'est l'Algérie qui a les plus longues frontières 
        à surveiller : d'une part, au Sud, du côté. du Soudan, 
        d'autre part, à l'Est, du côté de l'Egypte.
 ----------Le 
        11 janvier 1944, le Gouverneur général de l'Algérie 
        a pris un arrêté qui, par son article 2, interdit l'importation 
        et le transit en Algérie, par les frontières de terre et 
        de mer des animaux vivants des espèces bovines, ovines, caprines 
        autres. ruminants et porcs, en provenance de l'Afrique occidentale française, 
        ainsi que des fourrages, pailles, litières et fumiers. Aux articles 
        3 et 4, il est prescrit que l'importation et le transit en Algérie 
        des animaux vivants des espèces bovines, ovines et caprines, en 
        provenance de la Tunisie ou du Maroc, ainsi que de leurs débris 
        frais et peaux fraîches, ne peuvent avoir lieu que si les -vétérinaires 
        des Services de l'Élevage accordent un certificat de bonne santé.
 |  |  LE BAIOUDH DU DATTIER ----------Depuis 
        les premières années du XX siècle, les habitants 
        de l'ôasis, de Figuig ont vu avec effroi une maladie nouvelle décimer 
        leurs dattiers. Le Commandant PARIEL, qui administrait les Hauts-Plateaux 
        du Maroc oriental en 1920, nous demanda,a cette époque, d'étudier 
        ce mal redoutable, que - les, Indigènes appellent baïoudh, 
        parce que les palmes deviennent blanchâtres (abiodh veut dire blânc 
        en arabe).----------Après 
        avoir fait une enquête auprès des Ksauriens de Figuig, nous 
        procédâmes à des recherches expérimentales 
        que nous résumons ici ( Ed. SERGENT 
        et M. BEGUET, " Sur la nature myçosique d'une nouvelle maladie 
        des dattiers menaçant les oasis marocaines ".-C. R. Acad. 
        Sc. 172, 20 juin 1921, p. 1624.
 ----------Les 
        Ksouriens, dont les dattiers constituent la principale richesse, les observent 
        avec beaucoup d'attention Ils ont fourni à notre enquête 
        de 1920-1921 une foule de renseignements précis. D'après 
        eux. la maladie serait originaire du Draa (Sud-ouest du_ Maroc), d'où 
        elle a gagné le Tafilalet,puis vers1898, Figuig (  
        Le baïoudh a atteint, en 1900, le Tidikelt (Voir P. SANTINI Arch. 
        Inst. Pasteur d'Algérie, 15, juin 1937, pp. 271-276.) Tout 
        palmier atteint est condamne et, dans le sol où il a poussé, 
        aucun autre palmier ne peut être planté sans se contaminer 
        et périr à son tour. Chaque dattier mort crée ainsi 
        un champ maudit. L'affection a tous les caractères d'une maladie 
        infectieuse- Les oasiens de Figuig prévoient le, moment où 
        cette épiphytie pourrait anéantir leurs palmeraies et ont 
        dit aux officiers du Commandement: " Si 
        les Français ne trouvent pas.le moyen d'arrêter cette maladie, 
        nous serons forcés d'émigrer " La marche 
        de l'épiphytie est assez lente, mais elle est continue- La propaggt'ion 
        ne s'opère pas en tache d'huile elle laisse des., clairières 
        indemnes quand la maladie éclate dans un jardin, elle essaime au 
        voisinage, comme une colonie ; puis elle peut sauter de la dans un autre 
        jardin qui n'est pas attenant au premier. C'est pendant la saison chaude 
        surtout qu'elle se développe..,
 ----------Le 
        premier: symptôme apparent est le blanchiment des folioles. On voit 
        en même temps apparaître sur le pétiole de la palme, 
        du côté des folioles blanchies et desséchées, 
        des veines brun-rouge foncé décelant la dégénérescence 
        gommeuse des faisceaux libéro-ligneux.On peut suivre ces veines 
        brun-rouge jusque dans le stipe. L'infection semble ascendante des racines 
        jusqu'aux palmes. ,
 ----------Toutes 
        les palmes ne sont pas atteintes à la fois.. Il n'y a pas d'ordre 
        régulier dans la façon dont elles sont prises les unes après 
        les autres sur un dattier_: Quand les jeunes palmes du ceeur sont frappées 
        les premières, la mort survient en quelques semaines. Au contraire, 
        lorsque le mal débute parr les palmes exté. rieures du bouquet, 
        l'affection peut durer jusqu'à 3 ou 4' ans avant la terminaison 
        fatale.. .
 ----------Le 
        baïoudh ne ressemble à aucune des autres maladies du dattier 
        que connaissent les Indigènes
 le douda, le bou-qmech, etc... Les Indigènes disent 
        qu'ils savent guérir toutes ces maladies ou en pallier les effets 
        : seul le baïoudh est sans remède.
 ----------Le 
        baïoudh est propre au dattier, ; aucun des arbres fruitiers qui poussent 
        à l'ombre des palmeraies n'en est atteint.
 ----------Lés 
        recherches expérimentales que nous avons effectuées en 1921 
        à Figuig. nous ont montré la présence constante, 
        et à l'état de pureté, d'un champignon nouveau dans 
        les lésions, ainsi que dans; les parties saines en apparence, des 
        dattiers malades. Nous avons obtenu. régulièrement, en culture 
        pure, ce champignon rose en- ensemençant dans les Milieux appropriés 
        le Tissu de palmes atteintes de baïoudh. L'ensemencement de tissus 
        de dattiers sains ou atteints de lésions autres que le baïoudh, 
        ou de tissus morts par une, cause banale (section, etc...), n'a jamais 
        donné de culture de ce champignon. C'est pourquoi nous avons conclu, 
        en 1921, qu'il y avait lieu de le considérer comme l'agent du baïoudh 
        (loc. cit., p. 1626). Notre champignon a été dénommé 
        par KILLIAN et MAIRE, en 1930, Cylindrophora albedinis 
        et placé, en 1934, dans le genre Fusarium, par C. MALENÇON.
 ----------Les 
        mesures prophylactiques à opposer au baïoudh sont de deux 
        sortes
 ----------Les 
        unes, purement palliatives, sont inspirées par le fait que certaines 
        variétés de dattiers (par exemple le tabdount, l'àsian 
        et à un degré moindre, l'aziza) résistent 
        davantage au baïoudh, que d'autres, comme l'aghars, le feggous 
        et l'afrokh ntigent, comme nous l'a appris notre enquête 
        de 1921. C'est pourquoi les Indigènes plantent de préférence, 
        dans les oasis atteintes, les variétés de dattiers qui résistent 
        le mieux au baïoudh. Des essais de contamination expérimentale 
        de Phoenix canariensis, auxquels nous avons procédé 
        en 1921, ont donné un résultat négatif. Le palmier 
        des Canaries résiste donc au haïoudh. ----------Malheureusement 
        ses dattes ne sont pas comestibles.
 ----------Mais 
        1a mesure la plus efficace est l'isolement des palmiers atteints. Les 
        Indigènes savent si bien que le baïoudh est une maladie contagieuse 
        qu'ils prohibent l'introduction, dans les palmeraies encore préservées, 
        d'un dattier atteint de baioudh, fût-il mort et à l'état 
        de bois de construction. Est défendue également l'introduction, 
        dans les palmeraies saines, du fumier, des couffes, des instruments agricoles 
        tels que la mzebra, serpe à long manche qui sert à 
        émonder,,à élaguer les palmiers, et dont tout Ksourien 
        est porteur. On écarte aussi les eaux d'irrigation provenant de 
        jardins contaminés en amont.
 ----------Pour 
        protéger les oasis du Sud algérois et du Sud constantinois 
        contre la contamination qui menace de venir de l'Ouest, il y a lieu d'interdire 
        l'importation, dans ces oasis, de rejetons ou de tous produits des dattiers 
        des oasis contaminées. Telle était déjà la 
        conclusion prophylactique de notre publication de 1921 (loc. cit.5 p. 
        1627).
 RESUME
 ----------La pacification` 
        du Sahara et les progrès mécaniques ont fait tomber les 
        obstacles que les immensités désertiques opposaient aux 
        communications et aux échanges commerciaux. Mais voici le revers 
        de la médaille: le Sahara n'oppose plus de distances -infranchissables 
        à la propagation des maladies infectieuses.----------Le 
        danger qu'entraîne la facilité croissante des transports 
        transsahariens se manifeste en particulier pour deux maladies dont la 
        diffusion en Afrique du Nord aurait des conséquences catastrophiques 
        : la pêste bovine et le baioudh des dattiers.
 ----------La 
        peste bovine, qui, est arrivée du Nord en Egypte en 1884, a submergé 
        depuis lors toute l'Afrique noire et. risque d'envahir l'Afrique blanche 
        par le Sud ou l'Est. Le baioudh des dattiers, originaire du Sud-ouest 
        marocain, menace d'envahir d'Ouest en Est les, riches palmeraies du Sahara 
        nord-oriental. Au regard de ce risque évident et effroyable, un 
        fait réconfortant : ces deux maladies infectieuses ont toutes deux 
        un mode de contagion, tel que des mesures de police peuvent suffire à 
        empêcher les contaminations. Une " douane sanitaire 
        " barrera efficacement, le chemin à la peste bovine et au 
        baioudh, pourvu qu'elle :soit réellement et sévèrement 
        appliquée.
 Dr Edmond SERGENT,Membre de l'Institut,
 de l'Académie de Médecine et de l'Académie d'Agriculture.
 Directeur de l'Institut Pasteur d'Algérie
 
 |