| ----------Le 
        Tassili des Ajjer est un vaste plateau gréseux, longeant le Nord-Est 
        du Hoggar et compris entre 65o et 2.400 mètres d'altitude. Coupé 
        de profondes vallées, il descend en pente douce vers l'Est (jusqu'au 
        Messak et au Fezzân) mais présente sur son flanc sud-ouest 
        (région de Djanet et Fort-Gardel) des versants beaucoup plus abrupts.----------Au 
        dernier recensement (1948), l'Annexe des Ajjer comptait 5.321 habitants 
        pour un territoire presqu'aussi grand que la France. La plupart sont des 
        Touareg Ajjer, nomades plus pauvres et moins familiers au grand public 
        que leurs voisins de l'A'haggar, et cette population est assez flottante, 
        les hommes amenant souvent les chameaux vers le Soudan durant les années 
        sèches.
 ----------Ce 
        massif restait un des lieux les plus mal connus du Sahara central, et 
        pourtant sa richesse en eau douce et en restes préhistoriques en 
        font une des zones les plus originales du grand désert. Aussi, 
        plusieurs médecins et naturalistes ont songé depuis une 
        trentaine d'années, à l'explorer scientifiquement. Ce projet 
        a pu se réaliser au printemps 1949, grâce au bienveillant 
        appui du Ministre, Gouverneur général de l'Algérie, 
        et le présent exposé est un résumé ,du rapport 
        que je lui ai soumis après le retour de la mission. Inutile de 
        dire que les résultats techniques sont loin d'être tous élaborés 
        : 'es publications complètes d'ordre zoologique, botanique et médical 
        verront le jour dans un an ou deux.
 HISTORIQUE SOMMAIRE. ----------Itinéraire 
        et but de la mission.----------Les 
        pays proches du Tassili à l'Est et à l'Ouest ont déjà 
        fait l'objet d'explorations méthodiques. La première et 
        la plus classique est celle organisée par le Gouvernement Général 
        de l'Algérie au Hoggar (1928) : les participants étaient 
        MM. MAIRE (Botanique), LEBLANC (Anthropologie médicale), De PEYERIMHOFF 
        et SEURAT (Zoologie), accompagnés par le peintre P.-E. DUBOIS. 
        Plusieurs biologistes et géologues ont parcouru individuellement 
        le Hoggar depuis cette époque.
 ----------Les 
        vallées du Fezzân furent décrites par des missions 
        italiennes, puis françaises. Les travaux du géologue A. 
        DESIO, du botaniste CORTI, des zoologistes ZAVATTARI et SCORTECCI, suivis 
        d'archéologues et de météorologistes, se sont répartis 
        entre 1934 et 1938. En 1944, un an après le passage de la colonne 
        LECLERC, le général CATROUX, alors Gouverneur Général 
        de l'Algérie, décida le départ au Fezzân d'une 
        équipe de onze chercheurs (linguistes, médecin, naturalistes, 
        géographes) qui restèrent deux mois sur place et dont plusieurs 
        revinrent les années suivantes. On peut estimer aujourd'hui à 
        plus de vingt le nombre de spécialistes français ayant travaillé 
        au Fezzân.
 ----------A 
        côté de ces voyages variés, le Tassili des Ajjer paraissait 
        bien négligé jusqu'ici. C'est encore la préhistoire, 
        avec les fameuses peintures rupestres sahariennes, qui a suscité 
        le plus d'investigations, mais localisées surtout au nord du massif 
        (région entre Djanet et Fort-Flatters). Les Italiens ont étudié, 
        de Serdelès à Ghat et Ti'n Alkoum (voir l'est de la carte) 
        la zone qu'ils occupaient, mais cette bordure, très chaude et relativement 
        basse, ne donne aucune idée juste de la vraie montagne des Ajjer, 
        avec sa flore méditerranéenne et ses lacs très peuplés. 
        En outre, des crocodiles avaient été signalés dans 
        le Tassili central depuis 1934, nouvelle preuve des caractères 
        très remarquables de sa faune aquatique. La mission française 
        du Hoggar (1928) n'avait qu'effleuré la bordure occidentale du 
        massif. Le baron allemand GEYR Von SCHWEPPENBURG (1913) a chasse surtout 
        les oiseaux.
 ----------Mais 
        c'est au géologue français Conrad KILIAN que revient le 
        mérite d'avoir attiré l'attention générale 
        sur la richesse (lu Tassili en plantes et animaux. A son instigation, 
        P. de PEYERIMHOFF publie dans un volume du Centenaire de l'Algérie 
        (1930) un " Projet détaillé d'exploration au Tassili 
        des Ajjers : ". L'excellent itinéraire précisé 
        dans ce projet sera en grande partie suivi par nous dix-neuf ans après.
 ----------L'idéal 
        eût été d'organiser, comme au Fezzân, une mission 
        d'ensemble, comprenant : littéraires, médecin,. naturalistes, 
        etc... Mais les frais actuels de déplacement par avion, et les 
        lourds bagages nécessités par les instruments scientifiques 
        et les collections, obligent de plus en plus à spécialiser 
        les entreprises. Un avion saharien habituel, du type "Junker ", 
        ne peut emporter plus de sept voyageurs munis de tels bagages. Je me suis 
        donc décidé à limiter nos enquêtes aux domaines 
        biologique et médical. Les autres aspects intéressants du 
        Tassili (préhistoire, géologie, ethnographie) obligent d'ailleurs 
        à des séjours dans des lieux trop cultivés ou trop 
        pauvres en végétation, peu propices à la recherche 
        des êtres vivants originaux de ces montagnes. Bien entendu, de futures 
        missions consacrées à ces sciences de la terre et de l'homme 
        sont très désirables à tous égards.
 ----------Voici, 
        par ordre alphabétique, les participants à ce voyage en 
        1949
 - BALACHOWSKY (Dr. A.), Chef de Service à l'Institut Pasteur de 
        Paris, spécialiste des Insectes nuisibles et de la défense 
        des cultures ;
 - BERNARD (F.), Professeur de Zoologie à la Faculté des 
        Sciences d'Alger : faune du sol, et biologie des Fourmis et Termites ;
 - JACQUEMIN (Dr. P.), Chef des Travaux de Parasitologie à la Faculté 
        de Médecine d'Alger : parasites de l'homme et ides animaux, médecine 
        et zoologie générales ;
 - LEREDDE (Cl.), Assistant de Botanique à la Faculté des 
        Sciences de Toulouse : flore du Tassili, étude de la fertilité 
        locale et des cultures ;
 - MANDOUL (Dr R.), Professeur de Parasitologie à la Faculté 
        de Médecine d'Alger : parasitologie humaine et animale, étude 
        du paludisme ;
 - VAILLANT (F.), Assistant de Zoologie à 1 la Faculté des 
        Sciences d'Alger : faune du sol. des eaux douces.
 ----------Un 
        peintre distingué, M. LEPOITEVIN, ancien pensionnaire de la villa 
        Abd El Tif, s'est joint à noms et rapporte une belle moisson de 
        portraits et paysages.
 ----------Grâce 
        aux autorités du Gouvernement Général de l'Algérie, 
        que nous tenons à remercier une fois de plus, les frais de séjour 
        sur place (vivres, chameaux, guides, matériel, photographies, etc...) 
        ont été largement couverts. La bienveillante autorisation 
        du Ministre de la Défense nationale a fait mettre à notre 
        disposition un avion spécial faisant à l'aller le trajet 
        Alger - Ouargla - Ghat, au retour : Djanet - Ouargla - Alger. Dans le 
        pays, l'excellent accueil des officiers de la compagnie méhariste 
        et de l'Annexe des Ajjer nous a considérablement facilité 
        le parcours. Ne pouvant les nommer tous, qu'il me soit permis de remercier 
        au moins le Capitaine LELIEPVRE, commandant l'Annexe, et de dire la compétence 
        et le dévouement de ces représentants de la France dans 
        le Sud. Malgré une année sèche, ils ont réussi 
        à nous procurer un excellent guide : DJEBRIN ag MOHAMED, de la 
        tribu des Kel Medak, et des montures robustes qui, chose rare au Sahara, 
        ont tenu pendant cieux mois sur des pistes difficiles.
 ----------Du 
        26 Mars au 29 Mai, la mission a donc étudié les environs 
        de Ghat, puis le sud-est du massif jusqu'à l'oued Amaïs (carte) 
        puis le versant sud (Amaïs - Djanet - Fort-Gardel), enfin le versant 
        nord plus humide, de Dider à Iherir et Aharhar, les mêmes 
        régions étant revues trois semaines plus tard lors du retour 
        à Djanet. Le tout représente environ 1.700 kilomètres, 
        dont 200 en voitures, le reste à chameau ou parfois à pied, 
        les rocailles du Tassili permettant rarement l'usage des véhicules.
 ----------Notre 
        objectif pratique : mettre en évidence les ressources humaines 
        et agricoles du pays, leurs possibilités de développement 
        et les obstacles naturels qui pourraient l'entraver (paludisme, maladies 
        diverses, ennemis des plantes, etc...). Cela se double de recherches plus 
        générales sur la flore et la faune locales, à comparer 
        avec celles, mieux connues, du Hoggar et du Fezzân.
 REGIONS NATURELLES 
        DU PAYS AJJER (Carte). ----------En 
        plus de son intérêt biologique et humain, le Tassili serait 
        un splendide lieu de tourisme s'il était plus carrossable, mieux 
        ravitaillé... et à moins de 1.600 kilomètres d'Alger. 
        Sculptés par le vent, les grès se découpent en silhouettes 
        étranges. Creusés par l'eau, ils ont des canons grandioses 
        : celui de l'oued Tamrit, à 20 kilomètres au nord de Djanet, 
        a plus de 600 mètres de profondeur, est couronné d'aspérités 
        rocheuses et fait plus grande figure encore que les fameuses gorges du 
        Tarn et du Verdon. Enfin, le fond de ces vallées encaissées 
        est souvent parsemé de lacs, chacun atteignant parfois plus d'un 
        kilomètre de long et 12 mètres de profondeur : des poissons 
        comestibles (Barbeaux et Silures) peuplent ces lacs sur le versant nord. 
        Au Sahara, seule la chaîne du Mouidir, au nord-ouest du Hoggar, 
        a des points d'eau analogues, sans que leur étendue et leur pittoresque 
        soient comparables à ceux des Ajjer._----------Par 
        le climat, la flore, le régime hydrographique et la faune, on peut 
        distinguer cinq parties dans. le secteur parcouru par nous, et deux autres 
        au moins en dehors du domaine de la mission :
 ----------Région 
        I. Grands Ouadi de l'Est.
 ----------Vallées 
        relativement basses (600 à 800 mètres) où l'eau coule 
        vers le Nord en cas de pluie (une ou deux fortes pluies annuelles en général). 
        Cette zone est comprise entre le massif oriental du Tadrart (conduisant 
        vers la dépression du Fezzân) et la bordure est du Tassili 
        : elle comprend Ghat, oasis de plus de 1.000 habitants. Au nord de Ghat 
        s'étend l'oued Tanezzouft, fréquenté seulement par 
        des nomades et dominé par le mont Idinène ou " sommet 
        des démons " (Garet el Djenoun, 1.26o m.), curieuse falaise 
        ruiniforme. Au sud vient l'oued Isseyène, avec l'ancien fort turc 
        de Ti'n Alkoum et quelques sédentaires.
 ----------Ces 
        ouadi sont plus chauds et plus sablonneux que le reste du pays. Leur faune, 
        plus banale, est pourtant mieux connue à cause des travaux italiens 
        faits de 1933 à 1938 ; celle d'eau douce est la plus intéressante, 
        comprenant de petits poissons tropicaux (non cités du reste du 
        massif) (Hemichromis bimaculatus, Tilapia sp.), et une Grenouille spéciale 
        : Rana zaoattarii. La jolie oasis d'El-Barkat, près de Ghat, est 
        la plus riche à cet égard, mais un autre lieu classique 
        est la plaine de Serdelès, au nord-est de l'ouadi Tanezzouft et 
        un peu en dehors du Tassili proprement dit. Lors de la mission du Fezzân 
        (1944, j'ai pu voir les onze sources qui fertilisent Serdelès et 
        contiennent des Invertébrés analogues à ceux de Ghat.
 ----------Région 
        II. --- Bassin de l'Oued Arrikin.FIG. 1. - Schéma de l'itinéraire de la mission ou 1/2.000.000 
        (un centimètre pour 20 kilomètres). La ligne en trait plein 
        représente le trajet, depuis Ghat à l'Est jusqu'à 
        Aharhar à l'Ouest et retour à Djanet (1.700 km). Les traits 
        hachurés épais figurent les principales crêtes montagneuses 
        : à l'Est, le Tadrort sépare le Tassili du Fezzan ; au centre, 
        la crête du Tassili sépare le versant nord humide du versant 
        sud beaucoup plus sec. (voir).
 ----------L'oued 
        principal se perd, à l'Est, dans les sables du. Fezzan méridional. 
        Il reçoit des affluents tassiliens, venant de montagnes déjà 
        plus hautes (900 à 1.400 m.). Ce versant sud-est est chaud et sec, 
        Amaïs n'étant qu'à 85 kilomètres du Tropique 
        du Cancer, cependant çà et là de belles vallées 
        conservent des lacs, sans poissons et grouillant d'insectes variés. 
        Plusieurs espèces n'ont été trouvées que là, 
        et le site grandiose du cirque d'Amaïs vaut à lui seul ce 
        détour vers le sud.
 ----------Région 
        III. -- Versant sud aride.
 ----------Elle 
        va des sources de l'oued Amaïs jusqu'au massif basaltique de l'Adrar 
        n'Ajjer, à l'ouest (le Fort-Gardel (Zaouatallaz). Les hautes falaises 
        tassiliennes (1.700 à 2.350 m.) tombent brusquement sur un plateau 
        sec. rocheux sauf dans l'erg Admer, En dehors des oueds (Issandilène, 
        Sersouf, etc...), la flore est surtout constituée par des plantes 
        épineuses : Acacias, Zilla, et la seule oasis importante 
        est Djanet. Là, plusieurs sources sortant près d'Adjahil 
        apportent des animaux curieux, par exemple une Crevette.
 ----------En 
        raison de son aridité, ce versant manque de poissons et de certains 
        éléments communs au nord, tels que le Jujubier (Ziziphus 
        lotus). Au contraire, les types strictement désertiques. 
        comme les Mantes (Eremiapihifa), abondent. et les Scorpions 
        dangereux y sont particulièrement fréquents.
 ----------Région 
        IV. - Montagne volcanique de l'Adrar n'Ajjer.
 ----------Elle 
        contient les points culminants du pays, mais très peu d'oued et 
        de végétaux, et (levait être très sèche 
        en 1949. Son peuplement serait à étudier après les 
        fortes pluies : en pareil cas, les touareg y amènent leurs chèvres, 
        qu'ils descendent même avec des cordes dans les trous abrupts garnis 
        de Graminées.
 ----------Région 
        V. -- Haute montagne gréseuse du centre.
 ----------La 
        flore et le climat amènent à faire une région séparée 
        pour les hauts plateaux et les crêtes, entre 1.500 et 2.000 mètres 
        d'altitude. Le facies est franchement méditerranéen, avec 
        Oliviers,- Myrtes, Hélianthèmes, et les insectes rappellent 
        souvent ceux des Hauts-Plateaux algériens vers 1.000 mètres. 
        La partie la plus remarquable de cette zone est autour de l'oued Tamrit. 
        au nord de Djanet : la photographie donne une idée des étranges 
        rochers découpés, entre lesquels pousse le Cyprès 
        du Tassili dont nous reparlerons à propos de la flore.
 
         
          |  FIG. 2. --- Grès ruiniformes du chaos de 
              Tamrit (1.750 mètres), à 19 kilomètres au nord 
              de Djanet. Cet extraordinaire plateau rocheux a une flore de type 
              méditerranéen, avec Cupressus duprezana, Olea laperrinei, 
              etc... La faune est plus saharienne, et comprend encore les Termites 
              Anacantotermes :sp et la sauterelle décolorée fouisseuse 
              Lezina peyerimhoffi, de l'A'haggar. |  ---------Région 
        VI. -- Versant nord élevé (1.200 à 1.500 m.).----------Voici 
        les plateaux les plus caractéristiques du domaine ajjer, relativement 
        humides par rapport aux zones précédentes. Les grès 
        primaires (dévoniens et siluriens) y sont très fouillés 
        par les anciennes eaux courantes du Quaternaire pluvieux. Les êtres 
        vivants, encore en bonne partie méditerranéens, ont plus 
        d'espèces d'affinités tropicales que la haute montagne, 
        par exemple les plantes de pâturage du genre Calligonum dans 
        les oueds, trois genres de Termites, et le Scorpion grêle : Cicileus 
        exilis, pratiquement spécial au Tassili.
 ---------Région 
        VII. - Vallée et basses montagnes du versant nord (600 à 
        1.200 m.)
 ----------Nous 
        arrivons à la partie la plus fertile et la plus arrosée 
        du pays : les lacs sont nombreux et certains oueds coulent parfois plusieurs 
        mois de suite, chose exceptionnelle au Sahara. La température hivernale 
        peut tomber à - 12°, comme à Aharhar exposé plein 
        nord. Les Lauriers-roses et les grands Typha, mêlés de Tamaris 
        et de Palmiers sauvages, font une végétation luxuriante. 
        Malgré cela, les animaux des lacs, notamment Silures et Barbeaux, 
        appartiennent en majorité aux types asiatiques et tropicaux. tandis 
        que la faune terrestre a au moins 6o % de formes méditerranéennes.
 ----------Tous 
        les cours d'eau sont des affluents, directs ou lointains, du grand oued 
        Imhirou : dans sa portion encaissée chaotique, où la mission 
        n'a pu se rendre, il doit subsister des Crocodiles dont trois exemplaires 
        ont été capturés en 1934-1935. L'oasis d'therir, 
        mal cultivée, vient immédiatement après Ghat et Djanet 
        comme population (800 à 1.200 habitants selon les époques).
 ----------Dans 
        son ensemble, le pays ajjer est donc plus frais et plus fertile que le 
        Hoggar. Rien d'étonnant à cela, puisque l'A'haggar est notablement 
        plus au sud (Tamanghasset est au sud du Tropique du Cancer) et formé 
        de roches éruptives pauvres en chaux, retenant peu ou mal les eaux 
        souterraines. Nous avons vu en route 54 lacs ou gueltas, dont 28 permanents, 
        et l'on peut évaluer à plus de 600 le total des grandes 
        pièces d'eau du Tassili. L' A'haggar est beaucoup plus pauvre, 
        bien que plus grand et plus élevé.
 ----------L'aridité 
        moindre influe aussi sur les zones botaniques d'altitude : dans l'A'haggar, 
        les endémiques méditerranéens (Olivier de Laperrine. 
        Myrtus nivellei) ne commencent guère avant 2.000 mètres 
        et ont leur maximum entre 2.300 et 4.000. Ici, ces plantes débutent 
        vers 1.100 mètres et sont communes à partir de 1.300. D'où 
        l'intérêt biologique, sur lequel on va revenir.
 
         
          |  FIG. 3. - La plus grande pièce d'eau vue au Tassili. C'est 
              un fond d'oued permanent, au sud d'lherir, mesurant environ 1 km. 
              200 de long et 8 à 13 mètres de profondeur. Des poissons 
              tropicaux : barbeaux, silures, y abondent, tandis que la flore aquatique 
              a une majorité de plantes communes avec l'Europe. On notera 
              l'aspect désertique du paysage, où les seules plantes 
              sont une petite Ombellifère et Myrtus nivellei, fréquentées 
              par des Guêpes rares. Altitude .1.200 mètres.
 |  BOTANIQUE ET DEFENSE DES CULTURES.
 ----------On retrouve 
        au Tassili beaucoup de plantes décrites du Hoggar mais avec des 
        limites d'altitude plus basses, dues à la situation : 300 à 
        600 kilomètres plus au nord, et à la fréquence des 
        points d'eau. Les noms de ces végétaux en dialecte tamachek, 
        parfois différents de ceux du Hoggar, ont été transcrits 
        par M. LEREDDE. Si des espèces tropicales connues du Hoggar manquent 
        ici (par exemple les lianes (lu genre Cocculus), le Tassili possède 
        réciproquement des types méditerranéens ou même 
        européens absents plus au sud. Exemples : des Fougères capillaires 
        et Utricularia minor dans la mare Abatoul, en pleine palmeraie 
        d'Elbarkat, non loin de Ghat, et une Saxifragée, famille avide 
        d'eau et non citée jusqu'à présent du Sahara.----------Plus 
        généralement, les végétaux des lacs sont plutôt 
        de type européen, tandis que les Poissons, Mollusques et Crustacés 
        des mêmes eaux sont en majorité tropicaux, nouvelle preuve 
        de l'histoire compliquée du grand désert.
 ----------La 
        répartition de deux arbres très intéressants a été 
        précisée. Le premier est l'olivier du Sahara central Olea 
        laperrinei, sauvage mais très voisin de notre Olea europaea 
         cultivé (il est possible que certaines races d'Oliviers algériens 
        descendent du laperrinei). D'après les indigènes, environ 
        80o pieds existeraient dans le massif;
 nous en avons vu et photographié une trentaine, entre 1.400 et 
        1.800 mètres, et les olives (inconnues) furent recueillies. Le 
        second. absolument spécial aux crêtes de la région 
        de Djanet, est le fameux Cyprès des Ajjer (Cupressus dupreziana) 
        disséminé dans l'étrange paysage de grès ruiniformes 
        dont la figure 2 donne une idée. Il y en aurait encore plus de 
        500 individus, mais les jeunes pousses sont très rares. Seul Conifère 
        saharien, ce bel arbre très ornemental a germé dans le jardin 
        botanique de l'Université d'Alger, où le professeur MAIRE 
        avait reçu des graines. Les nombreuses graines de nos récoltes 
        furent partagées entre Alger et Toulouse. où certaines ont 
        germé aussi : ce fossile vivant " est donc sauvé de 
        la destruction.
 ----------Nul 
        doute que l'examen détaillé de l'herbier réserve 
        encore des imprévus. M. LEREDDE se propose de retourner sur place 
        pour esquisser une carte phytogéographique du Tassili, chose très 
        souhaitable et encouragée par le Gouvernement Général.
 ----------En 
        effet, au point de vue pratique, l'étude de la flore sauvage renseigne 
        bien sur les ressources en eau superficielle et les possibilités 
        de culture des sols. Il est certain que le pays ajjer pourrait être 
        plus cultivé, donc plus habité que maintenant. L'oasis d'lherir, 
        avec ses 45 pièces d'eau et un oued coulant plusieurs mois, est 
        capable de nourrir dix fois plus que ses 800 sédentaires actuels. 
        Des vallées encore vierges comme l'oued Tasset, l'oued Issandilène 
        et bien d'autres, ont une telle végétation que l'eau ne 
        doit pas être loin en profondeur. Il est frappant que le Tassili 
        ne produise même pas assez de dattes pour sa propre consommation 
        : il faut en acheter au Fezzan, souvent aux frais de l'Etat, vu la pauvreté 
        des nomades.
 ----------Tout 
        cela s'améliorera sans doute, mais on se heurte ici au facteur 
        humain, très délicat. Les Touareg peu stables, laissent 
        cultiver leurs jardins par des arrhatines, anciens esclaves noirs utilisant 
        des outils plus primitifs que dans le nord du Sahara. Il faudrait introduire 
        de nouveaux cultivateurs robustes... et tolérés par les 
        habitants actuels. La résolution du problème, aidée 
        par des terrassements appropriés, permettrait d'obtenir une foule 
        de plantes communes dans le reste des oasis et presque ignorées 
        ici : poiriers, lin, mil, épinards, légumineuses, etc..., 
        sans compter l'amélioration des races de céréales 
        et de dattiers.
 ----------Il 
        faudra veiller à ce que ces apports n'amènent point des 
        insectes nuisibles. A cet égard, le Tassili, resté loin 
        des caravanes et des grandes migrations humaines, est indemne de beaucoup 
        de fléaux classiques : M. BALACHOWSKY a été surpris 
        de l'absence des pucerons des fèves et des céréales, 
        sauf à Ghat. La plus lointaine oasis du parcours : Aharhar, est 
        aussi la moins atteinte et n'a même pas la célèbre 
        Cochenille blanche du palmier : Pariatorea blanchardi, si néfaste 
        dans le sud algérien. Enfin, les Sauterelles (Criquet pèlerin) 
        sont rares ici, et la mission n'en a capturé qu'une vingtaine ; 
        ces individus isolés seront d'ailleurs très intéressants 
        pour l'histoire des déplacements du Criquet, et nous les avons 
        soumis à l'éminent spécialiste de Londres, B. UVAROV.
 BIOLOGIE MEDICALE. ----------Les préjugés 
        indigènes ont empêché l'examen des selles : on ne 
        peut donc rien dire sur les parasites intestinaux, notamment sur la bilharziose 
        à Schistosoma mansoni ; par contre, la bilharziose vésicale 
        à S. haematobium a été trouvée très 
        répandue à Chat et Djanet par les Drs MANDOUL et JACQUEMIN. 
        Près de 80% des enfants des écoles ont du sang dans les 
        urines, et il est difficile d'éviter qu'ils se baignent en été 
        dans les mares et puits contenant les Mollusques transmetteurs : Builins, 
        Planorbes.----------Au 
        contraire, le versant nord (Iherir - Aharhar) n'a pas ces Mollusques, 
        et l'on plonge agréablement dans les vastes lacs de cette contrée. 
        Les Moustiques, nombreux et variés, comprennent des formes orientales 
        rarement signalées au Sahara. La fâcheuse réputation 
        des vallées ajjer pour le paludisme grave ne parait pas justifiée 
        : Il y a un paludisme endémique très fréquent, mais 
        bénin, d'après les nombreux examens de rates et (le sang 
        durant notre mission. Les conclusions précises seront publiées 
        plus tard,-mais, dès aujourd'hui, il faut éviter d'amener 
        dans les lieux palustres d'lherir et Aharhar des hommes ayant contracté 
        la malaria plus sérieuse du nord-algérien : ils risqueraient 
        d'infester les moustiques locaux, et, par suite, la population.
 
 ----------Notre 
        programme ne laissait guère le temps pour (les études anthropologiques 
        détaillées, mais les groupes sanguins ont été 
        recherchés sur plusieurs centaines de Touareg et d'arrhatines (groupes 
        O, A, B, AB, plus le groupe Rhésus) grâce à des sérums 
        spéciaux très obligeamment donnés par l'Institut 
        Pasteur de Paris. Les premiers résultats sont très curieux, 
        confirment l'ancienneté et l'isolement des \jjer, qui n'ont pas 
        en moyenne les réactions sanguines des autres peuples connus nord-africains.
 ----------Partout, 
        le Dr. JACQUEMIN a soigné malades et blessés, distribué 
        de la paludrine contre la malaria et, grâce à lui, la mission 
        a contribué à faire aimer la France. Je me permets (l'ajouter 
        qu'en plus du médecin de Ghat, trop occupé, il en faudrait 
        au moins un à Djanet, pour inspecter plusieurs fois par an les 
        zones habitées de Fort-Garde], Iherir et Aharahr.
 ZOOLOGIE. ----------C'est 
        par sa faune terrestre et aquatique, très variée, que le 
        Tassili des Ajjer révèle le plus d'originalité par 
        rapport au Hoggar et au Fezzan. Nous avons récolté plusieurs 
        milliers d'animaux de tous les groupes, qui seront, une fois triés, 
        répartis entre vingt spécialistes d'Europe et d'Afrique 
        pour détermination. I1 y a sûrement des espèces nouvelles 
        et spéciales à ce pays : sur 26 fourmis différentes, 
        5 sont inédites, notamment la plus commune au-dessus de 1.200 mètres.----------Les 
        oiseaux et mammifères locaux, déjà étudiés 
        par GEYR VON SCHWEPPENBURG et par HEIM de BALSAC, sont souvent des races 
        particulières, distinctes de celles de Berbérie septentrionale. 
        C'est le cas du Mouflon, encore fréquent sur place, et de la Perdrix 
        Cambra (Alectoris barbara).
 ----------Des 
        oiseaux de divers groupes (Faucon, Perdrix, Tourterelles) ont tous la 
        même livrée beige et bleue : on peut se demander s'il n'y 
        a pas une action uniforme du climat sur la couleur de ces plumages. Un 
        gros Rongeur réputé rare. le Goundi Massoutera rothschildi 
        est très abondant parmi les éboulis rocheux. Le Daman 
        est plus localisé.
 ----------En 
        plus des fameux Crocodiles de l'Imhirou (il s'agit du banal Crocodilus 
        niloticus d'Afrique). les Reptiles comprennent de gros Lézards 
        peu variés, plus cinq ou six espèces de Serpents. Le seul 
        type venimeux courant est Cerastes vipera, voisine de la célèbre 
        Vipère à cornes, mais non cornue. Les cas de morsure semblent 
        relativement rares. Le vrai danger est celui des Scorpions, au moins jusqu'à 
        1.200 mètres d'altitude et en été, car au-dessus 
        ou au printemps il n'y a que des formes locales peu nocives. souvent mal 
        connues.
 ----------Les 
        poissons et batraciens abondent ici, sauf au versant sud pauvre en eau. 
        Ce sont des Barbeaux et d'énormes Silures dans les lacs du Tassili 
        nord, de petits poissons tropicaux et cinq batraciens différents 
        à Ghat.
 ----------Le 
        reste des animaux d'eau douce est à l'étude : citons seulement 
        des Crustacés remarquables. et une Eponge inédite (Spongilla 
        saharensis) qui tapisse plusieurs lacs profonds du pays.
 ----------Parmi 
        les Invertébrés terrestres, les Araignées, les Pseudoscorpions, 
        les abeilles, les Hémiptères, emblent devoir fournir les 
        nouveautés les plus nombreuses. M. BALACHOWSKY a trouvé 
        sur des Tamaris et des Acacias des Cochenilles à laque du genre 
        Tachardina, jusqu'ici connu seulement des tropiques. Des affinités 
        asiatiques ou européennes caractérisent déjà 
        le Tassili comparé aux régions environnantes du Sahara.
 CONCLUSION ----------Dans ses 
        reliefs tourmentés, le Tassili n'Ajjer a gardé un peuplement 
        animal, végétal et humain très curieux, assez distinct 
        de celui du Hoggar et très différent de celui du Fezzân. 
        Grâce à l'aide du Gouvernement Général de l'Algérie, 
        notre voyage d'Avril-Mai 1949 a contribué à son étude 
        et précisé dans quelle mesure des améliorations sanitaires 
        et agricoles pourront intervenir. Les nombreuses collections et photographies 
        rapportées (près de 1.5oo clichés) constituent des 
        documents inédits, où l'on puisera peut-être un jour 
        un volume destiné au public.----------Mais 
        l'effort français n'est pas fini avec la mission proprement dite 
        : il faudra faire retourner sur place des chercheurs. Les deux plus jeunes 
        membres de notre équipe, MM. LEREDDE et VAILLANT, comptent bien 
        y poursuivre leurs travaux et je sais que l'appui officiel leur est d'ores 
        et déjà assuré. Le Sahara est vaste, et nous serions 
        heureux si la contribution présente aide à en faire connaître 
        et aimer un massif original.
 Francis BERNARD,Professeur de Zoologie a l'Université d' Alger.
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