| ------------Pour 
        définir l'Art Berbère et essayer de dégager sa personnalité, 
        il convient d'abord de le distinguer des arts qui, ayant coexisté 
        avec lui, ayant fleuri sur la même terre, lui sont demeurés 
        étrangers ou ne l'ont influencé que partiellement et sporadiquement.------------Après 
        avoir connu les arts introduits dans l'Antiquité par ses maîtres 
        de Phénicie, de Rome et de Byzance, l'Afrique du Nord a reçu, 
        avec l'Islam, un art oriental, qui devait modifier presque entièrement 
        le cadre de sa vie. Il y aurait lieu d'ailleurs de marquer des époques 
        dans le développement de cet art nouveau, de préciser l'origine 
        et la voie des courants qui l'apportèrent et aboutirent successivement 
        en Afrique du Nord, de délimiter la durée et l'étendue 
        géographique de leur action. On distinguerait une première 
        période où règne, surtout en Berbérie orientale, 
        un art musulman importé de Syrie et d'Iraq, directement ou par 
        l'intermédiaire de l'Egypte ; une seconde période où 
        s'implante au Maghreb et de là rayonne vers l'Est un art venu d'Andalousie, 
        enfin une troisième période où l'hégémonie 
        turque se traduit par l'épanouissement d'un art levantin en Tunisie 
        comme en Algérie, tandis que le Maroc reste fidèle à 
        l'art hispano-mauresque.
 ------------L'art 
        des Berbères n'a rien connu de semblable. Très antérieur 
        à l'Islam, il a traversé apparemment immuable les onze siècles 
        qui se sont écoulés depuis la conquête musulmane et 
        a survécu au déclin de l'art que les conquérants 
        ou leurs successeurs avaient propagé. Il ne semble avoir connu 
        ni renouvellement, ni évolution. Son histoire est d'ailleurs d'autant 
        plus difficile à écrire qu'elle s'est déroulée 
        en dehors des centres où se fait d'ordinaire l'histoire, capitales 
        de royaume ou foyers de culture. Alors que l'art musulman a fleuri dans 
        Kairouan, Tunis, la Qal'a des Beni Hammâd, Bougie, Fès, Rabat, 
        Marrakech, l'art berbère a poursuivi hors des cités une 
        carrière obscure, mais où s'affirmait son étonnante 
        vitalité. Il est proprement un art rural. ------------Il importe 
        d'ailleurs de rappeler que les populations non citadines de l'Afrique 
        du Nord connaissent deux genres d'existence susceptibles de marquer l'art 
        qu'elles créent à leur usage. Il y a des sédentaires 
        agriculteurs, habitant des demeures généralement groupées 
        en villages, surtout localisés dans les massifs montagneux, et 
        des pasteurs vivant sous la tente, se déplaçant dans les 
        plaines avec leurs troupeaux selon le rythme des saisons. ------------Qu'il 
        soit créé par des sédentaires ou des nomades, l'art 
        berbère présente des caractères évidents d'archaïsme. 
        Il en va de même de tout art rural. C'est un fait bien connu que 
        la campagne invente peu, qu'elle demeure impénétrable aux 
        modes éphémères qu'adoptent les villes, ou qu'elle 
        les accueille avec un retard, mais que, les ayant reçues, elles 
        les conservent longuement, alors que les villes en ont perdu le goût. 
        De là un décalage chronologique qui affecte nos arts ruraux 
        d'Europe et qui s'affirme dans les domaines les plus divers, le costume, 
        le mobilier, le langage, la musique et la danse.
 ------------Au 
        reste ce n'est pas seulement les modes jadis citadines que l'on retrouve 
        cristallisées dans les campagnes et dont on peut reconnaître 
        plus ou moins aisément l'époque de transmission ; il est 
        des éléments qui échappent à toute chronologie 
        et se dérobent à une détermination précise 
        d'origine. Ces formes d'un art, qu'on qualifiera de primitif plutôt 
        que d'archaïque, semblent nées en quelque sorte spontanément 
        de la technique même et de l'emploi de la matière, du jeu 
        des doigts et du rythme qu'il engendre, tel le décor régulier 
        que crée le croisement des roseaux d'une corbeille, des brins de 
        jonc d'une natte ou des fils colorés d'un tissu, tel encore le 
        tracé rectiligne ou incurvé qui résulte de la structure 
        ou du maniement de l'outil, pinceau ou couteau d'un sculpteur sur bois.
 
 -----------Art archaïque, art primitif, les 
        ruraux berbères ont pratiqué l'un et l'autre. Leur conservatisme, 
        leur surprenante fidélité aux traditions venues du fond 
        des âges s'affirme surtout dans les genres de travaux auxquels s'adonnent 
        les femmes. Il y a en effet lieu de distinguer ici des techniques exclusivement 
        féminines et des techniques masculines. L'acquisition des premières, 
        dont les produits sont destinés à l'usage domestique, fait 
        en quelque sorte partie de la discipline familiale. Les procédés, 
        les formules se lèguent de mères en filles. Les secondes, 
        dont les produits peuvent être l'objet d'un commerce, sont créées 
        par des artisans spécialisés.
 ------------Le 
        conservatisme qui s'affirme dans les arts féminins s'explique sans 
        peine par les conditions de vie des ouvrières, par la claustration 
        que leur imposent les murs musulmanes, par la rareté de leurs 
        contacts avec le monde extérieur et pour tout dire par l'étroitesse 
        de leur horizon intellectuel. Dans la société berbère 
        plus que dans toute autre, la femme est gardienne des traditions ancestrales, 
        des croyances populaires, des vieux rites magiques et des formes périmées 
        de langage. Nous y joindrons les métiers d'art comme le tissage 
        et la poterie décorée, que nous examinerons tout à 
        l'heure.
 ------------Les 
        techniques qui s'offrent à l'activité masculine, bien que 
        soumises elles aussi aux conditions que créent l'isolement et le 
        particularisme rural, sont plus sujettes à la contamination de 
        l'art citadin. Le fait que les artisans sortent de leur village, que leurs 
        produits sont exécutés sur commande ou se vendent au marché 
        expose ces techniques aux variations de la mode ou à une évolution 
        retardataire. La fabrication des tapis, la sculpture sur bois, la bijouterie 
        nous permettront d'en constater les effets.
 ------------Pour 
        ces arts masculins se posera donc la question des influences successives. 
        Mais en fait pour toutes les techniques que les Berbères, hommes 
        ou femmes, pratiquent encore, se pose la question des origines et ce problème 
        inéluctable rejoint ceux qui ont rapport à l'origine des 
        Berbères eux-mêmes et de leur langue. Ils n'ont pas encore 
        trouvé de solution unanimement admise.
 ************* ------------D'un 
        premier coup d'il jeté sur les pièces qui meublent 
        la salle berbère, au musée Stéphane Gsell d'Alger, 
        qui en garnissent les vitrines ou en vêtent les murs, se dégage 
        un caractère archaïque qui différencie ces créations 
        des uvres d'art musulman. Les Berbères ont le goût 
        du décor ; mais ce décor ne fait intervenir qu'une géométrie 
        élémentaire, le plus souvent formée de droites circonscrivant 
        des surfaces réduites (carré, losange, triangle) ou de cercles 
        divisés en sections rayonnantes. L'imitation de la nature est absente 
        de cet art ornemental ainsi que les autres éléments qui 
        constituent l'arabesque. Notons toutefois des exceptions singulières, 
        notamment dans les ouvrages de poterie, des représentations anthropomorphes 
        ou animales qui semblent les premiers balbutiements d'un art figuratif, 
        mais qui sont restés à l'état d'ébauches. 
        A part ces très rares objets, l'art des Berbères est proprement 
        un art abstrait, une pure création de l'esprit guidé par 
        un instinct profond et des traditions sans âge.------------Tel 
        est surtout celui que nous trouvons dans les tissages des nomades et, 
        en premier lieu, dans le genre de tissage qui constitue l'accessoire essentiel 
        de la vie de ces pasteurs, le flidj, longue pièce d'étoffe 
        robuste, qui, assemblée à des pièces semblables, 
        cousue côte à côte, compose la tente. Exécuté 
        par les femmes sur un métier horizontal très bas, fait de 
        laine mélangée de poil de chameau, le flidj est décoré 
        de bandes longitudinales, parfois et selon les traditions propres aux 
        diverses tribus, très sobres de ton ou bien de couleurs très 
        variées à dominante rouge. ------------On 
        notera, avec l'échelle très réduite des éléments 
        décoratifs, la répartition symétrique et axée 
        des bandes ainsi décorées, en sorte que cette parure extérieure 
        de la tente se présente en longs registres verticaux qui lui confèrent 
        une allure quasi architecturale.
 
        
          |  Fig. 1. - Tissage berbère |  ------------Le genre 
        de décor, que nous rencontrons dans les flidj et que nous trouverions 
        également dans les grands bissacs, les musettes, les sangles et 
        les housses de montures, appartient à ce que nous sommes tentés 
        de considérer comme de l'art primitif et apparemment spontané. 
        Toutefois il est permis de se poser à son sujet la question d'origine 
        ; on peut également se demander quelle en est l'extension géographique 
        et, partant, s'il est légitime de le considérer comme spécifiquement 
        berbère. On remarquera que les nomades arabes du désert 
        de Syrie fabriquent des tissages semblablement ornés. Cette parenté 
        de style suggère l'hypothèse, soit d'une transmission de 
        modèles d'Est en Ouest au cours du MoyenAge, soit plutôt 
        de contacts beaucoup plus anciens, d'une communauté d'inspiration 
        se maintenant dans des collectivités lointainement parentes, d'un 
        rayonnement dont le foyer unique reste à déterminer.------------L'oeuvre 
        des tisseuses berbères trouve également chez les sédentaires 
        (fig. 1) de remarquables emplois dans le costume féminin. La grande 
        et la petite Kabylie, l'Aurès et divers villages tunisiens, produisent 
        encore de très belles pièces de ce genre. Ces pièces, 
        beaucoup plus larges que hautes, composent des vêtements qui se 
        drapent à la manière du peplos antique. Le Mzâb a 
        également des manteaux taillés et cousus que portaient naguère 
        les hommes. Les uns et les autres de ces tissages sont décorés 
        par des bandes verticales diversifiées par la largeur et la nature 
        du décor alternant avec des bandes vides. Ces bandes verticales 
        pleines et vides, sont symétriquement disposées de part 
        et d'autre -d'un axe. Le plus souvent les bandes pleines sont elles-mêmes 
        meublées de petites bandes transversales, allant d'un bord à 
        l'autre. Les deux extrémités des bandes vides portent fréquemment 
        un ou plusieurs motifs triangulaires qui se détachent en silhouette 
        -sur le fond.
 ------------Sous 
        la tente des nomades, le tâg (ou draga), une très 
        longue pièce tissée isole le quartier des hommes du quartier 
        des femmes. Le décor de cette séparation se décompose 
        en panneaux encadrés par des bandes latérales. La tenture 
        étant dressée, nous retrouvons ici la verticalité 
        qui s'affirme comme un parti décoratif assez caractéristique 
        de l'art berbère.------------Le 
        tâg, pour l'exécution duquel les hommes semblent s'être 
        substitués aux femmes, établit en quelque sorte la transition 
        entre le tissage, uvre féminine, et le tapis à points 
        noués, dont un homme dirige l'élaboration (fig. 2).
 ------------Cet 
        homme, c'est le reggâm, curieuse figure d'artiste nomade 
        qui, fidèle à la tradition, y apporte cependant des variantes, 
        combine diversement les éléments appris selon son inspiration 
        ou le goût du client, qui " invente de mémoire " 
        et se vante de ne jamais faire deux fois la même pièce. Les 
        tapis à haute laine du Djebel Amour qu'il compose, alors que les 
        femmes se bornent à remplir les surfaces délimitées 
        par son dessin, constituent le meuble presque unique de la tente, garnissant 
        le sol et servant de couverture, de divan ou de lit. Ils présentent 
        une remarquable unité de couleur (à dominante rouge et bleu 
        sombre ou noir) et de décor. On notera, dans les schémas 
        constructifs de ce décor, la prédominance des lignes diagonales, 
        qui engendrent le treillis, le losange ou le triangle, et, dans les éléments 
        de remplissage, l'emploi fréquent du trait " pectiné 
        " bordé de dents de peigne, parfois terminées en crochet. ------------Le caractère 
        archaïque de cette ornementation, l'emploi exclusif d'une géométrie 
        élémentaire et la sobriété de la palette incitent 
        à considérer ce genre de tapis comme très ancien. 
        Toutefois la question de son origine prête à discussion et 
        l'on hésite à y reconnaître une création purement 
        berbère. ------------Il convient 
        de rappeler d'une part, que les populations du Djebel Amour sont d'origine 
        arabe, descendants des nomades arabes de l'invasion Hilâlienne (XIè 
        siècle), que le vocabulaire des tisseurs et tisseuses est entièrement 
        arabe, que certains éléments du décor se rencontrent 
        dans les tapis orientaux et que la technique du point noué est 
        assez spécifiquement asiatique.
 ------------Par 
        contre, on doit souligner le fait que les tapis du Djebel Amour sont invariablement 
        terminés par deux bandes qui consolident le champ des points noués. 
        Or ces bandes sont tissées et leur caractère berbère 
        n'est pas niable. On notera également l'évidente parenté 
        de ces tapis comme facture et composition avec ceux que fabriquent au 
        Maroc les montagnards incontestablement berbère du Moyen-Atlas. 
        Origine autochtone et développement local ou importation asiatique 
        ; entre les deux solutions l'incertitude est permise.
 
 Fig. 2. - Tapis du Djebel Amour
 *************** ------------L'étude 
        des bois sculptés pose des problèmes parfois embarrassants 
        mais qui semblent moins difficiles à résoudre. Cet art rural 
        est exclusivement masculin et d'ordinaire pratiqué par des artisans 
        spécialisés. Il s'est perpétué jusqu'à 
        une époque récente dans diverses régions connues 
        comme de peuplement berbère telles que la Grande et la Petite Kabylie, 
        l'Aurès et ses abords.------------Le 
        goût de la parure qui s'y manifeste s'applique exceptionnellement 
        à des éléments d'architecture comme les portes de 
        maisons, mais surtout à des objets mobiliers naguère usuels. 
        Les Kabyles ont ainsi décoré de grands coffres élevés 
        sur quatre pieds massifs, des fourreaux d'épées, des marques 
        à pains et pâtisseries, dont on se servait à Alger. 
        Les abords orientaux de l'Aurès fabriquaient des poires à 
        poudre (fig. 3) en disques aplatis et pourvus d'un versoir. Le décor, 
        qui ignore le relief, ne fait intervenir que des défoncements de 
        section triangulaire. Cette facture présente un caractère 
        archaïque évident et semble déterminée par l'outillage 
        très simple - couteau et gouge - dont dispose l'artisan.
 
        
          |  Fig. 3. - Poire à poudre de 1'Aurès |  ------------Cependant, 
        à l'analyse, la sculpture sur bois se révèle complexe 
        dans ses thèmes et ses éléments. On croit y reconnaître 
        des emprunts aux arts qui ont fleuri dans les villes africaines et qui 
        ont pu successivement enrichir cet art rural. Des cannelures juxtaposées 
        semblent copiées sur celles des bases romaines. L'arc en fer à 
        cheval plein cintre affirme avec évidence l'intrusion de l'architecture 
        musulmane.------------Cependant, 
        ce qui domine, c'est la tradition héritée de la Berbérie 
        chrétienne, cet art des modestes basiliques villageoises que le 
        quatrième et le cinquième siècle virent s'élever 
        chez les orthodoxes ou les hérétiques donatistes des mêmes 
        régions, et auquel nous devons des consoles soutenant les charpentes, 
        des pilastres de cancels et des reliquaires.
 *********** |  | - ------------Plus 
        encore que la sculpture sur bois, la bijouterie, métier d'hommes, 
        est du ressort d'artisans spécialisés. En dehors des villes, 
        où ces artisans sont presque invariablement des Juifs, certaines 
        régions, certains villages ont vu se perpétuer un art dont 
        la genèse et le développement suggèrent les mêmes 
        questions que celles qui nous ont déjà arrêtés. 
        Nous nous en tiendrons aux parures féminines que
       
         
          |  Fig. 4. - Bijoux kabyles |  fabriquent des bijoutiers musulmans de la tribu des Beni 
        Yenni, spécialement au village de Taourirt Mimoun, situé 
        en Grande Kabylie au Sud de Fort-National. Ces bijoux d'argent fondus, 
        ou repoussés et ciselés, qu'enrichissent des émaux 
        cloisonnés et des cabochons de corail, consistent en diadèmes 
        formés de plaques articulées, en grands médaillons 
        circulaires à pendeloques, en boucles d'oreilles, en bracelets 
        et anneaux de chevilles, en étuis à amulettes et en fibules 
        permettant de fixer le vêtement drapé des femmes berbères, 
        de part et d'autre de la poitrine. 
         
          |  
              fig.5 : Fibule kabyle |  ------------Une 
        première question concerne l'émail cloisonné, technique 
        savante, des os recherches d'atelier, voire de laboratoire, qu'on imagine 
        mal comme poursuivies dans un village de la montagne berbère. Nous 
        croyons reconnaître là un exemple typique de métier 
        citadin dont la ville a oublié l'usage, mais qui, adopté 
        par la campagne, s'y est conservé depuis des siècles ; et 
        nous sommes tentés de voir, dans nos bijoutiers émailleurs 
        de Kabylie, les disciples attardés des orfèvres andalous 
        du Moyen-Age, auteurs des agrafes des gardes d'épées - telles 
        les fameuses épées dites de Boabdil - qu'ils enrichissaient 
        de ciselures et d'émaux. Il va sans dire que les voies et agents 
        de transmission (immigration de fugitifs d'Espagne ?) et le centre de 
        diffusion de cette technique (Bougie ?) nous demeureront sans doute toujours 
        inconnus.------------Si 
        l'émail cloisonné encore en usage chez les ruraux berbères 
        nous permet d'entrevoir un enrichissement dû aux étrangers, 
        la composition des bijoux eux-mêmes et en particulier des fibules 
        kabyles (ibzimen, sing, abzim), nous suggère l'idée d'un 
        héritage reçu des ancêtres et dont l'adoption se perd 
        dans le passé. La forme est classique et d'un beau caractère. 
        L'épingle de la fibule, au haut de laquelle un coulant retient 
        le cercle ouvert où l'on engage les bords de l'étoffe à 
        fixer, est couronnée d'une plaque large et plus haute que l'épingle 
        elle-même. Cette " tête d'épingle " affecte 
        en Kabylie la forme d'un triangle au sommet duquel s'épanouit un 
        fleuron et qui porte à sa base deux petits pédoncules. Notons 
        que les fibules à couronnement triangulaire se rencontrent de même 
        chez diverses populations du Maroc. ------------Le 
        triangle semble d'ailleurs un thème ancien dans la bijouterie musulmane 
        du pays berbère. Nous possédons des pendentifs d'or filigrané 
        antérieurs au milieu du XIè siècle, trouvés 
        sur les confins occidentaux de Tunisie ; ils présentent cette silhouette 
        triangulaire caractéristique. On sait d'autre part quel rôle 
        remarquable joue le triangle dans l'art rural qui nous occupe. Les tissus 
        nous l'ont montré ; nous allons en rencontrer de nouveaux emplois 
        dans la poterie berbère.
 *************** ------------Cet 
        art de terre nous ramène à l'activité féminine. 
        Seules les femmes fabriquent ces poteries destinées aux besoins 
        domestiques, rarement mises en vente sur les marchés, plats, marmites, 
        amphores, pot et naguère lampes à pied ; et, bien que leur 
        procédé de fabrication soit des plus rudimentaires, elles 
        créent parfois des pièces qui, par le galbe et la distribution 
        du décor, pourraient rivaliser avec les vases de la Grèce 
        antique. Ces poteries sont modelées sans tour, montées aux 
        boudins d'argile et lissées avec une planchette ou un galet. La 
        terre nue ou revêtue d'un engobe de terre blanche est décorée 
        à l'aide d'un pinceau fait d'une touffe de poils que réunit 
        en leur milieu une boulette d'argile. Des terres ocreuses, la laque, des 
        jus de plantes, le bitume, fournissent la couleur, où figurent 
        uniquement le noir et le rouge. Certaines pièces sont vernies avec 
        un enduit de résine. Toutes sont cuites en plein air dans un brasier 
        de bois d'écorce ou de bouse de vache.------------Les 
        centres ruraux où traditionnellement travaillent des potières 
        sont fort nombreux et disséminés à travers les trois 
        pays de l'Afrique du Nord. Chaque région a ses procédés, 
        sa palette et ses décors. Une étude d'ensemble reste à 
        faire ; elle permettrait, semble-t-il, de distinguer les poteries du Sud 
        plus barbares, comme celles de l'Aurès, des poteries des régions 
        côtières, plus délicates et d'une composition plus 
        savante ; pour l'Algérie, on distinguerait les poteries de l'Ouest 
        de celles de la Kabylie, où figurent de grandes surfaces rouges, 
        et de celles du Constantinois.
 L'ornementation des plats est fréquemment disposée selon 
        un thème rayonnant ; celle des vases, qui généralement 
        laisse la base vide, s'ordonne symétriquement de part et d'autre 
        de l'anse ou du versoir, en panneaux limités par des cadres tracés 
        du col à la panse. Nous retrouvons là la composition par 
        bandes verticales que nous avons remarquée dans les tissus. Les 
        mêmes éléments décoratifs s'y rencontreraient 
        aussi ; le même rôle constructif des diagonales, engendrant 
        des treillis et des damiers, et, dans le détail, la fréquence 
        du losange et du triangle.
 ------------La 
        question de l'origine des poteries berbères a déjà 
        fait fermenter les esprits et couler de l'encre. Arnold Van Gennep, étudiant 
        les poteries kabyles a montréles analogies qu'elles présentaient 
        avec la céramique chypriote, égéenne et crétoise 
        à décor rectiligne ( A. Van Genepp, Etudes 
        d'Ethnographie Algérienne, Les poteries kabyles, ext. de la Revue 
        d'Ethnographie et de Sociologie, 1911.). Le Docteur Gobert pense 
        que ces ressemblances n'impliquent aucune filiation (E.-G. 
        Gobert, Les poteries modelées du paysan tunisien, ap. Revue Tunisienne, 
        1940, pp. 119-193.). L'ancienneté même du décor 
        peint sur vase de terre lui apparaît comme peu admissible. Des tessons 
        de style berbère trouvés dans des excavations du rocher 
        de Constantine en même temps que des poteries tournées datables 
        du Ier et du IIè siècle de notre ère (Cf. 
        G. Marçais, Notice sur les poteries trouvées dans la grotte 
        des Pigeons à Constantine, ap. Recueil des notices et mémoires 
        de la Société archéologique de Cons tantine, 
        1914, pp. 175 ss.) semblaient fournir une preuve de cette ancienneté. 
        Le Docteur Gobert élève des doutes sur la rigueur de la 
        méthode qui amena cette découverte et partant il conteste 
        la légitimité des indices qu'on en pourrait tirer. Rien, 
        d'après lui, ne prouve que l'Afrique du Nord antique ait connu 
        la poterie rurale décorée de peinture.
 ------------La 
        naissance de la poterie peinte dans les différentes régions 
        du pays berbère lui semble un phénomène quasi spontané 
        et sporadique, chaque école s'étant développée 
        " sans autre lien avec les voisines que les tendances générales 
        du tempérament, des manières de sentir et des moyens matériels 
        ". Toutefois le Docteur Gobert, s'inspirant des remarques de Louis 
        Poinssot, admet l'enrichissement du répertoire des potières 
        par une transposition de technique, par la traduction en peinture sur 
        terre cuite des décors de tissus importés de Syrie et familiers 
        aux nomades chameliers. " Il semble plausible, écrit-il, que 
        le décor rural losangé, le plus répandu aujourd'hui 
        dans le Maghreb, est né de la fusion de vieux motifs locaux (Attestés 
        notamment, dans les tatouages.) et d'apports venus d'Asie. " 
        Le travail du Docteur Gobert. paru en 1940 est une contribution précieuse 
        à l'étude de l'art des Berbères.
 ------------Depuis 
        sa publication, Mlle Miriam Astruc a versé au débat des 
        pièces de grande importance, qui renouvellent en partie notre information 
        (M. Astruc, Supplément aux fouilles de Gouraya, 
        ap. Libyca, II, 1954, pp. 9 ss.). Ce sont des coquilles d'oeufs 
        d'autruches exhumées de la nécropole punique de Villaricos, 
        sur la côte d'Espagne, au Nord du cap de Gata (fig. 6). Le décor 
        de certaines de ces coquilles présente, avec celui des poteries 
        et plus encore avec celui des tissages berbères des ressemblances 
        frappantes (fig. 7). Ce décor s'organise en larges bandes verticales 
        encadrées de bordures et meublées de petites bandes transversales 
        superposées. Ces bandes pleines alternent avec des bandes moins 
        garnies ou même vides, sauf aux extrémités, où 
        un motif triangulaire se détache en silhouette sur le fond blanc. 
        Le remplissage en treillis formé par des lignes diagonales est: 
        fréquent. Les triangles posés au haut et au bas des panneaux 
        vides sont sommés de fleurons rappelant ceux qui enrichissent la 
        silhouette des fibules Kabyle.;.
 ------------Ces 
        coquilles décorées sont datables du VIè siècle 
        au IVè siècle avant J.C. La matière vient évidemment 
        d'Afrique et les rapports réciproques que ces importations impliquent 
        sont encore attestées par la trouvaille d'objets de même 
        famille sur la côte algérienne. La nécropole punique 
        de Gouraya (à l'Ouest de Cherchel) a fourni des coquille, semblablement 
        ornées de peintures, très comparables à
 
 Fig. 7. - Tissage berbère
 celles d'Espagne mais d'un travail plus grossier et que l'on présume 
        du IVè siècle. Enfin une tombe du même lieu a procuré 
        à M. Missonnier un vase modelé à décor noir 
        et rouge (fig. 8  F. Missonier, Fouilles dans la nécropole 
        puniqu : de Godcayaa, ap. Melanges d'archéologie et d'histoire. 
        Ecole française de Fo;nne, 1933. L, pp. 105-107, tig. 9.). 
        Des bandes verticales meublées de losanges y alternent avec des 
        panneaux vides sur le champ desquels des triangles se détachent 
        en silhouette. Nous avons là une traduction possible par la céramique 
        locale du décor de coquilles importées.
 ------------Outre 
        ces pièces trouvées sur la rive d'en face, Mlle Astruc suggère 
        des rapprochements avec la céramique punique considérée 
        comme du VIIè-Vè siècle (Cf. P. Cintas, 
        Céramique punique, pl. LXVI, n 92 et 233), avec la céramique 
        beaucoup plus savante des Cyclades (Cf. Dugas, Céramiques 
        des Cyclades, pl. III 2 b.), voire une analogie inattendue avec 
        un vase trouvé à Tépé Giyan, près de 
        Nehavend (Cf. Contenau et Ghirshman, Fouilles de Tépé 
        Giyan, p. 27).
 
 Fig. 8. - Vase Missonnier
 ------------Que 
        le décor à bandes verticales pleines alternant avec des 
        champs plus aérés (comme les métopes et triglyphes 
        d'une frise dorique), que les éléments géométriques 
        qu'on y trouve, les treillis de losanges et les triangles, soient encore 
        d'un usage courant dans nos tissages et dans nos poteries, cela ne nous 
        laisse-t-il pas entrevoir une solution possible, du problème de 
        leurs origines ? Il semble permis d'en inférer qu'aux anciens peuples 
        de la mer, les Phéniciens notamment, revient peut-être une 
        part de la genèse de l'art des Berbères. Georges MARÇAIS.   
     |