| ----------Le 
        Sahara, pour être, par excellence, le pays de l'aridité, 
        a fait germer une abondante littérature: Nous ne voulons point, 
        naturellement, parler des volumes consacrés à l'histoire, 
        à la géographie, aux sciences du désert, ni même 
        des récits de voyage, mais seulement des uvres proprement 
        littéraires. Celles-ci sont nombreuses : qu'il suffise de citer 
        d'emblée Fromentin, Maupassant, Jean Aicard, 
        Francis Jammes, André Gide, Ernest Psichari, Pierre Benoît, 
        Joseph Peyré, bien d'autres encore, que nous évoquerons 
        au cours de cette rapide étude.----------Il 
        s'agit, évidemment, d'une littérature récente, puisque 
        le Sahara n'a commencé à s'entrouvrir aux Européens 
        qu'au début du siècle dernier. C'est par l'Égypte, 
        plus facilement accessible, que le désert s'est tout d'abord révélé. 
        L'expédition d'Égypte et son cortège de savants touchèrent 
        au Sahara, par le Nil, cinquante ans avant que les troupes de Bugeaud 
        n'y abordassent par l'Algérie. Faut-il rappeler que c'est Bonaparte 
        qui, en 1799, suscita la première grande exploration saharienne 
        en accordant aide et protection au jeune Allemand Hornemann qui, partant 
        du Caire, réussit à traverser le Sahara central et mourut 
        non loin du lac Tchad ?
 Les Romantiques ne tardèrent pas à s'emparer du désert. 
        Le thème était favorable à leur recherche d'orientalisme. 
        Faute de documents précis, ils fixèrent une suite de " 
        clichés " conventionnels qui ont eu la vie dure. Ils meublèrent 
        ainsi le désert d'animaux et de plantes qui n'existaient que dans 
        leur imagination poétique.
 ----------C'est 
        d'abord le fameux " lion des sables " ; le " roi des déserts 
        ", qui hantera plus tard Tartarin et se trouve déjà 
        chez Musset, dans Rolla
 ----------"Sur 
        le rocher brûlant
 ----------" 
        Les lions hérissés dorment en grommelant.
 ----------Ce 
        rude animal se devait tout naturellement d'avoir sa place dans Les lions 
        de la Légende des Siècles
 ----------" 
        Malheur à qui tombait sous sa patte au 
        poil rude
 ----------"Et 
        c'était un lion des sables.
 ----------Mêmes 
        licences -- poétiques, bien entendu - avec la géographie 
        botanique. Dans Rolla, Musset parle froidement des " 
        chameliers passant sous les platanes 
        ". Il est vrai que la rime est bonne pour - caravanes ".
 ----------Quant 
        au palmier, il n'est pas oublié. Le premier de nos poètes 
        qui en ait parlé est sans doute Saint-Amant, l'écrivain 
        du grand siècle qui ait le plus couru le monde. Au cours d'un voyage 
        vers la côte d'Afrique, en 1626, il fit escale aux Canaries, et, 
        dans son poème L'Automne aux Canaries, il a cette 
        jolie notation :
 ----------" 
         ...les nobles palmiers, sacrés à 
        la victoire,
 ----------" 
        Se courbent sous des fruits qu'au miel nous égalons.
 ----------Le 
        romantisme, s'emparant du palmier, l'a accommodé de toutes manières. 
        Victor Hugo parle des palmiers chevelus 
        " et, ailleurs, les compare ,à des aigrettes. Musset, 
        lui aussi, évoque leurs " longs cheveux ". Théophile 
        Gautier les assimilera plus tard à des " crabes 
        végétaux ".
 ----------Le 
        désert -- ne disons même pas : le Sahara - demeurera ainsi 
        purement conventionnel jusqu'à la seconde moitié du XIX'"" 
        siècle. Mais toute la gamme des épithètes, des adjectifs, 
        des comparaisons se sera déjà épuisée sous 
        la plume des romantiques. Pour Musset, le désert " roule 
        les flots silencieux de son linceul mouvant " ; pour Vigny il 
        est " profond " avec des " plaines torrides 
        " et des " sables arides ; pour Châteaubriand " 
        l'âme de la solitude y soupire " ; pour Hugo, il est 
        " vaste. aride, infranchissable " ; c'est :
 ----------"... 
        le noir chaos
 ----------" 
        Toujours inépuisable
 ----------" 
        En monstres, en fléaux.
 ----------Il 
        restera à Flaubert d'évoquer 
        dans Salambo " , la contrée des sables et des 
        épouvantements" - et à Théophile 
        Gautier de parler du désert " stérile, muet, 
        infini "..
 ********** ----------Il 
        n'est pas jusqu'à Balzac qui n'ait 
        écrit sur le désert. Il s'agit d'un récit généralement 
        peu connu daté de 1832, et intitulé : " Une passion 
        dans le désert ". Balzac imagine qu'un soldat provençal, 
        qui faisait partie de l'expédition entreprise par Desaix dans la 
        Haute-Egypte, est tombé aux mains des Arabes, qui l'ont conduit 
        dans les déserts. Ce soldat réussit à se sauver, 
        mais il est perdu dans le Sahara il se met à l'ombre des palmiers 
        et, note Balzac, " il regarda ces arbres 
        solitaires et tressaillit. Ils lui rappelèrent les fûts élégants 
        et couronnés de longues feuilles qui distinguent les colonnes sarrasines 
        de la cathédrale d'Arles ". Une nuit, il se réveille 
        : une énorme panthère est couchée près de 
        lui ; ne pouvant la tuer, il la flatte, il la caresse et l'homme et la 
        bête deviennent les meilleurs amis du monde. Mais, ajoute Balzac, 
        cette passion finit " comme finissent toutes 
        les grandes passions : par un malentendu " ; la panthère 
        mord le soldat à la cuisse et celui-ci la poignarde.----------Quand 
        cet excellent soldat rentre dans son pays, il raconte son histoire.
 ----------J'ai 
        fait depuis, dit-il, la guerre en Allemagne, en Espagne, en Russie, en 
        France ; j'ai bien promené mon cadavre, je n'ai rien vu de semblable 
        au désert... Ah ! c'est que cela est bien beau.
 ----------- 
         Qu'y sentiez-vous ? lui demande-t-on.
 -----------Oh 
        ! cela ne se dit pas, répond-il. Dans le désert, voyez-vous, 
        il y a tout et il n'y a rien.
 -----------Mais 
        encore expliquez-vous ?
 ---------- 
        -Eh bien, répond-il, en laissant échapper un geste d'impatience, 
        c'est Dieu sans les hommes.
 ----------Flaubert, 
        de son côté, dans le voyage en Égypte qu'il fit avec 
        Maxime du Camp en 1849-1850. aborda le désert et il s'extasia volontiers 
        sur son imagerie. En voyant les palmiers avec leurs grappes de dattes, 
        il évoque la comparaison de Sancho dans les Noces de Gamache 
        : " O la belle fille qui s'avance avec ses 
        pendants d'oreilles, comme un palmier de dattes ". Il 
        contemple un chameau aux trois-quarts rongé sur le bord de la piste, 
        vision classique du Sahara qui sera tant exploitée par les reporters, 
        les amateurs de Kodak et les cinéastes. Un jour, il dresse sa tente 
        non loin des Pyramides, s'endort dans sa pelisse en écoutant les 
        Arabes chanter des chants monotones et note complaisamment :"Voilà 
        la vie du désert ".
 ----------Mais 
        ce ne sont là que des notations passagères, des fragments. 
        En 1856, paraît le premier ouvrage inspiré par le Sahara. 
        Récit de voyage, sans doute, mais qui prend place dans les grandes 
        uvres littéraires françaises. C'est " Un 
        été dans le Sahara " de 
        Fromentin.
 ----------Avant 
        de parler de cet ouvrage capital, l'on s'en voudrait, en respectant l'ordre 
        chronologique de ne pas dire - ne serait-ce qu'à titre de curiosité 
        - un mot du musicien Félicien David et 
        de son ode symphonique intitulée Le Désert, qui est sans 
        doute la seule uvre musicale qui ait été consacrée 
        au Sahara.
 ----------Ce 
        fut bien une curieuse figure que celle de Félicien David qui, à 
        l'âge de 20 ans, s'enrôla sous la bannière du Saint-Simonisme 
        et composa la musique des hymnes religieux du Père Enfantin.
 ----------Très 
        jeune, il s'embarqua avec deux camarades saint-simoniens, se rendit à 
        Constantinople, voyagea en Orient et séjourna au Caire, où 
        Méhémet-Ali, le bon tyran d'Egypte, fut séduit par 
        son talent. Félicien David toucha alors au Sahara égyptien. 
        Il rapporta de ce contact avec ce désert une impression très 
        forte et, en 1843, il écrivit la partition du Désert. Cette 
        uvre remporta un énorme succès, tant en France qu'à 
        l'étranger. On peut sourire aujourd'hui de cette musique qui " 
        date " singulièrement. C'est, en tous cas, de la belle musique 
        descriptive, dont Borodine nous donnera, plus tard, une réplique 
        pour les steppes de l'Asie centrale. Les principaux épisodes sont 
        intitulés : " Marche de la caravane ", 
        " La tempête au désert ", " 
        La nuit ", " La liberté au désert 
        ". " La rêverie du soir " Le 
        leverr du soleil","Chant du Muezzin ", 
         Départ de la caravane ".
 ----------La 
        poésie est uvre d'un certain Colin 
        qui ne semble pas avoir laissé de trace dans les anthologies 
        poétiques. Il faut avouer, il est vrai, que c'est la poésie 
        de bazar oriental. L'auteur n'a cependant pas craint d'en enrichir exagérément 
        l'uvre de Félicien David, car il lui a fourni non seulement 
        le texte de chants, mais également celui des parties parlées 
        qui sont assez abondantes.
 ----------Mais 
        revenons-en à Fromentin. Celui-ci avait trente-six ans quand il 
        accomplit le voyage de Laghouat. Son métier n'était pas 
        d'écrire ; ce peintre, qui commettra plus tard ce chef-d'uvre 
        qu'est Dominique, n'avait encore rien publié. Un été 
        dans le Sahara est la juxtaposition de lettres familières 
        écrites à un ami, Armand du Mesnil.
 
 ----------Laghouat, 
        la première des oasis sahariennes au sud d'Alger, venait d'être 
        prise d'assaut par les troupes françaises lorsque Fromentin y aborda 
        ; il sera le premier à pouvoir livrer au grand public une image 
        vraie du Sahara. On est frappé de l'honnêteté, de 
        la sincérité du récit.
 ----------Au 
        premier contact, il note : " ... Le Sahara, 
        très simple et très beau, est peu propre à charmer... 
        C'est une terre sans grâce, sans douceurs ". Mais, 
        peu à peu, le ciel, la lumière, le silence éveillent 
        en lui d'intenses émotions et il avoue : " L'impression 
        qui résulte de ce tableau ardent et inanimé, composé 
        de soleil, d'étendue et de solitude, est poignante et ne saurait 
        être comparée à aucune autre ". Et, 
        à la fin du volume, il s'écrie : " Il 
        y a dans ce pays je ne sais quoi d'incomparable qui me le fait chérir 
        ".
 ----------Un 
        été dans le Sahara reste, on le sait, le classique 
        du désert, tant par sa vérité et la richesse des 
        descriptions que par l'élégance sobre du style. Grâce 
        à Fromentin, le grand désert, à peine entr'ouvert 
        a la France, entrait dans la littérature par un ouvrage magistral, 
        qui, un siècle après, n'a rien perdu de sa force et de sa 
        beauté. Certes, le Laghouat de Fromentin n'est plus. C'était 
        alors une ville à moitié morte et de mort violente, un poste 
        avancé du désert. Aujourd'hui elle a pris les allures d'une 
        sous-préfecture, avec hôtels luxueux et tous les stigmates 
        d'un modernisme avancé. On y arrive par une belle i route nationale 
        et, dans les garages de la ville, s'alignent les cars confortables qui 
        assurent le service de l'Extrême-Sud, du Hoggar, de l'Afrique Noire. 
        Fromentin a suscité bien des vocations sahariennes ; à ce 
        titre, il est responsable, pour une bonne part, de ce désert apprivoisé, 
        humanisé et mécanisé, que son âme d'artiste 
        n'eut sans doute point souhaité.
 ----------Cinq 
        ans après le mémorable voyage de Fromentin à Laghouat, 
        Alphonse Daudet se rendait en Algérie où il passa 
        deux mois. De ce voyage -- qui fut cantonné à l'Algérie 
        du Nord - Daudet rapporta les éléments de son Tartarin. 
        Le Tarasconnais rêve du Sahara ; avant de s'embarquer pour l'Afrique, 
        dans sa petite maison au baobab, il lit les récits de René 
        Caillé et d'Henri Duveyrier. A 
        Miliana, il réalise un de ses rêves les plus chers 
        : il achète ce chameau, à bord duquel, d'ailleurs, victime 
        du tangage," il bafouera la France ", 
        selon l'amusante et pudique expression de Daudet.
 ----------Tartarin, 
        à la recherche du lion, pousse vers le Sud. Néanmoins, il 
        ne quitte pas la vallée du Cheliff - ce qui n'empêchera pas 
        le Tarasconnais, revenu dans sa bonne ville, de commencer le récit 
        de ses grandes chasses par la fameuse phrase : " Figurez-vous 
        qu'un certain soir, en plein Sahara...
 ----------A 
        la fin du XIX'°" siècle, quelques écrivains viennent 
        prendre leur baptême du désert dans des oasis proches du 
        Nord, notamment Bou-Saâda et Biskra. C'est le cas, en particulier, 
        de Guy de Maupassant, qui avait été 
        envoyé comme reporter en Algérie en 1881, lors de l'insurrection 
        de Bou-Amama et qui réunit plus tard ses chroniques en un recueil 
        intitulé Au Soleil.
 ----------Certes, 
         Au Soleil n'est pas un chef-d'uvre du récit 
        de voyage. C'est un bon reportage, c'est tout. Il nous promène 
        à Alger, à Boghari, en Kabylie, à Constantine et, 
        à la vérité, ne touche guère au désert 
        qu'à Bou-Saâda ; c'est assez cependant pour permettre à 
        Maupassant de parler des dangers des vipères à corne, de 
        la flamme implacable qui incendie les dunes et des squelettes de chameaux 
        qui jalonnent les pistes.
 ----------Maupassant 
        évoquera volontiers, plus tard, dans quelques-unes de ses rouvres, 
        ce Sahara qu'il avait cependant à peine abordé.
 ----------C'est 
        ainsi que Bel-Ami, avant de gagner Paris où il réussira 
        une carrière brillante et imprévue de journaliste et d'homme 
        politique, a été sous-officier au Sahara ; il rappelle volontiers 
        sa vie dans le désert et sa maîtresse, Mme de Marelle, convertie 
        sans doute par ses chaleureuses évocations, lui murmure, dans un 
        moment d'intime abandon, cette confidence : " Tu 
        ne sais pas, mon chéri, j'ai rêvé de toi, j'ai rêvé 
        que nous faisions un grand voyage, toux les deux, sur un chameau. Il avait 
        deux bosses, nous étions à cheval chacun sur une bosse et 
        nous traversions le désert. Nous avions emporté lies sandwiches 
        dans un papier et du vin dans une bouteille et nous faisions la dînette 
        sur nos bosses. " Mme de Marelle connaît peut-être 
        l'amour, mais, en tout cas, moins bien ,la zoologie, car elle ignore que 
        le chameau d'Afrique n'a pas deux bosses, mais bien une seule.
 C'est au Sahara que Maupassant a emprunté le thème de deux 
        de ses nouvelles les plus pathétiques. L'une, intitulée 
        : La peur qui a été publiée dans le 
        recueil Les Contes de la Bécasse, relate cet étrange 
        phénomène que l'on appelle le tambour des sables l'autre, 
        sous le titre L'horrible, a paru dans les Contes du 
        jour et de la nuit. Quelques hommes, après un dîner, 
        à l'approche d'une nuit tiède, évoquent des spectacles 
        d'horreur. L'un d'eux, un officier, relate le massacre de la mission Flatters, 
        les survivants s'entre-tuant pour se dévorer. Il y a là 
        quelques pages puissantes, peut-être les plus vigoureusement condensées 
        qui aient jamais été écrites sur ce grand drame au 
        désert.
 ***************** ----------Au 
        lendemain de la catastrophe de la mission Flatters, le Sahara se replie 
        sur lui-même. L'exploration du désert marque un point mort. 
        Et la littéraire saharienne n'est guère alors représentée 
        que par un recueil de Jean Aicard.----------Celui-ci 
        a touché au désert au cours d'un voyage en Algérie 
        accompli en 1888. L'ouvrage, bien oublié aujourd'hui, qu'il en 
        a rapporté et qui est dédié à Pierre Loti, 
        a pour titre Au bord du désert. Il contient un nombre 
        assez imposant de poèmes sur le Sahara. L'un d'eux n'est pas sans 
        intérêt : il est intitulé : " Chant des 
        explorateurs ". C'est une imprécation contre les Touareg 
        qui ont massacré la mission Flatters. Les malheureux habitants 
        du Hoggar sont plutôt malmenés : ils sont traités 
        de
 "chacals, de buveurs de sang, de pillards, 
        de bandits, d'écumeurs ".
 ----------" 
        Ils peuvent, ces Touareg à faces renégates,
 ----------" 
        Tatoués d'une croix au front, crier " Allah "
 ----------" 
        Et se nourrir de sang lorsqu'il n'ont plus de dattes.
 ----------"Nous 
        nettoierons le haut désert de ces pirates.
 ----------" 
        Oui, les chacals fuiront, quand les chiens seront là.
 ----------Mais, 
        soulagé par de telles explosions, Jean Aicard se laisse aller à 
        des rêveries humanitaires qui sont plus paisibles. Il s'écrie
 ----------" 
        Les dunes des déserts mêmes seront semées ;
 ----------" Le grain de notre 
        amour lèvera sur le roc.
 ----------Pour 
        l'auteur de Maurin des Maures, quand le désert sera 
        pacifié, il sera une école de générosité, 
        de grandeur. Dans sa dédicace à Pierre Loti, Jean Aicard 
         souligne que le désert enseigne les mêmes 
        choses que la mer : " La simplicité et la grandeur, le mépris,, 
        l'oubli plutôt, des bassesses et des jalousies, la patience, l'acceptation 
        de la vie et de la mort ".
 ----------Les 
        poètes se suivent et ne se ressemblent pas... Voici que Francis 
        Jammes aborde au Sahara en 1896 en compagnie d'André 
        Gide, déjà saharien fervent, comme nous le verrons 
        plus loin. Quittant son Béarn, Jammes a accompli un petit voyage 
        touristique à l'orée du désert, à Biskra, 
        dans l'oasis voisine de Chetrna et à Touggourt, glanant quelques 
        impressions qui se trouvent transcrites dans Le Roman du Lièvre. 
        L'auteur, on le sait, a réuni dans ce livre un certain nombre de 
        contes et de récits c'est sous le titre de " Notes sur 
        des oasis et sur Alger " qu'il a groupé les images 
        littéraires rapportées du désert.
 ----------Francis 
        Jammes fait du lyrisme à chaque ligne. Dans l'oasis de Chetrna, 
        il a vu des " jeunes filles qui vivent en 
        des jardins où règne- un éternel crépuscule 
        " et des jeunes gens qui étaient " beaux 
        et tristes " ; l'auteur ajoute, au sujet de ces derniers, 
        cette image qui laisse assez perplexe :"ils 
        ressemblent à des amphores de bronze et de neige dont la ligne 
        ondulerait lentement ". Par surcroît, ils " 
        évoquaient des Aladins mystérieux, 
        des lampes d'or, des palais blancs ".
 ----------Au 
        demeurant, ce contact du Sud provoque, chez Francis Jammes, une émotion 
        sans égale, soulignée par un emploi méthodique de 
        superlatifs et de comparaisons hardies. Les petites Arabes de Chetrna 
        sont : "filles de l'immortelle beauté 
        " ; les chameaux chargés de guenilles " s'enfuient 
        vers l'infini ". Et. ajoute Francis Jammes, " 
        nos âmes fleurissaient comme les magnolias d'un jardin de volupté 
        ".
 ----------Piquant 
        vers le Sud, vers Touggourt, Francis Jammes se persuade qu'il est entré 
        dans le vrai Sahara : il sacrifie à la grandiloquence de quelques 
        clichés, qu'il croit obligatoires. Il a, pour le désert, 
        de mots accablants, qui donnent soif : " La 
        mort était partout... Désolation des désolations... 
        Désert implacable... Le terrible rien ". Et, forcément, 
        il n'a pas tardé à voir un mirage : cela faisait sans doute 
        partie du programme. Francis Jammes a vu tout un album d'images, une accumulation 
        extraordinaire de paysages, dont la simple énumération est 
        longue. Mais voici plutôt la dernière vision du mirage :" 
        Des constructions s'élevèrent. Elles évoquaient des 
        villes mortes, des villes de l'Indus abandon" nées 
        des hommes, des palais de marbre où des singes adroits et mystérieux 
        se seraient retirés pour y mener, loin des multitudes, une vie 
        de volupté, pour se bercer, au soir, des grognements des crocodiles 
        dans les réservoirs croupis tachés de poissons d'or. 
        "
 ----------Et 
        notez bien que le soleil était sans violence puisque Francis Jammes 
        assure que " régnait un ciel d'une 
        infinie douceur, pâle et bleu comme une tempe de vierge 
        ". Qu'eût-ce été si le soleil avait été 
        intense...
 ----------André 
        Gide, lui-même semble avoir été frappé - et, 
        qui sait ? peut-être importuné - par le lyrisme de Francis 
        Jammes: car, dans les feuilles de route d'Amyntas. évoquant la 
        plénitude d'une nuit sublime du Sud, il note " 
        ...même Jammes se tait..."
 ************************** ----------Mais 
        après ces petits rôles, après ces écrivains 
        dont 1'uvre ne porte, malgré tout, du Sahara qu'une empreinte 
        accessoire, on en arrive à trois grands cas " littéraires 
        et psychologiques à la fois, à ce qu'on a pu appeler les 
        trois " miraculés " du désert : Isabelle 
        Eberhardt, Ernest Psichari et André Gide.----------Isabelle 
        Eberhardt était née en 1877 de parents 
        russes ; sa mère était divorcée d'un général 
        de l'armée impériale et son père était un 
        nihiliste, ancien pope, qui vivait à Genève. Fille d'exilée, 
        elle sera elle-même une déracinée, une errante. A 
        vingt ans, elle s'installe à Bône avec sa mère, ne 
        tarde pas à se convertir à l'Islam et commence une vie sans 
        sagesse.
 |  | ----------Il 
        y a un " cas " Isabelle Eberhardt ; il est discuté ; 
        on l'a expliqué de bien des manières. Les biographes se 
        sont disputés. A la vérité, Isabelle Eberhardt présente 
        l'image même de la complexité, de la contradiction. Raoul 
        Stéphan, dans le solide ouvrage qu'il lui a consacré, a 
        pu écrire : " Elle tient de l'enfant 
        et du monstre... En elle cohabitent_ la vierge romanesque et la garçonne. 
        " Elle est même androgyne ; cette fille, passionnée 
        et sensuelle, aime à revêtir un costume masculin ; elle paraît 
        en cavalier, quelquefois en matelot ; à un banquet organisé 
        par la presse à Alger, en l'honneur du Président de la République 
        Émile Loubet, elle cause un grand scandale en venant en costume 
        arabe masculin.
 ----------A 
        la mort de sa mère, Isabelle Eberhardt décide de partir 
        dans le Sud. Déjà, Lady Stanhope, nièce de William 
        Pitt, avait réalisé en Syrie le rêve de chevaucher 
        en arabe dans le désert. Isabelle suivra son exemple. En 1899 - 
        elle a vingt-deux ans - elle prend contact avec le Sahara. C'est une véritable 
        révélation pour cette déracinée, inquiète 
        et insatiable. Le miracle se produit à El-Oued, l'oasis aux palmeraies 
        creusées dans les sables, aux incomparables petites maisons.blanches 
        à coupoles surgissant au milieu de l'immense étendue de 
        sable qui s'étend entre Touggourt et le Sud-Tunisien. Isabelle 
        Eberhardt consignera plus tard :
 " Tout d'abord El-Oued fut une révélation 
        de beauté visuelle et de mystère profond, la prise de possession 
        de mon être errant et inquiet par un aspect de la terre que je n'avais 
        pas soupçonné... Il est, je crois, des heures prédestinées, 
        des instants très mystérieusement privilégiés 
        où certaines contrées, certains sites, nous révèlent 
        la vision juste, unique, ineffaçable. Ainsi, ma première 
        vision d'El-Oued fut une révélation complète, définitive 
        de ce pays âpre et splendide, de sa beauté étrange 
        et de son immense tristesse aussi. "
 ----------Par 
        la suite, Isabelle Eberhardt touchera barre en Europe, mais, invinciblement, 
        reviendra au Sahara. Elle se donne à un indigène, un sous-officier, 
        de spahis, qu'elle épousera plus tard. Sans doute y at-il une attirance 
        de communauté entre son âme assoiffée et cette terre 
        déshéritée et ardente. C'est au désert, à 
        Aïn-Séfra, dans le Sud-Oranais, qu'elle mourra tragiquement 
        à l'âge de vingt-sept ans. Un violent orage fit déborder 
        l'oued qui rompit ses rives et ravagea le village. Elle tenta de sauver 
        son mari, mais la maison s'écroula sur elle et son corps fut noyé 
        dans le torrent de boue. Le général Lyautey, qui commandait 
        alors le Sud-Oranais, la fit inhumer dans le petit cimetière d'Aïn-Séfra, 
        auprès de la dune et face au désert qu'elle avait tant aimé.
 ----------Quand 
        elle mourut, Isabelle Eberhardt n'avait encore rien publié en librairie. 
        Ses récits de voyage, ses nouvelles, étaient épars 
        dans les revues et dans les journaux ; on retrouva des manuscrits dans 
        les ruines de sa maison d'Aïn-Séfra. La matière ainsi 
        réunie a fourni plusieurs volumes dont Notes de route, 
         Pages d'Islam, Dans l'ombre chaude de l'islam 
        et Mes journaliers prennent place, pour tout ou partie, 
        dans la littérature saharienne. Il est remarquable de constater 
        que cette femme russe maniait la langue française avec une sûreté 
        et une habileté qui lui donnent une place honorable dans notre 
        littérature. En tout cas, l'auteur dépasse et surpasse l'oeuvre. 
        Isabelle Eberhardt est la Saharienne par excellence, sa sensibilité 
        a trouvé son épanouissement au désert ; c'est là 
        que son appétit insatiable a ou se satisfaire et que ses tourments 
        ont pu s'apaiser
 ----------O 
        Sahara, note-t-elle quelque part dans 
        ses Journaliers, Sahara menaçant, 
        cachant ta belle âme sombre en tes solitudes inhospitalières 
        et mornes ! Oui, j'aime ce pays du sable et de la pierre, ce pays des 
        chameaux et des hommes primitifs. "
 ******************** ----------Nous 
        ne retracerons pas ici la vie d'Ernest Psichari. 
        On connaît au moins dans ses grandes lignes, :'existence, 
        d'une brièveté tragique, de ce petit-fils de Renan qui, 
        après sa licence de philosophie, s'engagea comme simple canonnier 
        dans l'artillerie coloniale, trouva la foi sur la terre d'Afrique, partit 
        à la guerre comme à une croisade et mourut noblement en 
        août 1914 à l'âge de trente ans.
 ----------Dès 
        son adolescence, il avait publié des vers subtils. En 1908, après 
        son séjour au Congo avec la mission Lenfant, il écrivit 
        Terres de Soleil et de Sommeil dont la prose est singulièrement 
        fluide et harmonieuse.
 ----------Il 
        s'attache tout de suite à l'Afrique, mais c'est le Sahara qui va 
        marquer le sommet de sa vie. En 1909, il est affecté en Mauritanie 
        où il demeurera jusqu'en 1912. Il y mènera la vie d'un officier 
        colonial, faisant des reconnaissances, se heurtant à des rezzous, 
        pacifiant. Dès son premier contact avec le désert, il écrit 
        : " Voilà la vraie vie. Quand on 
        a connu cela, on se dit qu'on peut mourir et que l'on a assez vécu 
        ". On lui confie le commandement d'un goum de l'Adrar 
        ; il note alors : " Quand on a connu l'inexplicable 
        attirance du désert, on comprend mieux ce qu'il y a de doux et 
        de mystérieux dans ce mot de Saharien. "
 ----------Plus 
        tard, il consignera : " C'est si beau, le 
        désert, et c'est une tentation si frénétique que 
        d'y aller, que d'y vivre, que d'y faire d'enivrants parcours, ! Il y a 
        des heures uniques dont je ne suis pas encore blasé après 
        deux ans. Cette centaine d'hommes que je commande, qui sont à moi, 
        que je peux mener au désastre si j'ai un mauvais guide, ou si je 
        me trompe, et qui ne seraient rien sans moi et qui seraient proprement 
        comme le bateau en mer privé de son capitaine, cette vie libre 
        à la fois nonchalante et active, cette silencieuse vie dans le 
        déroulement des sables, j'aime tant cela et tant d'autres choses 
        que je ne peux dire. "
 ----------Le 
        voyage du centurion, et Les voix qui 
        crient dans le désert, dans lesquels Psichari a relaté 
        le récit de sa conversion, sont deux livres d'exaltation saharienne. 
        Nous n'aurons pas l'ambition d'évoquer les vertus et les certitudes 
        que Psichari exigea du désert et obtint de lui. Dans Les 
        Voix qui crient dans le désert, il avoue y avoir trouvé 
        " le vrai, le bien, le beau et rien plus 
        ". Au Sahara, il a réussi à se séparer 
        du monde, et, tout en menant une vie rude, dans l'attente du danger, à 
        méditer et, comme il le dit lui-même " à 
        exalter ce qu'il y a de meilleur en lui ". Il y a plus 
        : il a été séduit par le mysticisme des Maures ou, 
        du moins, leur religiosité. Le spectacle de l'Islam a été, 
        pour beaucoup, dans son ' adoption de la solution chrétienne. Le 
        voyage au Maroc de Foucauld avait, vingt-cinq ans auparavant, marqué 
        une semblable évolution religieuse de la part de celui qui devait 
        finir en ermite au Hoggar.
 ----------Les 
        Voix qui crient dans le désert ou Le voyage du centurion 
        comptent parmi les grandes oeuvres qu'ait inspirées le 
        Sahara. Et l'on ne doit pas oublier que ces livres furent écrits 
        par un auteur de vingt-cinq ans, qui n'est point un' témoin passif 
        du Sahara, un peintre à la manière d'un Fromentin, mais, 
        au contraire, un homme, un soldat qui bouillonne, qui lutte, qui demande 
        au désert plus que des sensations de rétine et des éblouissements 
        visuels.
 ****************  ----------Est-il 
        besoin de rappeler la place que tient le Sahara dans l'uvre d'André 
        Gide ? Marceline et Michel de l'immoraliste sont inséparables 
        de Biskra. Les notations du désert qui achèvent Les nourritures 
        terrestres sont, d'autre part, longuement développées dans 
        Amyntas. Gide est allé plusieurs fois au Sahara, mais son 
        Sahara est bien délimité ; c'est celui de la province de 
        Constantine. Il est allé à Biskra, la première fois 
        en 1893 (il avait vingt-quatre ans). et il y est revenu fidèlement 
        à plusieurs reprises ; il est allé aussi à Touggourt.----------Comment 
        Gide a-t-il été conduit vers l'Afrique ? Il en a fait la 
        révélation dans un article de Fontaine. De bonne heure, 
        Gide fut attiré par les voyages. Un de ses cousins, qui était 
        naturaliste et qui cinglait vers l'Islande et Terre-Neuve pour étudier 
        les murs des morues et les déplacements de leurs bancs, proposa 
        de l'entraîner vers les mers nordiques. Gide hésita, mais 
        l'attrait de l'Afrique l'emporta ; il assure que sa destinée fut 
        aiguillée par une petite phrase de Rabelais dont, tout jeune, il 
        avait lu la citation dans la correspondance de Flaubert : " L'Afrique 
        apporte toujours quelque chose de rare " Nous nous demandons, 
        d'ailleurs, si cette citation est exacte et si elle est bien de Rabelais 
        ; ne s'agirait-il pas plutôt du mot de Jean Temporal, au milieu 
        du XVI""' siècle : " Toujours 
        Aphrique apporte cas nouveaux ". Peu importe au demeurant 
        : Gide partit pour l'Afrique ; pendant cinquante ans, il n'allait cesser 
        d'y revenir.
 ----------L'on 
        a noté que Gide ne semblait guère avoir admis de ferveur 
        stable que pour le Sahara. Il y trouve l'épanouissement de tous 
        ses désirs. Dans l'Immoraliste Michel évoquant 
        des promenades dans tous les jardins de Biskra, déclare : " 
        J'oubliais ma fatigue et ma gêne. Je marchais 
        dans une sorte d'extase, d'allégresse silencieuse, d'exaltation 
        des sens, de la chair. "
 ----------Gide 
        a des mots passionnés pour parler du désert ; il avoue dans 
        l'Immoraliste : " Toute autre terre m'ennuie 
        ", et dans Amyntas " Je 
        sentais que j'aimais ce pays plus qu'aucun autre pays peut-être 
        ". Dans Les nourritures terrestres, il s'écrie 
        : "Âpre terre, terre sans bonté, 
        sans douceur, terre de passion, de ferveur, terre aimée des prophètes 
        -- ah douloureux désert, désert de gloire, je t'ai passionnément 
        aimé."
 ----------Et 
        nous ne rappellerons pas cette litanie lyrique du désert qui s'égrène 
        à la fin des Nourritures terrestres : " 
        désert d'alfa... désert de pierre.... désert d'argile... 
        désert de sable... ". Alain 
        Fournier, après avoir lu ces pages, avouait dans une des 
        ses Lettres au petit B. : " C'est à 
        pleurer de désir d'y aller, d'y souffrir, d'y avoir soif. "
 ----------L'exotisme 
        de Gide n'a aucune parenté avec les autres exotismes littéraires 
        qui ont pris pour thème le Sahara. Pour Gide, le Sahara n'est pas 
        un simple décor dans lequel il se meut en étranger ; il 
        s'y intègre pleinement, il y vit de tout son coeur. Il passera 
        des heures auprès des gardiens de chèvres et les écoute 
        jouer de la flûte, il se repaît de la musique des nègres 
        des oasis, il s'attarde aux campements des nomades. Il trouve, dans les 
        étendues mortes du Sahara, aussi bien que dans la menue vie des 
        oasis, les thèmes ou du moins les prétextes les plus parfaits 
        de poétisation ; vent léger dans les palmes, jardins pleins 
        de silences et de frémissements, buées des matins du désert. 
        vides nuancés des immensités, sables bruissants au vent.
 ----------Mais, 
        au delà de l'adhésion poétique, il y a les thèmes 
        profonds que Gide a découverts dans le Sahara et que résume 
        cette phrase écrite à Biskra : " Que 
        viens-je encore chercher ici ? Peut-être ainsi qu'un corps brûlant 
        trouve joie à se plonger nu dans l'eau froide, mon esprit dépouillé 
        de tout, trempe dans le désert glacé sa ferveur. 
        " Le dénuement purifiant du Sahara, Gide l'évoque constamment. 
        Il parle des " propositions mortelles du 
        désert ", de la " grandeur 
        tragique des oasis" de " l'idée 
        de la mort qui vous poursuit dans le désert ". 
        Dans l'Immoraliste, il qualifie le désert de " 
        pays de mortelle gloire et d'intolérable 
        splendeur " . Dans Amyntas. il déclare 
        : " Ce que j'aime de ce pays, je sens bien 
        que c'est la hideur même, l'intempérie."
 ******************* ----------Jusqu'à 
        une date relativement récente, le Sahara et sa littérature 
        restaient affaire d'initiés et n'étaient guère voués 
        qu'à un public relativement restreint.----------En 
        1920, paraissait l'Atlantide, qui allait donner une romanesque 
        image du désert à des millions de lecteurs.
 Il y a dans l'Atlantide de l'invraisemblable, du vraisemblable et du vrai. 
        Il est facile de retrouveles sources de documentation de Pierre 
        Benoît. L'existence du palais d'Antinéa sur une montagne 
        du Hoggar est inspirée de la légende qui auréole 
        la Garet-el-Djenoun, un des pics les plus ardus du Hoggar. au sommet duquel 
        les Touareg situent une oasis mystérieuse. Cette montagne a été 
        gravie pour la première fois en 1935 par l'expédition alpine 
        du Hoggar, qui n'a point trouvé de palais ou d'oasis enchantés 
        au sommet de la garet, mais, seulement, un mouflon qui défiait 
        les alpinistes.
 ----------Pierre 
        Benoît fait d'Antinéa la fille d'une grande coquette du second 
        Empire et d'un chef touareg qui l'aurait connue à Paris, au cours 
        d'un voyage officiel, et l'aurait emmenée au Hoggar. Cet épisode 
        r un fond véridique : il est exact, en effet, qu'un grand personnage 
        targui, le cheikh Othman, qui avait accueilli au Sahara l'explorateur 
        allemand Barth et le voyageur français Duveyrier, vint à 
        la cour de Napoléon III. Le séjour à Paris de cet 
        homme voilé fit sensation. Le targui était un homme habile 
        que la civilisation européenne n'effrayait point : la tradition 
        rapporte qu'il avait ouvert un bal aux Tuileries, avec l'impératrice 
        Eugénie. Par contre, rien ne permet d'affirmer qu'Othman ou les 
        hommes rie sa suite aient été séduits par quelque 
        Parisienne facile...
 ----------Pierre 
        Benoît a fait de très larges emprunts aux Touareg du Nord 
        de Duveyrier et il en a même transcrit quelques passages à 
        peu près intégralement. L'inscription en tifinar, traduisant 
        le nom d'Antinéa et que Morhange et Saint-Avit découvrent 
        en plein Hoggar, est composée avec les lettres indiquées 
        dans l'alphabet dressé par Duveyrier. Un spécialiste du 
        tifinar, à qui nous avons soumis cette inscription, nous a donné, 
        à son sujet, une docte consultation : si brève soit-elle, 
        il y a découvert six fautes majeures. Au demeurant, le nom même 
        d'Antinéa se prête mal à une graphie en tifinar, car 
        il n'est pas conforme à la phonétique targuie. Peu importe, 
        Pierre Benoît est un romancier, mais il n'a pas la prétention 
        d'être un linguiste ou un ethnologue.
 ----------Peu 
        de romans ont eu, nous l'avons dit, une telle vogue. Le nom d'Antinéa 
        s'est perpétué dans le monde entier par des réclames 
        publicitaires, par des chansons et par deux films, l'un tourné 
        par Napiherkowska, l'autre par Brigite Helm. Le Sahara central, le désert 
        si attirant du Hoggar et des Touareg devenait populaire sous une image 
        qui est, certes, souvent fausse mais qui incontestablement a constitué 
        une des plus formidables propagandes qui aient jamais pu être imaginées 
        pour le désert.
 ----------En 
        1931. paraissait l'Escadron Blanc de Joseph 
        Peyré. C'est une histoire vraie et même vécue. 
        C'est,
 on le sait, un récit très simple, très dépouillé. 
        Une formation méhariste du poste d'Adrar est envoyée à 
        la poursuite d'un rezzou beraber dans l'Ouest saharien.. Peyré 
        nous décrit le cortège hallucinant de ces silhouettes blanches 
        dressées sur les méhara, qui errent à travers les 
        sables, les regs caillouteux ou les pierrailles, à la recherche 
        des traces. Les jours passent, interminables ; un des deux officiers meurt, 
        les bêtes épuisées chancellent et s'abattent. C'est 
        la fatigue, c'est la soif. Au quarante-deuxième jour de la poursuite, 
        l'escadron blanc rencontre enfin le rezzou et, dans un dernier sursaut, 
        le met en déroute.
 ----------Il 
        n'y a, dans le récit de Peyré, aucune grandiloquence, aucune 
        recherche systématique de l'effet. Au dire même des Sahariens, 
        nul mieux que cet écrivain n'a su rendre, par une déclaration 
        dépouillée mais singulièrement évocatrice, 
        les exigences du désert, ses pistes arides et mortelles et l'âpreté 
        de ses jours monotones.
 ----------Après 
         l'Escadron Blanc, Joseph Peyré a publié le 
         Chef à l'étoile d'argent et Sous l'étendard 
        vert qui évoquent également des épisodes 
        de l'histoire saharienne. Ces deux récits se situent dans le cadre 
        de la grande révolte qui secoua le Sahara lors de la grande guerre 
        et dont un des moments les plus pathétiques fut le siège 
        de l'oasis de Djanet défendue par une poignée de Français 
        héroïques. Par la suite, Peyré devait nous donner encore 
        d'autres romans ou récits sahariens : Coups durs, Croix du Sud, 
        Proie des Ombres, Sahara éternel, ce dernier volume contenant une 
        intéressante carte de géographie littéraire de l'oeuvre 
        saharienne de Peyré.
 ********************* ----------Depuis 
        vingt-cinq ans, le Sahara s'est méthodiquement ouvert à 
        l'automobile, a été jalonné d'hôtels ; il est 
        devenu accueillant et s'est humanisé. Les académiciens eux-mêmes 
        s'y aventurent. C'est la meilleure consécration... L'habit vert 
        fleurit dans les solitudes arides et porte ses fruits -- en l'espèce 
        quelques récit de voyages aimables et colorés.----------C'est 
        ainsi qu'André Chevrillon, en 1923, 
        va à Ghardaïa, la célèbre cité mozabite, 
        et tente d'en décrire la société cristallisée 
        dans son ouvrage intitulé Les Puritains du désert.
 ----------Si 
        André Chevrillon s'est arrêté à Ghardaïa, 
        Charles le Goffic, lui, a poussé trois cents kilomètres 
        plus au Sud, jusqu'à l'oasis d'El-Goléa. Ce voyage dont 
        il a rapporté un ouvrage descriptif intitulé La rose 
        des sables, il l'a accompli à l'occasion d'un " Congrès 
        de la rose et de l'oranger ", qui s'est tenu à El-GOléa 
        et où il se trouvait égaré parmi une équipes 
        de botanistes et de techniciens.
 ----------Emile 
        Henriot, de son côté, a fait, en 1934, 
        un bref circuit touristique en Algérie et dans le Sahara algérien 
        ; il en a rapporté son beau récit Vers l'Oasis qui 
        évoque Touggourt, Ouargla, El-Oued et Ghardaïa.
 ----------Chevrillon,le 
        Goffic, Emile Henriot et d'autres encore sont partis à la conquête 
        du Sahara dans de confortables automobiles et leurs récits se ressentent 
        évidemment de la rapidité de leur moyen de transport.
 ----------Il 
        y a ainsi plusieurs ères littéraires au Sahara : celle du 
        cheval ou du chameau, qu'illustre Fromentin ; celle de la patache qu'emprunte 
        André Gide pour se rendre à Biskra et à Touggourt 
        ; celle de l'auto qui, à partir de 1925 environ, conduit au désert 
        une véritable ruée d'écrivains.
 ----------Mais 
        une dernière époque s'est ouverte : celle du Sahara aéronautique. 
        Et celle-là aussi a ses auteurs. On sait la véritable épopée 
        qu'a constituée la création de la ligne aérienne 
        Casablanca-Dakar par dessus le Sahara occidental insoumis ; elle fut marquée 
        par de pathétiques aventures : aviateurs massacrés ou capturés 
        par les Maures, bourlingués jusqu'au rachat. Mermoz et d'autres 
        grands pionniers de l'aviation française furent de ceux-là.
 ----------Cette 
        épopée proprement saharienne fut célébrée 
        par Kessel notamment dans Vent de Sable 
        et, surtout, par Saint-Exupéry, qui 
        en fut à la fois l'acteur et l'historiographe. Nous ne retracerons 
        pas ici la place immense et décisive qu'occupe le désert 
        dans l'oeuvre de " Saint-Ex ". Elle mériterait une longue 
        étude dont il serait prétentieux de donner même les 
        simples contours.
 ----------La 
        rapide esquisse que nous venons de tracer permet ainsi de juger de l'importance 
        qu'occupe le Sahara dans notre littérature ; l'obsession du Sud 
        a hanté nos écrivains, comme elle a hanté nos explorateurs, 
        nos soldats, nos missionnaires. Jadis, les peuples rivaux nous ont, dans 
        le partage de l'Afrique, abandonné le Sahara en se riant du coq 
        gaulois qui userait ses ergots sur les sables du désert. La France 
        a puisé, dans ces terres, quelques-unes de ses plus riches ressources 
        de talent et de méditation.,
 Henri-Paul EYDOUX.
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