| --------Si 
        le Gobseck de Balzac, avec la liquidation financière 
        de Saint-Domingue, " perle des Antilles ", représente, 
        du point de vue de l'histoire coloniale, la fin de notre premier empire 
        d'outre-mer, le grand romancier va témoigner, dans d'autres ouvrages, 
        de sa foi en une nouvelle formule d'expansion transmarine. Aux environs 
        de 1830, en effet, ce ne sont plus ni " les Indes ", ni " 
        l'Amérique ", qui sollicitent les candidats au départ, 
        mais bien l'Afrique - " ces quelques sables 
        conquis en Afrique ", - ces "Indes 
        Françaises à cinquante lieues de la Métropole ", 
        selon le mot de l'explorateur-colon Duchassaing. Or, il se trouve que 
        Balzac, Balzac le Voyant, a tout de suite pressenti ; dès lors, 
        aussitôt annoncé cette phase méditerranéenne 
        de l'expansion française venant brusquement se substituer à 
        notre traditionnelle tentation des pays transatlantiques. Très 
        symptomatiqueà cet égard est - datant la fin de la Restauration 
        - l'aveu de Gaston de Nueil à Madame de Bauséant, dans La 
        Femme Abandonnée... " ne 
        concevant point la vie sans vous, j'ai pris la résolution de quitter 
        la France et d'aller jouer mon existence jusqu'à ce que je la perde 
        dans quelque entreprise impossible aux Indes, en Afrique, je ne sais où... 
        " Ainsi, par l'affaire africaine, s'illustre cette remarque 
        souvent faite à propos de Balzac, cet " historien " dont 
        la " vision " précède l'Histoire, devinant aujourd'hui 
        l'événement de demain. Attentif d'ailleurs aux moindres 
        avertissements de cette Histoire, car, il faut le lire, à part 
        Vigny, se demandant, sans d'ailleurs insister, " pourquoi 
        cette expédition fait si peu de bruit ", Balzac 
        sera, au milieu de l'indifférence générale de l'opinion 
        publique, le seul, parmi les écrivains de l'époque, - grands 
        ou médiocres, - à avoir discerné en l'affaire, d'Alger 
        autre chose qu'un incident militaire, dans une lettre à Victor 
        Rattier du 21 juillet 1830 à avoir conçu l'idée et 
        formulé l'espoir d'un établissement national durable sur 
        le sol africain. Lui, Balzac, estime qu'il y a là, si " Dieu 
        le veut ", une colonie en puissance : " 
        Ah ! écrit-il, ironique, eu directeur de la Silhouette, 
        que les caricatures de Monnier sont spirituelles : un Souvenir d'Alger 
        (1Paru 
        dans La Silhouette du, 2me semestre 1830.) 
        est admirable ! Dieu veuille que sa prévision soit fausse, que 
        nous ayons là une colonie et que nous rendions à la civilisation 
        ces beaux pays... " Certes, le croquis caustique de Henri 
        Monnier n'a rien d'une invitation au départ pour les peintres qui 
        vont aller à la recherche de l'Algérie... * * --------Dès 
        le début, donc, Balzac se montre franc et actif partisan de la 
        conquête, le légitimiste qu'il est en train de devenir s'opposant 
        ici, non seulement aux autres écrivains de l'époque, mais 
        plus encore aux journalistes et économistes libéraux qui 
        ne voient dans l'aventure africaine qu'un désagréable et 
        onéreux legs de la Restauration ( V. Ch. A. Julien 
        : L'Avenir d'Alger et l'opposition des journalistes et des économistes 
        libéraux en 1830, Oran 1922).--------Mais 
        ce n'est pas précisément dans la Comédie Humaine 
        qu'il manifeste sa foi " coloniale ", encore que, çà 
        et là, il souligne amèrement l'indifférence profonde 
        de cette petite bourgeoisie si représentative de la pensée 
        du " Français moyen ", laquelle " triomphe 
        dans (son) coin, des triomphes d'Alger, de Constantine, de Lisbonne, déplorant 
        également la mort de Napoléon... " remplissant 
        " les fonctions du chur antique ", 
        mais se " partageant encore entre les raisons 
        de l'opposition et celles du gouvernement... " Ce " 
        girouettisme " assez innocent 
        traduit bien l'apathie foncière du bourgeois à l'endroit 
        de la chose publique, et ici, en particulier, à l'égard 
        d'une affaire d'intérêt national, comme en 1830, la prise 
        - d'Alger, ou en 1837, celle de Constantine.
 --------Le 
        sentiment de Balzac sur la question, il faut le rechercher déjà 
        à la date du 21 avril 1830, dans un article consacré à 
        un modeste " Vocabulaire franco-algérien " ( Vocabulaire 
        franco-algérien suivi de dialogues. (Le feuilleton N° 8, 21 
        avril 1830, p. 31.) L'article commence ainsi " Il pleut aujourd'hui 
        des ouvrages sur Alger, à voir le catalogue de tout ce qui se publie 
        sur cette ville, on ne sera plus tenté de dire que les Français 
        ne voyagent point, il n'y a pas de journal qui n'ait ses colonnes remplies 
        de notices sur Alger. pas:, d'éditeur qui ne.. nous offre _quelque 
        description du pays, pas de géographe qui n'étale la carte 
        du. littoral et les plans de le ville...). composé 
        comme beaucoup du même
 genre, à l'usage du corps expéditionnaire. Puis, dans un 
        passage de l'Enquête sur la Politique des Deux Ministères 
        (Chez A. Levasseur, 1831), d'avril 
        1831, où il reproche, à Laffite comme à Casimir-Périer, 
        c'est-à-dire au parti du Mouvement comme à celui de la Résistance, 
        de n' avoir pas vu et compris qu'au premier rang des grands travaux nationaux 
        urgents, il y avait, avant même "une 
        marine à faire, des routes et des canaux à entreprendre 
        ", " - la colonisation 
        de l'Afrique à continuer ".
 --------Il 
        faut retrouver la pensée de Balzac surtout dans sa Chronique de 
        Paris, hebdomadaire qu'il créa vers 1835, et en particuliers, à 
        travers les 41 Lettres que, s'étant chargé de la politique 
        extérieure, lui-même rédigea du 21 février 
        au 24 juillet 1836. Voyons donc comment, presque jour par jour, lui apparaît, 
        sous le gouvernement général de Clauzel, le problème 
        des " Etablissements français en Afrique ".
 
 --------2 
        MARS. - " Il y a, écrit-il, de gros avantages ù recueillir, 
        pour la France, de la province d'Alger mais nos possessions ne seront 
        rien tant que les ports de l'Algérie ne seront pas des établissements 
        aussi considérables que ceux de Brest et de Toulon. C'était 
        dans cette pensée que le gouvernement de Charles X avait conçu 
        de se faire céder, en paiement de la dette d'Espagne, les îles 
        Mayorque et Minorque, afin d'établir une ligne maritime formidable... 
        "
 
 --------6 
        MARS. - Balzac souligne la nécessité, pour la France, de 
        conclure avec l'Égypte, une alliance... "les intérêts 
        du midi de la France, nos possessions d'Alger nécessitent si bien 
        cette alliance qu'il est extraordinaire qu'elle ne soit pas plus étroite... 
        "
 
 --------13 
        MARS. - " ...quelques journaux s'alarment du retrait de nos troupes 
        (alors qu') " il faudrait, au contraire, en envoyer, pour assurer 
        à la France la possession d'une des plus belles conquêtes 
        qu'elle ait jamais faites, et dont les résultats seront immenses... 
        Loin de réduire l'occupation au littoral de l'ancienne régence, 
        il y est prouvé que les intérêts de la France exigent 
        la conquête de Constantine. La France ne pense donc pas à 
        ce que peut être Alger un jour ?... ; - (LesAnglais) n'ont-ils pas 
        su persuader à la France qu'elle n'avait pas le génie colonisateur 
        ? Ne cherche-t-on pas à nous convaincre qu'Alger nous est nuisible 
        ? Alger, un royaume aussi fertile, aussi beau que la France, qui met à 
        notre porte les produits des deux Indes, qui peut valoir un jour les colonies 
        anglaises, et que l'on voudrait nous voir abandonner ! ... "
 
 --------17 
        MARS. - Balzac s'élève une fois de plus contre la ladrerie 
        stupide du Parlement à propos "des dépenses d'Alger, 
        chapitre du budget qui aurait donné lieu aux discussions les plus 
        longues et les plus animées " et emploie ici l'expression 
        si heureuse de" seconde France " qui " entrera peut-être 
        dans les compensations de l'avenir... "
 
 --------24 
        MARS. - Balzac songeant aux prolongements de la future Algérie, 
        s'inquiète de l'immixtion des États-Unis dans le bassin 
        occidental de la Méditerranée : " Voici bientôt 
        quinze ans qu'appuyée par la Russie, l'Union continue son projet 
        avec persévérance de s'installer au Maroc, dans la baie 
        d'Angera... "
 
 --------3 
        AVRIL. - " Il ne faut pas oublier que si l'intérêt bien 
        entendu de la France doit l'engager à favoriser la Russie (Contre 
        la Turquie dont la France redoute qu'elle reprenne son ascendant sur les 
        régences, parce que. de la, eue pourrait menacer la colonie d'Alger...) 
        ce penchant ne doit pas aller jusqu'à lui laisser les facultés 
        de se substituer à la France dans la Méditerranée 
        dont la Restauration voulait faire un lac français..." Par 
        ailleurs, dans le même article, et après la sédition 
        de Bône, Balzac remarque " tous les efforts faits par l'Angleterre 
        pour l'empêcher de tirer parti de sa belle conquête... (Mais 
        aussi), pourquoi n'y a-t-il pas un préfet maritime à Alger 
        ? Pourquoi n'y a-t-il pas une marine ? " Et voici les mots essentiels 
        et prophétiques qui montrent un Balzac " colonialiste " 
        de grande classe :... ?~ A quelle -influence obéit-on en négligeant 
        l'avenir de cette grande contrée ? Une armée et une marine 
        imposantes y- attireraient les émigrants de l'Allemagne, des colons 
        et des capitaux... " Voilà ainsi, évoquée après 
        la conquête, la période fructueuse de la mise en valeur.
 
 --------15 
        MAI. - Il revient sur"la politiqueégoïste des États-Unis", 
        approuvant le gouvernement d' " avoir compris toute l'importance 
        qu'il y a à faire refuser par l'empereur du Maroc la concession 
        qui lui était demandée... "
 
 --------30 JUIN " on a des nouvelles de la 
        colonie de Bône ; une attaque des Arabes a permis de constater que 
        rien n'était fini encore dans cette colonie d'Afrique " on 
        ne veut pas assez se persuader qu'il faut un vaste développement 
        de forces si-on désire 'dominer-les Arabes. Ce n'est pas en se 
        montrant avare de quelques centaines de mille francs qu'on pourra parvenir 
        à- coloniser le sol de l'Afrique... Le tiers parti va conquérir 
        la colonie d'Afrique. M. Baude va être commissaire de cette- colonie, 
        et le maréchal Clauzel dispute pied à pied: l'étendue 
        de ses pouvoirs...
 *** --------Rien 
        de plus net, donc, que l'attitude politique de Balzac vis à vis 
        du problème africain. Son opinion si vigoureuse, s'affirme encore, 
        en dehors de l'éphémère Chronique de Paris, au moment 
        où va s'achever la pacification entreprise par Bugeaud. Balzac 
        insistera de plus sur l'intérêt d'une occupation définitive 
        de l'Algérie par la France. Le 23 novembre 1846, en effet, il écrit 
        à Madame Hanska : " Tout est fort, 
        tout est réel en ce moment-ci. Le port d'Alger terminé, 
        nous avons un second Toulon devant Gibraltar; nous avançons dans 
        la domination de la Méditerranée. S'il (Louis Philippe) 
        empaume Mehemet Ali comme il a fait du bey de Tunis (1), la Méditerranée 
        est toute entière à la France en cas de guerre. C'est une 
        grande conquête, faite moralement, sans avoir tiré un coup 
        de canon. Nous venons, d'ailleurs, de faire un pas de géant en 
        Algérie par le déplacement des centres d'action militaires, 
        c'est la conquête consolidée et la révolte rendue 
        impossible..." (1: Allusion 
        à l'étroite politique de Louis-Philippe.. à l'égard 
        d'Ahmed, bey de Tunis, -1 le roi des Français reçut a Paris. 
        avec les plus grands honneurs et avec la considération réservée 
        aux souverains éclairés, ce prince dont les prétentions 
        assez ridicules et les " réalisations introduites dans son 
        pays sont, pour l'historien de la Régence. l'occasion de rappeler 
        de plaisantes anecdotes.) *** --------Après 
        cet hommage, tardif mais chaleureux à la politique méditerranéenne 
        de la Monarchie de Juillet, on pourrait croire que Balzac va faire aux 
        " Etablissements français en Afrique " une place de choix 
        dans son oeuvre. Il est hors de doute qu'il y a songé, puisque 
        dans le fameux Catalogue de 1845, des "Ouvrages " que contiendra 
        la Comédie Humaine figurent au nombre des Scènes de la Vie 
        militaire sous le n°98 : l'Emir et 100 : Le Corsaire algérien. 
        Mais probablement, des sujets plus pressants ou des engagements avec les 
        éditeurs l'obligèrent-ils à ajourner la réalisation 
        de ces Scènes Algériennes, car il n'aurait certainement 
        pas manqué, à cette occasion, de mettre à profit, 
        non seulement l'énorme " littérature " du temps, 
        favorable ou hostile à la colonisation de " L'Afrique " 
        ( V. Ch. Tailliard ; L'Algérie dans 
        la Littérature Française . 1925), mais encore les 
        deux ouvrages si exacts et si pleins d'humour que son ancien camarade 
        de Vendôme, Barchou de Penhoën, aide-camp de Berthezène, 
        écrivit à la suite de sa campagne en Alger 
        ( V. notre article Les débuts de l'Affaire d'Alger vus par un aide-de-camp 
        de Berthezéne in L'information historique. septembre-octobre 1950.). |  | ---------En 
        tout cas, le peu que nous ayons sur l'Algérie d'alors se trouve 
        consigné dans la Cousine Bette On se souvient que le baron Hulot, 
        directeur général au Ministère de la Guerre, criblé 
        de dettes par suite de sa liaison avec l'insatiable Mme Marneffe, expédie, 
        là-bas, comme fournisseur aux Armées, son vieil oncle, Fischer, 
        lequel ne tarde pas à se compromettre dans de scabreux trafics 
        de graines et de fourrages. Grand scandale évoqué par la 
        presse. Suicide de l'honnête et malheureux Fischer. Condamnation 
        d'un vague garde-magasin pour ne pas laisser apparaître le véritable 
        concussionnaire, le directeur Hulot, lui-même. Et tout cet épisode 
        de la Cousine Bette reste très expressif de l'histoire algérienne 
        d'alors, avec comme l'écrit Balzac, ce tableau si animé 
        des déchirements intestins qui tiraillent encore aujourd'hui (1846) 
        le gouvernement de l'Algérie entre le civil et le militaire...--------Est-ce 
        à dire que ces pages d'une remarquable densité, suffiraient 
        pour un Tableau de L'Algérie à la veille du jour où, 
        l'ayant enfin conquise et pacifiée, Bugeaud allait quitter cette 
        terre qui, après dix huit années d'incertitudes et de luttes, 
        prenait enfin figure de colonie ? Il est curieux à ce sujet de 
        remarquer le peu d'estime et de sympathie que Balzac porte au vainqueur 
        de l'Isly. Pour lui, le " maréchal 
        auquel nous devons la conquête de l'Afrique ", c'est 
        Bourmont et non Bugeaud ; celui-ci reste pour l'écrivain " 
        légitimiste " geôlier de la duchesse de Berry, " 
        le général des rues de Paris... ". il faut ajouter 
        à la décharge de Balzac qu'il écrivait cela en juin 
        1836, et qu'il aurait peut-être, par la suite, enfin rendu justice 
        (comme il le fit pour Louis-Philippe) au véritable " Maréchal 
        ".
 --------En 
        tout cas, en 1836, c'est un fait que Balzac ne portait pas Bugeaud dans 
        son cur. Or, il est assez piquant d'apprendre, par un article peu 
        connu et qu'a bien voulu nous communiquer son auteur,. M. Marcel Bouteron, 
        le Grand Maître des études Balzaciennes, que le sujet du 
        Colonel Chabert, récemment mis à la scène, 
        était, au contraire, tenu en haute estime par les soldats... de 
        Bugeaud lui-même. Voici le texte de cet article, paru dans la Presse 
        du 22 décembre 1927 sous ce titre : BALZAC A TLEMCEN.
 
         
          | -------" 
              Le 19 juin 1836, le général Bugeaud partait d'Oran, 
              à la tête de 6.000 hommes pour aller délivrele 
              Méchouar, citadelle de Tlemcen, où le commandant Cavaignac, 
              avec quelques centaines d'hommes. était assiégé 
              par l'armée d'Abd-el-Kader. A l'arrivée de Bugeaud, 
              le 25 juin, l'émir leva le camp, et se retira vers la Tafna, 
              tandis que Cavaignac, et une partie de la garnison se portaient 
              au-devant des libérateurs ". C'était la première 
              fois qu'ils communiquaient avec l'armée française 
              depuis cinq mois qu'ils étaient enfermés dans le Méchouar. 
              Aussi, écrivait un lieutenant de Bugeaud, l'on pense se faire 
              une idée de la joie qu'éprouva cette malheureuse garnison 
              en revoyant les frères d'armes qui lui apportaient des subsistances. 
              Elle était à la demi-ration de pain d'orge depuis 
              deux mois. Les officiers de même que les soldats, étaient 
              maigres et pâles mais ils conservaient la fermeté dévouée 
              qui les avait portés à s'offrir au maréchal 
              Clauzel pour occuper ce poste. Si des hommes de cette trempe avaient 
              pu se laisser aller au découragement, ils eussent été 
              soutenus par leur chef, le Commandant Cavaignac qui exerçait 
              sur eux l'empire d'une âme forte, intelligente et élevée 
              ".--------Mais 
              l'admiration des arrivants fut surpassée par leur étonnement 
              lorsque s'offrit à leurs yeux, placardée sur un olivier, 
              l'affiche suivante
 --------Sans 
              la permission de M. le Maire, aujourd'hui 25 juin 1836, les comédiens 
              ordinaires de la troupe du Méchouar donneront, en l'honneur 
              de l'arrivée de la colonne d'Oran, une représentation 
              composée de:
 La première et unique représentation de
LE COLONEL CHABERT
 pièce en 3 actes
raccommodée et arrangée 
              en un acte par les hommes du bataillon doués de la meilleure 
              mémoire et anciens bacheliers (sic).--------" 
              Ainsi, malgré les rigueurs et leur position, les soldats 
              de Cavaignac avaient, à leur usage, mis en scène la 
              fameuse histoire du Colonel Chabert, écrite par Balzac en 
              1832 et dont Jacques Arago et Louis Luvine avaient tiré, 
              pour le Vaudeville, en 1834 (2 juillet) deux actes mêlés 
              de chants.
 --------" 
              Bugeaud avec tout son Etat-Major et quatre mille soldats, assistaient 
              au spectacle. Le rôle de la colonelle fut joué par 
              un soldat imberbe ; celui du colonel, par un vieux sous-officier. 
              Les soldats n'aimant pas les pièces qui finissent mal, la 
              Comtesse Féraud (l'ex-colonelle) fut, à la fin de 
              l'acte, restituée à son premier mari, le brave Chabert 
              dont elle s'était crue veuve.
 --------Le 
              spectacle fut interrompu un instant par un incident peu commun au 
              théâtre. On entendit tout à coup le bruit d'une 
              détonation et une balle siffla par-dessus les spectateurs. 
              Un factionnaire perché sur un mur et qui suivait attentivement 
              le jeu des acteurs, se retourna furieux, épaula, lâcha 
              un coup de fusil en criant : Eh ! là-bas, attendez au moins 
              que la représentation soit terminée ! Puis se retournant 
              vers les acteurs, il reprit : " Ne vous dérangez pas 
              ce n'est rien ! "
 --------" 
              Tandis qu'à Tlemcen, le Colonel. Chabert connaissait les 
              triomphes de la scène, Balzac, en Touraine, ignorant de cette 
              gloire militaire, goûtait quelques jours de repos sous les 
              ombrages du château de Saché. Ignorant et ingrat ! 
              Lisez ce qu'il écrivait, quatre jours plus tard, le 29 juin, 
              dans la Chronique de Paris " le Général Bugeaud 
              fait un peu de sentimentalité et d'obstentation dans l'armée 
              qu'il commande les officiers, habitués aux coups de feu des 
              Arabes, se moquent du général des rues de Paris (2). 
              Bugeaud qui venait de l'applaudir à Tlemcen... etc... "
 (2) Extrait de la Chronique du 30 juin, plus haut 
              citée,
 |  --------Ajoutons 
        que ce n'est pas seulement dans la Cousine Bette que passent 
        les souvenirs de la campagne d'Algérie. Ici et là, on rencontre 
        telle notation, tel épisode qui permet de montrer que Balzac-romancier 
        ou épistolier ne cessait de s'intéresser au problème 
        africain autant que Balzac-journaliste. --------D'abord, 
        l'Afrique ne représente-t-elle pas, pour lui, la grande aventure 
        ? Il est caractéristique de souligner à cet égard 
        que la lettre enthousiaste (Du 21 juillet 1830 â 
        Victor Rattier.) où s'insère le passage sur la conquête 
        d'Alger, dont nous parlions plus haut, est précisément celle, 
        si souvent et incomplètement citée, où Balzac exaltait, 
        au début " la vie de Mohican " pour, par contraste, conclure 
        aux pauvres joies que procurent " une écritoire. une plume 
        et la rue Saint-Denis ".--------En 
        second lieu, du moment où , quelque part, il y a, dans son siècle, 
        des hommes et qui agissent, Balzac affirme sa présence. Or, Alger, 
        est, pour ces soldats de la conquête, donc pour Balzac, un magnifique 
        champ d'action. Il y conduit alors plus d'un de ses personnages : Ursule 
        Mirouet va à Toulon souhaiter bonne chance au jeune aspirant Savinien 
        de Portendière qui, quelques jours plus tard, " prendra Alger 
        ". Excellente occasion, pour un Savinien perdu de dettes, de se réhabiliter 
        par une action d'éclat ; de même que, pour un étourdi 
        comme Oscar Husson, lequel en revient un bras en moins, gradé et 
        muni d'un peu plus de cervelle. A cette affaire de la Macta, le fils unique 
        de Mme de Sérisy reste sur le champ de bataille ( Un 
        début dans la vie.). Le Commandant Charles Keller trouve 
        là-bas une fin glorieuse et le colonel Philippe Bridau y rencontre 
        la mort cruelle qui convient à un soudard de son espèce 
        ( La Rabouilleuse. 
        ). On meurt beaucoup en Alger ! Cependant Jacques Brigaut fiancé 
        de Pierrette, parti désespéré en Afrique, après 
        la mort de son amie, parvient à y faire carrière brillante 
        et d'ailleurs méritée ( La Duchesse de 
        Langeais .). " La conquête d'Alger " offrit 
        d'ailleurs à telle classe de la Société, comme ces 
        aristocrates émigrés à l'intérieur, boudant 
        la France nouvelle, " les moyens qui lui 
        restaient de se nationaliser et de faire encore reconnaître ses 
        titres ".
 --------Il est donc 
        étonnant de ne point voir celui qui avait si complaisamment décrit 
        " les corsaires en gants jaunes 
        ", attiré par la curieuse figure des de Tonnac, de Vialar, 
        de Mir, de Saint-Guilhem... ; ces grands colons du début, que l'on 
        nommait, de même, en Alger, " les 
        colons en gants jaunes et chapeau de soie ". Ces pionniers 
        enthousiastes, dont plus d'un était ou Saint-Simonien ou Fourieriste, 
        - de vrais romantiques de la " colonisation ", - travaillant 
        au surplus de leurs mains autant qu'ils " rêvaient 
        de vastes entreprises en y perdant leurs capitaux, s'accrochaient tout 
        comme les premiers paysans venus de France, aux coteaux du Sahel, à 
        l'infecte Mitidja, aux plaines d'Oran et de Bône - ; et ils eussent 
        fourni au " créateur " du médecin Benassis, les 
        prototypes de bien vigoureux portraits. Mais le seul civil que Balzac 
        ait songé à envoyer en Afrique, c'est le sinistre Marneffe 
        dont l'administration de la guerre débarrassa les Hulot en le chargeant, 
        après la grave affaire Fischer, d'aller organiser " un bureau 
        des subsistances en Afrique ". L'idée est cocasse 
        ; mais Balzac on le sait, ne manque pas d'humour. Sans compter qu'il n'est 
        que trop exact que mainte administration considérait toujours, 
        même sous Bugeaud. l'Algérie comme un dépotoir pour 
        ses mauvais sujets. * * --------Notons enfin 
        qu'à propos de ces " Etablissements français en Afrique, 
        l'Indigène n'apparaît guère, à travers Balzac, 
        qu'incidemment, et sous une forme assez antipathique, si l'on en jugeait 
        exclusivement d'après maintes épithètes accolées, 
        au cours de son oeuvre, au vocable d'Arabe ou de Bedouin. Par exemple, 
        dans la Cousine Bette... " Je 
        suis allé payer pour toi le Bédouin qui a commis un crime 
        de lèse-génie en te coffrant... " Ou encore... 
        " Mille francs est mon maximum !... Comme 
        vous vous posez en ami chargé d'une commission, vous pourrez influencer 
        cet Arabe de Touraine !... " (Lettre au V°de Courteilles, 
        in Courrier Balzacien, mai 1949). --------Toutefois, 
        ces expressions fort discourtoises de bédouin ", " d'arabe 
        " de " juif ", de " mahumetische " à l'endroit 
        des indigènes, Balzac en laisse bien entendu, la responsabilité 
        aux Gobseck et autres corsaires, qui eurent plus ou moins affaire aux 
        populations d'outre-mer. Au surplus, le romancier des Paysans estime, 
        assez judicieusement que nos campagnes métropolitaines ont, elles 
        aussi, leurs " Mohicans. Peaux-Rouges" et autres indigènes. 
        Enfin, il lui est arrivé un jour, de réhabiliter l'Indigène 
        en la personne de cet Arabe de Nubie qui, en une heure critique, 
        donne, au désert, au général explorateur de Montriveau, 
        une haute leçon de sagesse autant que de courage (La 
        Duchesse de Langeais).--------Telles 
        sont, à propos de l'Algérie, les remarques suggérées 
        par une lecture attentive de notre grand Balzac. De ce Balzac qui avait, 
        le premier de son temps, aperçu, bien au-delà d'un " 
        incident militaire ", les " résultats immenses " 
        de l'Affaire d'Alger .
 Aimé DUPUYAncien Inspecteur Général
 de l'Enseignement des Indigènes en Algérie
 
 |