
          
          El Outaya, sur la route El Kantara 
          - Biskra
        LE SEL 
          
          La nature en a comblé l'Afrique du Nord avec une générosité 
          sans pareille. Ancien bras de mer, l'Algérie a un long passé 
          d'émersion pendant lequel s'accumulèrent les dépôts 
          continentaux, marne, gypse et sel gemme. 
          On connaît, pour les avoir vues directement ou pour les avoir 
          retrouvées mille fois dans les publications algériennes, 
          les montagnes de sel, celle si curieuse de Djelfa, celle 
          d'El-Outaya, celle de Metlili. Ce sont des rochers immenses, 
          en pur sel gemme, découpés de falaises très hautes, 
          qui atteignent parfois cent mètres, de puits, de galeries, d'anfractuosités 
          où nichent des multitudes d'oiseaux, des rapaces, vautours et 
          aigles, des passereaux, des pigeons et un nombre non moins considérable 
          de chauves-souris. 
          Le sel s'étale sur de vastes surfaces, par masses puissantes, 
          quelquefois absolument pur, plus souvent intercalé de stratifications 
          d'argile. 
          L'effet produit à la vue est des plus saisissants. De coloration 
          grisâtre que le resplendissement solaire anime de quelques rougeoyants 
          reflets, le paysage apparaît lunaire, d'une stérilité 
          absolue. Nul arbre, aucune verdure, pas la moindre touffe de drin ou 
          d'alfa. Où commence le sel la plante finit. 
          De tous temps, ces carrières de sel furent exploitées, 
          sans que cette exploitation eut en rien ressemblé à un 
          travail méthodique et suivi ni eut donné lien à 
          un commerce et à des échanges réguliers. Armés 
          de pioche, les gens du voisinage viennent s'y pourvoir pour leurs besoins 
          domestiques ; par intermittences, d'autres font métier d'y charger 
          quelques bêtes pour le ravitaillement des marchés et des 
          agglomérations voisines. 
          Au temps des Fatimites, on rapporte qu'El-Outaya donna lieu à 
          une exploitation plus suivie et à un trafic plus intense. 
          Ces rochers se trouvent tous dans l'Extrême-Sud, le climat extrêmement 
          sec et l'absence de pluies autorisant une conservation qui n'eut pas 
          été possible dans un pays pluvieux. 
          Mais le sel n'apparaît point uniquement sous cette forme de rocs. 
          On. le trouve un peu partout, là où on l'attend le moins. 
          Pour expliquer sa présence hétéroclite, on n'avait 
          trouvé d'autre expédient que de le donner pour éruptif. 
          Au cours des âges, des bouleversements et des cassures l'avaient 
          amené à la surface. 
          On a trouvé mieux, ces terrains de gypse et de sel, en surface 
          ou dans la profondeur, sont, par leur nature, éminemment sensibles 
          à l'action de l'eau. Ils s'annihilent, se ramollissent, tournent 
          à la boue liquide. Le moment vient où ils ne peuvent plus 
          résister à la pression des marnes qu'ils supportent. L'effondrement 
          se produit. Il en résulte le même rejaillissement que produirait 
          une pierre jetée dans un baquet, un glissement, une fusée. 
          Par toutes les fissures et par toutes les solutions de continuité 
          le sel s'échappe vers la surface. 
          Sous forme de pluies ou de rivière l'eau intervient encore. Elle 
          dissout le sel, l'entraîne dans sa course. Quand les ardeurs dévorantes 
          du soleil l'ont évaporée, on retrouve en croûte, 
          en filon dans les ruisseaux le sel, en amas dans les creux, en pellicules 
          dans les chotts. La pluie revient-elle le même phénomène 
          s'accomplit, on a de nouveau la rivière salée, la lagune 
          saumâtre. 
          Des lacs salés parsèment aussi nos hauts plateaux. Tels 
          ceux qu'on rencontre dans la région d'Aïn-M'lila, près 
          de la station justement dénommée les Lacs. 
          Le chemin de fer et la route passe entre eux, deux miroirs d'étains, 
          deux grandes flaques sans écoulement, immobiles atteignant de 
          18 à 15 kilomètres de longueur sur une largeur un peu 
          moins grande. Les eaux y son! fortement saumâtres. L'industrie 
          des Européens ne pouvait plus longtemps négliger celte 
          source de richesse. Des salines y furent aménagées, l'exploitation 
          du sel y commença. Elle est. aujourd'hui prospère et prête 
          à un actif mouvement d'échange. Une bonne partie du sel 
          consommé dans le Sud constantinois provient de là. Nos 
          photographies feront juger de l'importance du rendement et permettront 
          d'apprécier les résultats obtenus. Et tout sera dit quand 
          nous aurons révélé que c'est à M. Ferrando, 
          le distingué président de la Chambre de Commerce constantinoise, 
          que nous sommes redevables de cette heureuse initiative.