| La bataille 
        du logement  
        
          
            | Ciel clair.
 Spahis sabre au clair immobilisés au port d'armes.
 Drapeaux et oriflammes claquant au vent léger du crépuscule.
 Matériel lourd, prêt à entrer en action.
 C'était mardi 4 août, sur les hauteurs d'Alger, la 
                pose de la première pierre de la Cité " Sifaoui 
                " , la " Cité du Bonheur " (Diar-Es-Saâda). 
                C'était à la Redoute, à l'angle de la rue 
                Catinat et du Chemin Abdelkader.
 Cette cérémonie était présidée 
                par M. Roger Léonard, gouverneur général 
                de l'Algérie, entouré du haut état-major 
                du G.G. :
 - le secrétaire général, Maurice Cuttoli.
 - le secrétaire général-adjoint aux Affaires 
                Eco- n orniques, M. Urbani.
 - M. Claude Tixier, directeur général des Finances 
                et M. Ducongé, chef du Service du crédit.
 - M. Villevieille, directeur des Travaux Publics et des Transports.
 - M. Gardel, directeur des Anciens Combattants.
 - M. Champ, directeur du Travail.
 
 Il y avait aussi, auprès de M. Jacques Chevallier, député-maire 
                et de la plupart des adjoints et des conseillers municipaux de 
                la Ville d'Alger :
 - MM. Georges Blachette, Marcel Ribère et
 Brahimi Ali, députés.
 - le Dr Tamzali, sénateur.
 - M. Farés, président de l'Assemblée Algérienne.
 - M. Froger, président de la Fédération des 
                maires.
 - le général Calliès, comandant la Xème 
                Région.
 - M. Laurent Schiaffino, président de la Région 
                Economique.
 - M. Claro, président de l'ordre des architectes.
 
 Il y avait également, le préfet d'Alger, M. Trémeaud, 
                de nombreux élus, une importante délégation 
                de fonctionnaires municipaux, avec à sa tête, M. 
                Loviconi, secrétaire général de la Mairie.
 
 Il y avait enfin, Fernand Pouillon dont le député-maire 
                a pu dire " qu'il avait déjà bien mérité 
                d'Alger ! "
 
 La cérémonie se déroula dans la grandeur 
                et la sobriété. Et c'est aux applaudissements de 
                tous les présents (il y avait foule le 4 août sur 
                l'emplacement de la future Cité du Bonheur) que MM. Léonard 
                et J. Chevallier scellèrent dans une fondation profonde 
                une vraie pierre de taille.
 Une pierre de taille de deux tonnes ! |    Le discours de M. 
          J. CHEVALLIER Député-Maire d'Alger
  " On ne vous en voudra pas d'apporter 
          plus que vous n'avez promis. On ne vous pardonnera jamais de n'avoir 
          pas donné ce que vous annonciez ".(A. Deteuf)
 " Monsieur le Gouverneur Général," Mesdames,
 " Messieurs,
 " Le 4 mai dernier, il y avait exactement 3 mois heure pour heure, 
          jour pour jour, la nouvelle Municipalité d'Alger prenait ses 
          fonctions ".
 " Elle était liée par une promesse qui engageait, 
          en même temps que son honneur, la confiance que pendant les six 
          années de son mandat, les Algérois pourraient lui témoigner 
          ".(voir 
          cette page)
 " Cette promesse, chacun la connaît : mettre en chantier 
          avant la fin de 1953 une première tran che de 1.500 logements 
          destinés à des familles aux revenus moyens ou modestes 
          ".
 " A cette annonce, beaucoup ont pu sourire avec septicisme, persuadés 
          que cet engagement irait grossir le nombre incalculable de ceux que 
          les candidats, en mal de se faire élire, prodiguent généralement 
          et oublient une fois le succès obtenu ".
 " D'autres, et c'était le bataillon innombrable des sans-logis 
          et des mal-logés, attendaient anxieusement de voir si la petite 
          flamme d'espérance que nous avions allumée grandirait 
          pour embraser enfin leurs horizons morts et faire rayonner la lumière 
          et la joie ".
 Une solide tête 
          de pont 
          
            |  Le député-moire 
                entorré de MM. Gillet, adjoint ; Oliver, conseiller municipal, 
                Pasquali et Valentin, commentent la maquette de la " Cité 
                du Bonheur " |  " Trois mois se sont écoulés 
          depuis, au cours desquels, sans trève ni repos, notre équipe 
          municipale, les services municipaux et des H.L.M., l'Architecte choisi 
          et sesaides, agissant en parfaite harmonie avec les services financiers, 
          techniques et administratifs du Gouvernement Général et 
          ceux du Consortium bancaire assurant le financement, ont livré 
          une bataille de tous les instants. Qu'ils soient remerciés aujourd'hui 
          ".
 " Il a fallu, en moins de trois mois, trouver les terrains, négocier 
          et acheter, déclarer l'utilité publique, faire les relevés 
          de terrains et les plans de masse et de détail de ce qui représentera 
          deux villes entières, élaborer le financement, en discuter 
          les modalités ici et à Paris, les faire admettre, en un 
          mot embrayer durant cette période une opération qui constitue 
          la plus importante de toutes celles qui aient été entreprises 
          à la fois et depuis la libération, tant en France métropolitaine 
          que dans l'Union Française ".
 
 " L'une des phases de cette dure bataille s'achève maintenant. 
          Une première position est enlevée ; une solide tête 
          de pont est établie ".
 
 Quelque 30.000 logements
 
 " La maison en ruine que vous avez ici devant vous abrite à 
          elle seule 38 familles ayant près de 50 enfants, soit près 
          de 110 individus ".
 
 " Nous nous efforcerons, les plans sont en cours, de reloger dans 
          des logements de type évolutif, respectant leurs traditions et 
          leur mode de vie, celles de ces populations qui n'ont pas encore atteint 
          un degré d'évolution leur donnant vocation à la 
          vie européenne. "
 
 " Mais cette action ne serait qu'un expédient si une politique 
          de stabilisation des masses rurales n'était rapidement dégagée 
          et orientée pour arrêter leur ruée croissante et 
          incessante vers les Villes
 
 " Ceci étant et tout compte fait, nous devons considérer 
          qu'à l'heure actuelle il nous faut construire quelque 30.000 
          logements si nous prétendons étaler, bien provisoirement 
          d'ailleurs, dans les années qui viennent ".
 
 " Alger n'a déjà plus 400.000 habitants ".
 
 " Son habitat, sa voirie, ses centres sociaux, doivent dès 
          maintenant être " pensés " pour le million d'habitants 
          qu'elle atteindra avant 20 ans ".
 
 La ville sur les hauteurs
 
 " A la conception paresseuse qui consiste, sans souci de l'esthétique, 
          à implanter des gratte-ciel dans des zones déjà 
          surpeuplées, nous préférons pour notre part celle 
          qui s'inspire d'un urbanisme plus rationnel et plus humain : faire éclater 
          la ville sur les hauteurs pour que chacun puisse profiter de l'air, 
          de la vue, de l'ensoleillement et de la verdure ; ériger des 
          cités complètes, avec tous leurs centres sociaux, écoles, 
          terrains de sports, marchés, commerces, bureaux de postes, dispensaires, 
          garderies, cultes.
 
 " Elles constitueront en quelque sorte d'immenses parcs où, 
          dans la verdure, l'air pur, les horizons dégagés, des 
          groupements humains pourront vivre d'une façon pratiquement autonome 
          en ayant tout à leur portée ".".
 
 " La cité dont vous inaugurez 
          aujourd'hui la construction est de celles-là. Elle a été 
          dessinée par M. Pouillon, architecte, auquel nous avons imposé 
          trois conditions essentielles " :" - Délais de réalisation minimum ;
 " - Prix de revient minimum ; " - Confort maximum ".
 " Assisté des 70 techniciens de son agence, architectes, 
          dessinateurs et géomètres, il a conçu la belle 
          ordonnance que vous pouvez admirer sur ces maquettes et ces plans ".
  L'Enfant de demain" La Ville d'Alger le remercie de l'effort surhumain auquel lui-même 
          et ses collaborateurs se sont astreints pour rester dans la limite des 
          délais et des prix imposés ".
 
 " Cette cité comprendra 700 logements répartis sur 
          quelque 7 hectares de superficie ".
 
 " La cité jumelle et attenante, dont les travaux seront 
          mis en chantier avant deux mois, en comptera 1.200 dont 800 en première 
          tranche et couvrira 12 hectares ".
 
 " Ces deux cités seront terminées respectivement 
          en octobre et en décembre 1954 ".
 
 " D'autres les suivront, à Bab-el-Oued, notamment vers lequel 
          vont tendre à présent tous nos efforts ".
 
 " Ces cités, nous les avons voulues pour le bonheur de nos 
          concitoyens ".
 
 " Nous désirons qu'elles abritent des gens heureux, qu'y 
          naissent et grandissent des générations d'hommes sains, 
          car le logement c'est l'enfant de demain ".
 
 " C'est pourquoi nous baptiserons celle-ci du nom de Diar-Es-Saâda 
          et sa soeur jumelle qui s'étendra sur les plateaux d'El Mansali 
          dominant la mer, portera le nom de Diar-El-Mahçoul 
          ".
 
 " Cette appellation traduit la solennité de l'acte que nous 
          accomplissons en ce 4 août 1953 puisqu'elle signifie : " 
          La Cité de la promesse réalisée ".
 
 Tout le discours de M. Jacques Chevallier a été coupé, 
          à différentes reprises, de très vifs applaudissements.
 
 Une alliance et un appui
 
 " Aussi pouvez-vous, Monsieur le Gouverneur Général, 
          sceller profondément et définitivement dans le sol de 
          cette première pierre qui, pour nous, combattants de la guerre 
          du logement, représente le premier de nos pacifiques bulletins 
          de victoire ".
 
 " Au nom de la Ville d'Alger et de son Office d'H.L.M., je vous 
          remercie de nous renouveler, en accomplissant ce geste, une sympathie 
          amicale et combien agissante dont nous apprécions tout le prix 
          ".
 
 " Elle nous est d'autant plus précieuse que les solutions 
          des problèmes considérables que présente la croissance 
          d'une grande cité dépassent souvent les possibilités 
          simplement municipales et impliquent nécessairement l'aide et 
          la sollicitude des pouvoirs supérieurs préfectoraux, gubernatoriaux, 
          voire gouvernementaux ".
 
 " La Ville d'Alger sait, et vous le lui avez prouvé, qu'elle 
          peut en toutes circonstances compter sur votre alliance et sur votre 
          appui ".
 
 " Elle vous en est profondément reconnaissante ".
 
 " Cette aide nécessaire, nos problèmes de croissance 
          la justifient. Qu'il me soit permis d'en évoquer quelques-uns 
          des aspects ".
 
 59 Bidonvilles
 
 " De 1938 à 1952, soit en moins de 15 ans, 61.000 mariages 
          ont été célébrés en Alger et durant 
          la même période 143.000 enfants y sont nés ".
 
 " Ce rythme des mariages et des naissances va s'accentuant au point 
          que, sans crainte d'erreur, on peut admettre que notre Ville s'augmente 
          chaque année de quelque 4.000 foyers nouveaux et que, par sa 
          seule croissance interne, sa population s'élargit, bon an mal 
          an, de quelque 15.000 citoyens ".
 " Si l'on rapproche ces chiffres des surfaces construites à 
          quelque 20 ans d'intervalle, on découvre qu'en 1952, l'année 
          de l'après-guerre où la construction fut la plus importante, 
          260.000 m2 de planchers seulement ont été construits contre 
          407.000 en 1934, alors qu'il en eût fallu le double pour rattraper 
          le retard des années 1938 à 1947 où, faute de matériaux, 
          le bâtiment fut pratiquement arrêté ".
 
 " Le problème se trouve encore complique du fait des répercussions 
          de lois sociales sur les populations rurales ".
 
 " Le déséquilibre des avantages sociaux entre la 
          campagne et la ville, en même temps que l'industrialisation progressive, 
          poussent vers la ville cette foule de ruraux qui, faute de toit, s'installe 
          dans les bidonvilles. Alger en compte 59 dans lesquels vivent près 
          de 40.000 individus ".
 
          
            | 
 A 
                l'entrée du chantier de " Diar Es Saâda", 
                MM. Jacques Chevallier, l'architecte. F. Pouillon et le général 
                Caillés écoutent M. Loviconi (de dos). 
               |  Le discours 
          de M. R. LÉONARD " Mesdames, " Messieurs,
 
 " Voilà bientôt deux ans, dans une des premières 
          allocutions que je prononçais en Algérie, j'exprimais 
          un désir. Alors que l'administration de tel ou tel de mes devanciers 
          s'était signalée par l'élan donné à 
          la construction de grands barrages ou par l'édification de nombreuses 
          écoles, j'indiquais que je souhaiterais que mon séjour 
          en Algérie fût marqué plus spécialement par 
          une amélioration nette des conditions de logement de la population 
          s.
 
 " Ce désir est aujourd'hui plus vif encore qu'au premier 
          jour. Non certes que je méconnaisse l'intérêt du 
          reste, mais de toutes les grandes tâches qui nous sollicitent, 
          il m'apparaît qu'il n'en est pas de plus capitale, de plus urgente 
          ".
 
 " D'abord, parce qu'il n'est que d'ouvrir les yeux dans nos villes 
          et aussi dans nos campagnes pour en mesurer l'âpre et dure nécessité. 
          Mais aussi parce que la solution de cet angoissant problème en 
          conditionne beaucoup d'autres, aussi bien sur le plan moral que sur 
          le plan matériel, sur le plan national aussi ".
 
 " Je n'ai pas, ce disant, Mesdames, Messieurs, la prétention 
          de découvrir une question qui depuis longtemps s'impose à 
          l'esprit de chacun et qui a suscité déjà en Algérie 
          beaucoup de dévouement, beaucoup d'efforts, auxquels il n'est 
          que juste de rendre hommage. Mais, et ce n'est certes pas la faute de 
          ces pionniers, de ces apôtres, les réalisations ne sont 
          absolument pas à l'échelle des besoins. Il faut aller 
          hardiment de l'avant ".
 
 Une vivante réalité
 
          
            |  La pose 
                de la 1è pierre de la cité du bonheur a ete l'événement 
                majeur du mois d'août |  " C'est vous dire, mon cher Maire, 
          combien je suis heureux de pouvoir assister à cette manifestation 
          à laquelle vous m'avez convié aujourd'hui, combien aussi 
          je vous sais gré de faire du voeu que je formais, une vivante 
          réalité ".
 " Sans doute, ainsi que vous le rappeliez, je vous ai aidé 
          de mon mieux, comme dès le premier jour que je vous l'avais spontanément 
          promis ; sans doute, mes services se sont-ils attachés à 
          déblayer la route devant vous, à faciliter la solution 
          des difficiles problèmes financiers que posent des réalisations 
          de cette sorte ; sans doute, auprès des établissements 
          financiers et spécialement auprès de la Banque de l'Algérie, 
          dont le Gouverneur, M. Wattau, devait marquer tant d'active compréhension, 
          mes démarches ont-elles secondé vos démarches, 
          mais rien, en vérité, n'eut été fait si 
          vous-même, à la tête d'une brillante équipe 
          de collaborateurs que vous animiez de votre foi, n'aviez saisi le problème 
          à la gorge avec un enthousiasme, une résolution, un dynamisme 
          qui ont, je crois bien, laissé pantois tous ceux qui, excusez 
          cette expression triviale, vous attendaient au tournant. Mais vous avez 
          montré que pour vous, entre les promesses et les réalités, 
          il n'y avait pas de tournant ".
 
 Premier élan : 700 logements
 
 " Ce n'est aujourd'hui qu'un premier stade et la première 
          tranche d'un vaste programme. Mais elle est déjà d'une 
          ampleur inégalée en quelque point de France que ce soit, 
          puisqu'il s'agit, dès le premier élan, de 700 logements. 
          Et non seulement les délais prévus sont respectés, 
          mais vous êtes en avance sur toutes les prévisions : trois 
          mois pour concevoir, pour dresser les plans, pour régler le financement, 
          pour préparer les marchés, lancer les premières 
          adjudications et faire démarrer les travaux, en vérité, 
          c'est tout simplement merveilleux. Vous avez, je le sais, trouvé 
          autour de vous d'enthousiastes concours et je sais que vous tenez justement 
          à ce que ce soit dit. Derrière vous, votre Conseil municipal 
          s'est groupé unanime, sans distinction de collège ou de 
          parti ; votre bienveillant tuteur, M. Trémeaud, a bousculé 
          pour vous toutes les traditions administratives ; vous avez, d'autre 
          part, trouvé en la personne de M. Pouillon, un architecte qui 
          allie l'enthousiasme à l'ingéniosité d'esprit et 
          au sens de l'organisation, qui a d'ailleurs donné à Aix, 
          à Marseille des marques éclatantes de son talent et de 
          son efficacité, mais l'oeuvre qui va s'édifier ici, c'est 
          essentiellement et avant tout votre oeuvre, et vous pouvez en avoir 
          la fierté ".
 
 D'autres projets
 
 " A l'ombre de celle-ci, d'autres projets d'ailleurs s'apprêtent 
          qui doivent nous permettre de nous attaquer de façon sérieuse 
          et prompte au problème de la résorption des bidonvilles 
          et de la construction de cités de recasement ".
 
 " Le mouvement est lancé ; il ne doit pas s'interrompre. 
          Alger devait donner l'exemple : c'est chose faite et c'est dans toute 
          l'Algérie qu'il doit être suivi. Il le sera, j'en suis 
          certain ".
 
 " Evidemment, tout ne se fera pas en un jour, loin de là, 
          car nos moyens sont limités et, quelle que soit l'ingéniosité 
          des formules mises en oeuvre, il y a des cadences que nous ne pourrons 
          pas dépasser, mais il faut que, partout, on s'accroche au problème 
          avec la fermeté de dessein et la souplesse d'esprit nécessaires 
          pour que partout sur cette terre française s'édifient 
          de nouveaux foyers, modestes peut-être, mais qui assureront aux 
          hommes une vie familiale plus sûre et plus digne et où 
          pourra s'épanouir la génération de demain. "
 (Très vifs applaudissements).
 
          
            |  Dès 
                la pose de la première pierre, les travaux de terrassement 
                ont commencé à la "Cité du Bonheur ". 
                Un des gros tracteurs du chantier tirant un scrapper... |  |