BACAX, 
        dieu CIRTA capitale de l'antique Numidie
        Constantine la farouch CONSTANTINE
        
        CONSTANTINE
        La Tolède africaine
        Une ville toujours recommencée
" Il ne faut pas neuf 
          mois pour faire un homme, mais 60 ans " a dit André Malraux. 
          Et pour faire une ville, combien faut-il de siècles ? C'est la 
          question que je me pose chaque fois que je revois Constantine, qui n'est 
          jamais pareille à l'image que j'en gardais.
          Les habitants sont peu frappés par cette mue continue d'une cité 
          dont la phase dynamique se prolonge car ils sont les témoins 
          de ses transformations. Mais celui qui revient après une longue 
          absence peut n'en pas reconnaître l'ancienne physionomie, que 
          l'urbanisme a modifiée. Tel est mon cas ici. A chaque retour 
          différente, je dois, à chaque retour, découvrir 
          Constantine. Si bien que je la compare à une jeune femme amie, 
          dont jamais je n'ai su la nuance vraie de la chevelure, pour l'avoir 
          toujours vue d'une couleur différente, du noir au platine.
        L'impératif démographique
          Cette ville toujours recommencée, pourrait prendre pour devise 
          l'affirmatlon divine : " Ego sum vita ". Elle est mouvante 
          d'être vivante. Des chiffres sont éloquents : en 1870, 
          Constantine accusait 33.000 habitants ; en 1935, 103.000 ; en 1950, 
          120.000. La vie monte et bouillonne. Elle triomphe. Elle déborde 
          : il faut s'accrocher au rythme de la démographie.
          Cette métamorphose constante du cadre urbain, on peut la constater 
          à Oran comme ici, et surtout à Alger, où la prolifération 
          des individus est telle que j'ose la comparer à une marée 
          sans reflux. Si elle est plus frappante à Constantine qu'ailleurs, 
          c'est que nulle part elle n'est aussi spectaculaire, car ici c'est le 
          coeur de la cité lui-même qui toujours se transforme - 
          cette place de la Brèche, alias place de Nemours.
        Le Forum-Protée
          Depuis que je connais la ville de Sophonisbe - et cela date de 1917 
          - à chacune de mes visites plus ou moins espacées, j'ai 
          trouvé au forum qu'est la place de la Brèche un aspect 
          différent.
          J'y ai connu des arbres- l'affreux ficus officiel - j'y ai vu un coq, 
          le totem gallique, fièrement cambré au faite d'une colonne 
          d'architecture, l'il dardé sur l'aurore et le pirate des 
          poulaillers, que je ne revis plus lors d'un autre voyage.
          Attenant à cette même place, j'ai connu un jardin, où 
          une statue de marbre, qui s'appelait " l'Océan ", mais 
          curieusement personnifié par une adolescents nue, éclatante 
          comme l'écume, suscitait des attroupements d'éphèbes 
          surexcités. A ma visite suivante, comme le Coq, l'Océanide, 
          n'était plus là, et malgré toutes mes questions 
          j'ignore ce qu'il en advint.
          Qui a bu l'Océan ? Comment s'est-il tari ? Un océanolâtre 
          l'a-t-il subtilisé, comme on fit à l'époque
          romaine, ici même, à Cirta, où une statue d'adolescente 
          dont nous savons le nom : Porcia Maxima Optata, fut ravie en plein forum 
          à cause de sa beauté ?
          Enfin ce fut le tour au jardinet de disparaître. A sa place on 
          édifia un marché aux poissons, que l'on recouvrit d'une 
          esplanade dallée avec balustrades et lampadaires modernes d'un 
          agréable effet.
          Mais l'extrémité de cette plateforme surélevée 
          débordait disgracieusement sur la place de la Brèche,
          rompant la perspective de l'avenue qui la prolonge et gênant la 
          circulation tous les jours plus nombreuse.
          Cette avancée en rostre, je l'appelais, "in petto ", 
          la tribune aux harangues, et j'y voyais, en esprit, les palabreurs romains, 
          rhéteurs ou politiques, faire des effets de toge et d'éloquence 
          devant les flâneurs assemblés sur cette place, qui fut 
          toujours un lieu de rassemblement public. Mais elle était condamnée. 
          " Cette hernie disparaîtra ", m'avait-on dit à 
          la mairie. Ce qui, après de longs travaux, est aujourd'hui accompli.
          Encombrant comme un kyste, le rostre indiscret a subi l'intervention 
          des chirurgiens de l'urbanisme ; l'ensemble de la place a été 
          modifié, et la Colonne au Coq exhumée des oubliettes.
          Rendu à la lumière dont i1 est le prophète, glorieux, 
          vainqueur de l'ombre, Chantecler bat de nouveau des ailes clans le soleil. 
          
          Enfin, on replanta des arbres, une double rangée d'arbres (qui 
          ne sont pas des ficus !) Mais de graciles poivriers, dont les feuilles 
          sont des plumes et les fruits du corail. Quant a l'Océanide immodeste 
          de naguère, elle est pour à jamais condamnée à 
          l'ostracisme : ça lui apprendra à jouer les Aphrodite 
          Anadyomène !
        Dernière métamorphose
          Telle que la voici, dans sa recente métamorphose, on peut dire 
          que cette place ne fut jamais si belle, car elle est adaptée 
          aux exigences modernes de la circulation. Et le mérite des urbanistes 
          locaux, c'est d'avoir su équilibrer l'utile et l'esthétique. 
          Tache ardue partout, mais ici plus qu'ailleurs où
          l'espace est si restreint et la configuration cadastrale si tourmentée 
          !
          Ce que je loue sans réserve, parlant pour le tourisme, c'est 
          le vaste promenoir réservé aux piétons qui s'amorce 
          sur la place et s'étend en contrebas du magnifique boulevard 
          Joly-de-Brésillon jusqu'aux jardins en paliers qui descendent 
          vers la vallée. Ample, dallée ou mosaïquée, 
          encadrée de balustres où s'accouder et songer : éclairée 
          de lampadaires d'un élégant modernisme, avec sa perspective 
          sur la muraille grandiose du Djebel Chettaba, cette promenade est une 
          réussite que toutes les villes algériennes, Alger et Oran 
          surtout, peuvent envier à Constantine. Mieux que la place de 
          Nemours, qui est un carrefour de passage, elle évoque l'agora. 
          et le forum des Anciens. L'illusion s'accroît, lorsque des musulmans 
          venus de l'intérieur, campagnards et montagnards, s'y promènent 
          en djellaba, cachabya et burnous, qui rappellent la chlamyde et pallium 
          antiques.
        Gloire cu mouvement, qui 
          est vie et santé !
          Ce nouveau visage de la place de la Brèche, est-il définitif 
          ? Bien vain serait celui qui l'oserait l'affirmer ! Faite pour les hommes 
          , une ville est un organisme vivant, en devenir perpétuel,
          c'est-a-dire jamais finie. Une cité achevée, serait celle 
          où vivrait une humanité fossile, ou du moins sclérosée. 
          Cette faune au sang gourd n'existe pas en Algérie ! Ici la vie 
          fermente et son effervescence submerge les artères, renverse 
          les remparts, arase les collines, escalade les montagnes et saute les 
          précipices !
          A Constantine, un vers des " Fleurs du mal " obsède 
          : 
          " La forme d'une ville
          Change plus vite, hélas ! que le cur des mortels "
          Mais j'en supprime "hélas ! ", car loin de dire avec 
          Baudelaire, splénétique incurable :
          " Je hais le mouvement qui déplace les lignes "
          qui est un idéal esthétique de gisant, je dis : Gloire 
          au mouvement ! " In motu vita ". Le mouvement, c'est la jeunesse 
          ; le mouvement, c'est la santé ; le mouvement, c'est la joie. 
          Et pensant à Constantine, déja je me demande : Comment 
          sera-t-elle clans dix ans ? Mais serai-je encore là pour la voir 
          et l'admirer, pour l'aimer et le dire ? Il fuit le temps irréparable... 
          Lui aussi est mouvement. Et jamais l'allégorie de ses ailes et 
          de sa faux ne me parut plus exacte et plus inexorable - ni la vie plus 
          précieuse et digne d'être vécue.
        Une bourde de Paul Bourde
          Tout cela dit, on m'approuvera de reproduire l'appréciation pessimiste 
          ; pis : défaitiste, de l'illustre Paul Bourde, qui, venu à 
          Constantine en 1879 dans la suite d'une caravane parlementaire, écrivit 
          à son retour dans le " Moniteur Universel " :
          " Le Rhumel a découpé dans les montagnes un bloc 
          de roc autour duquel il a creusé un ravin de sept à huit 
          cents pieds de profondeur. C'est sur ce gigantesque piédestal 
          que Constantine est juchée comme un nid d'aigle. Elle n'est reliée 
          au territoire qui l'entoure que par un isthme étroit. Mais la 
          nature, comme si elle s'était plus à la rendre absolument 
          inaccessible, a dressé sur cet isthme le mont Koudiat- Aty.
          C'est comme un nud qui serre la ville à la gorge et l'emprisonne 
          sur son rocher... Pour que Constantine s'agrandit, il lui faudrait ou 
          escalader la montagne, ou sauter son ravin, deux choses également 
          impossibles... "
          Lorsqu'il publia cette bourde, Paul Bourde dut oublier que la nécessité 
          est la more du génie, ce que l'avenir devait triomphalement démontrer, 
          puisque six ponts chevauchent aujourd'hui le Rhumel et que la Koudiat-Aty 
          s'est volatilisée... Tout cela. Affirmons le, grâce au 
          génie initiatif et constructif des Français établis 
          sur le rocher, isolé et entouré d'abîmes par la 
          nature, qui a réussi là une merveille spectaculaire qu'on 
          ne peut computer qu'a Toléde et Ronda.
          Je précise que Paul Bourde était un homme considérable.,et 
          le contraire d'un dadais et d'un velléitaire, puisque la Tunisie 
          lui doit la rénovation et l'extension prodigieuse des olivaies 
          de son Sahel.
          Comment, alors, nous expliquer son intercompréhension en présence 
          du site accidenté de Constantine ? Il faut se rendre à 
          l'évidence : les plus grands esprits ont des éclipses, 
          les plus grands coeurs des lacunes.
          Constatation grave. Elle nous montre, en effet. ce qu'il fut advenu 
          de la capitale de l'Est si ses futurités eussent dépendu 
          de Paul Bourde !
          Et du maréchal Valée qui, le lendemain de l'occupation, 
          laquelle coûta tant de sang, voulait rendre Cirta au bey Ahmed 
          en fuite...
        L'uvre d'un homme
          Heureusement, le " Genie " de la Cité veillait. C'est 
          lui qui suscita les personnalités qui devaient la rendre prospère 
          en dépit des obstacles multipliés ici par la géologie. 
          Au premier rang de ces hommes de premier plan, le premier parmi ses 
          pairs, fut Émile Morinaud, dont la hardiesse des conceptions, 
          harmonisées à son physique d'athlète et au courage 
          entraînant et joyeux qu'il prodiguait pour les faire triompher, 
          lui mérita le surnom populaire de Mousquetaire...
          Longtemps maire de Constantine, c'est à l'initiative de M. Morinaud 
          qu'est dû l'aménagement sinon le percement du boulevard 
          de l'Abîme, travail de titan dans un décor titanesque,. 
          tout en corniches et en tunnels, et qui suffirait, à lui seul, 
          à faire d ; Morinaude Constantine la première ville touristique 
          d'Algérie. On doit encore à Émile Morinaud la vertigineuse 
          passerelle, suspendue à 175 mètres au-dessus du Rhumel, 
          travail qui, si l'on ste rapporte au temps de son exécution, 
          qui est de 1912, paraissait si hardi qu'il semblait téméraire. 
          Enfin c'est à Morinaud qu'est due l'Arche de Gloire consacrée 
          aux Héros de la première grande guerre, qui par sa conception, 
          comme par sa position, en plein azur, parmi les aigles, ajoute à 
          la grandeur du décor gigantesque.
        Le Père de la Cité 
          moderne
          Les travaux accomplis par M. Morinaud sont de ceux dont un touriste 
          mérite d'être informé. Ses uvres demeurent, 
          et autant que la Nation elles honorent l'Humanité. 
          Les Constantinois l'ont compris, lesquels ont décidé d'élever 
          à la mémoire de leur ancien député - en 
          qui je salue le Père de la Cité moderne - un monument 
          digne d'eux à la fois et de lui. Initiative qui prouve que le 
          cur des Constantinois est aussi probe que généreux.
          Et cette constatation accroît mon amitlé pour la Tolède 
          africaine.
        STATUETTE DE LA VICTOIRE 
          AILÉE.
          Elle faisait partie d'une statue en argent de Jupiter qui se trouvait 
          au capitole de Cirta. Érigée sur une sphère, le 
          Dieu des Dieux la portait sur sa main droite ouverte, d'où son 
          nom de Jupiter Nikephore (porte victoire). Sa reproduction monumentale 
          couronne aujourd'hui le monument aux morts.