| 
        ------Lorsque 
          Louis Napoléon Bonaparte, Président de la République, 
          effectua le 2 décembre 1851, le coup d'Etat qui aboutit à 
          la remise entre ses mains du pouvoir absolu, les républicains 
          essayèrent de réagir à Paris et dans quelques petites 
          villes de province. Cette résistance fut faible, mais, pour enlever 
          à ses adversaires tout espoir de revanche, le nouveau gouvernement 
          fit procéder à un grand nombre d'arrestations. Dès 
          le 8 décembre, les préfets reçurent le pouvoir 
          de transporter sans jugement, à Cayenne ou en Algérie, 
          les repris de justice ou les individus coupables d'avoir fait partie. 
          d'une société secrète...------Dans 
          chaque département, une commission mixte fut constituée, 
          composée du préfet, du procureur général 
          et de l'officier supérieur commandant les troupes siégeant 
          au chef-lieu et seule compétente pour statuer sur le sort de 
          chaque inculpé. La procédure devait être secrète 
          ; le détenu ne serait même pas entendu. Il s'agissait 
          d'une mesure de sûreté générale et non d'un 
          jugement.
 
 ------Les 
          transportés d'Afrique étaient. divisés en 2 catégories 
          l'une appelée Algérie +, avec emprisonnement dans 
          un fort ou dans un camp, l'autre Algérie -, avec liberté 
          de choisir sa résidence.
 
 ------C'est l'absence de jugement qui indigna 
          surtout les victimes de la répression. Les quelques 10 000 transportés 
          d'Algérie, en débarquant sur la terre d'Afrique, manifestaient 
          violemment en réclamant "des juges !". Ils refusaient 
          de se livrer aux travaux qu'on prétendait leur imposer, et ceux-là 
          même qui n'étaient astreints qu'à la résidence 
          surveillée, voulurent considérer l'Algérie comme 
          un bagne et ne contribuèrent en aucune façon à 
          l'ceuvre de colonisation. Graciés plus tard, ils retournèrent 
          en France pour la plupart. Ceux qui restèrent étaient 
          surtout des journalistes qui, profitant de la liberté relative 
          dont jouissait à certains moments la Presse de ce pays, devinrent, 
          à la fin de l'Empire, les véritables maîtres de 
          l'opinion publique et surent admirablement monnayer leurs malheurs.
 
 ------La 
          répression ne fut pas menée de la même manière 
          dans toutes les régions de la France. La police arrêta 
          beaucoup de femmes, mais elles ne furent frappées en général 
          que d'expulsion ou mises en résidence surveillée. Les 
          Commissions mixtes eurent la délicatesse de penser que la déportation 
          n'était pas applicable aux personnes du sexe faible. Firent exception, 
          celles de Paris (où bon nombre de républicaines avaient 
          été prises les armes à la main sur les barricades), 
          du Loiret, de la Nièvre et surtout de l'Hérault (à 
          cause de la violence de l'action populaire à Bédarieux). 
          5
 
 ------Les 
          prisonnières du Midi furent embarquées à Cette 
          pour Bône et Alger sur deux bateaux : l'Eclaireur et le 
          Grondeur. Cinq d'entre elles seulement devaient subir l'Internement
 - Mme Elisabeth PALLES (ou PARUS) Vve Puis de Pézenas
 - Mme Anne SINGLA (ou SANGLA) Vve CONNESCURE de Combescure, près 
          Pézenas
 - Mme Joséphine BRAS née BRAVIEL (ou PRABIEL) de Bessan 
          (Hérault)
 - Mme Louise CAZENEUVE (tenancière du Café de l'Avenir, 
          à Auch)
 ------Parmi 
          les trois autres, deux furent transportées au camp d'Ain Benian
 - Mme Valentin DELMAS (née Marie CROS) de l'Hérault
 - Mme Rose BIGNALET (née LAROCHE) des B. Pyrénées
 - Nous ne savons pas où fut envoyée la 8ème .
 Mme MAJUREAU née à Toulouse (aubergiste à Bédarieux)
 (Liste figurant sur le registre du Bon Pasteur (*)
 
 ------Les dix transportées de Paris subirent 
          de leur côté de rudes épreuves. Ce sont
 - Mme Elisabeth GUILLARMET (née DECHEREN) marchande de nouveautés 
          à Clamecy
 -Mme Claudine HYBRUIT (née MONNIAT ou MONNIOT)
 -Mme Armandine HUET (née DANGAY) femme d'un marchand de vin déporté
 - Mme Vve Constance FRELIGNEE RIQUEBOURG (FREYLI), Créole née 
          à la Guadeloupe
 -Mme Augustine PEAN (blessée sur les barricades de déc.)
 - Mme Eugénie CLOUARD (née MOUGAT) femme d'un cordonnier
 -Mme Rosalie BERGEOIN (née GOBERT) femme d'un médecin
 - Mlle Louise Fernanda ALLEMAND (jeune fille de 18 ans)
 - Mme Héléna GAUSSIN (Vve PATAY) artiste dramatique, blessée 
          aux barricades de décembre
 - Mme Pauline ROLAND, publiciste
 Cette dernière n'a été inscrite que le 28 juillet 
          sur les registres du Bon Pasteur (*)
 --------------------------------------------------
 ------A la gare, 
          trois files de soldats, baïonnette au canon, viennent surveiller 
          l'embarquement. Des gendarmes prendront place dans les wagons, avec 
          un agent de police chargé de prendre note de ce que diront les 
          prisonnières.------Au 
          Havre, on les embarque sur le Magellan. C'est un soulagement, car les 
          officiers de marine sont des hommes délicats qui les traitent 
          avec bienveillance.
 
 ------Le 
          9 juillet, le bateau accoste à Oran, et l'on débarque 
          le troupeau, pour lequel l'Administration militaire a préparé 
          une étable, le fort Saint-Grégoire, sur une hauteur escarpée 
          dominant la ville à l'ouest.
 ------L'escalade 
          est pénible, en voiture, par une mauvaise route taillée 
          dans le roc. Les femmes ont grand peur de se casser le cou et poussent 
          des cris perçants. Enfin, il faut mettre pied à terre 
          et terminer l'ascension jusqu'au sinistre château, où les 
          républicaines s'entassent dans une petite pièce, sur la 
          paille. Ni vin, ni café : rien que du pain noir.
 ------Cependant, 
          ces transportées embarrassaient beaucoup le Gouverneur Général. 
          Il n'existait pas en Algérie de prison pour les recevoir. Les 
          femmes du Midi ne pouvaient rester longtemps au fort de Bab-Azoun, 
          carcere duro des condamnés militaires à Alger. C'est 
          pourquoi il avait décidé de les interner au couvent du 
          Bon Pasteur, où l'évêque d'Alger pourrait tenter 
          sur elles une cure spirituelle.
 
 ------L'accord 
          conclu, il donna l'ordre de diriger sur Alger les dix captives du Fort 
          Saint-Grégoire. On les fit coucher sur le pont de la frégate 
          l'Euphrate, sans autre litière qu'une toile à voile et 
          une mauvaise couverture de matelot. Elles furent durement secouées 
          et arrivèrent plus mortes que vives au môle d'Alger. Depuis 
          trois semaines, elles n'avaient pas couché dans un lit et elles 
          n'avaient guère reçu de nourriture.
 
 ------Aussitôt 
          débarquées, on leur fait gravir la falaise d'El-Biar. 
          Dans la pièce qui leur avait été réservée, 
          quinze grabats serrés laissaient seulement la place pour une 
          longue table sur laquelle elles mangeaient en commun leur pitance. Un 
          tout petit préau ; pas un arbre. Les prisonnières étaient 
          invitées à travailler, mais ne recevaient aucun salaire.
 
 ------El-Biar jouit d'un climat salubre et doux, 
          et beaucoup d'Algériens de la capitale et de l'intérieur 
          vont y passer l'été. On était beaucoup mieux là 
          qu'à Lambessa (qui, d'ailleurs, n'est pas un poste malsain) et 
          surtout que dans les centres de colonisation de la Mitidja. Mais, ce 
          qui faisait le plus souffrir les prisonnières, c'était 
          d'être enfermées dans une sorte de prison pour filles publiques 
          et elles accusaient le Gouvernement d'avoir voulu les confondre avec 
          les pensionnaires habituelles de l'établissement. Elles ne pouvaient 
          voir personne, que les religieuses, qui les pressaient de se réconcilier, 
          et un aumônier, l'abbé Suchet, coadjuteur de Mgr Pavie. 
          Ce dernier venait parfois leur rendre visite et laissait tomber en passant 
          une promesse de grâce pour les brebis repentantes.
 Lorsque les Parisiennes arrivèrent au couvent du 
          Bon Pasteur, les religieuses furent émues par la mauvaise 
          mine d'une des prisonnières. C'était Héléna 
          GAUSSIN, mal remise de la fièvre typhoïde dont elle avait 
          failli mourir. On s'empressa autour d'elle. On lui posa des questions...
 
 ------"Mes 
          soeurs, savez-vous bien qui est votre prisonnière ? C'est la 
          plus grande artiste de la Comédie Française". Mère 
          Marie de Sainte-Philomène en est toute bouleversée. Cette 
          illustre pensionnaire ne doit pas avoir une âme vulgaire. Que 
          pense-t-elle de la Religion et du Gouvernement ? L'artiste est très 
          "spirituelle", "très remplie de ses opinions philosophiques", 
          et "démocrate", mais elle n'est pas aussi républicaine 
          qu'on veut bien le dire. Hélas, les grands talents sont victimes 
          de jalousies si affreuses !
 ------Héléna 
          GAUSSIN est finalement mise en résidence surveillée à 
          Alger, c'est à dire presque libérée.
 |  | -------Comment va-t-elle 
        s'occuper, cette artiste qui n'a pour vivre, que sa beauté et son 
        talent ? Peut-on priver le public algérois du plaisir sans précédent 
        d'entendre une actrice de la Comédie Française ? Héléna 
        demande au gouverneur général la permission de donner des 
        représentations. Le maréchal Randon n'y voit pas d'inconvénient, 
        à condition que l'apparition sur la scène de cette transportée 
        ne donne pas lieu à une manifestation quelconque de caractère 
        politique !...
 ------On ne 
        sait si l'actrice joua sur la scène d'Alger, mais, pour prix de 
        sa conversion, elle obtint bientôt d'être libérée. 
        L'année suivante, elle voulut tenter fortune en Amérique. 
        Hélas, elle mourut pendant la traversée (d'après 
        Lelièvre, ce fut en juin 1854 à bord du Notre Dame des Victoires).-----Sur 
        les quinze prisonnières d'El-Biar, Héléna ne fut 
        pas la seule repentie.
 ------Les 
        cinq femmes de Cette n'étaient pas toutes des louves, de l'aveu 
        même de la Mère fondatrice du monastère. Elle distingua 
        tout de suite une sympathique brebis, madame BRAS, née Joséphine 
        PRABIEL, de Bessan dans l'Hérault. La pauvre femme était 
        mère de trois enfants, toutes des filles, dont la dernière 
        n'avait pas encore deux ans. Elle ne savait ni lire ni écrire, 
        et déclarait que, poussée par la curiosité, elle 
        s'était trouvée mêlée à la foule tumultueuse 
        qui manifestait contre l'auteur du coup d'Etat. Au couvent elle fit preuve 
        d'un si profond désespoir que les soeurs eurent peur de la voir 
        tomber malade. La Mère supérieure supplia le Gouverneur 
        de la faire mettre en liberté : "Je 
        ne puis douter, répondit le maréchal, que, sous votre maternelle 
        direction, cette femme, comme les autres, ne se repentent (sic) des écarts 
        politiques de leur vie antérieure, et ne reviennent aux sentiments 
        qui leur conviennent pour remplir leurs devoirs de bonne mère de 
        famille et de bonnes épouses".(**) Mais la grâce 
        ne pouvait être accordée que par le Président de la 
        République, et il, fallut transmettre la requête à 
        Paris. Deux mois après, le 15 septembre, le chef de l'Etat donnait 
        l'ordre de rapatrier "Fine PRABIEL". La brebis égarée 
        était, aussitôt rendue au bercail.
 
 
 -------Armandine 
        HUET avait été obligée d'abandonner à Paris 
        un enfant de six ans. Elle eût sûrement supporté sa 
        captivité si le sentiment maternel ne l'eût entraînée 
        à tout pour tenter de revoir son petit garçon. Elle déclara 
        qu'elle avait été précipitée dans le malheur 
        par un homme pour qui elle nourrissait désormais la haine la plus 
        vive. Elle regrettait amèrement sa vie passée. Mal lui en 
        prit, car les bonnes soeurs, apprenant que le mari de cette dame était 
        lui-même déporté en Afrique, on s'arrangea pour empêcher 
        la réunion d'une femme travaillée par la grâce et 
        d'un homme resté "grand ennemi de 
        l'Eglise et de toute croyance". M. HUET fut amnistié 
        et ramené en France et Armandine, sa femme, resta captive dans 
        un village d'Algérie.
 -----Plus 
        étrange et plus obscure est la destinée de Louise ALLEMAND, 
        dite Fernanda. C'était une jeune fille de dix huit ans, originaire 
        .de Nîmes, qui vivait chez un oncle à Paris, au troisième 
        étage d'une maison de la rue Transnonain. L'oncle avait donné 
        asile à un lieutenant républicain qui avait combattu sur 
        les barricades les 3 et 4 décembre 1851. La police fit une perquisition 
        dans l'appartement, fouilla, et refouilla la chambre de la jeune fille, 
        et finit par la trouver accrochée à la croisée, dans 
        le vide. Louise fut tirée à l'intérieur, menée 
        à Saint Lazare et désignée pour faire partie du troupeau 
        d'Alger. Elle scandalisa le couvent par son mépris hargneux pour 
        la religion chrétienne.
 ---------------------------------------------- ------Cependant, 
        peu à peu, les pénitentes quittaient la maison. Les converties 
        d'abord, puis les irréductibles, enfin quatre autres dont on avait 
        su utiliser l'impatience et qui acceptèrent de communier pour être 
        libérées. Restée seule, Fernanda s'ennuya beaucoup. 
        Elle accepta d'aider l'une des soeurs jardinières à bêcher 
        la vigne. Elle fit grosse besogne, car elle était robuste, et elle 
        s'aperçut que les religieuses lui savaient gré de son zèle. 
        Elle devint plus conciliante...
 ------"Maintenant, 
        écrit la Mère Marie de Sainte Philomène, elle remercie 
        mille fois le bon Dieu de n'avoir pas été graciée 
        par le Gouvernement, et, bien loin d'implorer 'sa liberté, elle 
        n'a qu'un désir : vivre et mourir au Bon Pasteur !"
 
 ------Son 
        désir fut bientôt contrarié. Si nous en croyons les 
        mémoires de Lelièvre, le plus passionné, mais le 
        plus exact des transportés politiques à 
        Miliana, où elle fut mise en résidence forcée.
 
 ------Bientôt 
        Fernanda se fit porter malade et envoyer à Alger, puis en France. 
        Elle parcourut l'Angleterre, la Belgique, revint à Marseille, où 
        elle entra au service de l'Evêque, puis se fixa à Oran. Aux 
        gages tour à tour du parti républicain et du parti clérical, 
        elle exploita les uns et les autres. C'est d'elle que Ribeyrolles tira 
        une grande partie de sa documentation sur les "bagnes d'Afrique" 
        et nous ne sommes pas étonnés de constater que ce livre 
        est parsemé d'étranges légendes. Bref, cette Fernanda 
        semble bien avoir été, comme le dit Lelièvre, "une 
        très méchante gale".
 
 ------Voici 
        donc le bilan des conversions opérées par les soeurs du 
        Bon Pasteur.
 
 ------Sur 
        les quinze prisonnières, sept ont quitté le couvent peu 
        après leur arrivée. On les expédia à Alger, 
        Oran, Dellys 
        ou autres lieux, et la Mère Supérieure regretta de ne pas 
        les avoir gardées assez longtemps pour que la grâce de Dieu 
        et les enseignements du Père Suchet eussent pu les toucher.
 
 ------Deux 
        des prisonnières ont fait bénir leur mariage.. et la Mère 
        Supérieure s'est consolée en déclarant que "toutes 
        quittèrent son établissement avec reconnaissance pour les 
        bontés qu'on leur avait témoignées"...	
        (à suivre)
 
 (*) Archives du couvent du Bon Pasteur à EL-BIAR. Les noms entre 
        parenthèses sont les variantes qu'on trouve dans le manuscrit de 
        Lelièvre, ancien greffier de Tribunal.
 (* *) Archives du G. G. d'Alger. Lettre de Randon à la Mère 
        Supérieure, 17 juillet 1852.
 Madiana DELAYE Nota. - Il faut signaler encore. Mme GARREA U-GRENON qui 
        avait accueilli à son foyer l'un des fils de Pauline ROLAND quand 
        celle-ci fut déportée. Après l'attentat d'Orsini 
        en 1858, elle fut condamnée à "Cayenne"... mais 
        finalement mise en résidence forcée à Djidjelli 
        bien qu'elle eut 3 enfants à charge!Sources : "Pauline ROLAND et les déportées 
        d'Afrique"par Marcel EMERIT, grand prix littéraire de l'Algérie. 
        1942
 "Pauline ROLAND"par Benoîte GROULT.
 Copi
 N.D.L.R du GAMT- La dernière phrase 
        de ce récit a attiré notre attention de Généalogiste, 
        et nous avons fait des recherches pour retrouver quelles étaient 
        ces 2 femmes, et avec qui elles s'étaient mariées. Nous 
        avons ainsi découvert que
 ------1. Augustine, 
        Armantine PEAN, qui avait été blessée sur les barricades 
        en décembre 1851, était née le 8 août 1827 
        à GAULT ST DENIS (Eure & Loir). Arrivée en Algérie 
        le 13 juillet 1852 à 25 ans, elle s'est mariée à 
        Alger avec Louis Charles JOURDANT le 11 octobre 1870 (à 43 ans). 
        Décédée avant 1884, son époux s'est remarié 
        à ALGER avec Caroline LEZEBRE.
 ------2. Marie 
        Alexandrine REVEILLE était née le 4 décembre 1823 
        à PEZENAS (Hérault). Arrivée en Algérie le 
        26 juin 1852, donc à 29 ans, elle est restée au Bon Pasteur 
        comme couturière, et s'est mariée 5 mois plus tard, le 19 
        novembre 1852 à EL BIAR avec Jean SOUQUET originaire de BEZIERS 
        et domicilié à AIN SULTAN.
 Ont-elles fait souche en Algérie ? Y a-t-il un ou des adhérents 
        qui seraient descendants de ces "héroïnes" ? Nous 
        attendons vos réactions !
 
  
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